L’unité syndicale aux « impôts »

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Des débats sur l’autonomie en 1947 aux rapports intersyndicaux contemporains, en passant par la longue grève nationale de 1989, le secteur des impôts a une originalité certaine dans le mouvement syndical français. Nous revenons ici sur l’histoire de l’unité syndicale dans cette administration.

Il est une évidence pour les salariés, du privé comme du public, que l’unité syndicale constitue un gage de réussite quand il s’agit de mobiliser, d’établir et de faire grimper les rapports de forces. Combien de fois sommes-nous interpellés sur la désunion syndicale ? Combien de fois les clivages, pour reprendre les termes caricaturaux des médias et du personnel politique, entre les « réformistes » d’un côté (qui ont le vent en poupe dans la période) et les « révolutionnaires » de l’autre sont-ils utilisés pour discréditer le mouvement syndical (surtout d’ailleurs le courant qualifié de révolutionnaire) ? Ce qui paraît simple et évident vu de l’extérieur et sans aucune connaissance réelle ou analyse objective de l’Histoire du mouvement ouvrier, est plus compliqué au cœur de la démocratie sociale et de celui de ses acteurs que sont les organisations syndicales. Ici se jouent aussi des rapports de forces, y compris internes, qui trouvent leurs racines dans le passé, mais aussi dans le présent de chaque organisation syndicale et transforment toute démarche unitaire en un combat quasi quotidien. Il serait immodeste de considérer que la situation aux « impôts », à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) pour être dans l’actualité, constitue un exemple, l’exemple à suivre et à dupliquer en matière d’unité syndicale. Pourtant, et ici encore l’histoire du mouvement syndical dans cette administration n’y est pas étrangère, la volonté unitaire y demeure, malgré les difficultés du moment ou plus anciennes, un marqueur tenace qui imprime également sa marque au-delà, dans les relations entre les fédérations syndicales du ministère des finances.

Cortège lors de la grande grève des impôts de 1989

Des ruptures à l’unité, contre l’éparpillement syndical

Dans les administrations financières comme ailleurs, le paysage syndical a été percuté par les différentes phases de scissions/recompositions, tant structurelles que politiques ou idéologiques, qui ont émaillé la période qui s’étend en gros de la seconde moitié du 19ème siècle jusqu’à la fin des années 1960, et encore plus tard, par les mouvements qui ont conduit à l’émergence des syndicats SUD dans le paysage. L’éparpillement du mouvement syndical, et donc son unité ou son rassemblement, pose donc question depuis de nombreuses années.

Ce questionnement est intimement lié aux évolutions et aux affrontements idéologiques qui ont traversé le socialisme et le mouvement ouvrier et qui continuent de le traverser, sous d’autres formes. Parmi les sujets qui interrogeaient et qui interrogent encore, on peut citer :

L’acceptation plus ou moins profonde des liens entre partis politiques et organisations syndicales.

Le rejet plus ou moins fort du réformisme.

L’attachement plus ou moins catégorique à une structuration pyramidale.

Les accommodements plus ou moins marqués avec les attentes corporatistes des travailleurs.

La Fonction Publique a été l’un des creusets dans lequel la recherche et la promotion de l’unité d’action entre les organisations syndicales ont été et demeurent un axe important des relations inter syndicales. Chacun a fait ses choix, notamment en matière de structuration, entre non-affiliation, affiliation ou autonomie sans jamais pour autant rompre le débat et les échanges.

Aux « impôts » comme ailleurs : un chemin semé d’embûches

Avant 1947, la situation aux « impôts » était intimement liée à la structuration du champ syndical, dans une administration largement segmentée et découpée en « régies ». Ce découpage entre « les directes », les indirectes », « l’enregistrement » et le « cadastre » était source de fortes rivalités. Ces oppositions avaient forgé le paysage syndical où cohabitaient des syndicats de métiers, catégoriels ou pas. Dans les années 1950, 14 syndicats étaient répertoriés aux « impôts », avec une Direction Générale à Paris, mais des réseaux administratifs séparés et une mise en concurrence des sigles CGT, CGT-FO, Autonomes (qualifiés de corporatistes par leurs adversaires), CFTC.

C’est un événement interne qui va provoquer et accélérer le mouvement unitaire qui a construit le paysage syndical actuel : la décision politique de fusionner les régies pour créer la DGI (Direction Générale des Impôts). Cette opération prendra de nombreuses années après son annonce pour véritablement se concrétiser dans les faits et sur le terrain. C’est le temps qu’il a fallu pour aboutir à une recomposition du paysage syndical portée par des militant-e-s dont le seul objectif était de construire un outil syndical à la hauteur des bouleversements administratifs en cours et au service de tous les agents et de leurs revendications.

Ce rapprochement a commencé dans l’une des quatre grandes régies, aux contributions directes, au travers des contacts qui se sont noués entre le syndicat des cadres FO et le Syndicat autonome des agents, nés tous les deux lors de la scission entre la CGT et la CGT-FO en 1948. Ce n’est qu’en 1962 qu’ils aboutissent à la création du Syndicat National Unifié des Contributions Directes, qui prendra le nom de SNUI (Syndicat National Unifié des Impôts) en 1968. Comme un symbole d’une volonté affichée d’aller vers la création d’un syndicat unique à la DGI, le syndicat unifié des directes appelle alors son journal « l’Unité » (qui demeure le nom du journal national de Solidaires Finances Publiques). L’utopie ne se transformera pas en réalité, et il n’y aura pas « un seul syndicat pour tous les agents de la DGI ». Aux impôts en tout cas, les velléités, encore fortes, de « fusion organique », s’effacent à l’aube des années 1980.

L’épisode de la fusion entre la DGI et la DGCP (Direction Générale de la Comptabilité Publique) pour créer la DGFiP, en 2007, a une nouvelle fois démontré notre capacité de rassemblement, par la création d’un unique syndicat de Solidaires : Solidaires Finances Publiques, issu de la fusion entre SUD Trésor et le SNUI. Il faut dire qu’entre temps, c’est au-delà de cette seule sphère des Finances, en étant la cheville ouvrière de la création du Groupe des dix, devenu depuis l’Union Syndicale Solidaires, que ces militants et militantes convaincu-e-s ont poursuivi, avec d’autres venus d’autres horizons et avec leurs propres histoires, l’aventure, encore en cours, de la réunification syndicale.

Les traces du passé éclairent le présent

De cette période particulièrement stimulante, il reste au moins de grandes idées qui nous structurent à Solidaires Finances Publiques : celle de regrouper tous les agents-e-s de la DGFiP, sans distinction de grades ou de métiers, dans la même organisation syndicale (le verticalisme), celle de la volonté, partagée, de rechercher de l’unité avec les autres composantes syndicales présentes dans la sphère DGFiP et aux Finances. La première est mise à mal par l’émergence d’un « corporatisme syndical et associatif » qui se développe fortement quand la seconde, dans un contexte pour le moins délicat, demeure toujours présente.

Il faut encore une fois remonter le temps pour mieux appréhender les choses et mesurer le caractère permanent de cette volonté unitaire. Entre 1960 et 1970, pendant 10 ans donc, à la DGI, les syndicats majoritaires (CGT et SNUI) se sont mis d’accord pour présenter des listes communes aux élections en CAP, faisant fi au passage de leur représentativité relative. L’audience des syndicats était, à cet instant, encore mesurée à l’aune des résultats de ces élections. Les dernières listes de ce type ont concerné le SNUI et la CGT, avant que le SNUI ne prenne sa liberté et truste la place de première organisation syndicale à la DGI lors des élections de 1982, première place qu’il a aujourd’hui à la DGFiP.

Cette position nous confère la responsabilité, assumée, de trouver chaque fois que cela est possible et nécessaire, les voies de l’unité syndicale. Notre première place, et, depuis les élections générales de 2014, celle de première fédération des finances que nous détenons avec notre fédération Solidaires aux Finances, est, sans aucun doute possible, un facteur de facilitation dans cet exercice. Elle nous laisse en tous les cas la latitude de nous affranchir, quand cela nous paraît utile et indispensable, de l’intersyndicale. Paradoxalement, nous n’utilisons cet « avantage » que très rarement au niveau national. Les choses sont plus compliquées quand on descend au niveau local, mais c’est une autre dimension que nous n’aborderons pas ici. On peut retrouver à la DGFiP et aux Finances, les lignes de fractures aperçues et vécues au niveau de la Fonction Publiques ou au niveau inter professionnel, entre les syndicats dits combatifs et ceux qui se réclament plutôt du réformisme ou de l’accompagnement. Bien entendu, tant le contexte que la structuration, différente, de nos organisations (les principales OS ou fédérations présentes dans le champ sont la représentation d’organisations confédérées) peuvent avoir une influence sur le caractère unitaire de nos démarches.

Un cadre permanent

C’est assez naturellement autour du binôme CGT/Solidaires que s’articule l’intersyndicale DGFiP comme l’inter fédérale finances. Il faut le souligner quand même, les caractères des responsables et les liens tissés entre eux ne sont pas étrangers à cet état de fait. Cette « belle alliance » a pu cependant parfois être troublée par des positionnements d’appareil, voire par des stratégies électoralistes. L’intersyndicale persiste cependant, y compris durant ces périodes de compétition, et la CGT Finances Publiques, comme nous d’ailleurs, parvient à faire la part des choses et à penser, quand cela est nécessaire, au-delà des considérations de nos structures Fonction Publique ou Interprofessionnelle, toutes choses étant égales par ailleurs. A y regarder d’un peu plus près, c’est un peu le « modèle » Solidaires que nous tentons de faire vivre ici. Et ça fonctionne plutôt bien.

Ces intersyndicales ou interfédérales doivent donc être regardées et considérées, non pas comme une structure pérenne, mais comme un espace régulier d’échanges, d’analyses et de conceptions d’actions unitaires dans lequel chaque organisation conserve son autonomie de décision ou d’action. Leur périmètre peut ainsi varier au fil des circonstances. Il a pu être très large en regroupant outre Solidaires et la CGT, FO, la CFDT ou encore l’UNSA, la CFTC et la CGC. Depuis peu, des contacts sont pris avec des syndicats catégoriels ou des associations, notamment pour ce qui concerne les problématiques liées à la défense individuelle des personnels (CAP).

Il faut quand même remonter 3 ans en arrière pour trouver une action commune des 7 syndicats de la DGFiP.

Ainsi, le noyau dur est formé, à la DGFiP, par les syndicats représentatifs dans l’instance nationale de dialogue social, le comité technique de réseau (CTR) : Solidaires, CGT, FO et CFDT. Au niveau du ministère des Finances, on retrouve à peu près la même configuration. L’actualité n’est pas sans influence sur la composition de cet espace d’échanges. La promulgation du non-protocole PPCR (Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations) a provoqué par exemple le désarrimage de la CFDT de l’inter syndicale du CTR, même si nous nous retrouvons parfois sur des lignes très proches, voire identiques, au moment de nous affronter avec l’administration. Le positionnement des autres, au regard notamment des politiques budgétaires, sociales et économiques de l’actuel gouvernement et de nos divergences profondes quant aux moyens d’actions, les a de facto exclus.

Depuis plusieurs mois désormais, les contours de l’intersyndicale se résument à trois organisations, Solidaires Finances Publiques, la CGT et FO. Elle se poursuit dans ce même esprit, à la recherche commune de ce qui nous rassemble assez pour pouvoir agir ou nous exprimer de concert, sans exclure que l’un ou l’autre d’entre nous, seul ou en s’associant avec l’un des deux autres, puisse agir. C’est le cas notamment en ce qui concerne, dans la période, les entretiens professionnels (avec un appel au boycott de Solidaires et de la CGT), le bras de fer engagé contre la Direction générale pour combattre les reculs imposés en matière de droit syndical. Par contre, la reconstitution d’une inter syndicale plus large, incluant de nouveau notamment la CFDT, est à l’heure actuelle impossible, pour des raisons qui tiennent surtout à l’attitude et au positionnement de la CFDT sur la loi travail. Les plaies ne sont pas encore assez cicatrisées pour envisager une telle hypothèse qui pourrait pourtant bien advenir après le mois de juin 2017.

La période récente a montré que d’autres types d’action ou de structuration étaient possibles, encourageant une forme d’horizontalité à laquelle, par tradition ou du fait de nos histoires, nous sommes certes attentifs, mais aussi un tantinet rétifs. La jonction entre les mouvements citoyens et le mouvement syndical apparaît cependant comme un complément, voire une alternative crédible, comme le démontrent, par exemple, les actions conduites contre les paradis fiscaux et la lutte contre la fraude. La période qui arrive quant à elle, va nous mettre face à d’autres défis que seuls l’imagination collective, la ténacité et l’engagement permettront de relever.

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François-Xavier Ferrucci

François-Xavier Ferrucci est secrétaire général du syndicat national Solidaires Finances Publiques