Retour vers le futur

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En ce 120 ème anniversaire de la création de la CGT, se rappeler de l’abécédaire des valeurs du syndicalisme français à ses origines, peut nous aider à y voir plus clair et à dégager des perspectives.

Des perspectives qui nous manquent cruellement en ces temps maudits, pour reprendre les mots de Jack London.

Des temps maudits de recul d’un mouvement social offensif et créatif. Condition sine qua non pour redonner du sens à notre action syndicale et peser sur le rapport de force.

En ces “temps maudits”…

En ces temps, notre temps, où la colère sociale existe (les lambeaux de la chemise des DRH d’Air France en sont la preuve…).

En ces temps, où les attaques contre nos conquêtes sociales se multiplient : Pacte de responsabilité, Loi Macron, casse du Code du travail, accord PPCR, remise en cause du statut des fonctionnaires, Loi Rebsabem, enjeux autour des salaires, du chômage et de l’austérité.

Oui, des attaques qui ont comme dénominateur commun, un gouvernement Hollande aux ordres du Medef. Un même Hollande qui en 2012 promettait, avec un faux ton enjoué à la Jaurès, de s’en prendre à la Finance et qui le lendemain, se revendiquait comme étant un social-démocrate (non dans le sens du XIX éme, qui visait à désigner une classe ouvrière, mais dans sa reconnaissance de l’économie de marché).

Un gouvernement Hollande, qui multiplie des réformes dont le seul bénéficiaire est le patronat. Des réformes qu’un gouvernement de droite n’aurait jamais pu fantasmer, ni pu appliquer sans une contestation syndicale d’envergure…

Une histoire vieille, celle des promesses non tenues par un gouvernement de Gauche ! Une histoire qui bégaie hélas tant les exemples sont nombreux !

Et pour n’en détacher que quelques uns : rappelons-nous de l’action du Ministère Gayssot, sous le gouvernement de la « Gauche plurielle » de Jospin, à la fin des années 90. Au Ministère des Transports, le zélé « camarade-ministre », ex- leader syndical du Rail, avait laissé une trace indélébile dans sa contribution à la casse du statut des cheminots et la privatisation d’Air France.

En retraçant plus loin – tant les trahisons et/ou les fausses promesses furent nombreuses -, nous ne pouvons que nous souvenir de quelques épisodes pris, parmi d’autres  : l’invention de la précarité sous le Ministère Fabius avec ses TUC, la séparation des PTT en La Poste et France Télécom ou encore les attaques contre la Sécurité sociale en imposant la CSG etc.

En ces temps, où les salarié-e-s, les chômeurs et chômeuses, la jeunesse se retrouvent dans une impasse qui leur fait oublier, à tous et à toutes, que c’est dans l’action collective et la convergence des luttes que l’on gagne, que l’on retrouve la dignité : celle d’imposer de grands choix collectifs de vie ; celle de refuser ceux du CAC 40 et de l’impasse de la politique institutionnelle.

En ces temps, de perte de confiance dans des alternatives de rupture avec la loi des Patrons et des possédants, qui a pour conséquence corrélative et meurtrière : une extrême droite qui monte en flèche.

En ces temps, encore, de répression de classe, où la chasse est ouverte aux syndicalistes (en 2010, suite à des actions pendant le mouvement des retraites, cinq militants de la CGT Alès sont condamnés, dont deux d’entre eux à des peines de prison avec sursis, Fouad Harjane de la CNT Metz condamné à 40 000 euros d’amende par la SNCF, Yann Lemerrer de SUD PTT 92 licencié de La Poste pour ne prendre, une fois de plus, que des exemples parmi d’autres). Une chasse et une criminalisation des militant-e-s qui prend, d’autant plus un sens lourd et grave, dans ce contexte de recul des luttes. Comme s’il s’agissait de réduire au silence les derniers foyers déterminés de la résistance sociale.

En ces temps, enfin, de recul du mouvement social et syndical qui peine à retrouver un second souffle après les échecs répétés des dernières mobilisations de masse. Des mobilisations pourtant pleines d’espoir mais sabordées par certains responsables syndicaux en 2003 ou lors du mouvement des retraites en 2010. Un recul, surtout, de la confiance en l’action de masse qui ne manque pas d’affecter le moral et la motivation des adhérent-e-s, des militant-e-s et des équipes syndicales…

Vers enfin une autonomie du mouvement social ?

Un autre facteur qui contribue (même si ce phénomène n’est pas nouveau hélas !) à l’attentisme du syndicalisme, aujourd’hui, réside dans son inféodation (directe ou indirecte) à des impératifs extérieurs.

Les fondateurs de la CGT, en 1895, l’avaient parfaitement compris. Quand un Victor Griffuelhes ou encore un Émile Pouget jetaient les bases théoriques et pratiques d’un syndicalisme fondé sur le boycottage, le sabotage, l’anti-parlementarisme, l’idée de grève générale expropriatrice et la stricte indépendance de l’action de classe à l’égard des partis politiques, de l’État et du patronat (Charte d’Amiens, en 1906).

Dans sa brochure, L’action directe, Émile Pouget précisait en ces mots ce dernier concept :

« L’action directe signifie que la classe ouvrière, en réaction contre le milieu actuel, n’attend rien des hommes, des puissances et des forces externes à elle, mais qu’elle crée ses propres conditions de lutte et puise en soi les moyens d’action. Elle signifie que, contre la société actuelle qui ne connaît que le citoyen, se dresse désormais le producteur ».

De ce débat ancien, et pourtant toujours d’actualité, le syndicalisme, du moins celui dont nous nous réclamons, se renforcerait en réaffirmant son autonomie d’action et de décision vis à vis des partis politiques. Quels qu’ils soient.

Pour aller vite, redéfinir un agenda militant qui ignorerait le calendrier électoral. Car, et c’est bien la preuve que cette réalité est prégnante, à la veille d’échéances électorales importantes (du moins pour ceux et celles qui les portent), nous constatons à chaque fois que la lutte des classes, du fait entre autre de certaines Directions syndicales, devient moins prioritaire pour nombre d’organisations.

Une réalité, qui relègue, en conséquence, au second plan la construction du nécessaire rapport de force.

Une réalité, qui a le don d’anesthésier la colère sociale, comme si, le « salut » du syndicalisme ne pouvait se concrétiser qu’au prix d’un supposé « débouché électoral », validé par le dépôt d’un bulletin de vote « utile ».

Là réside, une autre vraie question qui se pose à nous.

Et la perspective des prochaines échéances électorales, avec comme point d’orgue les élections présidentielles de 2017, ne peut que renforcer notre crainte d’anesthésie de cette colère de classe, d’autant que le chantage au vote « utile » jouera à pleins feux, avec le spectre d’une potentielle victoire de Marine Le Pen.

Les Zapatistes de l’EZLN l’avaient, d’ailleurs, bien compris, en 2012, en pleine campagne présidentielle au Mexique, avec la Otra campaña, leur caravane avait parcouru le pays pour rappeler à la population, que les élections passent, les gouvernements passent, la lutte des classes demeure.

Vers un Pôle des convergences des luttes ?

En ces temps maudits d’arrogance patronale et gouvernementale, ne serait-il pas temps d’inverser cette tendance ?

Comment redonner du sens à notre militantisme quotidien en tâchant de détacher quelques pistes et perspectives ?

Dans certains pays, en Espagne ou en Italie par exemple, des cadres unitaires d’action se sont faits jour ces dernières années. Tournant le dos aux sectarismes, à toute forme de patriotisme d’organisation, dépassant les nuances entre les organisations intervenant dans le même camp de la lutte des classes, des Plate-formes larges se sont mises en place. Des plate-formes unitaires de masse qui coordonnent et impulsent des luttes d’envergure sur des thématiques aussi variées que la lutte contre le chômage, les licenciements et la précarité, les expulsions de locataires, la solidarité avec les travailleurs et travailleuses migrant-e-s.

Pourquoi n’en serait-il pas de même, en France, pour le syndicalisme de lutte ?

Des organisations du mouvement syndical (que ce soit au niveau confédéral, fédéral ou au niveau de sections syndicales) présentent des caractéristiques communes.

Tant au niveau des pratiques quotidiennes que dans leurs soucis de faire vivre un syndicalisme différent, basé sur la parole de la base, sur l’importance de la solidarité interprofessionnelle au travers de notre implication dans nos Unions locales, sur l’autogestion des luttes et un projet de transformation sociale, nous ne pouvons que trouver des points de convergence évidents entre des acteurs et actrices de syndicats : qu’ils et elles soient adhérent-e-s à la FSU, CGT, CNT-SO, Solidaires, CNT ou FO.

Au delà des organisations syndicales, il est évident également que des accointances existent avec des associations intervenant sur certaines questions sociétales (chômage, précarité, lutte des travailleurs et travailleuses migrant-e-s, féminisme et antifascisme…). Des associations que l’on appuie dans leurs combats, parce que justement l’on se retrouve au coude à coude dans les mêmes luttes, et parce que notre syndicalisme dépasse le cadre étriqué et corporatiste du monde du travail.

Pourquoi, dès lors, ne pas lancer le débat d’un appel à la constitution d’un Pôle de regroupement des convergences des luttes qui s’adresserait aux organisations et équipes syndicales comme à des associations de chômeurs et chômeuses (AC !, MNCP, Apeis), celles intervenant sur les questions liées au logement (DAL, Droits devant ) ou enfin les divers Collectifs de Sans papiers, féministes et antifascistes… ?

Il ne s’agirait pas, bien sûr, d’une unification organique de nos cadres militants respectifs.

Il s’agirait, néanmoins, d’asseoir la possibilité de travailler ensemble, depuis la base, dans un cadre structurel permanent sur des projets et propositions communes. Une préoccupation que l’on partage déjà ici localement dans notre département.

Il s’agirait de trouver ensemble des revendications unifiantes : campagne pour la réduction du temps de travail à 32h, le droit de véto dans les CE des entreprises qui licencient, la régularisation de tous et toutes les sans papiers, le droit à un logement digne etc.

Sans oublier un approfondissement nécessaire et indispensable de notre travail pour contrer syndicalement l’extrême droite. Un travail initié avec un succès certain, mais qui demeure à renforcer, par le Collectif VISA (Vigilances Initiatives Syndicales Antifascistes).

En un mot, créer les bases d’un travail commun pour redonner du dynamisme à notre camp dans la lutte des classes.

En un mot, sortir notre syndicalisme d’une posture défensive (hélas nécessaire en ces temps d’attaques anti-sociales tous azimuts) et retrouver le chemin d’un syndicalisme qui réinvente l’utopie d’une alternative face au rouleau compresseur capitaliste.

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