L’intersyndicale des retraité-es

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Après un rappel sur l’histoire de la construction du mouvement syndical dans ce secteur particulier, voilà quelques explications sur l’unité d’action assez remarquable, que mettent en œuvre, depuis juin 2014, neuf organisations de retraité-es. Unité et actions, sans la CFDT et l’UNSA ; mais dans un cadre original mêlant CGT, FO, Solidaires et FSU ; et aussi CFTC et CGC ; ou encore des associations comme la FGR-RP, UNRPA et LSR…

L’organisation des retraité-es dans le syndicalisme : une histoire toujours en construction.

La question de l’organisation des retraité-es n’a été posée que depuis quelques décennies par le mouvement syndical en France. C’est principalement la tendance au vieillissement de la population qui a donné de l’ampleur à cette question. Il faut se souvenir que la CGT de 1910 condamnait « la retraite pour les morts », instituée par la loi sur les retraites ouvrières et paysannes ; cette dernière instaurait un système par capitalisation, donnant droit à prestations à 65 ans, alors qu’à l’époque seulement 8 % de la population atteignait cet âge, dont une infime partie d’ouvriers. L’espérance de vie était alors de 52 ans pour les femmes et de 48 ans pour les hommes. Le nombre de syndicalistes CGT qui vivaient au delà de 65 ans était très faible, et la syndicalisation de cette partie de la population n’était pas une préoccupation première de la CGT.

Dès la fin du XIXe siècle, grâce au statut particulier des cheminots puis des mineurs, les adhérents CGT de ces secteurs se sont organisés en une section particulière dans la CGT Cheminots et dans la CGT Mineurs. Parallèlement, se sont développées des amicales de vieux travailleurs aux activités très variées ; il s’agissait tout à la fois d’essayer de maintenir les liens de camaraderie et de solidarité vécus pendant la « vie active », de proposer des activités conviviales, culturelles ou de loisir et aussi d’élaborer et de porter des revendications propres aux vieux travailleurs.

Les fonctionnaires ont obtenu le droit de constituer des syndicats seulement en 1946 ; mais, bien avant cette reconnaissance officielle, des « associations syndicales » ont été mises en place au lendemain de la Première Guerre mondiale. Et, en 1927, un premier regroupement de retraités d’ampleur nationale a été créé par les représentants de 54 associations de retraités civils et militaires provenant de 47 départements. En mars 1936, une militante syndicale du Syndicat National des Instituteurs a lancé un appel qui a débouché sur la création, en juin 1936, d’une Fédération Générale des Retraités de la Fonction Publique (FGR-FP). Un Cartel des retraités a alors été mis en place comprenant la FGR-FP, les retraités de la Fédération Postale, de la Fédération des Chemins de fer, de la Fédération des Tabacs et Allumettes et de la Fédération des Travailleurs de l’État1.

A la Libération, les Électriciens et Gaziers CGT organisent leurs retraités en sections particulières au sein de leurs fédérations. Mais, pour la grande masse des retraités, la prise en compte de leurs préoccupations est laissée aux soins d’une Union Nationale des Vieux Travailleurs de France. Celle-ci est mise en place en octobre 1944 à l’initiative de vieux travailleurs CGT de la Région parisienne. Toujours en octobre 1944, cette nouvelle organisation élabore un cahier de revendications où figure notamment le droit à la retraite pour les hommes à 60 ans et pour les femmes à 55 ans. L’Union des Vieux Travailleurs de France est longtemps restée proche du PCF. Pendant le même temps, se développe l’Union des Vieux Travailleurs, proche, elle, de la CFTC. De fait, ces deux Unions vont permettre aux deux confédérations CGT et CFTC d’organiser « leurs » retraités.

Le 36e congrès confédéral de la CGT de juin 1967 a décidé « que soit créée dans chaque syndicat, dans chaque union locale, une section de retraités ». Il s’agissait, pour la CGT, de tenir compte de l’évolution du rapport de forces dans le pays et du poids de plus en plus important des retraités dans la société (il y avait 4 500 000 retraités en France en 1967). Cette décision marque que la CGT veut, désormais, rallier cette partie de la population au combat syndical général. Les 8 et 9 mai 1969, la CGT convoque une grande conférence nationale des retraités. Ce sera l’acte fondateur de l’Union Confédérale des Retraités CGT (UCR CGT). Le choix de la Confédération CGT d’organiser « ses » retraités au sein de la confédération est porté par l’idée de « continuité syndicale » : le retraité, sorti du système économique, doit continuer à jouer un rôle actif dans la société. Et le nombre grandissant des personnes retraitées convainc que les retraités peuvent constituer une force de pression. Le choix fait par la direction de la CGT d’organiser les retraités en son sein va isoler l’UNRPA2, qui restera proche du PCF et refusera de se rapprocher de la Confédération Française des Retraités et même qui s’installera plus ou moins en concurrence vis-à-vis des organisations syndicales de retraités.

A la même époque, en 1969, la CFDT décide également de structurer un secteur « retraités » à l’intérieur de la Confédération (ce sera l’UCR-CFDT). FO se dote d’une UCR seulement en 1989, mais, depuis les années 1950, existaient des associations d’anciens syndiqués et d’anciennes syndiquées FO et plusieurs syndicats FO de la Fonction Publique adhéraient à la FGR-FP. Toutes les UCR des confédérations françaises vont s’affilier à la Fédération Européenne des Retraités et Personnes Âgées (FERPA), branche retraitée de la Confédération Européenne des Syndicats (CES).

En 1981, la CGT crée la Fédération Loisirs Solidarités Retraités (LSR) qui a pour fonction plus particulière de rassembler « largement » des retraité-e-s sur une base moins directement militante et revendicative. LSR accueille les retraité-e-s pour des activités culturelles, sportives, de loisirs, de séjours, etc. Dans les années 1980, les associations de retraité-e-s vont développer une politique de regroupement ayant pour objectif de peser sur les politiques publiques de la vieillesse. Cette orientation va être un élément supplémentaire de mobilisation des confédérations syndicales pour activer leur secteur « retraités ».

C’est seulement en 2007 que les retraité-e-s des fédérations et syndicats membres de Solidaires ont commencé à s’organiser en « interprofessionnelle de retraité-e-s » à l’intérieur de l’Union syndicale Solidaires ; l’AG constitutive de l’Union Nationale Interprofessionnelle des Retraités Solidaires (UNIRS) s’est tenue le 6 février 2007. La même année, le congrès de Marseille de la FSU décida de mettre en place la Section Fédérale des Retraités de la FSU (SFR-FSU).

Manifestation du 30 septembre 2014

L’organisation des retraité-e-s en 2017

Le monde des retraité-e-s organisés est actuellement en France un monde assez disparate, tant par les formes juridiques retenues que par les objectifs et les activités des différentes structures. La première distinction doit être faite entre le mouvement revendicatif des retraité-e-s, d’une part, et les associations de retraité-e-s qui regroupent des personnes retraitées pour des objectifs culturels ou de loisirs, mais aussi pour des visées humanitaires ou citoyennes. Les structures revendicatives se donnent pour fonction la défense des intérêts matériels et moraux des retraités. Au sein de ce secteur revendicatif des retraité-e-s, les sociologues et les politologues distinguent trois pôles, un pôle syndical, un pôle associatif « indépendant », et un pôle associatif « autonome ».

Le pôle syndical comprend les Unions Confédérales des Retraités (UCR CGT, FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC), dont la majorité relève à strictement parler du statut associatif (sauf l’UCR-CGT) et les secteurs « retraités » de l’UNSA, de Solidaires et de la FSU. Toutes ces organisations mettent en avant l’appartenance des retraité-e-s au monde du travail et font le lien entre les retraité-e-s et les salarié-e-s « actifs et actives ». Les organisations syndicales de retraité-e-s considèrent qu’organiser les retraité-e-s hors de tout lien entre actifs et retraités est une forme de corporatisme basé sur l’âge, alors, justement, que le système des retraites par répartition repose totalement sur ce lien entre actifs et retraités.

Le pôle associatif « indépendant » s’est constitué autour de la Confédération Française des Retraités (CFR) qui a fédéré de nombreuses associations importantes de retraités (les Aînés Ruraux, la Confédération Nationale des Retraités, la Fédération Nationale des Associations de Retraités et l’Union Française des Retraités). La CFR revendique près de 2 millions de membres. Ce pôle « indépendant » considère que la défense des intérêts des personnes retraitées doit être exclusive et que les organisations syndicales sont « naturellement » dominées par les actifs, ce qui les rend incapables de défendre sérieusement les retraités. Il est facile d’imaginer que les organisations syndicales de retraités jugent négativement ce prétendu « pôle indépendant », qui se caractérise surtout par son rejet du syndicalisme.

Le pôle associatif « autonome » se veut plus ou moins intermédiaire entre les deux autres pôles. On y trouve l’Union Nationale des Retraités et Personnes Âgées (UNRPA) et aussi la Fédération Générale des Retraités de la Fonction Publique (FGR-FP), plus proche du syndicalisme car elle regroupe, à côté d’adhérents et d’adhérentes « directs », des secteurs des fonctionnaires retraités de la FSU, de l’UNSA, de FO et de Solidaires Finances publiques. La décision prise en janvier 2016 par la direction du Syndicat des enseignants (SE-UNSA) de se désaffilier de la FGR-FP a provoqué de forts remous au sein de la FGR-FP et a modifié « l’équilibre » ancien entre la « tendance FSU » et la « tendance UNSA ».

Pendant des années, une partie de ces trois pôles a lancé ponctuellement des actions convergentes qui ont permis aux retraité-e-s de différentes associations et de différents syndicats de se côtoyer au sein du Comité National des Retraités et Personnes Âgées (CNRPA) et des CODERPA dans les départements. Mais, le plus souvent, ces pôles ont milité séparément, se livrant parfois à une sorte de concurrence en matière de représentation des retraité-e-s.

Les organisations du pôle syndical (les UCR) sont représentées dans diverses institutions et organismes de protection sociale d’où est exclue la CFR. Cette dernière développe un fort lobbying, en particulier auprès des parlementaires de droite. Des idéologues libéraux estiment que « les organisations de travailleurs ne peuvent défendre convenablement les intérêts des personnes âgées parce qu’elles sont créées, construites et équipées dans le but d’assurer une protection syndicale aux travailleurs » ; il faut donc « un autre mode d’organisation et de représentation, c’est-à-dire confier la promotion et la protection des intérêts des personnes âgées à des organisations indépendantes ». Un des enjeux, c’est probablement de donner à de telles associations le droit de conduire des négociations et de conclure des accords collectifs. Ceci pourrait déboucher sur la remise en cause du monopole syndical en matière de négociations collectives. Il est évident que, par leur nombre, les personnes retraitées (plus souvent appelées « personnes âgées » par celles et ceux qui veulent couper le lien entre actifs et retraités) sont un enjeu politique important. Le monde associatif « indépendant » est assez largement utilisé pour distiller cette idéologie. La mise en place récente (décret du 25 octobre 2016 pour une installation le 13 décembre 2016) du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA) s’inscrit assez largement dans cette bataille idéologique, avec une disparition progressive de la référence aux « personnes retraitées », de plus en plus souvent remplacées par « personnes âgées ». Corrélativement, il y a un recul des organisations syndicales de retraité-e-s dans ces instances au profit d’une multitude « d’acteurs » associatifs qui vont représenter les « personnes âgées ».

Manifestation du 15 mars 2018

Une unité d’action qui dure depuis 2014

Dès le début des années 2000, habituellement, les mobilisations spécifiques des retraité-e-s concernant leurs revendications étaient décidées par toutes les UCR ou une partie d’entre elles. Généralement, voire « traditionnellement », elles appelaient à une journée de manifestations en octobre de chaque année, dans le cadre de la « semaine bleue3 » et leurs revendications étaient essentiellement tournées vers la défense et l’amélioration du pouvoir d’achat des personnes retraitées.

Ainsi, en 2008 et en 2009, des manifestations ont été organisées, soit par une structure permanente « inter-UCR » (regroupant les UCR CGT, FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC ainsi que FGR-FP et UNSA, en excluant FSU et Solidaires), soit par certaines d’entre elles (parfois FO se singularisait notamment, en n’appelant pas avec les autres). La FSU et l’UNIRS Solidaires étaient systématiquement exclues des invitations aux rencontres préparatoires à ces mobilisations et il ne leur restait donc qu’à se rallier aux décisions prises par les autres.

La SFR-FSU et l’UNIRS Solidaires, chacune de leur côté, ont alors multiplié les courriers pour demander à participer aux réunions « unitaires ». Ainsi, le 30 septembre 2009, l’UNIRS s’adressait aux cinq organisations (CFDT, CGT, CFE-CGC, FGR-FP, UNSA) qui appelaient à la journée de manifestations du 16 octobre 2009. Comme à l’habitude, il n’y eut aucune réponse. Le 21 décembre 2009, l’UNIRS adressait à nouveau un courrier aux huit organisations (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, FGR-FP, UNSA et FSU) pour les avertir de la présence de l’UNIRS Solidaires à la réunion intersyndicale « des sept » fixée au 11 janvier 2010. Cette démarche allait provoquer quelques émois parmi les sept. Finalement, la SFR-FSU et l’UNIRS Solidaires furent reçues, séparément, par l’inter des sept UCR le 15 février 2010. La rencontre eut lieu dans les locaux de la CGT. A chaque fois, le représentant des retraité-e-s CFDT réitérera son refus d’ouvrir l’inter des sept tant à Solidaires qu’à la FSU. Pour justifier ce refus, il mettra en avant son animosité à l’égard des anciens membres de la CFDT qui ont créé des fédérations et syndicats Sud au sein de Solidaires. Et pour expliquer le rejet de la FSU, il arguera de l’équilibre politique obtenu entre les sept, qui serait déstabilisé par l’arrivée de la FSU. Plusieurs autres organisations ont fait état de leur embarras face à cette situation, mais ont refusé de choisir le départ de la CFDT contre l’arrivée de la FSU et de Solidaires. Cette situation a perduré pendant quelques années.

Le basculement se fait à l’occasion de la « réforme » des retraites par le gouvernement Hollande–Ayrault en 2013. Le conflit social provoqué par cette nouvelle attaque contre les retraites va conduire à la mise en place d’une intersyndicale CGT, FO, FSU et Solidaires chez les actifs, alors que, plus ou moins ouvertement, les directions de l’UNSA et de la CFDT soutiennent le projet du gouvernement. Et tout a commencé par l’initiative du secteur FSU Retraité-e-s, début 2013, d’inviter toutes les organisations syndicales de retraités sur ce projet de « réforme » des retraites annoncé par le gouvernement Hollande-Ayrault. Seules l’UCR-CGT, l’UCR-FO, la SFR-FSU et l’UNIRS Solidaires se sont retrouvées le 19 mars 2013 pour critiquer, de façons assez convergentes, le projet du gouvernement. Un courrier commun des quatre organisations a ensuite été déposé à l’Elysée le 26 mars 2013. Le 6 juin, les quatre décident de proposer à leurs équipes militantes dans les départements de se contacter pour porter l’ensemble des critiques aux députés et sénateurs. Le 12 septembre 2013, cette intersyndicale adresse un courrier commun aux groupes parlementaires. Nous ne pourrons rencontrer que le groupe PS du Sénat, lequel cherchera à nous persuader du bien fondé de leur réforme ! Le 8 octobre, l’intersyndicale organise un rassemblement spécifique « retraité-e-s » à proximité de l’Assemblée Nationale. Les quatre appellent à participer, aux côtés des actifs et actives, aux manifestations du 15 octobre et aux rassemblements du 30 octobre 2013. Il est à noter que, pendant ces premières rencontres, les discussions et les convergences ont été limitées à l’opposition au projet de « réforme » des retraites porté par le gouvernement, ceci pouvant conduire à des expressions et à des mobilisations spécifiques des retraité-e-s contre la « réforme Hollande-Ayrault ». Il n’était pas encore question d’agir ensemble pour porter ensemble des revendications « propres aux retraité-e-s ».

Lors d’une rencontre des quatre le 17 décembre 2013 destinée à faire le bilan de nos actions communes de 2013, l’UNIRS Solidaires propose de consacrer une prochaine réunion « des quatre » au seul dossier « Aide à l’autonomie ». Lors de leur rencontre du 28 janvier 2014, les quatre organisations « retraité-e-s » CGT, FO, FSU et Solidaires constatent qu’elles convergent assez largement sur le dossier de l’Aide à l’autonomie, notamment, en revendiquant une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale des frais supplémentaires liés à l’aide à l’autonomie et la mise en place d’un service public de l’aide à l’autonomie. Les quatre organisations de retraité-e-s appellent ensemble à participer aux manifestations unitaires du 18 mars 2014 organisées par l’intersyndicale interprofessionnelle. Parallèlement, elles appellent à une journée nationale de manifestations ou de rassemblements des retraité-e-s dans les départements le 1er avril 2014 pour s’opposer au report d’une éventuelle revalorisation des retraites du 1er avril 2014 au 1er octobre 2015. Le mardi 1er avril 2014, les quatre organisations de retraité-e-s tiennent une conférence de presse dans les locaux de FO. Le contenu de l’ « Appel aux retraité-e-s » est un marqueur des positionnements du regroupement syndical des retraité-e-s : « … Pour nos organisations syndicales, la retraite n’est pas un privilège ou une prestation d’action sociale. Elle est un droit obtenu par le travail et son niveau est directement le résultat des rémunérations perçues pendant la vie professionnelle et le nombre d’années cotisées. La baisse du pouvoir d’achat des retraités ne résout en rien les difficultés financières des régimes de retraite. C’est la création d’emplois, la revalorisation des salaires, l’égalité des salaires des femmes, l’arrêt des exonérations de cotisations, l’élargissement de l’assiette à tous les revenus distribués par les entreprises, qui créeront les ressources nécessaires. … ». Dès début avril, il est annoncé « des mobilisations larges au début juin ».

Le 3 juin 2014, pour la première fois, neuf organisations de retraité-e-s (CGT, FO, Solidaires, FSU, CFTC, CFE-CGC, FGR-FP, UNRPA et LSR) ressentent le besoin de se mobiliser contre la baisse des revenus des personnes retraitées (pensions gelées depuis le 1er avril 2013 et même diminuées par de mauvaises mesures fiscales). C’est l’UCR-CGT qui est à l’origine de cette initiative prise par son Congrès de Saint-Etienne fin mars 2014. La proposition de la CGT d’ouvrir cette mobilisation à toutes les organisations de retraité-e-s reçoit un accueil favorable de huit organisations (CFDT et UNSA ne répondent pas). Ces neuf organisations appellent à une manifestation nationale à Paris pour le 3 juin 2014. Cette manifestation, du Ministère de la Santé à Montparnasse, regroupe environ 20 000 personnes. De fait, le cortège CGT représente l’essentiel de la manifestation. Depuis, les rencontres entre les neuf se sont succédées, à raison d’environ une rencontre toutes les six semaines, le lieu de la rencontre étant « tournant », afin que chaque organisation puisse recevoir l’inter des neuf. Et les mobilisations et manifestations ont été régulières, environ deux fois par an. L’organisation de ces manifestations dans chaque département conduit les équipes militantes de toutes les structures à se rencontrer localement, ce qui conforte et renforce les rapprochements entre les neuf. Ainsi, le 30 septembre 2014, des manifestations sont organisées dans tous les départements, avec une manifestation à Paris pour l’Ile-de-France. Le 17 mars 2015 est une nouvelle journée de manifestations des retraité-e-s. Puis, les initiatives communes sont élargies : conférences de presse communes, communiqués de presse communs, audiences communes à l’Assemblée Nationale, au Sénat, au Ministère des Finances, au Ministère de la Santé, à l’Elysée. Une campagne « carte pétition au Président de la République » est lancée et les 100 000 signatures reçues sont remises le 1er octobre 2015 à l’issue d’un rassemblement au Rond-Point des Champs Élysées, suivi d’une audience chez le conseiller social du Président de la République. Le 24 novembre 2015, des manifestations « retraité-e-s » ont été maintenues dans un certain nombre de départements, malgré la récente instauration de l’état d’urgence. Le 10 mars 2016 a vu une nouvelle journée de mobilisation des retraité-e-s. Désormais, les revendications initiales communes ont été sensiblement élargies. Les critiques sont convergentes, tant sur le contenu que sur la mise en œuvre de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Le 9 juin 2016 est encore une nouvelle journée de mobilisation des retraité-e-s dans tous les départements. A Paris, la manifestation allait de la Place de la Nation au Ministère des Finances à Bercy. Le 9 juin aussi, un courrier commun sur les mesures fiscales prises à l’encontre des personnes retraitées a été envoyé à tous les député-e-s. Tout au long du mois de juin 2016, les quatre organisations « retraité-e-s » CGT, FO, FSU et Solidaires ont appelé ensemble à participer aux mobilisations contre la loi travail. Ceci s’est fait, bien entendu, au vu et au su des autres organisations « des neuf », mais sans qu’elles appellent pour autant à ces journées d’action et sans que les appels des quatre ne nuisent aux liens entre les neuf. Ces positionnements différents par rapport à la loi travail ne provoqueront en effet aucune tension entre les neuf. Le 29 septembre 2016 est encore une journée nationale de manifestations des retraité-e-s à l’appel des neuf. A Paris, la manifestation a défilé de nouveau de Montparnasse au Ministère de la Santé.

L’année 2017 de l’inter « des neuf » débute par la tenue, le 13 janvier 2017, d’un colloque au Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) sur la place des personnes retraitées dans la société. Il s’est tenu en présence d’environ 260 personnes, membres des neuf organisations. Les débats, organisés en deux tables rondes, ont été ouverts par Bernard Ennuyer, sociologue, et Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Économiques. Cette réunion est un élément de dynamisation supplémentaire entre les neuf organisations : les 260 participantes et participants à ce colloque, originaires des neuf organisations, ont pu mesurer concrètement les convergences, tant sur la question du pouvoir d’achat des personnes retraitées que sur celle de la place des retraités et des retraitées dans la société. Le 30 mars 2017, une nouvelle journée de manifestations des retraité-e-s a exprimé leurs revendications avec l’idée que « pendant les élections, les revendications continuent ». Il y a une centaine de manifestations ou de rassemblements dans toute la France. A Paris, environ 6 000 personnes manifestent de la Gare du Nord à la Place de la République.

Pourquoi ça marche ?

Les politiques agressives des gouvernements, notamment à l’égard des retraités.

L’élément déclencheur du rapprochement entre les quatre secteurs « retraité-e-s » de la CGT, de FO, de la FSU et de Solidaires a été la « réforme » régressive du gouvernement Hollande-Ayrault sur les retraites de 2013 et le report de toute revalorisation des pensions puis, en fait, le gel des pensions. La poursuite de cette politique régressive à l’égard, notamment, des personnes retraitées, a des répercussions de plus en plus concrètes sur le quotidien de la vie des gens. Les problèmes de pouvoir d’achat et de difficultés d’accès aux soins pour des raisons financières sont de plus en plus souvent évoqués dans les réunions de chaque organisation syndicale ou associative de personnes retraitées. L’indigence des réponses gouvernementales aux demandes des organisations syndicales en ce qui concerne l’aide destinée aux personnes en perte d’autonomie est un élément fédérateur supplémentaire. C’est un domaine où les promesses électorales ne sont particulièrement pas suivies de réponses « à la hauteur des besoins et des demandes ».

La relative autonomie des secteurs retraités à l’intérieur de chaque confédération ou structure interprofessionnelle ou fédérale.

Face à cette politique gouvernementale régressive, il faut rappeler que les secteurs « retraité-e-s » de la CFDT et de l’UNSA ont été sur la même ligne que leur direction confédérale, à savoir un soutien au gouvernement. De même, lorsque le gouvernement a annoncé le report, puis le gel des pensions, les secteurs « retraité-e-s » de ces deux organisations n’ont manifesté aucune opposition et ont donc accepté l’orientation prise par leurs directions confédérales afin de ne pas gêner la politique gouvernementale. A l’inverse, les secteurs retraités de la CGT, de FO, de la FSU et de Solidaires, chacune en convergence avec l’ensemble de leur organisation, étaient fortement contre toute nouvelle « réforme » des retraites venant réduire encore le montant des pensions. Et l’élargissement à la FGR-FP, aux retraité-e-s de la CFE-CGC et de la CFTC, et aux associations UNRPA (Union Nationale des Retraités et Personnes Âgées) et LSR (Loisirs Solidarité Retraités) s’est fait à partir du constat partagé d’un recul du pouvoir d’achat de leurs adhérentes et adhérents avec de nombreuses conséquences parfois graves.

Pendant les deux premières années des rencontres et des mobilisations entre les neuf organisations, les camarades retraité-e-s de la CFE-CGC et de la CFTC ont eu écho des interventions de la direction de la CFDT demandant aux directions de la CFTC et de la CFE-CGC de faire pression sur « leurs » retraité-e-s pour qu’ils et elles cessent de participer aux rencontres et surtout aux actions des neuf. Dans les deux cas, les directions CFTC et CFE-CGC ont finalement répondu que leurs secteurs « retraité-e-s » disposaient d’une autonomie d’action en ce qui concerne la gestion de leurs revendications spécifiques. C’est un élément important pour la mise en place d’une unité d’action, sinon, chaque secteur ne peut que reproduire les éventuelles divisions entre les « appareils ». Cependant, l’autonomie dont disposent certains secteurs « retraité-e-s » est parfois plus ou moins circonscrite aux seules questions strictement « retraité-e-s ». Il est certes possible d’aborder les questions de pouvoir d’achat, de contester les mesures fiscales visant les retraité-e-s, de revendiquer une revalorisation des pensions selon l’évolution du salaire moyen et une pension au moins égale au SMIC (pour une retraite pleine), mais il est souvent plus difficile d’aborder sur le fond les questions de fiscalité, de partage des richesses, de services publics, etc.

L’indépendance politique à l’égard des gouvernements et la volonté de prioriser la défense des revendications.

Lors des rencontres entre « les neuf », il est arrivé que le représentant d’une organisation (le plus souvent, il s’agissait du représentant de la FGR-FP, tiraillé entre une tendance FSU et une tendance UNSA au sein de sa fédération) intervienne pour regretter l’absence de la CFDT et de l’UNSA. A chaque fois, la réponse était unanime, particulièrement de la part des camarades de FO, de la CFTC et de la CFE-CGC, pour se satisfaire, justement, de l’absence de ces deux organisations, lesquelles, par leur politique d’accompagnement de l’austérité, ne pourraient que nuire à la dynamique du « groupe des neuf » et conduire à l’inaction. L’unité d’action ne signifie pas obligatoirement l’unanimité des organisations : quand les orientations sont trop fortement divergentes, aucune convergence n’est bien entendu possible. Les neuf parviennent à créer une dynamique justement car, malgré leurs diversités, elles sont d’accord sur l’essentiel : prioriser l’expression des revendications de leurs membres, à savoir les personnes retraitées.

La priorité donnée à l’action revendicative et le choix de l’unité large pour soutenir les revendications. Le poids de la CGT, mais l’attitude correcte des camarades de cette organisation.

La continuité de cette « inter des neuf » est un phénomène assez exceptionnel dans le paysage syndical français de ce début du XXIe siècle. Si ces neuf organisations parviennent à continuer de travailler ensemble et d’élargir ensemble, lentement mais progressivement, le champ de leurs analyses communes et d’approfondir leur dossier revendicatif partagé, le mérite en revient certainement à toutes les structures et aux camarades qui représentent ces structures, nationalement comme dans les départements. Une place particulière doit être faite aux camarades de la CGT qui, dans les manifestations, font, à eux seuls, en général les deux tiers des manifestants et manifestantes. Mais, pour autant, ils ne cherchent pas à imposer leur point de vue, leurs revendications, leurs mots d’ordre quand il s’agit de rédiger un tract, un communiqué de presse, un courrier, etc. La solidité actuelle de cette « inter » est le résultat d’un travail assez patient des uns, des unes et des autres : les retraités et les retraitées ont « tout leur temps » pour se mobiliser et revendiquer, mais ils n’attendront pas des années et des années pour obtenir satisfaction !

1 Il s’agit de quatre fédérations de la CGT réunifiée.

2 Ex-Union des Vieux Travailleurs de France, qui vient de prendre pour nom Ensemble & Solidaires – UNRPA et fait partie des neuf organisations de l’actuelle intersyndicale.

3 Dans les années 1970, est créée la « semaine des retraités, personnes âgées et de leurs associations » qui prendra ensuite le nom de « Semaine bleue » avec un slogan toujours actuel : « 365 jours pour agir, 7 pour le dire ».

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Gérard Gourguechon, Jean Piot et Patrice Perret

Gérard Gourguechon, Jean Piot et Patrice Perret sont secrétaires de l’Union Nationale Interprofessionnelle des Retraités et retraitées Solidaires (UNIRS). Auparavant, ils ont notamment été, respectivement : secrétaire du SNUI et du Groupe des dix, secrétaire de l’Union Locale CFDT Grigny/Ris Orangis, secrétaire national de la FGTE/CFDT puis de SUD-Rail et Solidaires.