Lumières sur les mairies brunes

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Recenser, analyser et dénoncer les agissements de l’extrême droite au pouvoir : voilà ce que propose la monographie Lumières sur les mairies brunes *, réalisée par l’association Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (VISA).
*Lumières sur les mairies brunes, VISA, Paris Edition Syllepse, 2015 (tome 1), 2017 (t. 2), 2020 (t. 3). Voir aussi : S’armer contre l’extrême droite ! Un argumentaire syndical antifasciste, VISA, 2021.


Laëtitia Brescazzin est membre du Bureau national de Solidaires CCRF & SCL *, co-secrétaire de l’Union syndicale Solidaires Isère, co-animatrice de VISA Isère.
* Concurrence, consommation, répression des fraudes et service commun des laboratoires.


Les trois tomes de Lumières sur les mairies brunes. [DR]

Entre 2014 et 2020, l’association intersyndicale Vigilances et initiatives syndicales antifascistes a compilé, en trois volumes chronologiques, les faits et méfaits de l’extrême droite au pouvoir dans de plus en plus de communes, en France métropolitaine. L’objectif était de rassembler des expressions syndicales, des textes de VISA contextualisés, mais aussi de produire une analyse transversale. Rappelons à cet égard les prérogatives des communes inscrites dans la loi, car cela circonscrit les capacités d’action des mairies brunes, qu’elles soient rattachées à la Ligue du Sud, au FN/RN, ou tenues par des anciens de ces partis. Les principales compétences exercées relèvent des domaines suivants : sécurité, action sociale et santé, emploi/formation/insertion professionnelle, enseignement (écoles primaires : maternelles et élémentaires), action culturelles, enfance/jeunesse et sports. Ce qui distingue les mairies brunes d’autres municipalités auxquelles on pourrait également reprocher des agissements similaires est la systématisation de ceux-ci. Les mairies brunes se caractérisent par une vision idéologique des lieux et des personnes d’une part, par l’application de mesures antisociales d’autre part. Afin d’appliquer leur programme idéologique, les maires d’extrême droite sapent leur opposition, qu’elle soit issue d’autres partis politiques, du secteur associatif, ou du milieu syndical et des agent·es territoriaux.

L’installation idéologique des mairies d’extrême droite : mesures symboliques, clientélisme et favoritisme

Lorsque l’extrême droite arrive au pouvoir, elle s’attache à mettre en place un ensemble de dispositions pour asseoir sa domination symbolique et organisationnelle. Pour cela, nombre de maires d’extrême droite ont choisi de renommer certaines rues, ou de détourner certains lieux de commémoration. Les exemples, nombreux, de maires d’extrême droite refusant de commémorer des évènements historiques en lien avec l’esclavage sont à ce titre éclairants. En parallèle, le choix des collaborateurs et collaboratrices s’oriente vers des allié·es logiques à l’extrême droite, comme des militant·es issu∙es d’organisations réactionnaires ou de groupuscules violents comme le GUD (Groupe union défense. En 2014, à Béziers, Robert Ménard a ainsi recruté au poste de directeur de cabinet, Christophe Pacotte, un dirigeant du Bloc identitaire. Bien que cette pratique ne soit pas réservée aux seules mairies d’extrême droite, les nouveaux maires s’accordent, en règle générale, une belle augmentation de leurs indemnités. Par ailleurs, dans le cadre de la passation de marchés publics, les maires privilégient des sociétés dont les dirigeant·es, lorsque l’on creuse un peu, sont également membres d’organisations d’extrême droite et/ou ont contribué à la campagne du Front National/Rassemblement National.

L’expérimentation de politiques antisociales : discriminations et racisme

Sous couvert de faire la démonstration des capacités à gouverner, les municipalités deviennent, sous l’extrême droite, le terrain d’expérimentation de politiques antisociales aux relents racistes. En 2014, Marine Le Pen annonce que l’ensemble des mairies conquises par le FN supprimeront les repas de substitution dans les établissements scolaires, en invoquant le respect de la laïcité. Par la suite, certains maires vont même proposer de lever la gratuité de la cantine scolaire pour les enfants dont l’un des deux parents travaille ou augmenter substantiellement les tarifs (mairies du Pontet, de Beaucaire, de Villiers Cotterêts). Les maires sont chargés d’une partie de la politique sociale, et notamment de la gestion des Centre communaux d’action sociale (CCAS). L’expérience démontre que, sous prétexte de contrôler les dépenses municipales, les CCAS sont instrumentalisés par l’extrême droite : absence de cogestion dans les Conseils d’administrations, audits financiers visant à supprimer certaines aides. Ainsi, des centres sociaux ont été fermés par des coupes budgétaires drastiques, les élu·es d’extrême droite estimant que continuer de subventionner des centres implantés dans des quartiers populaires, où vivent des habitant·es issu·es de l’immigration, revient à « financer la délinquance et l’islamisme ». Enfin, certains maires ont contribué à la stigmatisation des réfugié·es en refusant de les accueillir dans leur commune. Plusieurs ont jeté l’opprobre sur les gens du voyage, invitant les habitant·es à leur signaler tout fait de délinquance à compter de leur arrivée, sous-entendant que ce sont a priori des délinquant·es en puissance.


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Répression des contestations : priver de moyen et harceler

Ces différentes politiques municipales ont rencontré l’opposition d’une partie de la population et des milieux militants, qui s’agit dès lors de réduire au silence. Les maires d’extrême droite n’hésitent pas à classer les acteurs et actrices de la vie civile ou des corps intermédiaires en fonction de leur compatibilité à leur idéologie. Ainsi, toute organisation placée dans l’opposition peut se voir retirer les aides matérielles et/ou financières reçues de la municipalité. En matière de sécurité, l’augmentation des effectifs de la police municipale, son armement et de nouvelles dotations de matériel pour le « maintien de l’ordre » sont la norme. A cela s’ajoute la vidéosurveillance de la commune, avec l’installation de caméras dans l’espace public. Ainsi, le maire d’Hénin-Beaumont a décidé de faire installer 110 caméras pour 30000 habitant·es.

Les mairies brunes se sont également illustrées par leurs sorties sexistes : remise en cause du droit à l’interruption volontaire de grossesse, harcèlement sexiste d’élues de l’opposition, comme par exemple lors d’un conseil municipal de Marseille, au cours duquel Stéphane Ravier a insinué que son opposante, issue de EELV, Lydia Frentzel, avait des relations sexuelles tarifées avec lui. Cette dernière a porté plainte. Enfin, certains conseils municipaux ont voté contre des budgets alloués à des programmes en faveur de l’égalité femmes-hommes ou d’associations de prévention comme le Mouvement français pour le planning familial, confirmant leur vision réactionnaire.

Attaques contre les organisations syndicales et les employé·es

L’arrivée des maires d’extrême droite dans les communes s’est accompagnée de plusieurs mesures à l’encontre des employé·es de la municipalité. Certains maires ont remis en cause les 35 heures ou des avantages sociaux accordés. D’autre part, dans l’objectif de réduire les dépenses en personnel, les recrutements se sont taris, générant une charge de travail accentuée. En outre, certains maires se sont mis en tête de traquer les arrêts de travail pour cause de maladie, retirant certaines primes et effectuant des contrôles renforcés. Le nombre d’accident de service a explosé dans certaines communes : à Béziers, entre 2013 et 2015, ils ont augmenté de 217%, passant de 145 déclarations à 459. Les attaques contre les syndiqué·es et les représentant·es du personnel se sont multipliées. Plusieurs maires ont tenté de restreindre la diffusion des tracts syndicaux sur les lieux de travail ou ont diffusé auprès de l’ensemble du personnel des réponses diffamatoires aux tracts syndicaux. Les maires ont remis en cause les locaux syndicaux accordés aux organisations syndicales, notamment en exigeant le paiement de l’ensemble des frais de fonctionnement des Bourses du travail, de telles sommes n’étant pas recouvrables par les organisations syndicales qui bénéficiaient jusqu’alors d’un bail gratuit.

Ripostes syndicales et unitaires

Les faits et méfaits de l’extrême droite au pouvoir dans les municipalités ne sont pas restés sans riposte de la part de toutes les forces œuvrant pour le progrès social. Les nombreux tracts de syndicats implantés dans des communes d’extrême droite ont été relayés par VISA et figurent dans les trois tomes de Lumières sur les mairies brunes. De nombreuses actions contestataires regroupant des personnes du secteur associatif, de collectifs, et d’organisations politiques et syndicales s’opposant aux politiques antisociales et idéologiques de l’extrême droite ont eu lieu : manifestations, refus par des employé·es, notamment des écoles, de serrer la main à des élu·es d’extrême droite, dénonciation des mesures municipales dans la presse, etc. Ces mobilisations unitaires ont également le mérite de diffuser auprès des habitant·es des contre-argumentaires e de proposer des alternatives. Ces différentes expériences nous apprennent que la recherche de l’unité entre organisations syndicales, politiques, associatives et des collectifs contribue grandement à l’efficacité de la riposte antifasciste. Se réunir, documenter et diffuser des analyses contre les idées et politiques d’extrême droite dans les communes contribue à la lutte globale contre l’extrême droite.


Laëtitia Brescazzin


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