Réforme du travail en Belgique : entre espoirs et impasses

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En Belgique aussi, 2016 fut l’année de la lutte contre une loi travail, qui prit le nom du ministre Peeters. Dans cet article, Gérald Renier revient sur les actions entreprises par le mouvement syndical et sur l’expérience de « l’Union des bloqueurs et des bloqueuses ».

À l’aube de la Loi Peeters.

Suite aux élections de juin 2014, un gouvernement fédéral largement à droite se met en place en Belgique : une coalition composée de la NVA (Nieuw Vlaamse Alliantie ; droite conservatrice et nationaliste flamande), et du MR (Mouvement Réformateur, droite libérale francophone), soutenue par l’Open VLD (droite libérale flamande) et le CD&V (chrétiens démocrates flamands). Un gouvernement que l’opposition surnomme de « kamikaze »pour la violence de son programme économique et sa faible légitimité. En effet, le MR est le seul parti francophone1. Lors de la composition du gouvernement, la NVA s’est engagée à mettre au frigo pour cinq ans les revendications nationalistes, afin de mieux avancer sur un programme de réforme économique.

Le syndicalisme ne sortait pas la tête haute pour autant de la législature précédente : plusieurs grandes entreprises industrielles avaient fermé ou licencié massivement ; ceci étant rendu possible par l’aval du Parti socialiste (PS), alors au pouvoir. Il avait même été le moteur de nouveaux plans d’austérité (tout particulièrement dans les mesures d’exclusions de milliers de travailleurs.euses du droit aux allocations chômage). Une situation schizophrénique pour la FGTB, qui fut poussée par ses bases à durcir ses luttes contre son allié historique, le PS, sans succès probant.

L’annonce des projets ultralibéraux du gouvernement MR-NVA de Charles Michel entraîne cependant une réaction syndicale forte en fin 2014 : la manifestation nationale du 6 novembre à Bruxelles atteint un taux de participation record. C’est le coup d’envoi d’un plan d’action syndical majeur et le début des grèves tournantes. Pendant plusieurs semaines, les grèves se succèdent dans les principales grandes villes du pays. Et contrairement à ce que la droite flamande se plaisait à dire, NVA en tête, la gauche flamande existe et se fait entendre fortement dans ces actions. La grève tournante se termine sur une grève générale le 15 décembre, qui bloque la Belgique tout entière. Malgré la propagande médiatique, le mouvement est galvanisé, notamment parce que la question du PS au pouvoir est évacuée. Tout le monde est uni face au gouvernement de droite : c’est un des plus gros mouvements syndicaux depuis les plus grandes grèves de l’histoire de Belgique, celles de l’hiver 1960-1961.

L’euphorie touche à sa fin en janvier. Après la « trêve des confiseurs » (les fêtes de fin d’année causant la levée des actions), tout le monde attend que les directions syndicales posent la suite d’un plan d’action… suite qui ne viendra jamais. Il est à noter aussi que, fin décembre, se sont également tenues des actions contre le Traité transatlantique (TTIP), un mouvement qui rassemblait notamment les franges les plus à gauche du syndicalisme. En on sein, se côtoyaient des militant.es venu.es du monde étudiant et du travail, des cadres d’organisations d’extrême-gauche, des syndicalistes de la FGTB et de la CSC (Confédération des syndicats chrétiens), ainsi que diverses associations. Ce mouvement, déjà actif depuis décembre 2013, offrait un véritable éventail de possibles, transcendant les piliers historiques du syndicalisme belge, chrétien et socialiste, abordant des méthodes de luttes radicales, notamment par le blocage physique des sommets européens, pratiquant l’intégration directe des militants et des organisations dans la définition des actions. La jeunesse organisée bruxelloise : les JOC (jeunes du mouvement ouvrier chrétien2) et l’USE (Union syndicale étudiante, syndicat étudiant de la FGTB) en formait un des noyaux et moteurs principaux.

6 mois de luttes.

Début 2016, la presse annonce les diverses mesures du ministre Peeters (CD&V). Celles-ci touchent directement à l’organisation du travail et vont plus loin que les « simples » coupes budgétaires et blocage de salaires des précédentes législatures. Parmi celles-ci : l’élargissement du temps de travail (semaine de 45 heures, journée de 9 voire 11 heures, à condition de respecter un horaire moyen de 38 heures sur l’année), la création de « contrat 0h » (pas d’horaire défini et possibilité pour l’employeur d’annoncer l’horaire journalier 24 heures à l’avance), des contrats intérimaires à durée indéterminée, ou encore la fin dessursalaires3pour les travailleurs.euses à temps partiel. C’est une véritable « Loi Travail belge » qui est proposée, à l’instar des diverses réformes du travail partout en Europe.

Le monde syndical, toujours sonné par la défaite majeure de décembre 2014, tarde à réagir, à proposer un plan d’action, et prend difficilement le parti d’orienter sa communication dans le sens d’une « Loi travail belge » inacceptable. Pourtant, en parallèle, la lutte contre la Loi Travail bat son plein en France, et les militant.es belges l’observent de près. Au final, seules deux manifestations nationales, et une seule grève générale, auront lieu. Cependant, sur les réseaux sociaux, apparaît alors la page « Bloquons la semaine de 45h », au début du mois d’avril 2016. La page est animée par des syndicalistes FGTB et de jeunes militant.es, notamment du fameux noyau dur provenant des JOC et de l’USE. Cette page entraîne immédiatement la création d’une structure «l’Union des bloqueurs-euses », qui aurait pour objectif de « tirer le mouvement », à l’instar de la jeunesse en France sur la Loi travail. Tirer le mouvement, c’est-à-dire permettre aux militant.es de reprendre le contrôle de l’agenda de lutte en mettant la pression sur tous ceux qui voudraient freiner le mouvement ou revivre le coût d’arrêt de l’hiver 2014. Une ligne politique qui propose une lutte « au finish », et dont la tactique proposée est la grève générale et le blocage total de l’économie.

Utilisant leurs réseaux précédents, entre les syndicalistes, associatifs et les organisations de gauche radicale, les bloqueurs-euses misent sur une campagne d’agitation massive, sur les réseaux sociaux, dans les universités, dans les quartiers et dans les actions syndicales. Les militant.e.s appellent à tout bloquer et forment à l’auto-organisation. L’Union se calque à l’agenda syndical qui apparaît tout doucement, lance des assemblées locales, principalement à Bruxelles et à Liège et ses propres actions. Elle organise des manifestations (1ermai et 15 mai) et des opérations « coup de poing » pour promouvoir son existence, ou encore des « Apéros », des séances d’informations festives. Au sein des actions syndicales, les bloqueurs-euses distribuent des tracts, promènent des banderoles et adoptent une ligne visuelle inspirée des « Tutti Bianchi4 » italien.nes (des blocs en tenue blanche intégrale). L’initiative aura un impact limité, et s’essoufflera à partir de septembre. La promesse des directions syndicales d’organiser une nouvelle grève générale le 7 octobre s’évapore. Les espoirs disparaissent et les divisions internes s’intensifient. Les bloqueurs-euses finissent par ne plus se réunir, échouant, de fait, à imposer un agenda poussant les actions « au finish ».

En conclusion, le monde syndical n’a pas proposé de plan de lutte sérieux contre la loi Peeters, même si les débats internes soulevaient la nécessité d’aborder des méthodes de lutte plus dures, notamment le blocage des principales entreprises de Belgique. Pour beaucoup, il y avait là l’occasion de se rattraper de 2014, une lutte de la dernière chance, dont une piètre sortie pourrait sonner le glas du syndicalisme belge tel qu’on le connaît depuis 1945.

Déjà-vu.

Tout d’abord, les causes de cet échec sont similaires à celles de 2014. La coalition des trois syndicats belges5était largement en capacité d’organiser le blocage du pays. Le gouvernement aurait pu chuter dès 2014, renvoyant le pays aux élections. Dans ce cas de figure, la NVA était toujours en tête des sondages. Elle arguait que le mouvement social était principalement francophone et que les flamands étant de droite, la séparation de l’État belge reviendrait à l’ordre du jour. Cela aurait également posé la question du retour du PS dans la coalition gouvernementale, qui aurait probablement appliqué « la rigueur » à la place de « l’austérité ». S’ajoute à cela le fait que le gouvernement refusait catégoriquement de négocier, s’attaquant à la philosophie même de la législation sociale belge et posant une crise quasi existentielle à la direction syndicale. Celle-ci désirait juste revenir autour de la table, quitte à négocier des détails de formes.

Ensuite, l’abandon de la résistance syndicale est du à la manière dont pouvaient être perçues les mesures Peeters dans les milieux syndicaux. Pour le syndicaliste qui participe à la concertation sociale sectorielle, aucune mesure n’est vraiment outrageuse. En effet, la semaine de 45 heures avait déjà cours dans plusieurs secteurs de l’économie, notamment l’automobile, qui a servi de modèle à la « réforme ». Quant aux autres questions (intérim, contrats précaires), elles ne touchaient pas directement le corps principal des organisations syndicales, toujours composé majoritairement de travailleurs stables, en contrats à durée déterminée, dans des grandes entreprises.

Enfin, il y a aussi l’incapacité des bloqueurs-euses à peser sérieusement dans le débat syndical. Le mouvement n’a élargi ses bases qu’à quelques syndicalistes. Premièrement, parce que les modes de fonctionnement autogestionnaires, poussé par les militant.e.s chevronné.es, dépassait complètement les délégués syndicaux les plus combatifs. Effectivement, pour les délégués syndicaux, l’habitude de la délégation de pouvoir est forte. Leurs réalités sociales – leurs impératifs familiaux ou leurs horaires de travail – étaient sensiblement différentes de ceux de la jeunesse. De plus, contrairement à d’autres initiatives « sur la gauche syndicale », l’Union des bloqueurs-euses n’a pas mené de campagne visant à rallier les structures syndicales les plus à gauche, mais cherchait à viser ses militant.es individuellement.

Pour terminer, les jeunesses des syndicats CSC et FGTB, pourtant proches des JOC et de l’USE, ont été tiraillées entre les bloqueurs-euses et des initiatives intersyndicales plus classiques (« la coalition jeunesse »), qui ont d’autant plus limité l’impact de l’Union sur les autres syndicalistes.

Épilogue ?

Malgré la bonne volonté des très nombreux.euses militant.es et un mécontentement populaire important, la lutte contre la loi Travail belge fut brisée. Bien qu’il soit difficile de tracer clairement l’avenir de la Belgique, la victoire des intérêts patronaux va la marquer durablement. Elle est symbolique de la période historique que nous vivons, celle de la sortie du compromis fordiste. Il est à espérer, que des structures progressivement amputées de leur rapport de force, renaîtront de nouvelles forces syndicales, adaptées au siècle qui est devant nous, pour aboutir aux profondes transformations sociales nécessaires au bien-être des travailleurs.euses.

Gérald Renier

1Il est de tradition en Belgique, état fédéral, de respecter dans la composition du gouvernement un certain équilibre entre flamands et wallons.

2En France, la JOC est toujours la Jeunesse ouvrière chrétienne, en Belgique l’organisation a changé de nom en 2014 : Jeunes organisés combatifs.

3C’est le terme utilisé en Belgique pour indiquer qu’il y a paiement en heures supplémentaires.

4Mouvement italien, actif il y a une vingtaine d’années en Italie, très présent dans les contre-sommets.

5Confédération des syndicats chrétiens (CSC), Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB)

Gérald Renier
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Gérald Renier

Gérald Renier est syndicaliste à la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), notamment en charge de son secteur jeunesse après avoir été l’un des animateurs de l’Union syndicale étudiante (USE).