Pourquoi et comment repenser la politique familiale

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La politique familiale se caractérise aujourd’hui par deux grands mécanismes, d’un côté des prestations monétaires (prestations familiales, aides au logement), qui augmentent les revenus des familles, de l’autre des mesures fiscales (quotient familial, quotient conjugal et aides fiscales liées à la garde d’enfants), qui réduisent le montant de l’impôt à payer pour les familles imposables. Toutefois, il faut y ajouter les politiques publiques en matière de logements, de crèches, de services collectifs…Dans son rapport de 2012, la Cour des comptes indiquait que les dépenses de la branche famille représentaient 2,8 % du Produit intérieur brut (PIB) en 2011 et 3,8 % si on tient compte des dépenses fiscales en faveur de la famille et des effets du quotient familial. On peut donc affirmer que la politique actuelle à l’égard des familles repose sur une solidarité horizontale (des personnes sans enfant vers celles qui en ont) et sur une redistribution verticale, avec des prestations à destination de familles aux revenus modestes, complétée par une logique d’offre de services pour l’accueil des jeunes enfants.

Il est devenu très difficile de s’y retrouver dans ce dédale de prestations et d’avantages fiscaux, comme il est difficile de s’assurer de la cohérence du système. En effet les mesures prises depuis une dizaine d’années l’ont été essentiellement pour faire des économies budgétaires et répondre à l’exigence du patronat, qui ne cesse de présenter les cotisations sociales comme des « charges ». Ces politiques erratiques démontrent l’absence d’une vision claire et cohérente de la politique familiale. Par ailleurs, les liens étroits entre politique familiale et politique de l’emploi ont contribué à la reproduction des rapports sociaux de sexes et à la division sexuelle du travail. Aussi, il parait indispensable aujourd’hui d’en finir avec les bricolages et d’imaginer une autre politique de la famille, en redéfinissant ses objectifs, notamment ceux d’émancipation individuelle des enfants et des femmes, la forme de ses prestations ainsi que son financement en partant des besoins actuels des familles.

UN BREF RETOUR SUR L’ORIGINE DES ALLOCATIONS FAMILIALES ET DE LA POLITIQUE DE LA FAMILLE

La loi du 11 mars 1932 a rendu obligatoire l’affiliation des employeurs à des Caisses de compensation ou Caisses d’allocations familiales, qui existaient déjà au sein de certains métiers (constructeurs, mécaniciens chaudronniers …). L’idée de départ était de créer un salaire ou un sursalaire familial pour compenser la présence d’enfants. Cette idée n’était pas portée par les syndicats, mais par des patrons catholiques qui avaient institué ces allocations dès la fin du 19ème siècle, en partant du principe qu’à salaire égal, un père de famille a plus de difficultés à vivre qu’un célibataire ou un homme marié sans enfant. Le décret-loi du 12 novembre 1938 crée des allocations familiales indépendantes du salaire et des entreprises, avec les principes suivants : allocation progressive selon la taille de la famille, versée quel que soit le revenu de celle-ci et avec un taux uniforme. De plus, il est à noter la limitation aux cinq ans de l’enfant de la durée du versement de l’allocation au premier enfant, ainsi que la création de majorations pour les familles dont la femme n’a pas d’activité professionnelle.

En 1939, le Code de la famille étend le système des allocations familiales aux professions libérales et aux travailleurs non-salariés. Avec cette extension les allocations perdent leur caractère de sursalaire. En 1941, est créée l’allocation de salaire unique, maintenue en 1946 puis supprimée en 1978. Au-delà de son caractère nataliste cette allocation encourageait le maintien des femmes au foyer. La loi du 1er janvier 1978 unifie et généralise le système des allocations familiales, en supprimant toute condition d’activité pour le droit aux prestations, mais sans en modifier le financement.

En 1946 il n’y avait que quatre prestations familiales : allocations prénatales, de maternité, familiales et salaire unique. Par la suite, de nouvelles prestations furent mises en place : allocation logement en 1948, allocation d’éducation spéciale pour les enfants handicapés en 1963, allocation de rentrée scolaire en 1974, complément familial en 1978 …C’est le seul régime unifié de la Sécurité sociale : le montant des prestations familiales est en effet identique pour toutes les catégories professionnelles, les droits sont universalisés sur le seul critère de résidence. La politique familiale est bien née de la préoccupation de compenser les charges liées à l’entretien d’enfants, quelle que soit la situation financière des parents. A partir de 1946, elle est institutionnellement liée avec une politique économique d’incitation à l’inactivité professionnelle des femmes mariées.

QUELQUES ILLUSTRATIONS DU CARACTÈRE NATALISTE DE LA POLITIQUE FAMILIALE
Le système socio-fiscal français tient compte de la taille de la famille ? avec un effort croissant selon le rang de l’enfant :
➔ pas d’allocation familiale pour le premier enfant,
➔ à partir du 3ème enfant l’allocation familiale est majorée,
➔ le quotient familial est également majoré à partir du 3ème enfant : il est égal à 1 part au lieu d’1/2 part pour le 1er et le 2ème enfant,
➔ le complément familial est destiné aux familles d’au moins 3 enfants,
➔ les majorations de 10% des pensions d’assurance vieillesse par enfant à partir du 3ème sont financées par la branche famille pour un coût de 4,4 milliards. Les majorations sont désormais fiscalisées et favorisent davantage les hommes qui d’une façon générale ont des retraites plus élevées.

REGARDS SUR L’EXISTANT

Pour dessiner les contours d’une politique de la famille plus juste, il est indispensable d’analyser au préalable l’existant et tout particulièrement ce qui en constitue le principal, à savoir les prestations familiales et les avantages fiscaux qui, relevant de deux budgets distincts (sécurité sociale et budget de l’État) et d’objectifs différents, font très rarement l’objet d’une approche globale et conjointe.

Les prestations familiales

Quand on parle de prestations familiales il faut entendre celles qui sont versées par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Certaines d’entre elles sont versées sans conditions de ressources, comme les allocations familiales mais seulement à partir du 2ème enfant [1], l’allocation de soutien familial, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, le complément de libre choix d’activité et de libre choix du mode de garde. Alors que les allocations familiales avaient un caractère universel à une exception notable (le premier enfant n’ouvre droit à aucune allocation), celles-ci ont été, à compter du 1er juillet 2015, modulées en fonction du revenu des ménages : elles sont divisées par 2 pour les foyers ayant des revenus nets mensuels compris entre 6 000 et 8 000 € et par 4 au-delà de 8 000 €. D’autres sont versées sous condition de ressources, comme l’allocation de rentrée scolaire, le complément familial pour les familles de 3 enfants, la prestation accueil jeune enfant qui comprend deux prestations sous conditions de ressources et deux prestations universelles… Il s’agit là de prestations dites de solidarité.

La dépense totale consacrée en 2018 aux prestations familiales financées par la CNAF s’est élevée à 31,5Md€, soit 68% des prestations sociales financées par la branche famille. Parmi ces prestations, 59% sont des allocations d’entretien en faveur de la famille (dont 40 % pour les allocations familiales), 37% concernent les prestations d’accueil du jeune enfant (PAJE) et 4% correspondent à d’autres prestations [2].

Les avantages fiscaux

Ils sont de deux ordres : d’une part le quotient familial et de l’autre des réductions d’impôts. En France, l’impôt sur le revenu est modulé en fonction de la composition du foyer fiscal par le biais du quotient familial. L’unité d’imposition est le ménage, à qui on accorde un certain nombre de parts en fonction de sa composition : une part pour une personne seule, deux parts pour un couple marié ou pacsé, c’est ce qu’on appelle le quotient conjugal distinct du quotient familial qui désigne les parts attribuées aux enfants à charge, les deux premiers enfants du foyer fiscal ouvrent droit à 0.5 part chacun, les enfants à partir du rang 3 ouvrent droit à une part fiscale.

Le quotient familial (QF). La loi de finances pour 1946 institue, dans le cadre de l’impôt sur le revenu, le quotient familial afin de privilégier les couples avec enfant.Le quotient familial (QF) procure une économie d’impôt aux personnes qui ont des enfants, dont le coût budgétaire est estimé entre 10 et 13 milliards par an par le Haut Conseil à la famille. La principale justification du quotient est de tenir compte des capacités contributives des personnes et pas seulement des revenus. En effet, un enfant entraine des frais supplémentaires, en matière de logement, de dépenses de nourriture, de frais de garde, de financement des études, etc. Il est donc important de corriger le déséquilibre -à revenus égaux- entre les capacités contributives d’un ménage avec un ou plusieurs enfants et celles d’un ménage sans enfant. L’objet du quotient familial était d’introduire une forme de neutralité et une redistribution entre familles, pour éviter de pénaliser les familles avec des enfants.

Cependant, ce dispositif soulève des interrogations en termes de justice fiscale, d’efficacité, de redistribution qui sont débattues publiquement. Il faut remarquer que le QF ne tient pas compte de l’âge des enfants, qu’à partir du 3ème enfant il procure une réduction plus importante (une part depuis 1980), ce qui lui confère un caractère nataliste. Socialement, ce dispositif est loin d’être neutre ; il est même très injuste, car il procure un avantage fiscal d’autant plus grand que la famille a des revenus importants et cela, même si le gain en impôt est plafonné depuis 1981 (1 500 € actuellement). Une très large frange de la population ne peut en bénéficier, car non imposable à l’impôt sur le revenu, faute de revenus suffisants. Pour un ménage gagnant deux fois le SMIC, l’avantage est de 269 euros par an ; pour un ménage gagnant quinze fois le SMIC, l’avantage est de 2 200 € soit 8 fois plus. Pour finir, cet avantage fiscal est accaparé par 10% des ménages les plus riches !

Les aides à la garde d’enfants ou à leur scolarité se traduisent par des crédits/ réductions d’impôt [3] et par des exonérations de cotisations sociales pour l’emploi de personnes à domicile :

  • réduction d’impôt pour frais de scolarisation (61 € pour le collège, 153 € pour le lycée et 183 € pour l’enseignement supérieur) : 350 millions d’euros pour 2019
  • crédit d’impôt pour frais de garde [4] (crèche, garderie, assistante maternelle agréée) des enfants de moins de 6 ans : 1 220 millions d’euros pour 2019
  • crédit d’impôt et exonération de cotisations sociales pour l’emploi d’un.e salarié.e à domicile pour la garde d’enfants : 4 760 millions d’€ pour 2019 tout en précisant que ce chiffre concerne l’ensemble des emplois à domicile et pas seulement la garde d’enfants.

La généralisation depuis le 1er janvier 2017 du crédit d’impôt [5] à tous les emplois à domicile a permis de réduire l’inégalité attachée aux réductions d’impôt qui ne profitent qu’aux ménages imposables. Toutefois, ce sont les foyers les plus aisés qui utilisent le plus les services à domicile. Selon le rapport de la Cour des comptes de novembre 2013, 64% des ménages les plus aisés font garder leur enfant, contre 8 à 13% pour les familles les plus modestes.

QUELS OBJECTIFS FIXER A LA POLITIQUE FAMILIALE ?

Dans un contexte de développement de la précarité et d’accroissement des inégalités, un ciblage accru des prestations est souvent évoqué, afin de réaliser des économies ou de concentrer le soutien de la collectivité sur les familles les plus prioritaires, et donc d’exclure les ménages disposant de revenus élevés ou de moduler leurs prestations comme cela s’est passé en 2014 pour les allocations familiales. Le modèle social à rebâtir devrait avoir pour fondement l’égalité et la promotion sociale. En effet, l’égalité permet de solidariser la société, d’assurer à toutes et tous les mêmes droits. Elle permet aussi l’inclusion sociale et donc de réintégrer, au sein d’un même modèle social, des populations qui en sont exclues aujourd’hui. Pour la famille, ce modèle ne doit plus, et ne peut plus, être fondé sur le modèle du couple marié avec enfants : les familles sont multiformes aujourd’hui.

Tout en favorisant la natalité et l’emploi des femmes, une autre politique familiale, visant non pas des objectifs natalistes mais l’amélioration du bien-être et de l’éducation des enfants, reste possible. L’Etat puissance publique doit favoriser au sein de la société l’accueil des enfants essentiellement de trois façons : accorder de prestations monétaires pour compenser la présence d’enfant et les dépenses qui y sont liées (alimentation, santé, fournitures scolaires, etc.), offrir des modes de garde pour la petite enfance et enfin assurer leur éducation dans le cadre d’un service public obligatoire et gratuit. Cette politique doit avoir un caractère universel, c’est-à-dire s’adresser à tous les parents, dès le premier enfant, quel que soit leur niveau de revenus car l’introduction de conditions de ressources en contrepartie de prestations, crée des effets de seuil difficilement explicables et justifiables. En outre, la vocation universelle d’une politique permet d’assurer l’adhésion des plus aisé.es au système et de ne pas renvoyer à l’assistance les plus pauvres. Elle évite aussi la stigmatisation d’une partie de la population. Elle se justifie d’autant plus qu’une étude [6] récente menée sur quatre pays (France, Italie, Royaume-Uni et Suède), pendant quarante ans, « n’identifie pas de corrélation entre le degré de réduction des inégalités apporté par les dépenses sociales et leur degré de ciblage sur certains publics, d’un pays à l’autre, et met en évidence une corrélation négative au sein de chaque pays ».

LES PISTES POUR RECONSTRUIRE UNE POLITIQUE DE LA FAMILLE

L’instauration d’une prestation forfaitaire par enfant. Une façon simple de réformer les dispositifs existants serait de créer une prestation unique, identique par enfant, en remplacement du quotient familial et des prestations familiales ; cela, quelles que soient les ressources des parents. Cette proposition se retrouve dans de nombreux travaux [7]. Envisager une réforme de ce type, permettrait d’accroitre la lisibilité du système, de simplifier le calcul des prestations et de l’impôt sur le revenu, de renforcer l’équité entre les classes de revenus. Elle présente également l’avantage d’être redistributive, de ne plus faire de l’impôt un outil de politique familiale et d’en rester au principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».  Pour renforcer la redistributivité, il existe une autre possibilité, celle de soumettre cette prestation à l’impôt sur le revenu, qui conserve un caractère progressif mais qui pourrait être largement renforcé. A ce stade de la réflexion, il ne faut pas exclure une modulation de la prestation universelle en fonction du rang ou de l’âge de l’enfant, ni la mise en place d’aides spécifiques pour lutter contre la pauvreté des familles notamment les familles monoparentales. Si la suppression des avantages fiscaux liés au frais de scolarité dans l’enseignement secondaire et supérieur peut aisément se justifier, car ils ne profitent qu’aux familles imposables et que leur montant est dérisoire, en revanche il faut envisager un dispositif pour les adultes de 18 à 25 ans qu’ils soient étudiant.es ou à la recherche d’un emploi. Faut-il créer une allocation d’autonomie pour les étudiant.es, conserver le RSA jeune ou leur accorder le RSA pour leur assurer une certaine autonomie ? Cette réflexion est à mener dans un autre cadre que celui de la politique de la famille.

Le développement de services d’accueil des enfants. Le nombre de places en équipements collectifs (crèches, haltes garderies, jardins d’enfants, etc.) reste notoirement insuffisant pour faire face à la demande. Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge chiffre à 230 000 les besoins d’accueil supplémentaires dans les 5 ans à venir. Le développement de services publics est un levier puissant pour offrir des services identiques et de qualité à tous et toutes, éviter la création d’une demande de services privés parmi les plus riches et assurer une égalité entre les enfants. C’est aussi un moyen de développer l’activité professionnelle des femmes, de contribuer à leur autonomie, car chacun.e le sait, aujourd’hui la garde des enfants reste majoritairement dévolue aux mères.

En donnant la priorité à des services ouverts à tous et toutes, on augmente le consentement des plus riches à contribuer au système alors que le ciblage des aides sur les plus démuni.es conduit à une stigmatisation et une marginalisation d’une partie de la population. Il est largement préférable d’inclure l’ensemble de la société dans le même système que d’en exclure une partie. Cela n’implique pas pour autant que ces structures soient publiques, mais qu’elles devraient respecter des obligations de qualité sur le service rendu et vis-à-vis des personnes employées en termes de rémunération, statut, conditions de travail, formation, droits sociaux … L’essentiel, est de privilégier le développement des modes de garde collectifs, dont les tarifs pourraient tenir compte des ressources des familles, articulés avec des congés parentaux repensés au lieu des aides directes ou indirectes qui subventionnent des emplois qui ne profitent qu’à une minorité plutôt favorisée.

LES MODES DE GARDE DES ENFANTS
La très grande majorité des enfants de moins de 3 ans est gardée par leurs parents, majoritairement les mères. Le nombre de places dans des structures collectives pour la petite enfance reste insuffisant au regard de la demande et cela malgré les annonces de multiples « plans crèche », (8 depuis l’année 2000 !) Si le nombre d’emplois d’assistantes maternelles est en légère baisse, il reste le premier mode d’accueil en France.
Les gouvernements ont cherché à développer les services à la personne via des exonérations sociales et fiscales. Mais subventionner ce marché engendre des inégalités, au regard notamment de la précarité de ces emplois peu gratifiants -alors que leur utilité collective fait consensus- et de l’absence de solvabilité d’une partie importante de la population.

LA MODIFICATION DES CONGÉS FAMILIAUX

Les stéréotypes liés au genre ont la vie dure. Le travail domestique et le travail familial restent très largement assurés par les femmes, malgré leur participation accrue au marché du travail. Par ailleurs, peu de politiques publiques ont été menées pour modifier le fait que congés parentaux et temps partiel sont essentiellement supportés par les femmes. Dans une majorité de situations, ce sont les femmes qui prennent des congés parentaux faute de modes de garde suffisants, qui adaptent leur carrière aux contraintes de la vie familiale : interruption d’activité, passage à temps partiel, recherche d’emploi à temps partiel avec des conséquences sur leur rémunération, le niveau de leur retraite ou l’évolution de leur carrière.

Deux types de congés familiaux coexistent aujourd’hui : d’un côté, des congés liés à l’arrivée d’un enfant au sein de la famille, comme le congé de maternité qui relève de l’assurance maladie et le congé de paternité [8] rémunéré de 11 jours (non obligatoire) qui, lui, relève de la branche famille ; de l’autre, le congé parental, censé faciliter l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, mais qui de fait a eu un effet désincitatif sur le travail des femmes.

L’allocation parentale d’éducation a connu plusieurs évolutions depuis sa création en 1985. La dernière réforme de 2015 a remplacé l’existant par la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) avec les intentions suivantes : aller vers un partage du congé entre les deux parents et réduire la durée du congé (de 3 à 2 ans) pris par les femmes, pour en limiter les conséquences sur leur insertion professionnelle. Si ces objectifs sont intéressants, très concrètement il n’en sera rien pour deux raisons : d’une part il n’y a pas de quota réservé au père ce qui rendra le partage du congé très hypothétique, d’autre part l’allocation restant forfaitaire et d’un faible montant (autour de 400 €), elle demeure toujours aussi peu attractive. De fait, le congé parental est essentiellement utilisé par les femmes ayant de faibles qualifications. En outre, lorsque les deux parents ont des emplois plus qualifiés et donc mieux rémunérés, il n’est attractif pour aucun d’entre eux.

Mettre en place des congés familiaux vraiment partagés et mieux rémunérés. Les congés familiaux doivent perdre leur caractère sexué et être repensés pour favoriser le partage des tâches au sein des familles et parvenir à plus d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il faut rechercher, au travers d’une transformation des congés familiaux (durée, indemnisation), une limitation à la division sexuée du travail, en incitant, voire en contraignant, les pères à consacrer plus de temps au travail domestique et familial. Le congé de paternité pourrait être rendu obligatoire, sa durée augmentée en la doublant (ou en l’alignant sur le congé maternité post natal) et être assimilé à du temps de travail effectif (pris en compte pour la retraite) comme l’est le congé de maternité. Le congé parental repensé devrait être d’une durée identique par enfant, obligatoirement partagé entre les deux parents et rémunéré en proportion du salaire antérieur, au même titre que ce qui existe pour les autres assurances sociales. Ce serait une façon d’encourager les hommes à le prendre et de garantir l’autonomie des femmes qui y ont recours par rapport à leur conjoint.

Le financement de ce congé parental pourrait être assuré par l’intermédiaire d’une cotisation de l’employeur dans la logique de la continuité du salaire, comme c’est le cas pour l’assurance chômage par exemple. Ce serait aussi un moyen direct et concret, de rendre effective l’obligation pour les entreprises de négocier sur la conciliation vie professionnelle/vie personnelle pour les salarié.es, dans le cadre de la négociation annuelle sur « l’égalité professionnelles femmes/hommes et la qualité de vie au travail ». Lors des discussions portant sur le projet de directive[9] sur le congé parental, le Parlement européen avait proposé de fixer l’indemnité à 78 % du revenu. Le président Macron a tout fait pour torpiller le projet, jugé selon lui trop coûteux« J’en approuve les principes, mais c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable ».

Encart

QUAND LE G7 DEFEND LA MISE EN PLACE DE CONGES PARENTAUX PAYES [10]
L’autonomisation économique des femmes exige que les hommes s’occupent de 50 % de l’accompagnement des enfants et du travail domestique. Cependant, les femmes continuent d’avoir une charge disproportionnée de ce travail, ce qui limite leur capacité à participer à la vie active, à devenir économiquement indépendantes et à accéder aux postes de direction. Le congé parental rémunéré atténue le coût d’opportunité d’avoir un enfant et constitue un levier essentiel pour l’autonomisation économique des femmes, ainsi que pour briser les stéréotypes négatifs sur le genre.
Quelques exemples des politiques menées sont cités :
➔ La Suède offre actuellement 480 jours de congé subventionné par enfant, que la plupart des parents peuvent partager comme ils le souhaitent, 390 jours étant pris en charge par le gouvernement à raison d’environ 80 % de leur salaire. Au moins trois mois de ce congé sont alloués à chaque parent selon le principe de « utiliser ou perdre ».
➔ Le Japon a promulgué en mai 2019 une loi sur l’aide à la garde d’enfants, en vertu de laquelle le gouvernement prend en charge le coût des crèches et du jardin d’enfants pour tous les enfants âgés de 3 à 5 ans.

QUE FAIRE DU QUOTIENT CONJUGAL : LE SUPPRIMER OU LE PLAFONNER ?

Le système d’imposition est basé sur le principe d’une imposition commune des membres du foyer fiscal. Le quotient conjugal impose aux couples mariés et pacsés de déclarer conjointement leurs revenus et leur attribue deux parts fiscales. Son coût pour le budget est estimé à 5,5 milliards d’euros. De très nombreuses études ont montré que l’imposition commune nuit à l’activité et aux salaires des femmes. En effet, celle-ci favorise les couples dont les revenus sont inégaux. La réduction d’impôt croit avec l’inégalité de revenus au sein du couple, agit comme une prime à l’inégalité dans les couples, et pénalise les femmes qui travaillent [11]. Enfin, elle favorise les couples mariés et pacsés au détriment des couples vivant en union libre et des célibataires. Il est curieux de constater que la législation fiscale continue de récompenser des formes de vie familiale et d’en pénaliser d’autres.

C’est ainsi que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes recommande de réformer le quotient conjugal qui n’a « rien de neutre dans l’arbitrage économique que peut faire un couple qui réfléchirait à un congé parental », que « dans ses fondements il est défavorable à l’émancipation économique des femmes. ». Il propose de plafonner le quotient conjugal et de limiter la réduction d’impôt qu’il procure à 3 000€. Quant au Conseil des prélèvements obligatoires, il reconnaît, dans son rapport de février 2015, que le quotient conjugal peut « s’avérer désincitatif au travail pour un conjoint inactif ou ne disposant que de faibles ressources par rapport au premier apporteur de revenus. » Il propose de plafonner l’avantage du quotient conjugal aux contribuables les plus aisé.es. L’OFCE [12], dans sa note du 7 juillet 2017, suggère de laisser le choix à tous les couples, entre une déclaration conjointe et une déclaration séparée et de n’accorder à la déclaration conjointe qu’une part et demie au lieu de deux. D’autres, comme la fondation Copernic, plaident pour sa suppression. L’individualisation de l’impôt sur le revenu permettrait de rendre neutre le calcul de l’impôt au regard du statut marital. La question de l’imposition conjointe touche à des enjeux de société de fond, comme la place et l’émancipation de l’individu, la recherche d’une égalité femmes/hommes effective, le travail des femmes…

FAUT-IL MODIFIER LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE FAMILIALE ?

Alors que jusqu’en 1990 le financement de la branche famille reposait à 95 % sur des cotisations sociales employeurs [13], il s’est ensuite progressivement diversifié. La branche famille, une des quatre branches de la Sécurité sociale, a été la première à bénéficier en 1991 de la CSG [14], nouveau prélèvement assis sur l’ensemble des revenus. Aujourd’hui, elle reste financée principalement par des cotisations sociales employeurs à hauteur de 60 % (62,4 % en 2017), le restant provenant d’impôts et taxes affectées (17 %) et d’une part de CSG [15] (passée de 20,4 % à 23,3 %). La diminution du taux de la cotisation famille [16] depuis 2014 et les allègements de cotisations familiales ont été compensés par une augmentation de la part de CSG affectée à la famille. Une autre conséquence de la baisse du taux de cotisation famille, est le transfert à l’Etat, entre 2015 et 2016, du financement de la quasi-totalité des aides au logement (APL destinées aux familles, allocations logement à caractère familial), soit près de 9 milliards d’euros et de la protection juridique des majeurs. Le financement de la branche repose donc très largement sur les revenus d’activité, que ce soit au travers des cotisations ou de la CSG.

Le mode de financement de la branche famille, est régulièrement questionné, au regard de l’universalité de ses prestations, dont le versement ne dépend, ni de cotisations (individuelles) préalables, ni du statut d’emploi, contrairement à ce qui se passe pour l’assurance chômage et la retraite. Le débat porte donc sur la légitimité de financer la politique de la famille par des cotisations sociales patronales prélevées sur les salaires, alors qu’elle s’adresse à l’ensemble de la population. Il y a donc une certaine logique à s’interroger sur ce qui différencie la politique de la famille de celle de l’éducation, dont l’organisation et le financement par l’impôt sont de la responsabilité de l’Etat.

LES DEUX THÈSES EN PRÉSENCE

1-Au regard des grands principes qui devraient être attachés à la politique familiale (caractère universel, via des prestations monétaires pour compenser la présence d’enfants, d’une offre de mode de garde garantis par l’Etat puissance publique), il y a une logique et une cohérence pour estimer que le financement devrait en être assuré par le budget de l’Etat, via la fiscalité. Ce mode de financement rapprocherait le financement de la politique familiale de celui d’autres politiques publiques qui contribuent à développer l’activité des entreprises, comme la formation et l’éducation assurées par la collectivité. Cependant, la suppression des cotisations familiales des employeurs devrait avoir comme contrepartie d’augmenter, d’un montant équivalent, les salaires ou encore de transférer ces cotisations sur la branche retraite ce qui permettrait de relever le niveau moyen des retraites. Enfin, seule la rémunération du congé parental (se reporter à ce chapitre), en raison de sa logique professionnelle, devrait être financée par une cotisation sociale employeurs.

2-Ces réflexions et propositions suscitent de nombreuses oppositions pour plusieurs raisons : la mise sous enveloppe limitative des prestations familiales (une ressource dédiée comme l’est la CSG présente un avantage en termes de sécurisation des recettes), la sortie du « risque famille » du champ de la Sécurité sociale remettant très significativement en cause le modèle de 1945 et la légitimité des représentant.es des organisations syndicales à gérer la branche. C’est en partant du principe que les entreprises bénéficient directement, au premier chef, d’une mise à leur disposition d’une main d’œuvre renouvelée, éduquée et formée que de nombreuses organisations défendent le maintien d’une cotisation sociale des entreprises.

Si le débat entre cotisations ou budgétisation reste ouvert, il n’en demeure pas moins essentiel de clarifier les sources de financement actuel, de mettre en cohérence les politiques publiques (redistribution, justice fiscale…), ce qui nous conduit à séparer, notamment, les fonctions de la fiscalité de celles de la politique familiale, pour en identifier clairement les financements.

CONCLUSION

Il s’agit là de quelques pistes de réflexion, qui sont loin d’être exhaustives et dont nous devons débattre sans tabou, si nous entendons effectivement rebâtir le système d’aide aux familles sur des principes d’émancipation, d’égalité et de solidarité. La cohérence et l’efficacité d’une politique familiale passe nécessairement par une clarification des rôles : au système fiscal d’assurer la redistribution verticale et à la branche famille la redistribution horizontale. La solidarité a un coût auquel chaque membre de la société doit consentir.


[1]  Sauf dans les départements d’outre-mer où les allocations familiales sont versées dès le 1er enfant.

[2] Source : rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, juin 2019.

[3] La réduction d’impôt vient en déduction de l’impôt calculé selon le barème progressif. Dans le cas où le montant de la réduction d’impôt est supérieur au montant de l’impôt, il ne peut y avoir de remboursement. Le crédit d’impôt est également déduit de l’impôt calculé. Contrairement à la réduction d’impôt, si le crédit d’impôt est supérieur au montant de l’impôt, le surplus (ou la totalité si la personne n’est pas imposable) donne lieu à remboursement par l’administration.

[4] Le crédit d’impôt est égal à 50% des dépenses effectives supportées par les contribuables dans la limite de 2 300 € par enfant gardé et à 1 150 € en cas de garde alternée

[5] Le crédit d’impôt est égal à 50% des dépenses effectives supportées par les contribuables dans la limite d’un plafond qui varie entre 12 000 € et 20 000 € par an.

[6] Etude citée par la Cour des comptes dans son rapport du 20 septembre 2017

[7] Un impôt juste pour une société juste, Fondation Copernic, Editions Syllepse, 2014 ; Pour une révolution fiscale : un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Editions du Seuil, 2011.

[8]Son taux de recours est de 68 %.

[9] La directive adoptée le 4 avril 2019 a été vidée de son contenu sous la pression de plusieurs Etats, dont la France, pour des raisons budgétaires.

[10] Texte extrait des Recommandations du Conseil consultatif pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

[11] Voir note n°7.

[12] Observatoire français des conjonctures économiques.

[13] Il n’y a pas de part salariale comme dans l’assurance maladie et l’assurance vieillesse.

[14] La CSG est un prélèvement assis sur l’ensemble des revenus des ménages et non sur les seuls salaires.

[15] Il est important de rappeler que la CSG est affectée à la Sécurité sociale.

[16] Le gouvernement de F. Hollande avait même annoncé leur suppression à l’horizon 2017.

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Michele Rault

Retraitée, militante de Solidaires Finances Publiques, est membre des commissions « protection sociale » et « conditions de travail » de l’Union syndicale de Solidaires