La question du financement de la perte d’autonomie

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DE QUOI PARLE-T-ON ?

Selon la DREES [1], les dépenses publiques de prise en charge de la perte d’autonomie ont atteint 23 milliards d’euros en 2018, soit 1,2 point de Produit intérieur brut (PIB). A titre de comparaison, la Suède consacre 3,6 points de PIB et Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la Sécurité sociale et chargé de la future loi, reconnaît un moindre investissement de la France par rapport aux pays de l’OCDE [2]. Malgré force promesses et annonces électorales, l’aide à l’autonomie apportée aux personnes âgées en France souffre de trop d’insuffisances. Déjà, en 2011, les promesses du candidat Sarkozy avaient débouché sur des rencontres très médiatisées avec Madame Bachelot, puis sur un report brutal « compte tenu de finances publiques exsangues » après une déclaration du Premier ministre François Fillon le 24 août 2011. Les rencontres engagées pendant la présidence de François Hollande ont, elles, débouché, le 28 décembre 2015, sur une loi Adaptation de la société au vieillissement (ASV) bien insuffisante.

Selon une étude récemment publiée par la DREES, le besoin en financement global lié à la dépendance s’élèverait à environ 30 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB. Cette même étude anticipe un doublement de ce besoin d’ici 2060 (2,78 % du PIB, soit près de 50 milliards d’euros). Ces prévisions se fondent en partie sur l’anticipation des effectifs concernés qui devraient passer d’environ 1,2 million en 2017 à 2,2 millions en 2050. Si la population vieillit, l’espérance de vie en bonne santé stagne loin derrière certains pays de l’UE (10,6 en France contre 16,6 en Suède et 12,4 en Allemagne) ce qui accroît, évidemment, les dépenses de santé. Il y aura donc plus de personnes âgées en perte d’autonomie et une demande de moyens supplémentaires pour le maintien à domicile et de places supplémentaires en établissements dans les prochaines années

À la suite des importantes mobilisations du personnel des EHPAD [3] et des services à domicile depuis 2018, le gouvernement a repris le dossier, a annoncé une loi « Autonomie, grand âge » pour la fin de l’année 2019. Dominique Libault, chargé de la concertation, a remis 175 propositions à la ministre Agnès Buzyn le 28 mars 2019. La Commission des affaires sociales du Sénat s’est emparée de la question spécifique du reste à charge. Reste à charge toujours plus lourd pour les personnes et leurs familles. La question du financement est donc centrale et le choix d’un financement public dans le cadre de la Sécurité sociale ou d’un recours aux assurances privées décisif.

Selon la doxa officielle, l’état des finances publiques interdit l’augmentation substantielle de la dépense publique que la situation appellerait pourtant. L’effort à réaliser est important, mais la France ne se trouve pas devant un « mur » de dépenses qui obligerait à réviser de manière drastique les conditions de son financement. Si on mettait à contribution les revenus financiers des entreprises et des banques (325 milliards d’euros) au taux actuel des cotisations dites patronales, cela rapporterait 41 milliards d’euros à la branche maladie de la Sécu et financerait les besoins pour la perte d’autonomie.

UN PROBLÈME PRÉOCCUPANT : LE RESTE A CHARGE, 7 MILLIARDS SELON LA DREES

Le premier reste à charge relatif à la perte d’autonomie se traduit par une participation financière du bénéficiaire au montant d’APA auquel son degré de dépendance lui donne droit. Il est évalué par la DREES à presque 3 milliards d’euros. La seconde composante rassemble l’ensemble des dépenses, qui ne sont ni de soins ni de dépendance pour toute personne dont les ressources sont supérieures au montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Elle est importante en EHPAD : le volet hébergement (hôtellerie, restauration, blanchisserie…) est facturé par le gestionnaire. Ces charges peuvent être intégralement ou partiellement prises en charge par le conseil départemental via le versement de l’aide sociale à l’hébergement (ASH) attribuée si les ressources sont inférieures à l’ASPA. Pour les autres résidents, le tarif hébergement doit être acquitté sur leurs ressources personnelles. Il est estimé à environ 4 milliards d’euros.

La politique de dépendance fait intervenir autour de la personne âgée plusieurs acteurs publics dont les financements et les actions répondent à des logiques distinctes. Ils sont au nombre de quatre :

➔ L’assurance maladie pour une dépense d’à peu près à 13 milliards d’euros en 2018.

➔ Les conseils départementaux interviennent en seconde ligne pour un total de 6 milliards d’euros. À double titre : le versement de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) qui prend exclusivement la forme d’une prestation en nature et une aide spécifique aux personnes âgées présentant des difficultés financières.

➔ La caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), établissement public créé en 2005 et chargé du pilotage et de la gestion des politiques de l’autonomie au niveau national, assure une partie du financement de l’APA sous la forme d’un transfert aux conseils départementaux. Ce transfert représente environ 2 milliards d’euros 

➔ L’État participe indirectement au financement des politiques publiques de la dépendance, notamment par le biais d’exonérations fiscales ou d’aides au logement. Cette dépense s’élève à environ 2 milliards d’euros.

Le total de ces dépenses porte la dépense publique relative à la dépendance à environ 23 milliards d’euros en 2018. C’est une dépense fortement médicalisée.

Des disparités importantes et peu justifiables entre établissement et domicile… ainsi qu’une hétérogénéité territoriale qui s’explique par la baisse des dotations publiques et les choix politiques opérés. Le reste à charge est essentiellement concentré sur les personnes âgées dépendantes hébergées en EHPAD. Le reste à charge médian (autour de 2 000 euros) renvoie à des disparités de tarifs entre établissements publics (53 % des EHPAD), établissements à but non lucratif (20 %) et établissements à but non lucratif (27 %). In fine, le reste à charge est supérieur en moyenne aux revenus des résident.es. La différence de reste à charge entre établissement et domicile (qui apparaît bien moindre) pourrait en grande partie résulter d’un renoncement des personnes âgées accompagnées à domicile à une partie du plan d’aide qui leur est proposé, en raison du manque de ressources financières. Le tarif moyen de référence d’une heure d’aide à domicile est estimé par la Fédération française des services à la personne et de proximité (FEDESAP) à 19,33 euros ce qui correspond en moyenne, seulement à 20,46 heures par mois et par personne âgée dépendante d’aide à domicile financées par le conseil départemental. C’est insuffisant pour nombre de personnes concernées.

LES FINANCEMENTS AUJOURD’HUI

La fiscalisation du financement de la dépendance s’est accrue : la loi du 30 juin 2014 a confirmé le caractère fiscal des financements par l’instauration d’une contribution additionnelle aux prélèvements de solidarité sur les revenus du patrimoine et les produits de placement au taux de 3 % et une fraction du produit de la CSG correspondant à 0,1 point. En dehors de ces trois prélèvements et sans compter les prélèvements fiscaux locaux abondant l’APA, la majorité des dépenses couvrant la perte d’autonomie des personnes âgées restait assurée par un transfert de cotisations sociales d’assurance maladie à la CNSA. Les nouveautés induites par la journée de solidarité et les contributions additionnelles aux prélèvements de solidarité n’ont entraîné qu’un surcroît de financement de l’ordre de 2 milliards d’euros pour les personnes âgées uniquement et n’ont pas substantiellement modifié le schéma de financement préexistant, qui reposait sur les cotisations sociales. L’introduction, par la LFSS pour 2013 d’un nouveau prélèvement fiscal, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (la CASA) a permis d’amplifier l’assise progressive du financement de la perte d’autonomie sur l’impôt mais c’est seulement en 2018 qu’elle sert à l’usage prévu à 91,9% et qu’elle rompt avec le principe de solidarité nationale puisque seul.es les retraité.es imposables la payent.

PROPOSITIONS

Logiques gouvernementales. Selon la doxa officielle, le contexte d’évolution des finances publiques interdit d’envisager la création de nouveaux prélèvements. Est peu raisonnable, l’hypothèse selon laquelle le simple fléchage de fonds publics existants sera suffisant. Il est donc absolument nécessaire d’imaginer un mode complémentaire de financement de la dépendance qui ne fasse pas appel à la solidarité nationale puisqu’on se maintient à périmètre fiscal constant et qui ne reproduise pas les écueils de l’assurance facultative : l’assurance dépendance obligatoire semble s’imposer.S’agissant de nouvelles ressources fiscales pour la dépendance à niveau de prélèvements obligatoires constant, les débats ne sont pas tranchés. Le Président de la République, en juin 2018, avance l’hypothèse d’un 5e risque. Il faut rappeler que le projet de Sarkozy prévoyait un financement public et privé et n’a pas été mené à terme, faute de financements.

La Commission des affaires sociales du Sénat et une partie du courant mutualiste notamment, proposent une logique redistributive pour le tarif hébergement en créant un surloyer solidaire adapté aux ressources des résidents en d’EHPAD.A propos de la nécessité d’une assurance dépendance obligatoire, la Commission des affaires sociales du Sénat s’interroge : publique ou privée ? La réunion de deux principes (obligatoire et par répartition) semble rapprocher l’assurance dépendance d’une assurance publique : elle est compatible avec le système public de Sécurité sociale. Mais le secteur privé, pense-t-elle, doit conserver la gestion du risque dépendance.

Le rapport Libault. Il s’agit de « reconnaître la perte d’autonomie comme un risque de protection sociale à part entière », ajoutant « c’est bien la solidarité nationale à travers une couverture financière publique qui doit jouer un rôle prépondérant ». Les propositions du rapport (dont on ne sait si elles seraient retenues dans la loi « Autonomie et grand âge ») :

Augmenter le budget de 35 % de la part de la richesse nationale en 2030 : plus 4,8 milliards en 2024 et 6,1 milliards en 2030.

➔ Avant 2024 : tabler sur les excédents de la Sécurité sociale (sic), utiliser le fonds de réserve des retraites et après 2024 : prolonger la CRDS par un prélèvement social dédié.

➔ Inscrire le risque de perte d’autonomie dans le champ des lois de financement de la Sécurité sociale et le prioriser au sein des dépenses sociales dans le FLFSS par redéploiement.

➔ Mobiliser les financements privés par une forte incitation pour l’assurance privée facultative (avec avantages fiscaux) en complément de l’effort public.Pas de complémentaire obligatoire.

➔ Mobiliser l’épargne existante et le patrimoine financier et mobilier.

➔ Pas d’autre prélèvement obligatoire ni de seconde journée de solidarité.

Mais le rapport reste muet sur la cotisation sociale (son assiette, l’augmentation éventuelle) et sur la hauteur du financement public et les solutions proposées s’apparentent plus à du bricolage qu’à un choix politique déterminé. Elles sont, par ailleurs, bien aléatoires ou s’effectuent par redéploiement

Ailleurs ? L’Allemagne a fait le choix depuis 1995 d’une intégration de l’assurance dépendance dans le système de Sécurité sociale.Dans les pays nordiques, le financement est largement public et relève des municipalités qui perçoivent une part importante de l’impôt sur le revenu. En Allemagne, l’assurance soins de longue durée est financée par les cotisations. Au Japon, les personnes assurent 10 % des dépenses et les cotisations commencent à 40 ans et sont plus élevées pour les plus de 65 ans. Le constat est que les financements publics ont partout une place importante dans les pays de l’OCDE

Propositions des 9 organisations de retraité.es (CGT, FO, CFTC, CGC, FSU, Solidaires, FGR-FP, LSR, UNRPA-Ensemble & solidaires). Les organisations du groupe des 9 sont catégoriques et se prononcent pour un droit à compensation assuré à 100 % dans la branche maladie de la Sécurité sociale, à toutes les étapes de la vie.La situation de perte d’autonomie d’une personne peut arriver à tout âge. Elle peut être une situation de naissance. Elle peut résulter de maladies et/ou d’accidents, éventuellement en liaison avec la vie professionnelle ; être liée au grand âge et à une accumulation de dégradations physiques et/ou mentales d’une personne (maladies neurodégénératives notamment). La perte d’autonomie est une conséquence de cette maladie, de cet accident ou du grand âge. Il faut donc supprimer la discrimination entre les moins de 60 ans et les plus de 60 ans, entre handicap et perte d’autonomie, conformément au traité de l’ONU signé par la France et à la loi du 11 février 2005 dont le décret d’application n’est jamais sorti. Le décret n° 2017-122 du 1er février 2017 faisant suite à la Loi de Finances du 29 décembre 2016 précise que : « Les personnes en situation de handicap, qui perçoivent l’AAH avec un taux d’incapacité d’au moins 80 %, peuvent, depuis le 1er janvier 2017, continuer à la percevoir au-delà de l’âge légal de la retraite sans avoir à demander préalablement l’ASPA. » Cette timide avancée est très insuffisante pour effacer toute discrimination entre les moins de 60 ans et les plus de 60 ans.

Les organisations estiment que la perte d’autonomie est très généralement un drame pour les personnes directement concernées et pour leurs proches et leur famille. Il ne faut pas y ajouter des problèmes financiers qui conduiraient à des situations inégalitaires inadmissibles dans notre société. Pour surmonter ces pertes d’autonomie, les personnes ont besoin d’aides et de compensations. Il peut s’agir d’équipements personnels (prothèses, fauteuil roulant, etc.), d’aménagements du logement etc. Ce nouveau droit à l’autonomie doit être ouvert à toutes et tous, dans la branche maladie de la Sécurité sociale. Il s’inscrit dans le cadre d’un grand service public de l’Autonomie.

Pour l’aide et l’accompagnement aux personnes, quel que soit leur âge, que ce soit à domicile ou en établissement plus ou moins spécialisé selon l’origine ou la nature de la perte d’autonomie, il faut mettre en place un vaste service public de l’aide à l’autonomie regroupant et intégrant progressivement une partie de l’existant actuel, avec des personnels à temps plein (pour celles et ceux qui le souhaitent), plus nombreux, mieux formés, plus qualifiés et mieux reconnus socialement. Ce service public de l’aide à l’autonomie serait chargé d’offrir à toutes les personnes, sur la totalité du territoire national, des services de qualité et dans les mêmes conditions.


[1] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – Administration centrale des ministères solidarités et santé, travail, actions et comptes publics.

[2] Organisation de coopération et de développement économiques.

[3] Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

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Marylène Cahouet

est responsable du secteur retraité-e-s du SNES-FSU et, à ce titre, secrétaire nationale du SNES-FSU et co-animatrice de la section fédérale des retraité-e-s de la FSU. Elle siège, au titre de la FSU, au HCEFA (Haut conseil de l'enfance, de la famille et de l'âge) et représente la FSU dans le cadre du groupe des 9. Dans une autre vie, elle était prof de Lettres à Lyon…