Femmes et extrêmes droites

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Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front national, rebaptisé Rassemblement national, l’électorat féminin, majoritairement réfractaire au père, hésite moins à voter pour la fille. Mais avoir une femme à la tête d’un parti n’en fait pas forcément un parti féministe. Que dit le RN des thématiques relatives aux droits des femmes ? Et, plus largement, le féminisme est-il soluble dans l’extrême-droite ?


Cécile Ropiteaux, enseignante, est actuellement militante associative à Dijon (LDH, Attac), féministe, antiraciste, antifasciste de longue date. En tant que syndicaliste FSU, elle a participé, jusqu’en 2019 au niveau national aux travaux des intersyndicales Femmes et Uni·es contre l’extrême droite, ainsi qu’au collectif Droits des femmes contre les extrêmes droites.


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Le vote des femmes : la fin du gender gap ?

La sociologue Mariette Sineau avait mis en évidence une évolution jusqu’en 2007 : « L’électorat féminin est donc progressivement devenu non seulement un bastion de gauche mais aussi un rempart contre l’extrême droite, et plus largement contre la virilisation de la vie politique, telle qu’elle a été promue par Jean-Marie Le Pen puis Nicolas Sarkozy ». Mais l’arrivée de Marine Le Pen a changé la donne, et le gender gap sur le vote d’extrême droite se résorbe. En 2012, le vote pour MLP est de 18 à 20 % des suffrages masculins exprimés, et 17 % des suffrages féminins exprimés [1]. Si on regarde le nombre de voix, le FN a engrangé entre 2002 et 2012 un contingent supplémentaire de 500 000 électeurs, et d’un million d’électrices, soit une progression deux fois plus importante chez les femmes. En 2012, MLP a gagné des voix en particulier chez les employées de commerce, prolétariat peu représenté, peu reconnu, mal payé. L’opération séduction fonctionne, la tendance se confirme en 2017 : le vote masculin pour MLP se situe entre 20 et 22 %, et entre 21 et 23 % pour les femmes, avec une évolution inquiétante concernant les moins de 35 ans où ce vote monte à 25, voire 30 %. Selon Frédéric Micheau (OpinionWay) : « Elle possède aussi l’électorat le plus féminin de tous les candidats [les femmes représentent 55 % de ses partisans]. Son électorat se féminise et se rajeunit clairement. » Il restera à affiner les analyses des scrutins 2022… Selon Harris, ont voté MLP au premier tour de cette présidentielle 21,9 % des hommes, et 27,8 % des femmes ! Ce serait terrible si on assistait maintenant à une inversion du Gender gap. Un petit signe encourageant de la jeunesse : les moins de 18-24 ans (des deux sexes) ont voté MLP à 18 % « seulement ».

Marine Le Pen : L’imposture féministe
Une femme à la tête du parti : une image à soigner

Si Marine Le Pen s’est retrouvée à la direction du FN, c’est bien en tant qu’héritière de Jean-Marie, dans un parti où la désignation des chef·fes ne doit pas grand-chose à la démocratie. Il n’empêche que son statut de femme a participé à la dédiabolisation du parti, tout autant que son discours, plus policé. Au cours des dernières campagnes présidentielles, le parti s’efface même complètement derrière sa candidate : « Marine présidente » en 2017, et « M la France, projet pour la France de Marine Le Pen » en 2022. MLP aime donner d’elle-même l’image d’une femme active, « moderne », « de son temps ». Des magazines ou des émissions de télé vont s’engouffrer dans cette peopolisation, se rendant complices de la banalisation du RN [2]. En 2017, le 4 pages « Marine présidente » vise à présenter la femme qui se cache derrière l’élue, afin de changer l’image de la femme politique anxiogène et d’attiser l’empathie. Elle s’y met en scène en tant que mère : « Qui de mieux qu’une femme pour parler aux femmes, de leurs difficultés, de leurs préoccupations réelles, du lien particulier qui les lie à leurs enfants ? Pour l’avoir vécue, Marine sait la difficulté d’allier les contraintes d’une vie professionnelle et la disponibilité nécessaire à la vie familiale… »


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Et elle n’hésite pas à employer des arguments essentialistes : « Être femme en politique n’est pas forcément chose aisée, c’est souvent un handicap. Marine n’en fait pas un argument, mais un « plus ». Une femme porte un regard particulier sur la vie qui chaque jour met en jeu mille choses concrètes. Cette perception permet de trouver un juste équilibre entre l’exercice de l’autorité et le souci de protection et de compréhension des situations. Cette sensibilité féminine c’est aussi ce qui l’amène à mieux percevoir l’injustice, faire la part entre le tolérable et l’impardonnable et peut-être l’incline davantage à la défense des plus faibles ». Phrases savoureuses venant de la châtelaine de Montretout !


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Sort ensuite son affiche de campagne pour le second tour avec une photo quelque peu surprenante. Déhanchée, laissant voir jupe et genou, la candidate du Front national pose à la manière des magazines féminins. « Montrer la cuisse de Marine a été discuté. C’est un parti pris assumé et un message subliminal par rapport à l’islam », dit-on dans le staff. « Sur cette affiche, la “femme libre” n’est donc là que pour dessiner en creux la femme menacée. Les droits des femmes n’existent au Front national qu’à travers une critique de l’islam, et c’est ce que cette affiche clame, en montrant une Marine Le Pen séductrice, qui semble dire “merde” à la pudeur des femmes voilées » analyse la politologue Frédérique Matonti. Toutefois, l’image de MLP ne s’améliore guère : à dix-huit mois des présidentielles de 2022, 60 % des Français·es [3] jugeaient Marine Le Pen « inquiétante », confirmant une étude Elabe révélant l’année précédente qu’elles/ils voyaient en elle une personnalité autoritaire (78 %), arrogante (65 %) et qui inquiète (59 %). Elle poursuit donc son entreprise de dédiabolisation, allant jusqu’à évoquer les photos de fleurs et de chatons qu’elle poste sur ses réseaux sociaux privés… Sa profession de foi 2022 associe plutôt habilement femme et pouvoir, avec en gros caractères les deux slogans encadrant sa photo : « Marine présidente » et « Femme d’État ». Elle prend soin de se placer du côté des femmes, à nouveau : « Comme mère, je refuse de laisser à mes enfants un pays livré à l’insécurité, la précarité, la fatalité. Comme femme, je refuse de voir reculer des libertés et droits que nous pensions pourtant acquis. ». Allant toujours plus loin dans l’instrumentalisation en trompe-l’œil des concepts de gauche, ce sont cette fois les « droits et libertés » qu’elle convoque ! Cette stratégie lui permet en outre de se démarquer de Zemmour, son concurrent viriliste, alors même que leurs programmes sont finalement très proches. En 2012 comme en 2022, les programmes mentionnent très peu les droits des femmes, et mettent surtout en avant la famille.

Place des femmes : travail, famille…

Le salaire maternel (renommé parental en 2012) est une proposition de longue date du FN en faveur des femmes au foyer. MLP affirme même [4] que « Le progrès pour les femmes est de rester à la maison […] parce que beaucoup de femmes servent de variable d’ajustement à toute une série de multinationales ». Le progrès social serait donc de les payer à rester à la maison, avec tout ce que cela a comme conséquences négatives sur les carrières, les salaires, puis les retraites des femmes, et donc sur leur capacité d’autonomie ?? Mais on peut comprendre que cela ait rencontré un certain écho, surtout dans un contexte de crise ; cette mesure disparait ensuite des programmes. En 2016, MLP surfe sur l’actualité sociale et dénonce la loi El Khomri : « Si elle est votée, la loi dite Travail va ajouter beaucoup de précarité à une société déjà tellement précaire. Or nous le savons tous, les femmes sont toujours les premières victimes de la précarisation économique et sociale ». Mais encore une fois c’est une indignation de façade, il suffit pour s’en convaincre de chercher ce que le RN dit des inégalités salariales entre les femmes et les hommes, c’est-à-dire pas grand-chose, à part un vague plan évoqué en 2017. Mais au niveau européen, le RN a voté contre une résolution sur les écarts de salaires femmes/hommes en janvier 2020, et contre les mesures de partage du congé parental (visant à ce que les hommes le prennent davantage) à l’Assemblée nationale en 2017.

Dans la continuité des programmes précédents, c’est bien une politique nataliste qui est de nouveau mise en avant en 2022. Le RN y consacre tout un livret thématique M la famille : « La politique familiale a aussi pour but de permettre aux Français de fonder des familles et, ainsi, de rétribuer le service que lui rendent les familles françaises, en tant qu’outil de consolidation de la France. » Les choses sont limpides, les mots France et Français sont martelés. Le document enfonce encore le clou : « Pour protéger son système de protection sociale, notre pays devait faire un choix : soit la natalité, soit l’immigration. Choisir l’immigration, ce serait considérer que les êtres humains sont interchangeables, réductibles à des statistiques économiques. » Et comme les êtres humains ne sont pas « interchangeables », il n’y a pour le RN aucune raison de pratiquer l’égalité ou l’universalité des droits !Il justifie donc la préférence nationale, qui est au cœur de son programme : « Il est logique, il est essentiel que l’État consente un effort tout particulier en faveur des familles françaises. […] Et nous pourrons enfin appliquer cette règle élémentaire, qui cimente l’idée même de Nation : faire passer les nôtres avant les autres ». Belle reprise d’un slogan en vogue chez les Identitaires !

Les politiques familiales se déclinent dans les mesures suivantes :

– réserver les allocations familiales aux familles dont au moins un des deux parents est Français ;

– instaurer une part fiscale pleine, contre une demi-part actuellement, pour le deuxième enfant ;

– instaurer un prêt public à taux zéro pour les jeunes couples, dont le capital restant dû serait annulé dès le troisième enfant (dont au moins l’un des deux membres est Français) ;

– doubler le soutien aux mères isolées élevant des enfants tout en renforçant les contrôles pour éviter les fraudes.


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MLP en profite pour faire un appel du pied : « Nous nous rappelons tous ces mères célibataires qui faisaient partie du mouvement des Gilets Jaunes, à l’hiver 2018 ». Elle se garde bien de préciser que ces mères et leurs enfants n’auront plus d’allocations, voire plus de logement, si elles ne sont pas Françaises.

Droits des femmes à disposer de leur corps :

Le sujet de l’avortement illustre parfaitement la façon dont MLP a adapté son discours aux évolutions sociétales. Rappelons les propos de son père : « Il est ridicule de penser que le corps [des femmes] leur appartient, il appartient au moins autant à la nature et à la nation. » [5] Le FN a longtemps envisagé le déremboursement de l’IVG et revendiquait pour les femmes la « liberté de ne pas avorter » dans une inversion rhétorique dont l’extrême droite est coutumière. MLP a eu des propos culpabilisants, laissant entendre que certaines femmes choisiraient une « IVG de confort » (!) comme moyen de contraception, ou les mettant en concurrence avec les malades ou les personnes âgées : « Je refuse que des femmes se fassent avorter à plusieurs reprises quand d’autres au même moment doivent renoncer aux soins faute de moyens » [6].

En 2015, des divergences apparaissent entre MLP et sa nièce Marion Maréchal sur le sujet de l’avortement, cette dernière ayant annoncé qu’elle supprimerait les subventions régionales au Planning familial en cas de victoire du FN en région PACA. Une mesure qui « n’entre pas dans les projets du Front national », réplique la cheffe du parti [7]. En décembre 2016, Marion Maréchal estime dans une interview à Présent qu’il faudra revenir sur le remboursement de l’IVG. MLP la recadre aussitôt : « Il n’y aura aucune modification, ni du périmètre, ni de l’accès, ni du remboursement de l’IVG ». S’agissait-il de divergences réelles ou d’une stratégie orchestrée pour flatter différents électorats en même temps ? Il y avait eu des épisodes similaires en 2013 au moment de la loi ouvrant le mariage à tous les couples, Marion Maréchal s’affichant avec La manif pour tous quand sa tante s’entourait de militants gays. Quoi qu’il en soit, il est révélateur de voir comment MLP a clos les débats : en minimisant l’importance du sujet, qu’elle a qualifié de « lunaire », de « bisbilles », ou de « chicayas » ! Les femmes apprécieront…

Rappelons qu’en 2015 les député·es FN avaient voté contre la loi de modernisation du système de santé, qui facilitait l’accès à l’IVG, autorisait les sages-femmes à la pratiquer par voie médicamenteuse et supprimait le délai de réflexion de sept jours. Au Parlement européen, en 2020, les député·es RN ont voté contre une résolution qui condamnait la nouvelle réglementation polonaise sur l’IVG [8]. Le RN est opposé au retrait de la double clause de conscience des médecins, et en mars 2022, MLP s’est prononcée contre l’allongement du délai d’IVG. Au sujet de la Procréation Médicalement Assistée, MLP déclare en 2017 : « J’y suis opposée. J’y suis opposée parce que la vie peut priver un enfant de son père : un décès, un éloignement, un abandon d’ailleurs… mais fabriquer des enfants sans père, je pense que c’est quelque chose qui est éminemment négatif pour l’enfant en question ». En 2021, sans surprise, les parlementaires d’extrême droite ont voté unanimement contre la PMA pour toutes les femmes.

Les violences faites aux femmes

Quand les violences faites aux femmes sont dénoncées par l’extrême-droite, c’est très souvent sous l’angle ethnique, comme si le sexisme était une survivance archaïque limitée à certains groupes, à certaines religions. Ce pseudo-féminisme, ou fémo-nationalisme, sert en fait de paravent au racisme et à l’islamophobie.

Janvier 2016 : MLP s’exprime après la nuit du nouvel an à Cologne. Elle qualifie les migrants de « mâles déchaînés » commettant des « exactions » contre les femmes des pays qui les accueillent. Ce discours, directement issu du colonialisme, laisse de côté les femmes migrantes, ainsi que les hommes blancs. Il fallait bien évidemment dénoncer ce qui s’était passé à Cologne, mais en dénonçant toutes les agressions sexuelles, où qu’elles se produisent (fête de la bière, férias…) et le sexisme en général, ainsi que le racisme, comme l’ont fait les féministes allemandes, et certaines organisations en France (OLF, CNDF…). En 2017, en pleine vague #metoo de dénonciations d’agressions sexuelles et sexistes, qu’a dit le FN ? Quasiment rien… Sauf quand un de ses membres a été impliqué dans des violences conjugales, MLP a parlé de « séparations qui se passent mal », renvoyant ces violences au cas particulier et à la sphère privée. Signalons encore que le FN est le seul parti à avoir voté à l’Assemblée nationale contre la loi sur l’égalité du 4 août 2014, qui renforçait notamment les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes.

En 2022 les documents de campagne annoncent la volonté de « protéger efficacement les femmes contre toutes les agressions dont elles sont victimes » [9]. « Les conjoints ou ex-conjoints violents seront jugés dans des délais très brefs et les mesures de protection des victimes seront efficaces ». C’est vague ! Aucune mesure concrète, que ce soit en termes de prévention, de formation des professionnel·les ou d’aide aux associations, on reste dans le registre de l’incantation : « Je veux dire en particulier aux femmes que leurs agresseurs ne resteront plus jamais impunis. […] Je veux leur dire que je me trouverai en travers du chemin de quiconque les menacera, elles ou leurs libertés ». Avec l’emploi d’une formule qu’on qualifierait de paternaliste dans la bouche d’un homme !Sont évoquées des sanctions : « En plus des sanctions pénales lourdes, j’inscrirai les harceleurs de rue au fichier des délinquants sexuels et déciderai l’expulsion des étrangers qui se livrent à ces pratiques outrageantes » [10]. Retour aux fondamentaux du RN, les violences seraient surtout le fait des « barbares », MLP poursuit dans cette veine : « Enfin, comment, parmi les autres pratiques importées, ne pas s’indigner de voir surgir, dans notre pays, au XXIème siècle, les mariages forcés, les certificats de virginité, les excisions ou les crimes d’honneur. Il est temps de faire cesser cette dérive vers la barbarie. Il est temps de remettre la France en ordre en réimposant partout, et à tous, nos valeurs de civilisation. »

RN et parité

Pour MLP, la parité a longtemps été « contraire à la méritocratie républicaine [11] » ! « Il ne s’agit pas d’aligner des femmes uniquement parce que ce sont des femmes, c’est grotesque. Je trouve ce système de quota un peu méprisant. » En 2012, le FN écrit dans son programme que « diversité » et « parité » feraient partie de « cette idéologie différentialiste et multiculturelle, qui n’est qu’une forme de racisme inversé ». « Les premières victimes en sont les hommes blancs hétérosexuels ». Les pauvres ! Mais, en mars 2022, MLP effectue un véritable revirement ! Elle est dorénavant très favorable à la parité en politique : « J’avoue qu’à l’usage, incontestablement cette loi a permis à des femmes d’émerger. Dans mon propre mouvement, parfois, c’est un peu de force qu’on a poussé les femmes à se présenter, elles ont pris confiance en elles et j’en suis ravie. »

Un changement se serait-il produit ? En 2014 comme en 2020, les mairies conquises par le RN, ou par un candidat soutenu par le RN, sont très majoritairement tenues par des hommes, il n’y a aucune femme maire dans les villes importantes. Et à l’intérieur du parti, le bilan est loin d’être optimal [12] :

Bureau exécutif (organe décisionnel) : 4 femmes sur 14 membres.

Bureau national : 12 femmes sur 40.

Conseil national (élu le 4 juillet 2021) : 38 femmes sur 107. 

Commission d’investiture : 3 femmes sur 21.

Quant aux fédérations départementales, elles comptent 25 femmes déléguées pour 78 hommes. A noter aussi que les femmes sont présentées comme « conseillère régionale », mais comme « député européen » : il faut sans doute du masculin quand ça devient sérieux…

Un programme féministe ?

Révolution culturelle ou ripolinage de façade ? L’ouverture d’esprit n’est qu’apparente, mais il devient de plus en plus difficile de décrypter les discours de MLP. Dans son autobiographie [13], elle consacre un chapitre à ses mois de « mère célibataire » et explique que cette période l’a rendue « quasi féministe ». « La situation [des femmes] est souvent et objectivement plus difficile que celle des hommes », écrit-elle. « Les femmes sont soumises à la “double peine” : un travail souvent prenant et une vie de famille à mener ». Elle n’hésite plus désormais à citer Simone Veil, Olympe de Gouges, ou encore Simone de Beauvoir. A l’occasion du 8 mars 2022, MLP écrit une « Lettre aux Françaises », appel clair à voter pour elle aux élections présidentielles afin d’élire une femme ! Elle y ressert la fable de l’Occident émancipateur : « L’Occident peut s’enorgueillir d’avoir fait avancer l’égalité, le respect et, dans une grande mesure, l’émancipation des femmes ». Elle y évoque l’endométriose alors même qu’elle ne s’est pas déplacée à l’Assemblée pour voter la résolution de Clémentine Autain. « D’une manière générale, j’ai intégré dans mon combat politique d’inciter les femmes à prendre toute leur place dans notre société. J’espère y contribuer par mon engagement au premier plan de la vie publique, mais surtout je les appelle à vaincre une forme de réserve souvent injustifiée pour viser, par et pour elles-mêmes, les postes à responsabilité ». Cette référence à une « réserve injustifiée » prouve sa profonde méconnaissance des mécanismes de domination.


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Il y a au moins une incohérence vraiment flagrante. « La liberté des femmes de s’habiller comme elles le souhaitent, de prendre les transports en commun, de se déplacer dans l’espace public est trop souvent entravée par une forme de violence insidieuse, insupportable, qui devient endémique et que constitue le harcèlement de rue à connotation sexuelle » [14]. S’habiller comme elles le souhaitent, vraiment ? Pas pour les musulmanes, puisque MLP projette de les sanctionner si elles portent le voile ! « C’est au titre de l’uniforme islamiste que j’interdirai le voile dans l’espace public. […] Toutes les femmes qui portent un voile ne sont pas des islamistes, beaucoup sont des victimes. Beaucoup vivent dans un environnement culturel où elles subissent une pression très importante. ». Les musulmanes seraient donc soit intégristes, soit soumises ! Ce qui prouve qu’elle n’a pas écouté ces femmes, et que ses priorités sont bien guidées par l’islamophobie et non par le féminisme ! Sihem Zine, présidente d’Action droits des musulmans [15], s’inquiète : « Elle va faire quoi, leur mettre une amende ? Les mettre en prison ? Leur arracher leur voile ? Il va forcément y avoir des accrochages et des situations qui vont dégénérer. »

Penchons-nous sur les votes des eurodéputé-es FN/RN [16] : elles/ils se sont opposé·es à la quasi-totalité des textes relatifs aux droits des femmes, qu’il s’agisse d’accès à la contraception et à l’avortement, d’éducation sexuelle, d’égalité professionnelle et salariale, de lutte contre les violences ou les stéréotypes de genre. On retrouve des positionnements similaires lors de plusieurs votes à l’Assemblée nationale [17]. MLP le justifie : « Au Parlement européen, l’intégralité des lois qui défendent les droits des femmes sont en réalité truffées de mesures pour aider les migrants et donc nous y sommes opposés ». Mieux vaut pénaliser toutes les femmes que d’aider les migrantes. On a donc une candidature qui se revendique féminine, mais qui est loin d’être féministe.

Marion Maréchal, alliée de Zemmour

Je ne m’attarderai pas sur Zemmour, accusé d’agressions sexuelles par huit femmes, et qui assume un antiféminisme totalement décomplexé, affirmant que « la virilité va de pair avec la violence, [que…] l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant ». Marion Maréchal affiche des positions très tranchées, et se dit antiféministe. En 2017, lors du débat à l’Assemblée sur le délit d’entrave numérique à l’IVG, elle s’en prend aux féministes de façon virulente : « La réalité c’est que vous êtes des féministes ringardes. Les dinosaures politiques d’un temps soixante-huitard révolu. » Et encore : « Vous êtes la honte du combat des femmes, obsédées par la couleur du cartable, le sexisme de la grammaire, le jouet rose des Kinder […] Complètement à côté de la plaque. » Ces sujets, jugés « à côté de la plaque » par Marion Maréchal, n’ont pourtant rien d’anecdotique quand on creuse un peu. Ils évoquent des pratiques qui renforcent et légitiment les mécanismes de pouvoir et de domination, les assignations et les injonctions faites aux filles et aux femmes dans un système de genre fortement bi-catégorisé. En septembre 2021, à l’invitation de Viktor Orban, elle participe au sommet de la démographie de Budapest et y tient un discours pour défendre la famille [18]. Sans commentaire.

Antiféminisme, alterféminisme, féminisme intégral

Parmi les satellites du FN on trouvait, jusqu’en 2018, le Cercle Fraternité qui « veut penser la place de la femme dans la société d’une part en s’affranchissant des stéréotypes idéologiques issus d’un féminisme de conflit et/ou d’indifférenciation, d’autre part en réaffirmant les droits des femmes occidentales face aux pressions de l’islamisme qui prospère dans des parties du territoire national de plus en plus importantes. Il s’agit d’affirmer la valeur de la femme comme mère et actrice de la vie sociale et économique ». Il se penchait notamment sur le « statut juridique et social de la mère de famille ». La mobilisation de La manif pour tous a été l’occasion pour les extrêmes droites et les réactionnaires, dont les catholiques traditionnalistes, de mettre en avant des femmes pour défendre la famille : Christine Boutin (Parti chrétien démocrate), Frigide Barjot, Ludovine de la Rochère (La manif pour tous), Béatrice Bourges (Printemps français), et Farida Belghoul (Égalité et réconciliation). Dans le sillage ont émergé un certain nombre de groupes féminins, souvent jeunes, comme les Antigones, les Caryatides, les Marianne pour tous, les Porteuses, les Belles et rebelles… Penchons-nous sur leurs manifestes.


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Les Caryatides, liées aux Jeunesses nationalistes et à l’Œuvre française, sont carrément d’inspiration pétainiste : « Nous nous inscrivons dans le cadre du combat nationaliste. […] Nous militons avec féminité, nous assumons avec fierté notre place de femme, nous militons en conséquence pour la France dans la droite ligne du nationalisme, mais aussi pour la vie, pour la famille, pour l’enfance, pour l’ordre moral, pour l’ordre naturel. » « Pour constituer une famille, il faut un père, une mère, un travail. Et l’ensemble des familles forme la communauté nationale. Tout cela est résumé dans la devise : Travail, Famille, Patrie ! » Toutefois, le discours de certains de ces groupuscules, habilement tourné, peut séduire des jeunes femmes. Par exemple, des textes des Antigones, liées aux Identitaires, ont été diffusés dans des réseaux de « développement personnel ». Elles se disent d’abord « filles de nos pères, épouses de nos maris, mères de nos fils » ; leur manifeste fait explicitement référence à la Nature : « Nous, Antigones, prônons la féminité pour les femmes : c’est notre nature cohérente et profonde. […] Les femmes ont une sensibilité différente, une volonté différente, des moyens d’actions différents de ceux des hommes. Ces différences sont une richesse à cultiver et cette altérité est féconde sur tous les plans. C’est pourquoi nous construisons notre démarche sur la complémentarité des sexes. Décidément, non, la femme n’est pas un homme comme les autres. »

En bref, ce qui relie la plupart de ces mouvements, c’est une conception essentialiste, qui assigne aux femmes un rôle social déterminé par la biologie, un rôle d’épouse et de mère, avec la mise en avant de la différence sexuelle et de la mythique « complémentarité des sexes », bien commodes pour légitimer les inégalités et la domination masculine ! Même son de cloche dans le Collectif alterféministe (2007-2010) : « Au lieu de se focaliser sur la rivalité entre les sexes comme le féminisme des années 60, l’alterféminisme propose le chemin de la complémentarité entre les sexes tout en réaffirmant les spécificités des femmes. Nous sommes les féministes de la féminité. L’équité signifie le respect des différences et la reconnaissance des capacités propres jusqu’à l’admiration mutuelle et une complémentarité féconde entre les sexes ». Les revendications du « manifeste pour un féminisme intégral » portent sans surprise essentiellement sur la maternité : rétablissement du foyer fiscal, allongement du congé maternité, institution de la diminution du nombre d’IVG en grande cause nationale, promotion de l’accompagnement social des futures mères… Ce texte a été popularisé au cours d’une soirée intitulée « Osez le féminisme intégral » en novembre 2017, soirée organisée par la revue Limite, en présence des essayistes Marianne Durano et Eugénie Bastié qui ont rédigé le manifeste, mais aussi de la sexologue Thérèse Hargot ou de la journaliste Natacha Polony. Elles dénoncent « les impasses de ce féminisme constructiviste qui déconstruit l’objet qu’il prétend défendre », rejettent le paradigme de la domination masculine qui enfermerait les femmes dans un statut de victime, et rencontrent un certain succès auprès de jeunes femmes de droite. Thérèse Hargot, qui prône le retour aux méthodes naturelles de contraception à travers des conférences s’apparentant à des stand-up, ponctués de blagues et d’anecdotes, a su donner un incroyable coup de jeune au vieux discours de l’Église sur le sujet.

Conclusion

On voit bien que sur les questions des droits des femmes aussi, le RN n’a qu’une apparence de modernité. Sa stratégie consiste à surfer sur l’actualité, à récupérer les polémiques et à détourner le sens des mots. Nul besoin de creuser bien loin pour confirmer que ces gens-là ne sont pas du côté de l’égalité des droits, ni de l’émancipation des femmes… L’extrême-droite est toujours du côté des dominants, CQFD. A nous de continuer à combattre cette imposture féministe, comme nous combattons son imposture sociale. A nous de débusquer les mensonges, de pointer les décalages et les incohérences, notamment entre les discours de Marine Le Pen et son véritable programme, de montrer la réalité de ses votes. A nous aussi de remettre en avant, sans relâche, nos fondamentaux de gauche, nos valeurs et nos revendications, et en particulier dans le domaine du féminisme et de l’antiracisme.


Cécile Ropiteaux


[1] Moyenne des trois scores enregistrés par BVA, l’IFOP et l’IPSOS.

[2] Voir entre autres les travaux d’acrimed.org

[3] Sondage IFOP, le 24 septembre 2020.

[4] Des paroles et des actes sur France 2, le 24 février 2022.

[5] Interview au Parisien, en 1996.

[6] Sciences Po, le 5 avril 2012.

[7] Itélé, le 27 novembre 2015.

[8] Mediapart, le 13 avril 2022.

[9] Livret M la sécurité.

[10] « Lettre aux Françaises », Le Figaro, 7 mars 2022.

[11] Des paroles et des actes, France 2, le 24 février 2012.

[12] Site du RN consulté le 8 avril 2022.

[13] À contre flots, Editons Grancher, 2006.

[14] Livret M la sécurité.

[15] Mediapart, le 9 avril 2022.

[16] Les Décodeurs (Le Monde), le 10 mai 2019.

[17] Mediapart, le 13 avril 2022.

[18] Wikipedia.


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