La lente avancée sociale du droit à la retraite, avant les reculs récents

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AU DÉBUT, LA RETRAITE N’EXISTAIT PAS

Sous l’ancien régime, la grande pauvreté à tout âge ne trouvait un secours que par la charité de celles et ceux qui en avaient les moyens et espéraient ainsi sauver leur âme. Ainsi, seigneurs, aristocrates, noblesse, clergé, église choisissaient leurs pauvres. Pauvreté, misère étaient un problème individuel, non collectif. Chaque personne âgée dans l’incapacité de travailler devait trouver de quoi subsister, soit avec l’aide des enfants, soit par la mendicité. La seule prise en charge collective concerne les plus nécessiteux, pour faire reculer l’envahissante mendicité et conduire la police des pauvres. Le grand bureau des pauvres, créé en 1544, ancêtre de l’Assistance publique actuelle, secourt les personnes âgées et les enfants des paroisses parisiennes, hospitalise les grands malades et les infirmes.

LES PREMIERS SYSTÈMES DE RETRAITE CONCERNENT DES CATÉGORIES PROFESSIONNELLES LIÉES A L’ÉTAT

En 1670, sous Louis XIV, Colbert met en place une retraite pour la marine de guerre, afin d’éviter que les marins formés n’aillent vendre leur savoir-faire à une marine ennemie qui paierait mieux : il fallait rester dans la marine française pour avoir droit à la retraite, la quitter revenait à renoncer à la retraite. C’était la première retraite par répartition au monde : dans la même année, les cotisations des officiers paient les retraites de la même année de tous les marins.

Les retraites s’étendent, d’autres systèmes se mettent en place dans certaines professions à l’intérieur desquelles tout le monde paie des cotisations puis reçoit une retraite, le régime spécial de l’Opéra de Paris en 1698, les employés des fermes générales (service des impôts) en 1768, les fonctionnaires en 1790, la Banque de France et la Comédie française en 1806, etc. La Révolution de 1789 met fin à la noblesse et à sa charité, l’assistance entre dans une nouvelle phase avec la volonté de mettre fin à la mendicité. L’idéologie de l’époque repose toujours sur une morale incitant chaque personne à épargner pour ses vieux jours, mais le principe de l’assistance apparaît. En 1853, les fonctionnaires bénéficient d’un régime de pension par répartition, géré par l’État, qui accorde la retraite à 60 ans et à 55 ans pour les travaux pénibles. La fidélisation des salarié.es par la mise en place d’une retraite continue, notamment dans les compagnies de chemin de fer à partir de 1850, puis le régime des chemins de fer en 1900.

Le 19e siècle voit une évolution de l’économie, l’industrialisation, la concentration ouvrière et une dure exploitation, la misère, de très mauvaises conditions de vie et de travail… Des sociétés de secours mutuel se mettent en place et sont gérées par des ouvriers volontaires, ancêtre du mouvement ouvrier, du syndicalisme.

LE DROIT À LA RETRAITE ENFIN RECONNU

La loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes représente une évolution historique. Avec le premier système de retraites obligatoires, la loi crée un droit nouveau, social, la retraite pour toutes et tous.  Il s’agit d’une rupture car, au-delà de l’existence de systèmes de retraite pour certaines professions, pour l’immense majorité des travailleurs, c’est la « prévoyance libre et volontaire » pour les personnes qui le peuvent, c’est l’obligation morale libérale de la liberté individuelle d’épargner pour plus tard. Pour celles qui ne peuvent pas économiser, c’est l’assistance, instituée officiellement par la loi de 1905, assistance aux plus démunis, aux faibles, aux invalides, infirmes et malades incurables, aux vieillards sans force qui doivent quémander et fournir une preuve d’indigence.

Mais ce progrès social a des limites, la République, c’est le citoyen, libre et indépendant, c’est une société portée par une philosophie, une morale, une éducation républicaine qui font de la retraite une question privée, une initiative personnelle. Si la notion de droit à la retraite pour tout le monde voit le jour dans la loi, c’est parce que la morale s’essouffle et ne suffit pas, sur 6 560 000 travailleurs, seulement 560 000 cotisent, laissant les autres dans la misère. Cette réalité frappe les esprits, l’indigence des vieux devient une injustice sociale et il faut la régler car l’insuffisance de l’assistance publique de l’État est devenue évidente. La loi a ses limites, imposée par les illusions dans le capitalisme par la majorité de la gauche qui explique que la loi retraite permet, non seulement de protéger les vieux jours, mais aussi de tempérer les comportements, pacifier les relations patrons employés, renforcer la concorde sociale, réconcilier capital et travail. C’est l’origine de la part salariale de la cotisation (celle qui réduit le salaire pourtant très faible) pour que l’ouvrier contribue ce qui est présenté comme une rupture avec la loi d’assistance. C’est aussi l’instauration d’un montant de pension suffisamment faible, égal au minimum indispensable à l’existence, afin de laisser la place à un nécessaire et souhaitable recours à l’épargne privée. C’est aussi le choix de la capitalisation qui permet d’alimenter une caisse dont le capital servira à prévenir la maladie, améliorer les logements … ou des travaux repoussés car non rentables. C’est aussi la croyance d’un capital qui ne risque pas d’être volé par les pouvoirs publics car il est protégé par le droit bourgeois de la propriété et du crédit.

A l’inverse, la CGT refuse une cotisation ouvrière qui réduit le salaire, intègre la classe ouvrière dans l’exploitation qu’elle dénonce, transforme l’ouvrier en actionnaire qui voudra faire de bons placements et faire fructifier son placement. La CGT préconise un impôt spécial, un contrôle et une administration par les assurés, l’extension de cette assurance au chômage et à l’invalidité. Ces débats d’il y a un siècle conservent une certaine pertinence aujourd’hui pour préciser le modèle de retraite que nous voulons. La loi a imposé trois parts de cotisations, salariale, patronale, état pour garantir sa pérennité, mais si la loi rend théoriquement obligatoire la cotisation, des jurisprudences permettent au patronat de ne pas cotiser. De fait, la loi sera peu appliquée. La loi accorde la retraite à 65 ans, la CGT parle de « retraite aux morts » car l’espérance de vie de 50 ans ne permet qu’à 8 % de vivre jusqu’à 65 ans. A 65 ans, 3,2 % des ouvriers et 1,7 % des employés sont encore au travail.

LA PROGRESSION DE LA RETRAITE PAR RÉPARTITION

L’évolution économique fait bouger l’idéologie. La crise de 1928 vide les caisses par capitalisation, mais le gouvernement de Front populaire de 1936 ne fait rien. Les quatre dévaluations depuis 1936 donnent le coup de grâce aux retraites et aux systèmes par capitalisation. Le régime de Vichy en octobre 1940 met en place une retraite par répartition, l’argent des cotisations ne passe pas par les marchés financiers mais est aussitôt distribué sous forme de pensions. Ce système s’impose malgré la mobilisation des mutuelles qui défendent la capitalisation et « l’aspect moral de l’épargne ». Il assure une pension égale à 40 % du salaire à 65 ans. Parallèlement, le niveau très faible des pensions et la nécessité de diminuer le fort taux de chômage incitent Vichy à mettre en place en mars 1941 un minimum vieillesse pour les 65 ans et plus, non cumulable avec un emploi, pour les personnes qui ne travaillent pas, les plus âgées et les inaptes. C’est notre minimum vieillesse, devenu AVTS, Allocation aux vieux travailleurs salariés.

NOS SYSTÈMES ACTUELS DE RETRAITE

Le rapport de forces de 1945 permet d’imposer le programme du CNR, Conseil National de la Résistance. C’est la création de la Sécurité sociale, répondant au besoin de protection sociale après la guerre, avec une branche vieillesse, dans un pays en reconstruction manquant de moyens. La retraite par répartition est accordée à 60 ans avec seulement 20 % du salaire des 10 meilleures années si 30 ans de cotisation et une incitation à partir à 65 ans avec 40 % du salaire (ajout de 4 % par an pendant 5 ans). Ce système met en place les solidarités, notamment par des droits spécifiques aux mères. Il n’est pas généralisé car les régimes spéciaux veulent se maintenir pour continuer d’attribuer une meilleure retraite. Il s’améliore petit à petit par une solidarité entre les différents régimes, ceux qui sont en difficulté du fait du faible nombre de cotisants par rapport au nombre de personnes en retraite bénéficient d’un transfert financier de la part des régimes ayant de nombreux cotisants.

Le régime de base du privé s’appuie sur une cotisation pour la partie de salaire inférieure à 3 300 € par mois (1 plafond de la Sécurité sociale), le patronat refuse depuis 1945 un seuil plus élevé. En 1947, une retraite complémentaire se met en place pour les cadres, l’AGIRC, et en 1961, l’ARRCO pour tout le privé. Ces 2 complémentaires sont des régimes par répartition, à points. Une régression impose en 1971 l’augmentation de la durée de cotisation, qui passe de 30 à 37,5 ans pour obtenir le taux plein (75 % du salaire pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux ; 50 % pour le privé, le complément de 25 % étant assuré par la complémentaire obligatoire) dans une période de difficultés démographiques de plusieurs régimes (mineurs…).

L’année 1982 voit la dernière mesure positive, la retraite à 60 ans. A l’époque, la retraite de base du privé, celui des fonctionnaires et des régimes spéciaux, se calcule avec deux éléments :

  • la durée de cotisation à 37,5 ans permet de toucher le taux plein, sinon la pension est en proportion de la durée validée,
  • le salaire « porté au compte », les 10 meilleures années du privé ou le dernier du public. C’est une mesure de solidarité qui élimine du calcul les mauvaises années aux salaires plus faibles.

La pension est égale au salaire porté au compte x taux plein x durée validée de cotisation / durée exigée.

DEPUIS 1986, LES RÉGRESSIONS SOCIALES SONT IMPOSÉES ET SE CUMULENT

Diviser pour mieux régner… Les gouvernements ont imposé des régressions sociales au privé en 1994, aux fonctionnaires en 2003 puis aux régimes spéciaux en 2008. Tout le monde ayant perdu, 2010 et 2013 imposent de nouvelles régressions à tous les régimes.

A chaque fois, les mêmes mécanismes sont utilisés :

  • Particularité pour le privé dont le salaire pris en compte est calculé sur les meilleures années : ajout de 15 années plus mauvaises dans le calcul, en prenant en compte 25 années au lieu de 10. Régression supplémentaire, les anciens salaires entrant dans le calcul sont dévalorisés car ils ne sont indexés que sur l’inflation et non plus le salaire moyen qui augmente environ de 1 % en plus. Le salaire d’il y a 20 ans, vaut 20 % de moins !
  • Augmentation de la durée de cotisation pour le taux plein, dans un premier temps de 37,5 à 40 ans pour chaque régime (lois de 1994, 2003, 2008) puis augmentation automatique dans la loi de 2003, avec un partage de l’augmentation de l’espérance de vie, à raison d’environ 2/3 en durée de cotisations et 1/3 en durée de retraite. Nous en sommes à près de 42 ans et les 43 ans sont programmés. Cette augmentation diminue automatiquement la pension. Pour une durée validée de 37,5 ans, la pension est de 75 % si la durée est de 37,5 ans (salaire x 75 % x 37,5 / 37,5) et de 65,4 % pour une durée de 43 ans (salaire x 75 % x 37,5 / 43), la baisse est importante !
  • Invention de la décote (et surcote pour inciter à repousser le départ en retraite) de 5 % par an avec un maximum de 25 %, une double peine pour les personnes n’ayant pas atteint la durée de cotisation exigée pour le taux plein. Pour les deux exemples ci-dessous, la pension est de 75 % du salaire si la durée est de 37,5 ans, de 49 % si la durée est de 43 ans (les 65,4 % moins 25 %). A noter que la décote ne s’applique pas aux personnes qui acceptent de partir 5 ans plus tard, à l’âge pivot de 65 (maintenant 67) ans. Ne pas partir en retraite ne veut pas dire rester au travail, la moitié des personnes ne sont plus au travail à 60 ans.

D’autres mesures permettent d’augmenter les recettes et/ou de diminuer les dépenses :

  • Le recul du départ en retraite de 60 à 62 ans a pour conséquence de faire cotiser plus longtemps les personnes qui sont encore au travail et de payer les pensions pendant deux années de moins.
  • La moindre revalorisation des pensions : avant, les pouvoirs d’achat des pensions et des actifs progressaient en même temps, la pension augmentait comme le salaire moyen ; les lois de 1994, 2003 et 2008 ont imposé la fin de la solidarité intergénérationnelle, une revalorisation des pensions au même rythme que l’inflation (indice Insee) soit 1 % de moins en moyenne par an que le salaire moyen. En 20 ans, la pension vaut 20 % de moins.

Le gouvernement Macron a fait pire en 2018, il a gelé les pensions et augmenté la taxe CSG de 25 %, ces deux mesures cumulées ont diminué la pension de 1,7 %.

  • Et des mesures fiscales diminuent le revenu de certains retraité.es : suppression de la « ½ part fiscale aux veuves », fiscalisation du supplément de 10 % de la pension des personnes ayant élevé 3 enfants.

L’ampleur des régressions a été mesurée dans le « rapport Moreau » de 2013 sur l’avenir des retraites, rapport qui a servi de base aux mesures du gouvernement. L’impact cumulé des réformes, entre 1993 et 2050, le poids des retraites (à nombre des retraité.es inchangé) dans le Produit intérieur brut (PIB) serait divisé par plus de 2, en passant de 13,5 % en 2013 à 7 % en 2050. Il faudrait y ajouter les mesures imposées après 2013. Bien sûr, l’augmentation du nombre de personnes retraitées d’ici 2050 pèse dans l’autre sens et augmente la part des retraites dans le PIB, les 2 effets s’annulent et cette part dans le PIB reste stable. Ce qu’il faut retenir, c’est la diminution par 2 des pensions à « stock » des retraité.es inchangé : si un ou une retraité.e partant en 2050 calculait sa pension en appliquant les règles d’avant 1993, cette pension serait le double de celle qui lui est attribuée ! La régression est énorme ! Elle ouvre la voie à une critique des systèmes actuels et à la mise en place d’un autre système, à points, présenté comme meilleur.


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Patrice Perret

est un des secrétaires de l’Union nationale interprofessionnelle des retraités et retraitées Solidaires (UNIRS). Cheminot retraité, auparavant, il a notamment été secrétaire national de la FGTE/CFDT, puis de SUD-Rail et Solidaires