Le grève de 2016 dans le secteur ferroviaire

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En juin 2016, la grève nationale dans le secteur ferroviaire a duré deux semaines. Sur quelques Régions, le mouvement reconductible a duré de mi-mai à mi-juin. Mais surtout, de nombreux grévistes cumulaient une dizaine de jours de grève, et donc de retenues sur la paie, avant même l’appel national interfédéral ! Petit retour sur ce mouvement, entamé en réalité depuis le mois de mars.

10 jours de grève avant la grève : pourquoi ?

C’est le résultat d’une tactique syndicale consistant à multiplier les journées de grèves dites « carrées ». C’est-à-dire limitées dans le temps par la consigne et le préavis syndical, au détriment d’un mouvement reconductible où les Assemblées Générales décident chaque jour des suites.

Le 31 mars, puis dans la séquence 26-28 avril, des syndicats locaux SUD-Rail, quelques fois FO et marginalement CGT, ont tenté de déborder ces appels à une journée de grève isolée ; sans succès en dehors de quelques localités. Mi-mai, la fédération CGT décidait de grèves « rectangulaires » de 48 heures à une semaine d’intervalle (18/19 mai, 25/26 mai,…), toujours en ignorant les assemblées générales de grévistes. Cette fois, les fédérations SUD-Rail et FO appelaient à reconduire ; cela se fit dans trop peu d’endroits, mais contribua à alimenter les débats sur la faisabilité d’un tel mouvement. Finalement, grâce à celles et ceux qui avaient déjà « osé », ce sont 5 fédérations qui appelaient à la grève à compter du 31 mai au soir.

Les grèves de 24 heures, comme n’importe quelle forme d’action revendicative, ont leur utilité ; tout dépend du contexte et notamment du sujet, du rapport de forces, du processus dans lequel on se situe, etc. Elles peuvent contribuer à construire un mouvement plus long, ultérieurement. Mais personne ne peut croire qu’elles suffisent pour gagner l’abandon du projet de loi Travail et les revendications syndicales des cheminots et cheminotes en matières de temps et organisation du travail. Dès lors, n’y a-t-il pas matière à s’interroger lorsqu’on les répète ainsi pour différer sans cesse le mouvement reconductible et faire en sorte qu’une partie des grévistes soit déjà affaiblie au premier jour du mouvement reconductible ? Et pourquoi attendre des journées de grève moins fortes pour proposer la reconduction quand cela était refusé précédemment alors que le taux de gréviste permettait de démarrer dans de meilleures conditions ?

Faire l’heure…

C’était une des règles d’or du chemin de fer. Ce n’est pas l’objet de ce texte que d’expliquer pourquoi les retards sont quasiment devenus la norme. Mais « faire l’heure » pourrait aussi s’appliquer à la grève ? « Avant l’heure, c’est pas l’heure et après l’heure c’est plus l’heure ». Une des questions que se posent les grévistes est de savoir à quel point a pesé le fait de partir si tard dans la grève reconductible, alors que bien des conditions semblaient meilleures auparavant : nombre de grévistes plus importants, moins de retenues financières pour chacun et chacune, dynamique interprofessionnelle plus présente, etc. Ces éléments sont essentiels mais on peut y ajouter la moindre pression de l’Euro de football ; certes, pour une partie de grévistes, il fut au contraire perçu comme une menace dont on pouvait user. Mais, d’une part cela ne concerne que celles et ceux qui exercent un métier directement lié à la circulation des trains et seulement pour les villes où il y avait des matchs, et surtout, force est de constater que, quoi qu’on en pense, cette proximité pèse dans certains positionnements syndicaux et ce n’est pas une surprise. Tout le monde savait qu’attendre l’Euro renforcerait la volonté d’en finir au plus tôt par exemple de la fédération CGT.

L’absence d’appel fédéral SUD-Rail à un mouvement reconductible, tant le 31 mars que fin avril, a différé la pression mise sur la fédération CGT pour qu’elle consente à abandonner les innombrables grèves « carrées ». Plus grave peut être, elle ne donnait pas de point d’appui aux syndicats CGT qui s’étaient déjà positionnés pour un tel mouvement ; elle renvoyait aux yeux de tous et toutes, CGT et SUD-Rail dos à dos puisqu’aucune des deux organisations n’appelait à la grève reconductible.

Chambéry : construire la grève, parfois ça prend du temps…

chambery

Dans la suite de plusieurs mouvements organisés sur la région ces dernières années (grève des contrôleurs et contrôleuses, grèves interservices lors de périodes de fort trafic) et fort de l’expérience de précédents conflits nationaux, le syndicat SUD-Rail de la Région de Chambéry s’est placé dans la perspective d’une grève nationale reconductible dès le 9 mars. Il faut être attentif à ce qui se dit et se passe dans chaque lieu de travail, être capables de sentir que « c’est le moment » parfois plus tôt qu’on ne l’envisageait. Mais en règle générale, nous avons besoin de temps pour préparer de bonne façon une grève illimitée : le temps d’expliquer, de débattre, de convaincre, de donner aux collègues suffisamment d’assurance pour qu’ils et elles se sentent prêts ; aussi, celui de peser sur les lourdeurs bureaucratiques de certaines forces syndicales. Il y a d’ailleurs une interaction entre ces deux moments. C’est pour cela que dès le mois de mars, des réunions de militants et militantes furent régulièrement organisées, des bulletins syndicaux « La grève » ont publiés sur la région, des propositions ont été publiquement faites aux autres syndicats, etc. Sans relâche, comme bien d’autres équipes syndicales bien entendu, nous avons labouré le terrain ! C’est ce qui nous a permis de rendre crédible la possibilité d’un mouvement reconductible dès le 31 mars, tout en ayant conscience que les conditions n’étaient alors pas remplies pour qu’il démarre. Mais ne pas l’organiser et le proposer à l’occasion des journées nationales de grève, c’était perdre à chaque fois plusieurs semaines pour passer le cran supplémentaire ; avec des conséquences, tant pour notre combat dans le secteur ferroviaire que pour la lutte interprofessionnelle contre le projet de loi Travail. Cette constance et la cohérence de notre politique furent des atouts importants dans nos rapports avec la CGT, dont plusieurs équipes locales se retrouvaient au fil du temps sur nos positions malgré le blocage de la fédération et du secteur régional. Mais de 2016, nous avons aussi appris la difficulté de gérer le décalage par rapport au positionnement fédéral ; il n’est pas simple pour les équipes militantes de différer plusieurs fois le départ de la grève.

Construire la grève avec des syndicats qui y sont opposés, est-ce utile ?

Fin mai, outre CGT, SUD-Rail et FO, les fédérations UNSA et CFDT étaient donc aussi sur l’affiche. Et c’est un des soucis rencontrés dans ce mouvement depuis le mois de mars : pour quelles raisons la fédération CGT a-t-elle privilégié l’unité avec l’UNSA et la CFDT ? Le mouvement portait sur deux sujets essentiels : les revendications professionnelles autour de la réglementation du travail d’une part, le rejet du projet de loi Travail d’autre part. Sur le premier point, nul besoin de syndicatologues pour savoir que CFDT et UNSA se satisferaient de peu ; mais il est vrai que plus l’unité syndicale est large, plus les salariés sont en confiance ; la tentative de plate-forme revendicative commune était donc judicieuse. On verra plus loin que, pour ces organisations syndicales, si la signature avec les patrons et le gouvernement est une seconde nature, le respect de la parole donnée entre syndicalistes a disparu des gênes. Sur le second point, la lutte contre le projet de loi Travail, pourquoi se lier à la CFDT et à l’UNSA ? C’est pourtant ce qu’a fait la fédération CGT. Notamment fin avril ; alors qu’une nouvelle journée nationale de grève et de manifestations était décidée pour le 28 par l’intersyndicale interprofessionnelle (CGT, FO, Solidaires, FSU), la fédération CGT des cheminots imposait une grève le 26, en s’appuyant sur l’UNSA et la CFDT. Cela brisait net la possibilité d’un mouvement reconductible à compter du 28 qui aurait donné un élan à la lutte interprofessionnelle contre le projet de loi Travail. Les fédérations SUD-Rail et FO se rallièrent à l’appel au 26, mais proposèrent à la CGT de construire, dans les faits, la convergence des luttes par une grève démarrant le 26 et faisant la jonction avec le mouvement interprofessionnel à compter du 28. Refus. Les fédérations syndicales opposées au projet de loi Travail ont donc trainées celles qui soutiennent cette régression sociale, jusqu’au démarrage de la grève reconductible, fin mai. Avant que ces dernières n’abandonnent les grévistes, dès le premier jour pour la CFDT, dès le deuxième pour l’UNSA, satisfaites d’avoir introduit des morceaux de projet de loi Travail dans les accords signés avec le patronat du secteur ferroviaire !

Il faut savoir arrêter … de parler pour ne rien dire

Ministres, patrons du secteur ferroviaire, dirigeants de la SNCF, Président de la république, et « experts » grassement rémunérés par les médias pour ramener leur grain de sel sur tout et n’importe quoi…, tous s’accordaient sur un point après les « négociations » du lundi 6 juin, rabâché à la télévision, à la radio, dans les journaux et par la communication interne SNCF : « maintenant les conditions sont remplies pour que la grève s’arrête » (ce qui ne fut nullement la cas). Ils oubliaient de rappeler qu’ils disaient la même chose la veille, l’avant-veille, trois jours avant, etc. Et à chaque grève ! Au nom de quoi prétendent-ils dicter aux grévistes les décisions à prendre pour leur grève ? Quand nous ont-ils dit « les conditions sont remplies pour démarrer la grève », avant d’ainsi juger qu’il faudrait dorénavant l’arrêter ?

Pour autant, à l’heure des bilans, il faut mentionner l’attitude du gouvernement, du patronat du secteur ferroviaire et de la direction SNCF. Tous ont utilisé l’UNSA et la CFDT pour diviser les salariés : en organisant des réunions-alibis avec de pseudo avancées censées justifier leur retrait de la grève, en les invitant à des réunions interdites aux autres organisations syndicales ou encore en faisant la promotion de leurs écrits notamment auprès du personnel d’encadrement. Sous l’égide de Guillaume Pepy, la direction SNCF en a rajouté : menaces envers les grévistes, exploitation éhontée des inondations, trucages des chiffres de grévistes, etc. Et pour finir, une note de la Direction des Ressources Humaines intimant l’ordre de réaliser toutes les retenues de grève sur la paie de juin et interdisant tout étalement. Constatant que les « concessions » faites à l’UNSA et à la CFDT, puis lors de la réunion du 6 juin, étaient prises pour ce qu’elles étaient par les grévistes qui n’ont pas été dupes, Guillaume Pepy a tenté de les survaloriser encore plus. Ce fut l’épisode de sa menace de démission…. Vite oubliée, faute d’avoir l’assurance d’un nouveau point de chute !

Depuis des années maintenant, pour la Direction SNCF la ligne est « pas de négociation dès lors qu’il y a appel à la grève ». Outre que cette position est réactionnaire et idiote, elle est … contraire aux règlements écrits par la même Direction SNCF ; à l’exemple du RH 826 « Maintenir la concertation pendant la grève : […] pendant toute grève et afin de chercher toute voie de compromis possible, la direction de l’établissement maintiendra le contact avec les organisations syndicales signataires du préavis ». Peut-être devrions-nous parfois être plus exigeants vis-à-vis de nos patrons pour qu’ils respectent leurs textes ?

Le début, la poursuite ou l’arrêt de la grève, c’est l’affaire des grévistes

C’est pour cela que la tenue d’assemblées générales est décisive : organisées sur chaque lieu de travail, regroupant les collègues qui se côtoient tout au long de l’année, elles permettent à chacun et chacune de s’exprimer, de proposer, de décider. Le rôle des syndicats ne disparait pas pour autant ; il est normal que les syndiqués se réunissent, analysent le résultat des négociations lorsqu’il y en a, l’état du rapport de forces, les perspectives d’extension ou non, les liens avec les autres secteurs professionnels… A partir de là, tout comme elles ont appelé initialement à la grève, les organisations syndicales appellent à poursuivre ou cesser le mouvement. Et les A.G. de grévistes décident.

Il arrive parfois que, plutôt que d’assumer un appel à cesser la grève, un syndicat choisisse de ne plus donner son avis sur la suite. Ce syndicat, qui durant deux mois refusait le principe même des A.G. pour imposer des journées de grèves isolées successives, prétendra alors ne plus parler de reconduction ou non du mouvement « car c’est aux A.G. de décider » ! On verra alors ses bastions, les sites où l’organisation syndicale en question est la plus forte, reprendre le travail ; ce qui permet le lendemain d’annoncer ces reprises ailleurs, avec les effets négatifs qu’on imagine sur le moral des grévistes ; donc d’autres arrêts de grève, et ainsi de suite jusqu’à la mort du mouvement dont les mêmes ne manqueront pas, bien entendu, de dire qu’il convient « d’en être très fier » même si force est de « constater qu’on doit maintenant le suspendre ». Très important, ça : « le suspendre », pas « l’arrêter » hein… C’est pareil ? Oui, mais toujours, celles et ceux qui veulent faire cesser une grève, proposent de la suspendre.

Sans surprise, c’est ainsi que cela s’est passé en juin dernier à la SNCF. Cela renvoie, certes seulement en partie (il y a rarement une seule explication à un problème) mais de manière décisive aux réalités des Assemblées Générales, aux pratiques syndicales vis-à-vis d’elles.

1986/2016 : 30 ans pour affaiblir les A.G. ?

La pratique des Assemblées Générales quotidiennes durant une grève semble aujourd’hui la pratique « normale » à la SNCF (et dans beaucoup de secteurs professionnels). Il n’en n’a pas toujours été ainsi. Après 1968, les bureaucraties syndicales ont peu à peu repris la main, avec le souci de cantonner les mouvements à du revendicatif à court terme, le reste étant renvoyé vers les aléatoires succès électoraux de « la Gauche ». Cela passait par l’absence de démocratie dans les luttes, pour éviter que les travailleurs et les travailleuses ne soulèvent trop de questions. Les délégué-es annonçaient la grève puis la fin de la grève, et voilà tout ! C’est lors de la grève de 1986 que les Assemblées Générales sont devenues la règle, et ce ne fut pas sans affrontement avec la majorité des militants et militantes CGT.

Aujourd’hui, il en est des A.G. comme de l’indépendance syndicale : tout le monde est pour, surtout celles et ceux qui sont contre ! Plus personne n’oserait combattre le principe des A.G. lors des grèves. Mais certains et certaines, se considérant comme l’avant-garde éclairée de la classe ouvrière, les détournent totalement, leur ôtent tout leur sens. Cela recouvre des forces politiques qui s’opposent par ailleurs, mais se retrouvent dans la pratique, celle qui consiste à vouloir « diriger » les luttes. Notre conception est tout autre : nous voulons contribuer à l’animation des luttes pour leur donner toute leur autonomie.

L’Assemblée Générale doit être le lieu de décision : il faut donc que chaque participant et participante disposent des informations lui permettant d’apprécier la situation, le rapport de forces, les perspectives, etc. L’essentiel de l’information doit être donnée à tous et toutes avant l’A.G., par exemple autour des piquets de grève. Les bulletins de grève, réalisés par des collectifs syndicaux ou le comité de grève, sont indispensables. Ne pas en rédiger, ne pas en distribuer, c’est faire le choix d’avoir des A.G. captives. Nous voulons des A.G. informées et ainsi qui débattent en connaissance de cause.

L’Assemblée Générale doit être organisée de telle manière que chaque participant et participante s’y sente à l’aise pour parler, proposer une idée, etc. Sauf à préférer organiser, non pas des A.G. mais des meetings où on vient écouter les délégué-es puis simplement voter pour ou contre la suite de la grève. Le choix du nombre et du découpage des A.G. est donc loin d’être anodin, il a une répercussion politique immédiate : les collègues parlent plus facilement lorsqu’ils et elles sont avec des gens qu’ils et elles connaissent. Comme pour la section syndicale, la base de l’A.G. doit être le collectif de travail qui est au plus près des cheminots et des cheminotes : dans des sites importants, c’est souvent le service, le chantier, ailleurs ce sera l’ensemble des salarié-es du site parce que faire par service ou chantier amènerait à des chiffres ridicules. Vouloir imposer un seul modèle d’A.G. sans tenir compte des réalités locales relève du dogmatisme. Notre syndicalisme doit être vigilant à défendre et pratiquer cette démocratie ouvrière.

L’efficacité réelle d’une A.G. est liée à sa représentativité. Une A.G. de service qui rassemble 75% des grévistes est bien plus utile pour construire l’auto-organisation des luttes qu’une A.G. dite interservices qui ne réunit même pas un nombre égal à celui des délégué-es des organisations syndicales appelant à la grève !

La coordination des A.G. est nécessaire, mais c’est aux A.G. de la décider et de la mettre en œuvre, pas à une « avant-garde » ! L’auto-organisation commence par l’auto-organisation des Assemblées Générales : aux grévistes de décider s’ils et elles ont besoin de commissions ou d’un comité d’animation préparant les actions, le repas ou les tracts, s’ils et elles ont besoin d’un comité de grève pour coordonner l’activité, etc. Ou s’ils ont les moyens de discuter et décider de tout en A.G. Il en est de même pour la coordination nationale : ce sont les grévistes en A.G. qui doivent la décider. Lorsqu’une fraction politique prétend l’imposer, c’est le meilleur moyen de faire en sorte que ça n’existe pas en réalité, au-delà de quelques personnes qui prétendent « être la base », sans le moindre mandat collectivement décidé.

Paris-Est, une auto-organisation décisive dans l’animation de la grève

Assez paradoxalement, l’absence d’appel de la fédération CGT à reconduire la grève dès le 18 mai a laissé le champ libre à des assemblées générales où chaque gréviste a pu prendre toute sa place. Sur la Région de Paris-Est, la grève a ainsi été reconduite quasi-quotidiennement du 18 mai au 16 juin par des assemblées générales qui rassemblaient un nombre insuffisant de grévistes mais qui ont permis une prise en main de leur mobilisation par ceux-ci, inconnue depuis bien des années sur la Région ; des assemblées générales où chacune et chacun peut s’exprimer librement, qui réalisent des banderoles, qui impulsent des manifestations en gare, qui élaborent des tracts d’information et de mobilisation à destination des collègues non grévistes, qui impulsent des tournées syndicales notamment dans les services les moins mobilisés, des diffusions de tracts auprès des voyageurs, qui mettent en place des outils de solidarité concrète comme des caisses de grève… Le syndicat SUD-Rail de Paris-Est s’est pleinement impliqué dans cette dynamique. Tout cela a indéniablement permis à ce mouvement de tenir dans la durée. A partir du 1er juin, lorsque la fédération CGT a enfin rejoint la grève reconductible et décidé de participer aux A.G. elle a dû prendre place au sein d’une mobilisation déjà lancée dans laquelle des militants et militantes, syndiqués ou non, animaient ensemble leur grève depuis plus d’une dizaine de jours et qui ont gardé toute leur place jusqu’à la fin du conflit !

Le secteur ferroviaire en grève ?

Cela fait bien longtemps que le secteur ferroviaire ne se limite pas à la SNCF1. Le mouvement social du premier semestre 2016 met une nouvelle fois en exergue les faiblesses syndicales sur ce plan. Des pans entiers sont restés en marge de la grève reconductible et n’ont quasiment pas participé aux journées interprofessionnelles : nettoyage ferroviaire, restauration ferroviaire, maintenance ferroviaire privée, services en gare privés, … Dans les entreprises privées de transport ferroviaire, si la grève fut une réalité par exemple chez SFERIS, ce ne fut pas le cas dans la plupart des sociétés. Pourtant, aussi bien le projet de loi Travail que la bataille sur la convention collective ferroviaire concernait l’ensemble des travailleurs et travailleuses du rail.

Les raisons de la grève (1) : le décret sur l’organisation et le temps de travail dans le secteur ferroviaire

Auparavant, un décret ministériel reprenait la réglementation du travail applicable à la SNCF. Les grévistes demandaient que le nouveau décret, désormais applicable à l’ensemble des entreprises de transport ferroviaire, soit de même nature, basé sur les textes réglementaires de l’entreprise historique2, qui sont le fruit de l’expérience (et qui sont améliorables car les fédérations syndicales de cheminots ont depuis longtemps des revendications sur ces sujets). Il y a 10 ans, lors des prémices de la privatisation partielle du transport ferroviaire, toutes les organisations syndicales défendaient cette position ; elles le firent notamment durant l’été 2006 à l’occasion de réunions avec le ministre des transports ; un communiqué commun CGT, CFDT, FO, CFTC, SUD-Rail, UNSA, CGC, FGAAC du 20 juillet 2006 indique par exemple : « Un décret existe déjà pour réglementer le travail des salariés du secteur ferroviaire (décret 99-1161, modifié le 4 janvier 2006). C’est unanimement que les organisations syndicales demandent au Ministère des Transports d’étendre ce décret à l’ensemble des personnels de transport ferroviaire ». Tout aussi unitairement, elles enfonçaient le clou un mois plus tard : « Publier une multitude de réglementations institue des inégalités sociales et crée les conditions d’une concurrence déloyale en initiant un dumping social contraire à la conservation d’un haut niveau de sécurité des circulations ». « L’application d’une seule réglementation du travail, à partir de la plus favorable, commune à l’ensemble des salariés du secteur du transport ferroviaire est gage d’efficacité et de progrès social défendu par l’ensemble des organisations syndicales ». On ne peut s’empêcher d’ajouter cet autre extrait, ô combien d’actualité 10 ans plus tard, au regard de l’article 2 du projet de loi Travail et de l’article 49 de l’accord d’entreprise SNCF : « Les projets de décrets dans leurs articles ne doivent pas comporter des possibilités de dérogation par accord collectif ou d’entreprise ».

Au fil du temps, les positions de la plupart des organisations syndicales se sont « assouplies ». Durant le récent mouvement, la fédération CGT a rapidement abandonné cette revendication, théorisant même durant quelques semaines le fait qu’un décret reprenant in extenso l’ex-réglementation du travail SNCF3 serait un avantage pour les entreprises privées !

Désormais, le décret ministériel applicable dans l’ensemble des entreprises de transport ferroviaire4, ne reprend que certains points, laissant l’essentiel au bon vouloir des patrons du secteur pour la convention collective, de la SNCF pour ce qui est des accords spécifiques.

Les raisons de la grève (2) : la convention collective nationale

La négociation de la convention collective pour la branche ferroviaire a débuté il y a deux ans et demi. Un premier accord fut signé en 2015 à propos du champ d’application ; initialement, toutes les organisations syndicales demandaient que celui-ci couvre tout le secteur. CFDT, UNSA et CFTC ont accepté la version patronale qui exclue des dizaines de milliers de salariés : une partie des ateliers ferroviaires, le nettoyage ferroviaire, les services en gares, la restauration ferroviaire, une partie de la maintenance des voies, etc. Couvrir l’ensemble du secteur était indispensable pour éviter le dumping social. SUD-Rail, FO, et CGC ont dénoncé cet accord, mais il est demeuré valide car la CGT n’a pas voulu faire de même.

Au printemps 2016, la délégation patronale a décidé que les négociations sur le chapitre concernant l’organisation et le temps de travail étaient terminées. Le texte qui a été soumis à signature des fédérations syndicales comprend des dispositions, parfois meilleures que les règles actuellement en vigueur pour les 5 000 salariés d’entreprises de transport ferroviaire privées mais souvent inférieures à celles régissant les conditions de travail des 150 000 cheminots et cheminotes de la SNCF. Elles ne s’appliqueront pas aux dizaines de milliers de travailleurs et travailleurs du secteur exclus du champ de la convention.

Comme pour le champ d’application en 2015, les fédérations UNSA, CFDT et CFTC ont signé cet accord avec l’UTP. Comme en 2015, les fédérations SUD-Rail, FO et CGC ne l’ont pas signé et ont usé de leur droit d’opposition. Et comme en 2015, la fédération CGT ne l’a pas signé, mais ne s’est pas opposé à sa mise en œuvre, le rendant ainsi valable. Il est vrai que dès le 3ème jour de la grève, la fédération CGT s’était rendue seule au ministère et au siège de la SNCF pour négocier en dehors de tout mandat des Assemblées Générales et sans information préalable des autres fédérations soutenant la grève.

Les raisons de la grève (3) : l’accord d’entreprise à la SNCF

Le troisième volet, c’est l’accord d’entreprise à la SNCF, dont les médias ont beaucoup parlé après le lundi 6 juin et les 19 heures de réunion censées prouver que c’était une bonne négociation. Mais si on s’en tient aux préoccupations des grévistes, il faut dire que ni cette négociation du 6 juin survendue par la CGT, ni bien sûr les précédentes, promotionnées par l’UNSA et la CFDT, ne sont bénéfiques pour les cheminots et les cheminotes : le résultat est plus mauvais que l’ancienne réglementation du travail SNCF, sur laquelle les fédérations syndicales avaient pourtant déjà bien des revendications !

Les articles 6 et 26 accentuent la flexibilité qui était déjà une caractéristique majeure de la réglementation du travail à la SNCF : « les agents pourront être informés de la modification de la succession des journées de service et des repos au plus tard 24 h avant le début du jour concerné et de la modification de leurs heures de travail au plus tard 1 h avant ».

L’article 25 va faire sauter de nombreux roulements 3×8 dans les postes d’aiguillage, en multipliant les journées de journées de travail allant jusqu’à 9h23 d’amplitude.

L’article 26 augmente la durée de travail effectif possible d’une journée de service : elle passe de 9h30 à 10h pour le personnel sédentaires, de 9H à 10 h pour les contrôleurs et contrôleuses, de 9H à 9h30 pour les agents de conduite des trains.

Les articles 37 et 38 permettent de délocaliser les prises de service notamment à l’Equipement.

Les articles 4 et 44 permettent de ne pas appliquer la réglementation du travail des roulants à tout un tas de cheminots et de cheminotes qui font pourtant un travail de ce type : les conducteurs de manœuvre, les conducteurs de tram-trains, les conducteurs de navette (dont la distance peut être portée jusqu’à 200 kilomètres).

Surtout il y a « l’innovation » de l’article 49 : « En vue de permettre d’établir des conditions de travail répondant aux aspirations du personnel, ou pour tenir compte des spécificités de la production, les roulements de service, tableaux de service et tableaux de roulement peuvent être modifiés au plan local, en aménageant certaines limites fixées par le présent accord. A cet effet, le chef d’établissement est habilité à réaliser de telles modifications ». Ce ne sont pas les conditions mises qui empêcheront les dérives : « Les modifications apportées aux roulements de service (…) doivent respecter au minimum les stipulations de la convention collective nationale de la branche ferroviaire. Les modifications sont validées par la majorité en nombre des organisations signataires du présent accord. Des dispositions de compensations en temps et/ou en rémunération sont prises au bénéfice des salariés concernés ».

L’article 49 permet à la direction SNCF, établissement par établissement, de ne rien respecter du contenu des 48 articles qui précèdent ! Seule condition : recueillir l’aval d’une majorité5 des organisations syndicales signataires du dit accord… Unique changement après les 19 heures de réunion du 6 juin : il faudra aussi prendre l’avis des Instances Représentatives du Personnel ; nulle obligation de respecter cet avis…

L’accord d’entreprise soumis à la signature des fédérations syndicales était donc, selon les articles, similaire ou plus mauvais que la réglementation du travail qui existait auparavant à la SNCF et sur laquelle les fédérations syndicales avaient de nombreuses revendications ; de plus, son article 49 prévoit comment la direction peut ne peut pas l’appliquer quand ça l’arrange !

Que l’UNSA et la CFDT l’aient signé pour justifier leur rapide retrait de la grève, était logique, à défaut d’être cohérent avec des engagements antérieurs ; la position de la CGT, après la réunion du 6 juin, semble avoir surpris : en interne, mais aussi plus globalement parmi les grévistes et voire même au sein de certaines équipes SUD-Rail. Ce n’était pourtant que la reproduction de positionnements tant de fois connus dans le passé ! Dès le 7 juin, la fédération CGT écrivait « Les évolutions du texte définitif lors de cette séance de négociations amènent la future règlementation sur l’aménagement du temps de travail applicable aux cheminots de la SNCF au niveau du RH 0077 ». Dès lors, il n’y a plus eu d’appel fédéral CGT à poursuivre le mouvement … qui a tout de même duré une semaine encore, obligeant la fédération à corriger un peu le tir dans ces expressions ultérieures.

La fédération CGT n’a pas signé l’accord d’entreprise. La pression des grévistes, la présence de SUD-Rail et plusieurs prises de positions de syndicats CGT, ont eu raison de la ligne fédérale ; ceci étant, il faut noter que lors de la consultation interne, Près de 42% des mandats étaient favorables à une ratification de cet accord par la CGT. Dans ces conditions, il est peu surprenant que le Bureau Fédéral ait obtenu l’accord de sa Commission Exécutive Fédérale pour que la fédération CGT n’exerce pas son droit d’opposition et rendre ainsi applicable cet accord.

A Marseille, CGT et direction cautionnent des pratiques lamentables

Au-delà des difficultés à élaborer la nécessaire unité entre les syndicats soutenant la lutte, certains militants CGT ont eu des pratiques totalement inacceptables et condamnables. A l’Etablissement Commercial Trains6 de Marseille, dès le premier jour, le représentant SUD-Rail n’a pu que très difficilement s’exprimer (refus du tour de parole et coupure du micro par la CGT locale). Une fois cela gagné, ses interventions se révélant en phase avec les grévistes, l’intimidation est montée d’un cran. Le 10 juin, en pleine Assemblée Générale, notre camarade, secrétaire fédéral SUD-Rail, était accusé, « preuve à l’appui », de n’avoir aucun jour de grève ; non sans quelques pressions physiques, il était expulsé de l’A.G. Pourtant, à cette date, il était totalement impossible de connaitre l’utilisation de n’importe quel participant à l’A.G., la période de grève n’étant pas encore saisie dans les relevés d’utilisation ; sauf à éditer un faux document. Un tract anonyme, mensonger et diffamatoire a été ensuite largement distribué dans l’établissement, puis à travers les réseaux sociaux et sur d’autres Régions SNCF. Ces méthodes, dans le plus pur style stalinien, mettent en scène des délateurs, incapables d’assumer leurs responsabilités, qui fabriquent eux mêmes l’objet de leur accusation. Cela témoigne d’un irrespect total envers les cheminots et cheminotes engagés dans la lutte. Ces documents falsifiés ont été conçus avec le matériel de l’entreprise, réalisés dans les locaux de l’entreprise, dupliqués et diffusés dans l’entreprise. La direction SNCF s’en lave les mains, elle qui parle sans cesse « d’éthique ». La fédération SUD-Rail l’a interpelé à ce propos. Quant à la fédération CGT, elle refuse de prendre publiquement position vis-à-vis de telles pratiques de certains de ces militants et syndicats. CGT et direction cautionnent donc une campagne diffamatoire envers un militant et la fédération SUD-Rail !

Les raisons de la grève (4) : le projet de loi Travail

Contrairement à la CFDT et à l’UNSA, les fédérations CGT, SUD-Rail et FO sont impliquées dans le mouvement interprofessionnel contre le projet de loi Travail. En cela, ne pas appeler le secteur ferroviaire à la grève reconductible en mars, en avril et en mai, n’était pas neutre. A compter du 1er juin, la grève des cheminots et des cheminotes était un des éléments importants du rapport de forces créé. La décision de la CGT de ne plus appeler à poursuivre la grève, à partir de la deuxième semaine, a affaibli le mouvement interprofessionnel.

Le combat continue

Dès le mois de mars, plusieurs syndicats SUD-Rail, mais aussi CGT Cheminots, avaient signé l’appel « On bloque tout ! ». La fédération SUD-Rail, contrairement à bien d’autres structures fédérales Solidaires (Sud PTT, SNJ, Sud aérien, Sud éducation, Sud Collectivités Territoriales, Solidaires Météo, ASSO Solidaires, etc.) ne l’a pas fait. Sans doute aurait-il été nécessaire de renforcer le travail commun entre les collectifs militants SUD-Rail, CGT, FO, engagés dans la construction d’une grève reconductible à la SNCF en lien avec le mouvement interprofessionnel. Cette problématique, qui n’est d’ailleurs pas limitée au secteur ferroviaire, est sans doute une des pistes de travail à creuser pour les mois qui viennent. Mais pour ne pas s’enfermer dans des débats en cercles restreints qui n’auraient pas de conséquence concrète, en parallèle il faut renforcer l’information et la formation syndicales : au plan fédéral sans doute, mais aussi dans les syndicats et sections syndicales. Dans ces conditions, l’important mouvement social qui a touché le secteur ferroviaire7 ces derniers mois sera bénéfique car constituant, avec ces réussites et ses échecs, ses points forts et ses faiblesses, un acquis supplémentaire pour le corps social cheminot.

 

 

1 Voir à ce sujet dans le n°2 de la revue Les utopiques, l’article « Défense des hors-statut et défense du statut : un rapport dialectique. L’exemple du secteur ferroviaire ».

2 Le terme d’entreprise historique est utilisé pour définir celle qui a assuré le service public ferroviaire depuis le 1er janvier 1938 (convention du 31 août 1937), en absorbant les ex-compagnies privées (Paris Lyon Méditerranée, Paris Orléans – Midi, Nord, Est, Alsace-Lorraine, Ouest-Etat). Il s’oppose à celui de « nouveaux entrants » qui définit les entreprises privées installées par la « libéralisation » des trafics ferroviaires de fret et de voyageurs. Sur ce sujet, voir le livre de la fédération des syndicats SUD-Rail « Réapproprions-nous le service public ferroviaire », octobre 2015.

3 En langage interne à la SNCF, c’est le RH 0077.

4 Décret n° 2016-755 du 8 juin 2016 relatif au régime de la durée du travail des salariés des entreprises du secteur du transport ferroviaire et des salariés affectés à des activités ferroviaires au sens de l’article L. 2161-2 du code des transports

5 La rédaction de l’accord est particulièrement vicieuse. Il est écrit : « les modifications sont validées par la majorité en nombre des organisations syndicales signataires du présent accord selon les modalités précisées ci-après… » Au sein de la SNCF, il y a 4 organisations syndicales représentatives donc possiblement signataires de l’accord : CGT, UNSA, SUD-Rail et CFDT. Si on s’en tient à cette formulation et si toutes les fédérations étaient signataires de l’accord, la majorité suppose l’accord de 3 des 4 organisations pour qu’une dérogation soit validée. Mais quelles sont ces « modalités définies ci-après » ? « …le chef d’établissement peut réaliser les modifications envisagées avec l’accord des délégués du personnel. Celles-ci sont notifiées à la commission paritaire de validation et sont réputées validées sauf avis contraire motivé d’une majorité en nombre des organisations syndicales signataires du présent accord… ». La majorité est renversée : c’est pour repousser une dérogation, qu’il faut l’accord de trois fédérations signataires. Ce qui signifie que l’aval de 2 organisations syndicales signataires sur 4 suffit.

6 Les E.C.T. sont les établissements SNCF regroupant pour l’essentiel les contrôleurs et contrôleuses.

7 Surtout la SNCF.

Christian Mahieux
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Christian Mahieux

cheminot à la Gare de Lyon de 1976 à 2003, a été notamment secrétaire de la fédération SUD-Rail de 1999 à 2009, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires de 2008 à 2014. Il est aujourd’hui membre de SUD-Rail et de l’Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne. Il participe à l’animation du Réseau syndical international de solidarité et de luttes, ainsi qu’au collectif Se fédérer pour l’émancipation et à Cerises la coopérative. Il a été objecteur-insoumis au Service national, membre du mouvement d’objection collective des années 1970/80.