Vieillir en société ?

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La question du grand âge ne perce le mur médiatique ou politique qu’à l’occasion de scandales ou de catastrophes. Pourtant, l’avancée en âge n’est pas synonyme de handicap ou de désinsertion sociale.


Jean Vignes, ancien infirmier de secteur psychiatrique, a été secrétaire de la fédération SUD Santé sociaux. Il est membre du comité de rédaction de la revue Pratiques. Cahiers de la médecine utopique. Ce texte a paru dans le n° 92, de janvier 2021. Nous remercions de l’autorisation donnée de reproduire cet article.


« La vieillesse, une maladie ? », Pratiques. Cahiers de la médecine utopique n°19, 2002. [DR]

Trois phénomènes majeurs sont intervenus quant à l’émergence de la problématique actuelle : la progression de l’espérance de vie (en bonne santé ou non), la dispersion de la cellule familiale et le facteur économique. Pour ne pas avoir anticipé, voire nié ces effets, les politiques sont, aujourd’hui, confrontés à une crise majeure. Pourtant, les réponses à cette crise sont avant tout politiques. Toutes les recherches démontrent que les stimulations, intellectuelles ou physiques, à travers des activités multiples sont les meilleurs outils de prévention des dégénérescences physiques et mentales. Si la prévention, par définition, prend sa place à tout âge, nous considérerons, pour envisager les politiques spécifiques au vieillissement de la population, celles à mettre en œuvre dès l’âge de la retraite.

La retraite n’est pas la cessation de toute activité sociale (associative, politique, sportive, artistique, ludique ou artisanale, etc.), voire productive. La France peut se targuer d’être un des pays au monde à avoir un tissu associatif des plus développés. Il représente des lieux où une personne qui n’a plus besoin de travailler pour gagner sa vie trouve un débouché d’activité sociale, maintient un lien social et de stimulation intellectuelle. C’est aussi une richesse en matière de transmission générationnelle. Nombre de ces associations sont animées par des personnes dont le temps est libéré par l’accès à la retraite. 41% des dirigeants d’association ont entre 65 et 74 ans. Ce tissu s’affaiblit aujourd’hui : baisse des capacités financières des collectivités locales à les soutenir, diminution des fonds qui leur sont dédiés, privatisation ou commercialisation d’activités ; c’est un risque pour les centres culturels, les foyers ruraux et les clubs. La part des subventions et des commandes publiques dans l’ensemble des ressources a diminué de sept points entre 2005 et 2017 [1]. On peut se poser la question de la diminution drastique des cafés bars : près de 20% en 10 ans et plus de 90% en un siècle. Ces lieux de convivialité et de rencontre participent aussi de la dynamique de maintien du lien social et à l’accueil des associations. Une réflexion est donc à mener sur la dynamique sociale des espaces de rencontre intergénérationnels qu’ils représentaient et un effort particulier est à mener, à l’inverse de la politique qui se dessine aujourd’hui, avec la diminution des moyens des collectivités locales, la disparition de la réserve parlementaire. Soit en créant de nouveaux espaces et les financements ad hoc, soit en revitalisant le tissu associatif enréinterrogeant les obstacles ou les évolutions (régressions ?) qui les menacent. De même, une politique d’accès aux productions artistiques et culturelles devrait compenser la diminution des revenus liés à la retraite.

La mise en œuvre de réseaux, de moyens pour favoriser le maintien à domicile

Le maintien à domicile ne doit pas être un dogme aveugle comme ceux récents du « virage » ambulatoire ou autre « télémédecine ». Cela ne sert à rien de vouloir maintenir à domicile une personne dans un logement insalubre, dans une situation d’isolement, d’environnement pathogène.  Mais reste que dans la majorité des cas, les personnes ont des relations d’amitié, de voisinage, des habitudes, des souvenirs qui nourrissent leur psychisme et une maitrise de leur environnement dont la rupture est préjudiciable. C’est en quelque sorte du sur-mesure qui doit être mis en œuvre avec une politique du logement et des transports qui favorise ce maintien dans de bonnes conditions. Quand l’avancée en âge s’accompagne de pertes d’autonomie, beaucoup d’entre elles peuvent être compensées par une aide à domicile. Que ce soit pour le ménage, les repas, un aménagement du logement, la mobilité extérieure, les solutions existent et sont connues. Elles sont porteuses d’emplois, mais trop souvent hors de portée économique de la personne ou des familles. Elles sont aujourd’hui fonction de leur classement dépendance sur la grille Autonomie gérontologie groupes iso-ressource (AGGIR), beurk ! Ce système de classement est trop rigide, inhumain et doit être plus facilement évolutif, revalorisé et ne pas dépendre pour le montant de l’Allocation personne âgée, de la variabilité des taux des Conseils départementaux.


« Soignants et travailleurs sociaux, même combat ! », Pratiques. Cahiers de la médecine utopique n°40, 2008. [DR]

Pour beaucoup des personnes concernées, rester dans un environnement familier, porteur d’histoires, est une condition de maintien de repères qui préviennent d’un décrochage précoce qui vient aggraver la perte d’autonomie initiale en rajoutant de la désorientation aux problèmes, ainsi qu’une perte des initiatives qui concourent au maintien d’une activité intellectuelle inhérente à la vie quotidienne. Il est donc nécessaire de développer un réseau d’aide à domicile accessible à toutes et tous financièrement dans le cadre du service public. De même, les personnels de l’aide à domicile doivent bénéficier de formations adaptées polyvalentes et d’un statut. Or, aujourd’hui, ces personnels font partie des emplois les plus précaires, les moins reconnus avec des conditions de travail très difficiles et une convention collective de bas niveau. L’irruption d’entreprises privées lucratives dans ce domaine vient en aggraver les conditions. Les bénéfices qui en sont tirés le sont au détriment des conditions de travail des personnels et/ou de la prestation fournie.

Des solutions intermédiaires à l’orientation en EHPAD

En complément du réseau de soins à domicile, le système actuel manque de souplesse. Il est nécessaire d’imaginer des structures de proximité, d’accueil à temps partiel, de restauration, d’accueil de jour. L’imagination peut être vaste en la matière, pourquoi ne pas imaginer des cantines, scolaires, municipales ou autres, qui accueillent aussi des personnes retraitées qui, bien que ne pouvant pas assurer leur autonomie alimentaire, jouissent de toutes leurs facultés mentales et dont l’apport pourrait être bénéfique dans une dynamique intergénérationnelle d’échange. Ce n’est qu’un exemple. D’autres expériences ont été menées en milieu rural autour de potagers partagés où les enfants des écoles bénéficiaient de l’expérience et des savoirs de leurs aînés à travers une activité commune. Cela vaut aussi pour d’autres formes d’activités, sorties, séjours, ateliers…


« La marchandisation des corps », Pratiques. Cahiers de la médecine utopique n°80, 2018. [DR]

La dépendance n’est pas un absolu, une personne n’est pas forcément dépendante pour tous les actes de la vie. Séjourner en EHPAD ne doit pas signifier être coupé de son environnement de vie ni subir un traitement standardisé. La résidence en EHPAD coûte entre 3 000 et 5 000 euros en zone urbaine, en moyenne 2 200 euros au niveau national. Il est facile de constater, sachant que le montant moyen de la retraite en France tourne autour de 1 400 euros, que le reste à charge pour les familles est important, sans compter que les dépenses pour la personne (lectures, loisirs, communication, déplacements, habillement…) ne se limitent pas au seul hébergement.Malgré ces tarifs élevés pour les résidents, le financement est loin de permettre une prestation de qualité. La liste est longue d’établissements où des mouvements sociaux, regroupant aujourd’hui personnels et usagers (et leurs familles), dénoncent les conditions de travail et d’hébergement. Selon le panorama de l’OCDE, les dotations en personnel des EHPAD en France sont de 50% inférieures au reste de l’Europe du Nord. À l’heure où tout est comptabilisé, le temps d’une douche, d’un soin, l’usage de couches, le change de draps … sont rationnés. Les personnels sont pressurés, familles et résidents subissent souvent sans se plaindre de peur de perdre leur place et même les associations de directeurs (AD-PA), qui ne peuvent pas être taxés de gauchisme primaire, tirent la sonnette d’alarme et communiquent sur le dysfonctionnement de ce secteur. L’expression de maltraitance institutionnelle devient prédominante dans l’ensemble des discours. Recruter du personnel formé, rémunéré en fonction, en nombre suffisant, est une urgence pour ces établissements. Avoir le temps pour une prise en charge permettant une approche individuelle des besoins de chacun, pour adapter ces prises en charge et en faire un soin ou un accompagnement respectueux des personnes concernées, un accompagnement adapté au handicap pour conserver une vie sociale est une urgence.Une politique territoriale de structures de proximité complétée d’une politique de recrutement et de formation est donc nécessaire. Le mode de financement doit être repensé dans le cadre de la Sécurité sociale de façon à ne pas être un obstacle ou source d’inégalités dans l’accueil des personnes et en finir avec une situation honteuse pour une société dite évoluée.

EN RETRAITE

Avant, j’étais travailleur indépendant, ce qui est un contresens dans la mesure où j’étais totalement dépendant de la demande des clients. Comme le jour où cet éditeur me demande si je voulais ou pouvais m’aligner sur un concurrent qui ne proposait rien moins que 40% moins cher, même s’il savait que le travail serait moins bon, patati patata, etc. J’en suis resté là avec ce client-là. Quitte à faire des comptes, en prenant mon âge et les trimestres acquis, j’ai vu que je pouvais liquider ma retraite. Ce qui fut fait, vite fait bien fait. Sauf que… j’arrêtais un travail que j’aimais bien pour faire quoi ?
J’ai eu l’affreuse sensation que j’allais m’ennuyer, voire m’emmerder carrément. Mais très vite, autour de moi, de bonnes âmes l’ont su et sont venues me solliciter pour des associations. C’est simple, elles sont venues me demander de travailler pour rien, alors que j’avais refusé de travailler pour 40% de moins. Avec l’avantage que le pro doit avoir des résultats et que le pauvre bénévole, il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, argument intéressant que je saurai utiliser.
C’est comme ça que je me suis retrouvé dans plusieurs associations et là, stupeur ! Quel cauchemar ! Que des vieux et des encore moins jeunes, tous très sympathiques, actifs, érudits et pleins d’idées, tous dévoués pour aider les autres, pour combattre les injustices et les grandes causes oubliées de la société…et j’en oublie certainement, mais tout de même, tous sérieusement âgés. Tous considérés comme improductifs parce que sans emploi rémunéré, mais finalement produisant un travail considérable. J’ai compris que la retraite pouvait être un monde où je pouvais travailler juste pour me faire plaisir. Une manière comme une autre de me mettre en phase avec mon état civil et de me rassurer sur le remplissage de mon agenda.
Étant en contact avec ces gens intelligents et érudits, pour compenser le décalage, j’ai fréquenté quelques lieux dits culturels. Par exemple, début octobre, une nouvelle saison de spectacles a débuté. Pour récupérer les billets de l’abonnement trimestriel, je suis arrivé un peu avant le début du spectacle et, très vite, installé dans la salle en haut du parterre. Les spectateurs sont arrivés, des vieux, cheveux blancs et crânes dégarnis, attention, pas des têtes rasées comme c’est la mode actuellement, non, non, rien que des vraies alopécies terminales naturelles.
Pour finir, peu de jeunes dans la salle, à croire que le monde de la culture est en partie financé par cette tranche d’âge, par ces gens que la novlangue peine à désigner. Vieux ? C’est daté. Troisième âge ? Ça fait entrée en EHPAD… Le vocable utilisé est « Nos aînés », ce qui est con parce que, primo, je suis un des cadets de la fratrie et que, secundo, je ne leur appartiens pas.

⬛ Serge Sadois se présente « retraité actif » et fait partie du comité de rédaction de la revue Pratiques. Cahiers de la médecine utopique, où il a publié de très nombreux articles. Ce texte a paru dans le n°92 de janvier 2021.


Conclusion provisoire

Pour répondre aux besoins sociaux en matière de vieillissement de la population, le premier objectif est de ne pas considérer la vieillesse comme synonyme de dépendance et permettre d’aborder cette période de la vie comme source de richesse sociale et culturelle participant à la vie économique. Favoriser dans tous les domaines l’insertion sociale et le maintien de l’autonomie. Donner les moyens aux services publics territoriaux de proximité d’organiser la réponse à ces enjeux, dynamique sociale d’intégration, d’accompagnement, d’aide ou de soin à domicile. Favoriser l’invention de structures et de projets intermédiaires, toujours dans le souci de la proximité.


Jean Vignes


[1] Source : Institut national jeunesse et éducation populaire (INJEP).



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