MNA : quand la France bafoue les droits des enfants

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MNA. Celles et ceux qui s’intéressent un peu aux questions d’immigration et de répression à l’égard des sans-papiers connaissent ce sigle. Celles et ceux qui dans les départements militent auprès des sans-papiers constatent que le public ici désigné occupe de plus en plus les militants et militantes, que ce soit de RESF ou d’autres structures de soutien.


Didier Pagès est membre de SUD éducation 63/03. Depuis de nombreuses années, il est très investi dans les collectifs et actions de solidarité avec les Sans-papiers, et particulièrement au sein du Réseau éducation sans frontières * reseau-resf.fr


[DR]

Ces Mineurs non accompagnés, on disait auparavant « mineurs isolés », sont pour la plupart originaires d’Afrique de l’ouest et sont essentiellement des garçons. Un mineur étranger est considéré comme MNA lorsqu’aucune personne majeure n’en est responsable légalement sur le territoire national. Selon le ministère de la Justice, actuellement, 61% d’entre eux viendraient de Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire. Leur nombre sur le territoire français a beaucoup augmenté au cours des années 2000, au point que ce ne peut plus être considéré comme un phénomène marginal. « 264 MNA étaient recensés en 1999, 1077 en 2001, 2 500 en 2004 et plus de 10 000 à partir de 2015 » énumère un spécialiste en charge du dossier à l’Assemblée des départements [1]. Reconnus mineurs, ils doivent être pris en charge par les services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). En 2019, toujours selon l’Assemblée des départements, 16 760 mineurs ont été pris en charge par l’ASE sur l’ensemble du territoire [2].

DES ÉCUEILS AVANT L’ACCUEIL

Arrivés en France, il faut que leurs papiers soient reconnus vrais afin qu’ils puissent faire valoir la minorité qui leur ouvre des droits, celui d’être mis à l’abri et celui d’être scolarisé. Dans les faits, leur minorité est systématiquement contestée. Quand il y a un doute sur l’authenticité de leurs papiers, le doute se retourne systématiquement contre eux et cela en contradiction totale avec la déclaration des Droits de l’enfant qui stipule que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer pour toute décision. Moins de 40% sont reconnus mineurs, si bien qu’on ne sait pas vraiment combien ils peuvent être. La non-reconnaissance de minorité les plonge dans un grand désarroi, d’autant que la procédure paraît totalement aléatoire. Les tests osseux prévus pour évaluer leur âge sont contestés y compris par l’ordre des médecins, l’erreur potentielle avec laquelle ils donnent des résultats est de 24 mois. Pour un gamin de 16 ans ça change tout. Ceux dont la minorité est contestée peuvent faire appel auprès de la justice mais ce recours peut prendre entre 6 et 18 mois et durant cette période ils ne peuvent pas prétendre à une prise en charge par le 115, le numéro du Samu social qui est réservé aux majeurs pour l’hébergement d’urgence. Pour ceux qui seront reconnus mineurs par la justice, l’ASE peut faire appel et elle n’hésite pas à le faire. Mais au bout du parcours, pour ceux qui seront reconnus mineurs par cette justice il y aura eu beaucoup de temps de perdu pour l’entrée dans un processus scolaire. Dans un rapport du 20 novembre 2020 la Cour des comptes confirme « une baisse du taux de reconnaissance de minorité qui varie cependant fortement d’un département à l’autre alors même que le public évalué présente des caractéristiques similaires ». A Paris, en 2020, 60% des recours aboutissaient à une reconnaissance de minorité. Pendant cette période de recours les jeunes sont donc dans l’errance, face à eux l’arbitraire local fonctionne à plein et ils découvrent la logique de la suspicion généralisée, qui est peu ou prou celle des gouvernements de ce pays depuis 30 ans.


Orléans, affiche de la manifestation qui était prévue le 4 avril 2020

Aujourd’hui, l’évaluation de l’âge de ces jeunes est confiée à des « associations entreprises » qui, pour obtenir ce marché, sont prêtes à garantir une réponse négative à 60% des demandes. Un monde merveilleux [3]. Quand ils sont reconnus mineurs, ils ont le droit à une scolarité comme tous les enfants présents sur le territoire. Mais avant que celle-ci commence il va falloir évaluer leur niveau pour savoir où les orienter. Ensuite il va falloir qu’il y ait de la place dans les classes pour élèves nouvellement arrivés en France (UPE2A). Au regard du traitement dont ces enfants sont l’objet par les préfectures, il est possible de dire que l’Education nationale n’est pas la pire des institutions à leur égard. Ces jeunes ont une envie d’intégration immense et il faut affirmer cela ? contre les vociférations de l’extrême-droite et d’une partie de la droite. Tous les enseignant∙es qui les croisent en témoignent. « Parmi les enfants de l’ASE c’est eux qui réussissent le mieux » déclare Dominique Versini, adjointe à la mairie de Paris et Défenseur des enfants de 2006 à 2011. Pour ceux qui ne seront jamais reconnus dans leur minorité c’est-à-dire simplement dans le droit d’être un enfant il reste la rue, les squats, plus ou moins organisés, parfois la chance de rencontrer des gens qui ne veulent pas laisser un gamin à la rue et des centaines iront grossir les cohortes de sans-papiers candidats à l’expulsion. Ceux qui comme on dit dans les préfectures « ont vocation à être reconduits dans leur pays »

RIEN N’EST JAMAIS GAGNÉ

Le phénomène n’est pas nouveau, le premier rapport de l’UNICEF sur cette question date de 2005 et il signalait déjà que « les destinations choisies par les mineurs sont la France et la Belgique ». Depuis, l’Etat s’est chargé de considérer ces enfants d’abord comme des étrangers avant d’être des enfants, puis a considéré qu’ils relevaient de la protection de l’enfance, donc des départements. Dans la plupart des départements, la prise en charge se dégrade, elle se résume parfois à une simple mise à l’abri en hôtel qui peut durer deux ans. Pour ces jeunes, il faudrait un suivi assuré par des éducateurs mais les moyens sont insuffisants et l’encadrement reste dérisoire au regard des besoins. Pratiquement tous les départements dénoncent l’abandon de l’Etat pour des dépenses qui vont croissantes. Dans le budget adopté par l’Assemblée pour 2021, la participation de l’Etat à ces questions prévoit une baisse de 42 millions d’euros. On voit clairement là le manque de volonté politique. La France ne protège pas assez ces enfants, en dépit des accords internationaux sur la protection de l’enfance. Ces histoires de misère sont bien des histoires d’enfants suspendus à la reconnaissance de leur minorité pour espérer avoir un avenir. Mais il semble que la raison d’Etat et plus particulièrement la raison électorale l’emporte. Faute de courage pour affronter les inepties du Rassemblement National, ce gouvernement, comme les précédents, entend montrer sa fermeté en matière d’accueil des étrangers, montrer qu’on peut faire aussi bien que le RN mais sans lui. Alors, quand ces jeunes sont en passe de trouver une orientation, un contrat d’apprentissage, il se trouve toujours un préfet -représentant du gouvernement- pour refuser le titre de séjour qui permettrait cet apprentissage, cette insertion par le travail.

ET MAINTENANT SUSPICION DE DÉLINQUANCE

PAS DE CENTRE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE (CRA), NI À ORLÉANS, NI AILLEURS

Un permis de construire a été délivré à la Préfecture du Loiret afin de poser les premières pierres d’un Centre de rétention administrative en agglomération d’Orléans dont l’ouverture est programmée à la rentrée 2023. L’État veut également en construire deux autres à Lyon et à Bordeaux, et étendre la capacité de celui du Mesnil-Amelot. Il existe aujourd’hui 24 Centres de rétention administrative et 26 Locaux de rétention administrative. Il n’y avait pas eu de construction de CRA depuis plus de dix ans. Le choix de l’État de construire trois CRA supplémentaires est un témoin alarmant du durcissement de la politique anti-immigré·es du gouvernement, une nouvelle preuve du racisme institutionnel de ce pays.
Dans ceux déjà existants, la Cimade dénonce depuis de nombreuses années des atteintes aux droits humains. Ce que documente également le site InfoCRA consacré à « Sortir une parole politique des Centres de rétention ». Dans les CRA on enferme plus et plus longtemps avec une durée d’enfermement légale doublée de 45 à 90 jours en 2019. Parmi les 54000 personnes enfermées dans des CRA en France en 2019 on comptait de plus en plus d’enfants. Les conditions de détention restent indignes provoquant des automutilations, des suicides et tentatives de suicide. À ces hommes, ces femmes, ces enfants qui ont eu un parcours bien souvent jonché d’horreurs, l’État français réserve donc ce traitement-là. Une « terre d’asile », vraiment ?
Le confinement de 2020 a été le comble de l’absurdité criminelle de ce système d’enfermement des étranger·es : les enfermé·es étaient soumis·es à l’épidémie alors même qu’ils et elles n’étaient pas expulsables. Les grèves de la faim, les révoltes ont jalonné la période. Des révoltes qui continuent d’éclater. Les CRA sont des prisons pour étranger·es et on ne peut que revendiquer leur fermeture et l’abolition de toute rétention administrative, mais aussi la liberté de circuler et de s’installer pour toutes et tous.
Sur Orléans, un Collectif contre les expulsions et la rétention (COLERE), s’est constitué depuis le mois de décembre 2019 et regroupe plus de vingt organisations syndicales, associatives et politiques et collectifs du Loiret : Abraysie ouverte, ASTI, ATTAC, BDS, Cercle de silence, CGT, CIMADE, COJIE, FI, FSU, LDH, MAN, NPA, Offensive féministe, PCF, RESF, Solidaires, SUD éducation, UCL, UJFP, UNEF… Localement, la création de COLERE a pu s’appuyer sur le travail d’organisation important fourni par le Collectif de soutien aux jeunes étranger·es isolé·es du Loiret, le COJIE, qui avait mené une campagne intense à l’été 2019 (victorieuse) pour éviter l’expulsion de leurs logements des jeunes étrangers devenus majeurs. Les syndicats de l’éducation, dont SUD éducation, y avaient pris toute leur place. Posés d’emblée, les mots d’ordre de COLERE sont sans ambiguïtés : nous ne voulons pas de CRA, pas de prison pour étranger·es, pas d’enfermement ni d’expulsion. Ni ici, ni ailleurs. Et c’est bien avec l’État français que nous engageons le rapport de force.
Une première marche était programmée le 4 avril 2020. L’épidémie et la crise sanitaire nous avaient alors obligé à annuler. Mais le Collectif contre les expulsions et la rétention (COLERE) n’en avait pas pour autant arrêté de se mobiliser et a organisé une nouvelle marche le 27 mars dernier qui, elle, a réussi à se tenir. Une première manifestation a également eu lieu à Lyon le 10 avril dernier.
Mur par mur, pierre par pierre, nous détruirons les Centres de rétention.
Théo Roumier, SUD éducation Loiret

Dans la période sécuritaire que Macron, Darmanin veulent infliger à ce pays au travers de la loi de sécurité globale, il se trouve deux députés qui veulent bien assurer une mission d’information de la commission des lois de l’assemblée nationale à propos des Mineurs non accompagnés. Titre du document remis à l’Assemblée en mars 2021 : « Problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés ». Dès les premières lignes de « l’étude », JF Eliaou (LREM) et A Savignat (LR) évoquent « la multiplication et l’aggravation des faits de délinquance commis par certains mineurs non accompagnés ». Quelques lignes plus loin, ils avouent n’avoir aucun chiffre sur la question. On aurait pu espérer que le prisme adopté soit celui de la protection des mineurs. Il n’en est rien, c’est à travers celui de la délinquance qu’on se penche sur une situation dans laquelle on refuse de voir des « rescapés » : rescapés de la traversée de la Méditerranée dans des rafiots, rescapés des camps et de la torture en Lybie, rescapés des guerres et parfois des bataillons d’enfants, rescapés des réseaux de prostitution, rescapés de la traversée du désert algérien.


Orléans, le 30 mai 2020.

Auditionnée dans le cadre de cette mission, Violaine Husson, de la CIMADE [4], déclare : « Déjà qu’on considérait les mineurs isolés comme étrangers avant d’être des enfants, on fait maintenant un pas de plus en les considérant comme des délinquants ». La Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) estime que la délinquance concerne 10% de ces mineurs sans, dit-elle, que cette estimation ne puisse réellement être vérifiée. Et la représentante de la CIMADE d’ajouter : « Le chiffre de 10% semble énorme et renforce le fantasme selon lequel ces enfants étrangers viennent nous piquer nos sacs à main. Ce phénomène existe mais est vraiment à la marge et ce sont surtout des enfants qui ont besoin d’aide. » Effectivement, ces parcours fracassés peuvent rendre ces jeunes particulièrement vulnérables aux réseaux criminels. Ils peuvent être victimes de traite d’êtres humains. Et il faut la Défenseuse des droits, Claire Hédon, pour rappeler que « certains sont contraints à commettre des infractions, car sous l’emprise de réseaux ou d’adultes qui empêchent toute mesure de protection et de prises en charge ». A la fin de leur rapport, les deux passeurs de plats de Darmanin et consorts nous livrent 18 préconisations où dominent croisements de fichiers, prise d’empreintes digitales, échange d’informations avec les pays traversés. Ils n’hésitent pas à écrire que la prison « est aujourd’hui une solution inéluctable qui peut, par la contrainte qu’elle représente, paradoxalement assurer une meilleure prise en charge des MNA ». Répondons comme l’a fait la vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme : « Si la prison était un moyen de réinsertion et non l’école du crime, ça se saurait. L’incarcération ne peut jamais être une solution pour des enfants et revient à baisser les bras : on les met en dehors de la société alors qu’ils ont besoin d’éducation, de formation ».


Une manifestation du Réseau éducation sans frontières 63. [DR]

DES MOBILISATIONS QUI DOIVENT CONVERGER

Depuis le début de l’année 2020, des mobilisations jusqu’alors inconnues se sont mises en place dans plusieurs villes du pays autour de jeunes majeurs et de celles et ceux qui les hébergeaient ou voulaient les embaucher. Des artisans se retrouvent ainsi mobilisés en défense de leur apprenti, un directeur d’Ehpad et ses pensionnaires en défense d’un aide-soignant. Chaque fois les acteurs de ces mobilisations pointent l’absurdité d’un système qui prétend montrer l’école et le système éducatif comme un creuset d’intégration mais qui, au final, casse le sens de cette affirmation lorsque la fin du parcours devient Obligation de quitter le territoire français (OQTF), juste au moment de rentrer en formation professionnelle. Face à ces situations, même des députés de la majorité se retrouvent à en pointer l’absurdité. Les arrière-pensées électorales ne sont pas absentes, mais on voit là les contradictions dans lesquelles persistent la majorité de la classe politique, car ces contradictions ne sont pas nouvelles. Nous n’oublions pas le Valls qui organisait des parrainages de sans-papiers dans sa mairie d’Evry et qui, devenu ministre de l’Intérieur, se félicitait quelques mois plus tard d’expulser autant de monde que le gouvernement précédent.

Les situations récentes de ces jeunes devenus majeurs ont fait l’objet de mobilisations locales et d’affichage médiatique important. Il faut nous appuyer sur cela pour faire connaître davantage encore, à un public plus large, à un plus grand nombre de professionnels de la jeunesse et de l’enfance, ces situations qui sont des situations de rescapés. Il faut que le syndicalisme, et particulièrement celui de l’Education nationale, prenne davantage ces questions en charge sur l’ensemble du territoire. C’est à ce prix que nous pouvons envisager une campagne nationale d’information, avec toutes les forces sociales qui le souhaitent, pour construire une mobilisation qu’aucun préfet ne puisse ignorer.

La place des enfants c’est l’école, le collège, le lycée ce n’est pas le centre de rétention.

Il faut fermer les Centres de rétention administrative.

Il faut laisser les Mineurs non accompagnés construire leur avenir parmi nous. Ils vivent ici. Ils restent ici.


Didier Pagès


[1] Cité dans un article de Libération le 6 octobre 2020.

[2] En 2017, dans le Puy de Dôme, la justice a replacé 124 mineurs à l’ASE, 88 en 2018 puis 31 en 2019 et 23 en 2020.

[3] Dans le Puy de Dôme, le Conseil départemental a eu recours aux services de l’Association nationale de recherche et d’action solidaire (ANRAS). Le taux de mineurs est descendu à 17% et les évaluations sont faites en 7 jours. Depuis janvier 2021, quatre mineurs désignés majeurs par l’ANRAS ont été déclarés mineurs par les juges et placés à l’ASE.

[4] lacimade.org


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