Les prisons n’ont jamais été déconfinées

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En prison comme dehors, au temps du Covid, la coercition a tenu lieu de gestion sanitaire. A l’ombre des hauts murs, ce n’est ni de troisième, ni de quatrième vague qu’il faut parler, mais bien d’un véritable tsunami sécuritaire, qui continue de s’abattre sur les enfermé·es et leurs proches.


L’Envolée (radio et journal) est, depuis 2001, un porte-voix des prisonniers et prisonnières qui luttent contre le sort qui leur est fait. Lettres, textes et opinions sur lenvolee.net – Contact@lenvolee.net



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Au début du premier confinement, placé sous le signe de « la bienveillance et [de] la pédagogie » – titre du Monde du 17 mars 2020 –, les prisons se sont retrouvées « coupées du monde ». Ce 17 mars 2020, Nicole Belloubet, alors ministre des tribunaux et des prisons, a opté pour une mesure immédiate et brutale : la suppression des parloirs et de toute activité en détention. Impossible d’isoler les prisonniers et prisonnières en cellule individuelle – au 1er janvier 2020, il y a 70 651 prisonniers et prisonnières pour 61 080 places, souvent dans des cellules collectives ; impossible de distribuer des masques de protection, des tests, du gel hydroalcoolique, de confiner les surveillants et surveillantes, qui continuent à rentrer à leur domicile tous les soirs… Et comme l’État estime que les prisonniers, les prisonnières et leurs proches ne sont pas capables d’appliquer les fameux « gestes barrières » lors des parloirs, il les supprime, tout simplement.

« Mon mari s’est fait envoyer des masques et du gel hydroalcoolique lors du premier confinement, mais la taule a mis de côté ; ils n’ont rien transmis. Parce qu’à ce moment-là ils n’avaient pas de directives autorisant les masques en détention. »  (E., compagne d’un prisonnier).

Parloirs et activités supprimées, les prisonniers et prisonnières se sont retrouvé·es enfermé·es 22 heures sur 24, parfois à six, dans des cellules de 9m2. Immédiatement ressenties comme méprisantes et absurdes, puisque le confinement est inapplicable à l’intérieur des prisons, ces mesures visaient à donner des gages au personnel de l’Administration pénitentiaire (AP), en réduisant les circulations dans la prison. En effet, les agents de l’AP avaient alors peur du coronavirus, et aussi des mutineries. Leur syndicat majoritaire, Force ouvrière, menaçait d’user du droit de retrait, agitant l’exemple de l’Italie où des émeutes avaient éclaté, causant des morts et des évasions collectives. De fait, en avril et en mai, la révolte grondait dans les prisons françaises : chaque jour des dizaines de mouvements collectifs, avec des surveillants qui tirent comme à la maison d’arrêt de Grasse ; au centre de détention d’Uzerche, des prisonniers sont montés sur les toits, ont envahi des zones interdites aux prisonniers et incendié des bureaux et des postes de contrôle tandis que d’autres filmaient l’action en direct. Ils ont ainsi pu faire tourner un texte de revendications expliquant les raisons de leur colère : « Nous voulons un DÉPISTAGE pour chaque détenu ainsi que pour chaque membre de l’administration pénitentiaire. Nous souhaitons que tous les agents pénitentiaires sans exception soient équipés de gants et de masques (ce sont eux les plus exposés au virus car ce sont eux qui entrent et sortent de l’établissement). Nous voulons être informés de l’évolution de cette situation : Quand les parloirs seront-ils rétablis ? Qu’en est-il des cantines ? Qu’en est-il des sacs de linge ? Qu’en est-il des soins médicaux en cas de coronavirus ? Et enfin, pour nous protéger, nous aimerions que chaque détenu ait du gel désinfectant et un masque à sa disposition (le minimum en mesure d’hygiène actuellement). »



L’envolée n°53, avril 2021

Bilan de la répression de cette révolte : 336 prisonniers transférés en pleine nuit, 53 inculpés ; un an plus tard, 14 procès différents ont commencé à se tenir aux quatre coins de la France. Pas question pour le Ministère public de faire un grand procès de la mutinerie où l’AP et son ministère de tutelle auraient risqué de se retrouver sur la sellette. Vu les conditions de détention imposées aux prisonniers et prisonnières pendant le premier confinement, mieux valait les condamner individuellement pour dégradations, destructions ou violences dans le plus grand silence médiatique. Même si les dossiers étaient vides, les peines ont souvent été lourdes. La crise du Covid n’a fait qu’intensifier ce que les prisonniers et prisonnières subissent tous les jours. Le 23 mars 2020, ce sont les prisonniers de Rennes-Vezin qui font sortir un communiqué relayé dans d’autres prisons de France : « Nous, détenus, accusons le système judiciaire et carcéral de nous mettre en danger de mort et demandons immédiatement le désengorgement de toutes les prisons. Nous, détenus, sommes tout simplement au bord de la rupture qui s’est accentuée avec ce contexte anxiogène de la propagation du virus Covid-19. Nous, détenus, dénonçons les violences physiques et morales de la part de certains surveillants et des équipes régionales d’intervention et de sécurité couvertes par les directions. Nous, détenus, dénonçons avec la plus grande véhémence le régime fermé des maisons d’arrêt et demandons immédiatement la reprise dans toutes les prisons de deux promenades par jour. […] »

La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) d’alors, Adeline Hazan, demandait à l’Etat de « réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements », de « favoriser les sorties de prison et [de] limiter les entrées ». Un texte réunissant – entre autres – l’Observatoire international des prisons, l’Association nationale des juges de l’application des peines et le Syndicat des avocats de France demandait de « réduire drastiquement le nombre de personnes détenues ». Que ces gens s’entendent pour définir l’enfermement comme un risque sanitaire et fassent pression sur la ministre pour vider les prisons, même provisoirement, c’est historique. Le texte cite différentes manières de limiter les entrées : préférence aux peines alternatives, contrôle judiciaire plutôt que détention provisoire, report de l’exécution des peines de prisons et limitation des comparutions immédiates. Il demande également de faire sortir un maximum de personnes en libérant les prévenu·es sous contrôle judiciaire, en multipliant les aménagements de peine, en anticipant les libérations et en suspendant des peines pour raisons médicales.

Mais même face au péril sanitaire, l’impératif sécuritaire reste le maître mot : la machine pénale est pensée pour remplir les prisons, pas pour les vider. Nicole Belloubet promettait quelques milliers de libérations en précisant qu’ « il n’y [aurait] pas d’amnistie, car il faut préserver la sécurité de la société ». Ces annonces ont quelque peu étouffé le feu de la contestation en laissant espérer à bien des personnes détenues qu’elles pourraient être les prochaines… sur une liste ridiculement petite. En plus des nombreux critères à remplir, il y avait les délais de traitement variables selon les disponibilités de tribunaux au ralenti et en sous-effectif… et puis, surtout, il s’agissait de « bien se tenir » ! Devenu ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti a avoué bien plus tard que cette « vague » de libérations du premier confinement n’avait concerné que 6 000 personnes en toute fin de peine. 75 000 personnes sont écrouées au 1er janvier 2021, contre 70 000 en janvier 2020 – un chiffre record.

Après deux mois et demi de suspension totale des visites, les parloirs ont été progressivement rétabli ici et là, entre l’été et l’automne 2020 ; mais, afin d’éviter tout contact, les prisonnier·es et leurs visiteurs et visiteuses sont resté·es séparé·es par des vitres type hygiaphone, qui sont normalement une mesure disciplinaire. « Un enfant doit retourner à l’école, mais n’a pas pu embrasser son parent depuis trois mois… il doit se contenter de le regarder derrière une vitre, comme au zoo. C’est leur habitude de nous traiter comme des moins-que-rien. » (Un prisonnier). Pendant un an, de nombreux témoignages ont dit la difficulté de s’entendre et de se comprendre à travers ces vitres, qui obligent à crier et créent un climat de stress. À la suite de nombreuses protestations, les vitres ont fini par disparaître lors du déconfinement du printemps 2021. Restaient l’obligation de porter un masque et l’interdiction de se toucher. Pour des raisons techniques, la prise de rendez-vous au parloir était pratiquement impossible ; les Unités de vie familiale (UVF) ont enfin été rétablies en 2021, mais avec la contrainte d’un isolement de sept jours pour les prisonniers et prisonnières. Beaucoup d’entre eux/elles et de leurs proches ont donc renoncé à prendre des parloirs ou des UVF pendant des mois. Idem pour les permissions de sortie, refusées par les prisonniers et prisonnières pour éviter une quatorzaine qui repoussait d’autant une éventuelle libération conditionnelle, les juges n’accordant pas d’aménagements de peine à un personne détenue qui n’a jamais eu de permission de sortie.



[Laurent Bru]

Toutes ces mesures étaient évidemment hypocrites : si le masque a fini par être autorisé en détention, l’hygiène minimale reste souvent inaccessible, et le principal traitement en cas de symptômes reste la quatorzaine, c’est-à-dire la mise à l’isolement dans des conditions souvent très dures. Les surveillant·es qui n’ont jamais cessé d’entrer et de sortir de détention ont continué, eux et elles, à palper et à fouiller les prisonnier·es – sans forcément appliquer les « gestes barrières ». Bien sûr, des clusters se déclarent encore régulièrement en prison, justifiant le retour des plexiglas et des quatorzaines après chaque visite, comme à la centrale d’Arles en août 2021. En juin, un test PCR était nécessaire partout en France pour se rendre en UVF, mais pas au parloir. Cette obligation a été levée, mais la crainte des familles est montée d’un cran avec le passe sanitaire : sera-t-il obligatoire ? Pour les prisonnier·es, un chantage de plus a alors commencé à pointer son nez : certains juges d’application des peines et certaines directions d’établissement « discutent » d’octroyer jusqu’à quinze jours de remise de peine aux prisonniers vaccinés – seulement les petites peines, bien sûr.

Lettres et témoignages de prisonniers et de proches continuent à dénoncer des restrictions arbitraires qui varient selon les établissements, la pression des syndicats de surveillants et les périodes. Covid ou pas Covid, ce qui ne varie pas, c’est le mépris pour la population enfermée et l’absurdité de mesures qui visent plutôt à faire passer la pilule sécuritaire auprès d’une société qui subit les confinements, le couvre-feu et le passe sanitaire. Si toute la société souffre, il faut que les prisonniers souffrent plus encore ; question de bon sens, non ? Pour maintenir l’ordre social, les prisons doivent rester le repoussoir ultime.


L’Envolée


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