Agir contre les violences sexistes et sexuelles au sein des organisations

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Parce que le patriarcat agit dès l’enfance et structure la « fabrique du genre » : des couleurs des premiers habits aux attitudes attendues pour chaque sexe dans les interactions sociales…, et très vite imprime la supériorité induite des uns sur les autres, c’est un système de domination masculine auquel n’échappe aucun individu. Et comme la domination ne disparaît pas d’elle-même (et peut même se renforcer) dans les collectifs militants, nombre d’organisations ont, par conséquent, été touchées par cette vague. L’Union syndicale Solidaires n’y a pas dérogé. Et même si elle se réclame d’une démarche féministe en participant à ces luttes.

LA CONSCIENCE DE LA PRÉSENCE DU SEXISME DANS L’ORGANISATION

Convaincues tout simplement que le patriarcat ne s’arrêtait pas à la porte de nos locaux syndicaux (et parce que nous en avions fait l’expérience en tant que femmes militantes), nous le soulignions dans notre résolution de congrès « Egalité femmes / hommes : un enjeu syndical », adoptée en 2014 en donnant des analyses, des pistes revendicatives et de prises en charge[1]. Mais, en décembre 2017, lors de journées de formation préparant le 8 mars 2018, une partie des camarades présentes ont demandé à visualiser collectivement l’expérience de ces situations dans leur structure syndicale, par un mur de témoignages (sur post-it). Un mur des violences qu’elles subissent, de la part d’autres « camarades », un mur du sexisme quotidien auquel elles sont confrontées s‘est progressivement construit. L’ampleur du phénomène a été un choc, et cela même si nous pouvions nous y attendre.

Les formatrices – par ailleurs animatrices de la commission femmes de Solidaires, membres pour une partie du Secrétariat national – ont choisi d’en faire état dans l’instance nationale suivante, en janvier 2018 (Comité national, instance la plus large entre deux congrès), au nom du Secrétariat national, sur le thème « Sexisme et violences sexistes au sein de Solidaires ». En soulignant les incohérences entre « ces mots, ces actes » et notre vision de ce que doit être une société égalitaire, juste et démocratique ; et donc, de la mise en œuvre de ces valeurs, dans « notre » collectif syndical. À la suite de cette présentation, nos structures ont donné mandat à la commission femmes de travailler à des outils, des pistes de réflexion, pour prévenir ces situations et réaffirmer notre engagement féministe, pour accompagner les camarades victimes, pour agir envers les agresseurs. Ces pistes et ces outils ont été présentés au Comité national de juillet 2018 et ont été validés, unanimement. D’autres remontées de camarades femmes sont parvenues au Secrétariat national ou aux membres de la commission femmes, après le débat de janvier 2018 : les langues se déliaient.

Cela nous a conduit à présenter un plan d’action consistant à :

➔ revenir sur l’identification des situations de sexisme : à chaque fois que nous avons traité ce point en instance nationale, nous avons ainsi détaillé ce à quoi nos camarades étaient confrontées. Avec leurs mots, et même si nous avons choisi l’anonymat des victimes et des structures concernées.

➔ Mettre en place du matériel de sensibilisation et des outils militants. Un guide militant à destination des équipes syndicales est sorti en novembre 2018, élaboré par la commission femmes et la commission santé et conditions de travail : « Agir syndicalement contre les violences sexistes et sexuelles au travail [2] ». Il s’agit d’un outil pour répondre aux interpellations des salarié·es sur ces questions, mais qui a également vocation à prévenir ces situations en interne (définitions, législations, prise en charge, etc.). De la même manière, des affiches militantes dénonçant des situations de sexisme ont été travaillées pour les locaux syndicaux. A cette heure, il reste à produire un « B.A. BA » sur le sexisme, en format de poche.

➔ Ce point est également à l’ordre du jour de toutes les réunions de la commission femmes (initialement, toutes les deux commissions, mais vu l’ampleur du travail et le nombre de remontées constantes, il a été abordé à chaque fois).

➔ Un calendrier de formations déjà existantes sur les violences sexistes et sexuelles a été retravaillé. Des formations de formatrices et formateurs ont également été mises en place.

➔ La volonté de mettre en place un réseau national de camarades « ressources ». Il n’existe pas formellement, mais le développement des formations et de commissions femmes locales, comme des collectifs féministes, a permis d’avoir dans nombre de villes un groupe « ressource » pour agir, en plus de la structure syndicale locale.

➔ Un débat large sur cette question a également eu lieu avec la CGT et la FSU, lors des Journées intersyndicales femmes de mars 2019. Les camarades présentes à ces journées ont pu créer des contacts entre organisations syndicales localement, toujours pour agir collectivement. L’Association contre les violences au travail (AVFT) y était également invitée, ce qui a permis, non seulement de faire le point sur la situation avec cette association incontournable sur ces questions, mais aussi d’être conscientes des difficultés que nous avions, au sein de nos structures, pour les traiter.

CAR LES RÉSISTANCES SONT NOMBREUSES…

Face à elles, nous avons choisi de les exposer en instance nationale en novembre 2019, avec un texte introduisant le débat, et des éléments de réponses à apporter, liés à notre positionnement féministe, et ce, dans le but que ce soit validé. Les freins les plus fréquents à la reconnaissance et à la prise en charge de situations de sexisme/violences sexistes sont souvent liés à la camaraderie et à la continuité de l’activité, quitte à être déconnectés avec nos textes et nos valeurs. Ainsi la priorité est donnée à la « préservation » de la structure syndicale : l’agresseur est désigné comme incontournable pour l’action, et, sans lui, la structure ne pourrait plus fonctionner… Ou encore le fait qu’il s’agit de situations d’ordre privé, que c’est alors « parole contre parole ». Et donc, des fractures se créent entre les soutiens à la parole des femmes et ceux des agresseurs « présumés innocents », renvoyant les victimes à la négation de l’expérience traumatisante… Et reportant, par là même, « l’affaire » à la Justice qui aurait les moyens de trancher entre le vrai et le faux… Les résistances sont à la fois individuelles, mais aussi collectives au sein des syndicats ou collectifs locaux.

La méconnaissance des mécanismes à l’œuvre dans ces situations est évidente. Les incohérences, voire les contradictions sont éloquentes. Autant de signaux qui ont justifié le texte introductif au débat, en plus du plan d’action initial, réaffirmant un positionnement féministe, appuyé justement par des constats et des analyses connues, travaillées depuis longtemps par les mouvements féministes : les agressions relèvent majoritairement de personnes connues, une justice qui n’échappe pas au patriarcat, un parcours extrêmement difficile pour celles qui osent  « dire », le fait que le privé est politique, etc. Avec comme objectif de rappeler tous les éléments que nous avions déjà développé par ailleurs : dans des textes de congrès, de brochures, de tracts et autres bulletins… depuis des années.

Il s’agissait donc de réaffirmer un principe clair : les victimes des violences sexistes et sexuelles ont notre soutien, et nous croyons les femmes qui ont le courage de parler. Même quand ces violences concernent des « camarades » (voir encart sur ces « camarades ennemis »). Il proposait également d’autres pistes de travail, en lien pour certaines avec les limites d’intervention du Secrétariat national dès lors qu’il a connaissance de ces situations. En effet, même s’il est habilité, car garant des statuts de l’Union, à interpeller les structures dont certaines attitudes ou positionnements seraient contradictoires avec nos valeurs, ces structures adhérentes à l’Union restent maîtresses de leurs orientations et de leurs actions. Des réflexions autour de modifications statutaires sont également en cours pour que soit réaffirmé ce qui n’est pas acceptable et comment en tirer les conséquences au sein de notre Union.

UN TRAVAIL DE LONGUE HALEINE

Si la grande majorité des structures de Solidaires ont salué les travaux mis en place par la commission femmes, et validé les positionnements proposés, ce travail n’est pas terminé. Il prend du temps car il suppose des outils collectifs, des questionnements collectifs et individuels sans tabous, des formations, etc. Mais nombre de structures se sont dotées de moyens nouveaux (commissions, débats, participation aux formations) pour y faire face. Au-delà, c’est aussi un travail qui veut mettre en lumière des enjeux fondamentaux pour notre syndicalisme en termes :

➔ de démocratie : les femmes ont un taux d’emploi de 61,9 % contre 68,9 % pour les hommes [3], la place des uns dans les structures ne peut occulter la place des unes, notre capacité à représenter toutes les personnes… 

➔ de stratégie de développement comme d’intervention syndicale : comment toucher les secteurs précaires, qui sont souvent féminisés, comment faciliter leur organisation? Comment allier stratégie de développement et respect de nos valeurs fondamentales ?

➔ de capacité à fonctionner en cohérence avec les valeurs que l’on porte (crédibilité).

L’ampleur des mobilisations sociales féministes des dernières années appuie ce travail. Nous le voyons dans l’investissement de nos équipes sur des journées de mobilisation, telles celles des 25 novembre ou 8 mars. Nos outils revendicatifs comme d’informations sur les droits permettent, là aussi, d’agir sur nos lieux de travail avec le pari suivant : plus nos équipes sont confrontées aux expériences des victimes au travail, plus elles les prennent en charge (dès lors qu’elles sont équipées pour le faire), plus elles agiront également en leur sein pour construire des espaces collectifs inclusifs, sans sexisme. Et dans ce cadre, nous aurons toutes et tous à y gagner. 

Le « camarade ennemi »
Nous utilisons cette notion au sein de la commission femmes de Solidaires, pour désigner des « camarades » de lutte des classes sociales, au sein de l’organisation, qui se révèlent des ennemis de la lutte féministe, parce qu’agresseurs ou prédateurs. Elle marque également l’une des difficultés pour les militantes victimes : les affronter ou les dénoncer puisqu’ils sont, au moins pour l’activité syndicale, des « camarades » de lutte. En appuyant sur l’aspect « ennemi », il s’agit de marquer la priorité donnée, au sein de notre outil syndical, au refus d’accepter des attitudes et comportements violents participant du sexisme qui vont à l’encontre de nos objectifs d’égalité entre les sexes, de non-hiérarchie entre les personnes et de priorisation des luttes.


[1] https://solidaires.org/L-egalite-entre-femmes-et-hommes-un-enjeu-syndical

[2] https://solidaires.org/Contre-les-violences-faites-aux-femmes-17713

[3]

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Cybèle David, Cécile Gondard Lalanne, Murielle Guilbert et Corinne Melis

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