Sur l’extrême droite en France
Nous publions deux documents du collectif La horde : un panorama de l’extrême droite française et une chronologie du FN/RN depuis 1972. Le premier texte date de juin 2023, après les élections européennes, mais avant les législatives. Il convient donc d’y ajouter le ralliement de Ciotti ou le nombre de député·es à la suite de ce scrutin, mais l’ensemble demeure d’actualité.
La Horde est une plateforme : ce n’est ni un réseau, ni une organisation : « nous sommes attaché·es d’une part à notre indépendance, et d’autre part à la construction d’un mouvement antifasciste qui parte de la base, du terrain. Pour qu’un mouvement antifasciste autonome se structure et se développe en France, il faudrait que l’antifascisme cesse d’être à la marge et que les militant·es révolutionnaires et progressistes comprennent sa nécessité en tant que lutte sur la durée ».
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Les électoralistes. Pour l’union des droites
Depuis plusieurs années la droite conservatrice se radicalise sur les questions de sécurité, d’immigration et d’identité. L’élection à la tête des Républicains d’Éric Ciotti, qui n’a pas hésité à parler de « grand remplacement » a rendu la frontière entre le parti de droite et l’extrême droite de plus en plus floue. À l’occasion de la dissolution de l’Assemblée nationale, au lendemain des élections européennes de 2024, Ciotti a appelé à s’unir au Rassemblement national pour les élections législatives, provoquant une crise au sein des LR. Le mouvement Reconquête ! d’Éric Zemmour devait incarner ce rassemblement de la droite de la droite. Tous ceux qui en voulaient à Marine Le Pen (comme Jacques Bompard), des militants identitaires comme Damien Rieu ou Philippe Vardon passés par le RN sont venus apporter leur savoir-faire en communication. Une nouvelle génération de droitards a aussi émergé avec Génération Z. Tandis que la conseillère et compagne de Zemmour, Sarah Knafo, prend de plus en plus de place dans l’appareil, Marion Maréchal y a fait son retour comme tête de proue du mouvement pour les élections européennes, avant de finalement trahir Zemmour pour se rapprocher de sa tante Marine Le Pen, emportant avec elle 4 des 5 député·es européen·nes fraîchement élu·es. Les mauvais résultats électoraux de Reconquête ! aux élections de 2022 et la mégalomanie de Zemmour en ont douché plus d’un ; le mouvement peine à se développer au niveau électoral et militant. D’autres regroupements plus confidentiels existent, comme l’Alliance conservatrice qui regroupe les catholiques de VIA, le CNIP et le Mouvement conservateur issu de Sens commun, une tendance réactionnaire des LR.
Les électoralistes. « Ni droite ni gauche »
Le Front national (FN) rassemblait à l’origine tous les courants de l’extrême droite sous l’autorité de Jean-Marie Le Pen. La scission de 1998 a affaibli le parti jusqu’en 2011 où Marine Le Pen a succédé à son père, avec la volonté affichée de s’affranchir du folklore nationaliste. Ce « nouveau » FN, renommé en 2018 Rassemblement national, a en partie fait le ménage dans ses rangs et renforcé sa ligne « ni droite ni gauche », en mettant plus de préoccupations sociales dans son programme. Le RN est ainsi resté (jusqu’à aujourd’hui) sans véritables alliés, mais avec une base électorale solide : Zemmour a permis à Marine Le Pen de se recentrer tout en lui donnant du crédit. Présente au second tour en mai 2017 et 2022, Marine Le Pen a réussi aux législatives de 2022 à envoyer 89 de ses cadres à l’Assemblée nationale, et Bardella a obtenu plus de 31% des suffrages aux européennes de 2024. Préparant sa candidature de 2027, elle a laissé la présidence à l’ambitieux Jordan Bardella au détriment de certains de ses plus fidèles soutiens, comme Steeve Briois, créant une fracture au sein du RN. Mais depuis le résultat historique des élections européennes pour lesquelles Bardella était tête de liste, tout le monde semble rentrer dans le rang dans la perspective de gouverner enfin. En revanche, l’avenir semble bien bouché pour les souverainistes qui refusent l’étiquette « de droite » comme l’UPR ou Les Patriotes de Philippot, qui n’existent plus que dans les milieux complotistes et dont l’activité se concentre sur les réseaux sociaux.
Les réactionnaires
Au-delà des partis favorables à l’union des droites, le mouvement conservateur est aussi représenté par des personnalités politiques de la droite « hors les murs », comme Philippe de Villiers, et par de petites structures souvent issus des Républicains, comme Sens commun devenu le Mouvement conservateur (aujourd’hui absorbé par Reconquête !) ou l’Avant-Garde de Charles Millon, qui a beaucoup fait pour la création de l’ISSEP, une école pour former les cadres conservateurs de demain, qui a puisé son inspiration dans une autre structure de formation conservatrice, l’Institut de Formation politique (IFP). Mais la guerre culturelle est surtout menée par des sites (comme Boulevard Voltaire) ou des revues, comme Livre Noir (qui change de nom pour devenir Frontières) ou L’Incorrect, qui entendent prendre leur revanche sur l’hégémonie supposée de la gauche dans ce domaine, et saturer l’espace public de leurs obsessions patriarcales, islamophobes, et nationalistes.
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Tous sont, pour l’essentiel, derrière Zemmour, même si la confiance dans les capacités de ce dernier à rassembler s’est très largement effritée. Du côté des organisations de jeunesse, Zemmour peut en tout cas compter sur le soutien sans faille de la Cocarde étudiante, un syndicat dont les militants n’hésitent pas à faire le coup de poing, et de l’Action française (cf. infra). Une structure féminine a vu le jour, le collectif Nemesis qui, sous couvert de « féminisme de droite », défend en réalité le modèle patriarcal. Soutenu par la droite catholique, la Manif pour Tous avait organisé en 2012-2013 des manifestations massives contre le mariage homosexuel. En 2023, ce collectif est devenu le Syndicat de la Famille : son vice-président, Albéric Dumont, est chargé de la sécurité de Zemmour.
Les réactionnaires. Les nationaux-catholiques
Les réseaux catholiques tradis sont denses car ils peuvent s’appuyer sur certaines paroisses et ils disposent de nombreux médias (Présent, passé de quotidien à hebdomadaire, ou Radio Courtoisie), de maisons d’édition comme les éditions du Chiré et de sites internet, comme le Salon beige ou Media Presse Info. Avec comme mot d’ordre « Dieu, Famille, Patrie », Civitas, devenu depuis sa dissolution Civitas international, était un parti politique voulant imposer sa foi à toute la société, à travers un discours ouvertement islamophobe et plus discrètement antisémite. L’AGRIF lutte elle contre la « christianophobie » et le « racisme antiblanc », porte plainte et se constitue partie civile dans des procès. La lutte anti-IVG est l’un des combats historiques des cathos tradis : les Marches pour la Vie rassemblent chaque année plusieurs milliers de gens et la Fondation Lejeune, depuis 1996, associe recherches scientifiques sur les maladies génétiques et engagement militant contre l’avortement. Academia Christiana, fondée en 2013, est une structure de formation animée par Victor Aubert. Son réseau est assez étendu et a tendance à grossir : il va de mouvements traditionalistes (comme la Fraternité Saint-Pie-X) jusqu’aux activistes identitaires, en passant par la Nouvelle Droite. Une autre structure, Ichtus, assure également des formations.
Les médias
Des médias nationalistes locaux comme Breizh Info ou Infos Bordeaux tentent de faire passer leur propagande pour de l’information. Plus professionnel, TV Libertés propose une grille de programmes assez diversifiée. D’autres se reposent sur les réseaux sociaux, en mettant en pratique le concept de réinformation, forgé par le think tank Polémia, créé par Jean-Yves Le Gallou, proche des Identitaires et ancien du GRECE. D’autres, comme Vincent Lapierre se déclare indépendant, alors que Le Média pour Tous a toujours été au service de l’extrême droite. Ce sont aussi des médias mainstream qui servent de relais à leur propagande, sous l’impulsion de leur propriétaire comme le milliardaire catholique Vincent Bolloré avec Cnews, ou à l’initiative d’animateurs, comme André Bercoff de Sud Radio. Certains rêvent d’associer la diffusion de leur propagande à de l’activisme sans y parvenir, faute de militants. C’est le cas de l’islamophobe Riposte laïque ou de l’antisémite Égalité & Réconciliation qui n’est plus désormais que le fan-club de son fondateur Alain Soral. Les négationnistes comme Vincent Reynouard ou Hervé Ryssen, condamnés à plusieurs reprises, peuvent en tout cas remercier E&R qui a contribué à populariser leurs thèses délirantes. Dans le sillage de Soral, avec lequel tous ou presque sont fâchés, des individus se sont fait un nom à travers des vidéos en affichant leur amour du nazisme comme Daniel Conversano.
Antiféministes, transphobes et masculinistes
Nombre d’influenceuses·eurs d’extrême droite, comme Papacito, l’abbé Raffray, ou l’ex-FNJ Julien Rochedy, Thaïs d’Escufon, ex-égérie de Génération identitaire, ou Alice Cordier, du collectif Nemesis, se spécialisent dans les discours antiféministes et masculinistes, par le biais de l’humour ou du coaching personnel, business oblige. La transphobie obsessionnelle des médias et personnalités réacs permet des rapprochements avec des femmes terfs (des « féministes » pour qui les femmes trans sont des hommes) comme Marguerite Stern ou Dora Moutot.
La Nouvelle Droite
Pour réhabiliter sa vision inégalitaire du monde, l’extrême droite devait lutter sur le terrain des idées. Depuis les années 1970, deux groupes de réflexion, le Groupement de Recherche et d’Étude pour la Civilisation Européenne (GRECE), inactif aujourd’hui, et le Carrefour de l’Horloge y travaillent, donnant naissance à ce que les observateurs ont appelé la Nouvelle Droite. Alain de Benoist en est le principal représentant : il n’est d’aucune chapelle, ce qui lui permet, à travers la revue Éléments, de brouiller les cartes. La Nouvelle Droite dispose aussi d’un outil de formation, l’institut Illiade, qui organise des conférences et des cycles de formation sur « le grand effacement », les « pensées non-conformes » ou la défense de la civilisation européenne.
Les activistes
L’Action française (AF) est le plus vieux mouvement nationaliste en activité. Royaliste, historiquement école de formation, l’AF organise des colloques mais aussi des actions de rue. Une énième scission en 2018 a éloigné les anciens restés fidèles à l’antisémitisme historique et à la nostalgie vichyste. L’AF d’aujourd’hui se réfère toujours à Maurras, mais en concentrant ses attaques contre les musulmans et en essayant d’être moderne.
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Les Identitaires ont tenté depuis leur création en 2002 de se démarquer de l’extrême droite traditionnelle, en misant tout sur la communication. Sa structure jeune, Génération identitaire (GI), a pris son autonomie en 2012, puis a été dissoute en 2021 alors qu’elle était déjà en perte de vitesse. Des locaux identitaires restent ouverts, comme à Lyon (La traboule) ou à Rouen (Le Mora), mais les différentes tentatives locales (les Normaux, les Natifs) ou nationale (Argos) de relancer la machine identitaire ont pour l’instant fait long feu. Fondé en 2009 par Carl Lang, ancien n°2 du FN, et aujourd’hui présidé par Thomas Joly, le Parti de la France cherche à faire de l’agitation, tout en se présentant parfois à des élections, avec des résultats insignifiants. Nostalgique du FN des années 1980, le parti se veut proche de Jean-Marie Le Pen, président du FN pendant 40 ans, et depuis 2015 exclu du parti par sa propre fille.
Les groupes locaux
Des groupes implantés localement se revendiquent « identitaires » ou « enracinés » sans être affiliés à une organisation précise. Certains se posent en héritiers du GUD (mouvement étudiant nationaliste-révolutionnaire), mais la plupart sont en réalité de simples bandes affinitaires. Il se retrouve chaque année lors de la manifestation du Comité du 9 mai ou au sein des Active Clubs, qui organisent des entraînements au combat de rue. Ils reçoivent à l’occasion le renfort de hooligans venus du stade et n’ont pas vraiment d’expression politique en dehors de leurs attaques contre des militant·es de gauche et la publication d’images néonazies sur le canal Ouest Casual. Pour essayer de suivre cette nouvelle tendance des groupuscules, nous avons réalisé une carte de France de l’extrême droite téléchargeable sur notre site. D’autres groupuscules tout aussi confidentiels se réclament ouvertement du fascisme historique. C’est le cas des Nationalistes (ex-PNF) qui s’inscrivent dans la continuité de l’Œuvre française dissoute en 2013. Proche d’eux, un collectif de soutien aux nationalistes et aux négationnistes emprisonnés, le CLAN, est animé par l’avocat Pierre-Marie Bonneau. Les skins néonazis n’ont plus d’organisation les fédérant depuis la dissolution de 3e Voie de Serge Ayoub qui n’a plus d’activité militante apparente.
FN/RN : chronologie depuis 1972
Années 1970
Le Front national n’est, à l’origine, qu’un cache-sexe pour les nationalistes-révolutionnaires d’Ordre nouveau, qui souhaitent se présenter aux élections tout en poursuivant leur agitation dans les rues et les universités. Pour cela, ils créent une structure plus large, avec le courant dit des « nationaux » (héritiers du poujadisme et du soutien à l’Algérie française) auquel appartient Jean-Marie Le Pen. Ces deux composantes sont rejointes par des néonazis ou d’anciens collaborateurs. L’orientation du Front national est, dès l’origine, nationale-populiste : le FN doit être le réceptacle de tous les mécontents. Le Front national est créé le 5 octobre 1972 à l’initiative d’Ordre nouveau. Le journal Militant, François Brigneau (ancien de la Milice), Alain Robert, François Duprat et d’autres rejoignent le mouvement. Jean-Marie Le Pen, qui fut plus jeune député de France, soutien de Tixier-Vignancour, est choisi comme président : les cadres d’Ordre nouveau espèrent pouvoir le manœuvrer facilement. Alain Robert et François Brigneau quittent le Front national, emmenant avec eux les principaux cadres issus d’Ordre nouveau, du Groupe union défense (GUD) et du Front de la jeunesse. Ils fondent le Parti des forces nouvelles (PFN) et participent à son service d’ordre de Valéry Giscard d’Estaing à la présidentielle de 1974. Le FN, lui, se réorganise alors autour de Jean-Marie Le Pen. Les solidaristes, menés par Jean-Pierre Stirbois, sont opposés à l’économie libérale et favorables à l’association capital/travail. Ils apportent une certaine rigidité politique, et le développement d’un travail d’implantation dans les communes de gauche. Lors d’élections locales en 1982 et 1983, le FN obtient ainsi ses premiers succès électoraux, à Dreux en particulier, où Jean-Pierre Stirbois obtient 16,7% aux municipales. Le PFN et le FN tentent de s’unir aux européennes mais le PFN, qui bénéficie des subsides De partis fascistes italiens (Movimento sociale italiano) et espagnols (Fuerza nueva), écarte son rival et se présente seul aux élections sous le sigle Eurodroite : il obtient 1,3% des voix.
Années 1980
Le Front national regroupe de nombreuses tendances de la famille nationaliste et occupe l’essentiel de l’espace politique et public de l’extrême droite, laissant à sa périphérie des groupuscules à la marge de manœuvre limitée : certains finissent par rallier le FN, d’autres choisissent la surenchère et la violence, voire le terrorisme. La mainmise de Le Pen sur le FN et sa réussite médiatique ne laissent alors que peu de place à une autre personnalité venue le concurrencer, obligeant les autres formations à se soumettre ou à engager une longue traversée du désert.
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Aux élections présidentielles de 1981, le Parti des forces nouvelles appelle à voter Chirac puis Giscard ; le Front national, dont le candidat Jean-Marie Le Pen n’a pu se présenter faute des 500 signatures nécessaires, prône l’abstention. Le président socialiste François Mitterrand écrit aux chaînes de télévision publiques afin que Jean-Marie Le Pen soit invité plus souvent, au nom du « pluralisme », mais surtout pour créer un nouveau « monstre » à droite. Anciens de l’Algérie française, néofascistes, néonazis, anticommunistes, ultra-libéraux, tout le monde est bienvenu au Front national, qui accueille Bernard Antony, chef de file des catholiques intégristes, François Brigneau et Jack Marchal venus du Parti des forces nouvelles ou encore Jean-Marie. Le Chevallier venu de l’UDF. En 1986, Bruno Mégret (RPR) et Jean-Yves Le Gallou, membres du Club de l’Horloge, rejoignent Jean-Marie Le Pen. La même année, le Front national et ses listes ouvertes (le Rassemblement national) obtiennent 10% aux législatives et 35 député·es sont élu·es. Deux ans plus tard, à la suite d’un changement de mode de scrutin, le FN perd tous ses députés. Les provocations de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz, « point de détail de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale » (sept. 1987), et le jeu de mots « Durafour crématoire » (sept. 1988), provoquent des troubles au sein du FN, entre ceux qui prônent le rassemblement et la normalisation et les tenants d’une certaine orthodoxie.
Années 1990
Le Front national va connaître de grandes réussites que ce soit sur le plan électoral (en gagnant plusieurs mairies de villes moyennes) ou au niveau de son appareil militant, véritable machine de guerre, avec un service d’ordre composé en grande partie d’anciens professionnels de la sécurité, mais surtout avec de nombreux militants capables de se mobiliser pour n’importe quel événement. Les années 1990 sont également marquées par une recrudescence de la violence d’extrême droite, avec plusieurs morts, tous français d’origine étrangère. La fin des années 1990 marque la fin de l’hégémonie du FN sur l’extrême droite, avec fin 1998 la scission provoquée par Bruno Mégret, numéro deux du FN, qui quitte le parti avec de très nombreux cadres et militants pour créer une nouvelle structure, le MNR. C’est la première fois que la suprématie de Jean-Marie Le Pen est contestée : les années suivantes montreront cependant qu’il n’y a pas de place pour la dissidence, et que le Front national reste une affaire familiale. Le lendemain de la profanation de 34 sépultures juives au cimetière de Carpentras, Pierre Joxe accuse l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen, tandis que Le Pen affirme à la télé que « les Juifs ont beaucoup de pouvoir dans la presse » et privilégie la piste de l’islamisme : mais en 1996, ce seront bien 4 néonazis du Parti nationaliste français et européen (PNFE) qui seront condamnés. L’implantation locale du FN s’est renforcée dans l’Est de la France et dans le Sud-Est, avec la conquête des mairies de Toulon, d’Orange et de Marignane, respectivement par Jean-Marie Le Chevallier, Jacques Bompard et Daniel Simonpiéri, sans compter Jacques Peyrat, ex-FN qui devient maire de Nice sous l’étiquette RPR, sans rien renier idéologiquement. En décembre 1995, la France connaît un mouvement social de grande envergure : le Front national condamne ces grèves. De son côté, Bruno Mégret tente de mettre en place des syndicats FN, dans les transports publics et dans la police… La plupart seront invalidés. Au congrès de 1997, le service d’ordre du FN, le Département protection et sécurité (DPS), équipé comme des CRS, charge les contre-manifestants et utilise des fausses cartes de police pour des contrôles. Le DPS fera l’objet d’une commission d’enquête parlementaire en 1999. Au congrès du FN de 1997, Mégret arrive en tête des votes pour l’élection au bureau politique. Le 30 avril, Jean-Marie Le Pen agresse une élue socialiste à Mantes-La-Jolie à la suite de la présence de militants antifascistes : le 2 avril 1998, il est déclaré inéligible. Mégret aurait dû se retrouver tête de liste aux européennes, mais Le Pen impose sa femme Jany, novice en politique. Lors du conseil national du 5 décembre, Jean-Marie Le Pen est hué par les partisans de Mégret qui lui reprochent son autoritarisme. Le Pen qualifie Mégret de « félon » et annonce son exclusion du parti. Après avoir essayé de prendre le contrôle du Front national à l’occasion d’un conseil national, Mégret, lors d’un congrès dissident en janvier, se fait élire président du parti renommé Front national-Mouvement national, suivi par une majorité des cadres dont Marie-Caroline Le Pen, fille aînée de Jean-Marie. En mai, la justice accorde la propriété exclusive du nom et du logo « Front national » à Le Pen, contraignant Mégret à rebaptiser son mouvement. En octobre, Bruno Mégret crée le Mouvement national-Républicain (MNR) dont le conseil national comporte des dirigeants de l’organisation « nationaliste-révolutionnaire » Unité radicale.
Années 2000
Les attentats du 11 septembre, le conflit israélo-palestinien et l’émergence de l’islamisme radical bouleversent le camp nationaliste : d’un côté l’extrême droite traditionnelle reste sur ses bases, de l’autre des mouvements passent des alliances inédites avec des militants en perdition venus de la gauche (Dieudonné, Riposte laïque) ou prétendant venir de la gauche (Alain Soral). Parallèlement, les orientations stratégiques de Marine Le Pen ont entraîné un désintérêt des militants radicaux pour le Front national, même si le parti, surtout en période électorale, attise les ambitions. Si le parti n’est plus capable de mettre dans la rue des milliers de gens faute de militants de terrain, il progresse dans les urnes. Laissant le soin aux partis de droite comme de gauche de relayer son discours sur les questions de sécurité et d’immigration, le FN mène campagne contre l’euro, contre le « fiscalisme », contre les « affaires » … Stratégie payante, Le Pen se retrouvant pour la première fois au second tour de l’élection présidentielle de 2002. Fabrice Robert et Christian Bouchet sont élus au conseil national du MNR en février. En avril ce dernier est écarté de la direction d’Unité radicale (UR) par Fabrice Robert et Philippe Vardon. Pour la manifestation du Premier mai, Bruno Gollnisch contacte UR ainsi que d’autres groupuscules pour les intégrer au service d’ordre. Le 14 juillet, Maxime Brunerie, militant du MNR et d’UR, tente de tuer Jacques Chirac. Unité radicale est dissoute, pour réapparaître quelques semaines plus tard comme Bloc Identitaire. 20 septembre 2006 : Jean-Marie Le Pen prononce un discours à Valmy, au ton très républicain et social. Le texte aurait été écrit par Alain Soral qui s’est rapproché du Front national. Quelques semaines plus tard, Dieudonné, grâce à quelques anciens du GUD, est invité à l’annuelle fête des Bleu-Blanc-Rouge. En juin 2007, Soral crée Égalité et réconciliation : à sa première université d’été, on peut croiser des anciens du GUD, Serge Ayoub ou Christian Bouchet. Carl Lang quitte le FN après la décision de Marine Le Pen de ne pas le nommer tête de liste aux législatives : il lance le Parti De la France (PDF) qui sera toujours opposé à la normalisation mariniste et accueillera en son sein de nombreux radicaux. Alain Soral, déçu lui aussi de ne pas être nommé tête de liste du FN pour les européennes, quitte le FN et rejoint Dieudonné pour mettre en place la très antisémite « Liste antisioniste ».
Années 2010
La nouvelle stratégie du FN version Marine est basée sur les médias. Bête médiatique comme son père, elle est très présente à la télé ou la radio. Elle réussit à rallier à elle des personnalités médiatiques comme Gilbert Collard, ce que son père n’avait jamais réussi à faire. En interne, elle se débarrasse de tous ceux et celles qui pourraient s’opposer à elle ou dont les positions trop radicales pourraient la gêner dans sa quête de normalisation du FN. La situation du parti et le positionnement de sa présidente ont recréé un nouvel espace pour les mouvements radicaux, même si certains rejoignent néanmoins le FN, comme les générations 1990 et 2010 du GUD. Dans les mois qui suivent son élection, Marine Le Pen et son équipe font la chasse aux soutiens de Gollnisch jugés trop radicaux : Alexandre Gabriac, membre de l’Œuvre française, est exclu du FN pour un salut fasciste, tout comme Yvan Benedetti, chef de Jeune Nation. Le 8 mai est lancé le Rassemblement Bleu Marine (RBM) à l’initiative du parti Souveraineté, indépendance et libertés (SIEL) dont le but est de rassembler des militants et sympathisants hors du FN pour les législatives de 2012.
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Florian Philippot est son porte-parole. Même si Marine Le Pen rate de peu son entrée à l’Assemblée nationale, sont élue dans le sud de la France sa nièce Marion Maréchal (soutenue par son grand-père Jean-Marie) et l’avocat Gilbert Collard (qui avait tenté de dépolitiser la profanation du cimetière juif de Carpentras). Lors du défilé du FN du Premier mai 2013, la sécurité est assurée par des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub, employés par Axel Loustau, ancien dirigeant du GUD et associé de Frédéric Châtillon. Un mois plus tard, Le 5 juin, un jeune militant antifasciste, Clément Méric, est tué par Esteban Morillo, proche d’Ayoub et membre de Troisième voie. Aux élections municipales, le FN obtient 1544 postes de conseillers et emporte plusieurs mairies : Hénin-Beaumont (Steeve Briois) dès le premier tour, Fréjus (David Rachline), le 7e secteur de Marseille (Stéphane Ravier), Beaucaire, Villers-Cotterêts, Hayange, Le Pontet, Le Luc, Cogolin, Mantes-la-Ville. Robert Ménard, soutenu par le FN, est élu à Béziers. Le 20 août 2015, Jean-Marie Le Pen est exclu du parti par sa propre fille. La situation ne pouvait plus durer : « le Vieux », à qui le poste de président d’honneur avait été accordé dans l’espoir de le faire taire, avait multiplié les provocations et mit des bâtons dans les roues de sa fille dans sa tentative de normalisation du FN. Alors que la campagne pour les présidentielles avait été menée en amont et sur le terrain, c’est au dernier moment que la catastrophe est venue : agressive, riant nerveusement, imprécise dans ses réponses qui frisent l’incompétence, Marine Le Pen semble retrouver le rôle de trublion pas crédible qui était celui de son père. Nombreux seront ceux qui verront dans ce débat manqué la raison de l’échec du second tour. Le 1er juin 2018, après des mois de consultation, le Front national change de nom. Le Rassemblement national est une référence au groupe parlementaire de 1986 mais se veut aussi un appel à se retrouver autour de Marine Le Pen. Or celle-ci semble de moins en moins en capacité d’incarner la fameuse union des droites, tandis que certains comme Nicolas Dupont-Aignan semblent mieux placés pour cela, et que d’autres comme Robert Ménard pensent que cette union ne pourra se faire qu’en dehors des partis. Le Rassemblement national est allé chercher au berceau sa tête de liste pour les élections européennes de 2019 : Jordan Bardella, qui milite au FN depuis ses 17 ans, d’abord proche de Florian Philippot puis de Philippe Olivier, est porte-parole du FN, directeur national de Génération nation (nouveau nom du Front national de la jeunesse), membre du bureau exécutif et devient, à 23 ans, le nouveau visage du Rassemblement national.
Années 2020
La normalisation du Rassemblement national dans le paysage politique semble achevée : sa base électorale est stable et lui permet désormais d’envisager sérieusement d’arriver au pouvoir, et la banalisation de ses propositions racistes et nationalistes relayées par tout un écosystème médiatique et numérique lui permet de faire l’économie des provocations passées. L’apparition sur sa droite d’un concurrent, Éric Zemmour, en est un signe supplémentaire : l’échec de Reconquête ! et le retour des renégat·es dans le giron du RN montrent que, plus que jamais, la formation des Le Pen reste l’épicentre du nationalisme français. Rien ne semble pouvoir l’arrêter : mais combien de temps va tenir le tandem Marine Le Pen/Jordan Bardella ? À la suite du succès de ses provocations islamophobes sur Cnews et de ses livres réactionnaires, le polémiste Eric Zemmour songe dès 2019 à se présenter aux présidentielles de 2022. Des sondages favorables, des centaines de milliers de vues de ses publications sur les réseaux sociaux et le soutien spontané de tout ce qui se trouve à la droite du RN le pousse à annoncer sa candidature en novembre 2021.
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Sûr de sa victoire, il ne ménage pas ses critiques à l’égard de sa concurrent Marine Le Pen. Mais lors des élections, c’est la douche froide : 7% à la présidentielle, 4% aux législatives (Zemmour lui-même est battu). Après quelques départs et de l’agitation autour de centres pour migrants, Reconquête ! se lance dans la campagne pour les européennes de 2024 avec Marion Maréchal comme tête de liste : après un score décevant (5,5%) cette dernière n’hésitera pas à trahir Zemmour en se rapprochant de Marine Le Pen. Afin de se consacrer entièrement à la campagne présidentielle de 2022, Marine Le Pen annonce en septembre 2021 laisser la présidence du RN, laissant son premier vice-président Jordan Bardella assurer la direction du mouvement. Lors du congrès de 2022, ce dernier est élu à la tête du RN avec près de 85% des voix : Bardella impose ses proches au bureau exécutif et rares sont ceux, comme Steeve Briois, à oser contester ses choix. À la surprise générale, le président Macron décide de dissoudre l’Assemblée nationale au lendemain des européennes de juin : le RN est en position de force et en tête dans tous les sondages, et Jordan Bardella se voit déjà premier ministre, d’autant que le président des LR, Eric Ciotti, passe un accord avec le parti de Le Pen. Mais au second tour, par suite nombreux désistements, le RN se retrouve en 3e position et n’obtient « que » 142 député·es, ce qui fait quand même de lui le premier parti de l’hémicycle.
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