Ripostons à l’autoritarisme !

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CONSTRUIRE UNE ALLIANCE DES LUTTES POUR FAIRE FACE A LA GÉNÉRALISATION DE LA RÉPRESSION

Cette année, la Marche pour Adama était plus que jamais placée sous le signe de l’alliance des luttes. Un appel national à en faire un « Acte 36 des gilets jaunes » pour « riposter à l’autoritarisme ! » avait ainsi circulé, porté par des dizaines de collectifs et organisations [1] Cette présence massive des gilets jaunes à Beaumont-sur-Oise, dont nombre d’entre eux n’avaient auparavant jamais mis les pieds dans un quartier populaire, était l’aboutissement d’une année 2018-2019 marquée par des rencontres inédites entre mondes militants. Après l’appel à mettre les « quartiers en gilet jaune » du Comité Adama (ainsi que du Collectif de Libération et d’Autonomie Queer, de l’AFA et de la Plateforme d’Enquête Militante) pour rejoindre les manifestations en décembre 2018 [2], cette journée faisait office de « match retour » – des Champs-Élysées à Boyenval. De manière plus souterraine, cette alliance était aussi une concrétisation de la dynamique « Ripostons à l’autoritarisme ! », une initiative lancée depuis l’automne 2018 notamment par des militant-e-s de Solidaires, d’ATTAC, du Comité Adama Traoré et de Bure pour tisser une alliance des luttes et des collectifs face à la généralisation du mode de gouvernement autoritaire à l’ensemble des contestations sociales. Comment cette dynamique s’est-elle impulsée ? Quelles en ont été les actions principales ? Quelles perspectives et quelles limites pour 2020, alors que l’autoritarisme du pouvoir macroniste continue de se renforcer ?

2017 – 2018 : LA GÉNÉRALISATION DE LA RÉPRESSION A TOUTES LES FORMES DE CONTESTATION

La genèse du collectif « Ripostons à l’autoritarisme ! » se situe à l’automne 2018 – un peu avant les gilets jaunes. Après un peu plus d’un an de pouvoir macroniste, sa politique « thatchérienne » d’épreuve de force n’en est qu’à ses prémisses mais elle est déjà ravageuse. Petites phrases méprisantes, maintien de l’ordre brutal, asphyxie judiciaire et usage policier de la procédure pénale : on trouve déjà les ingrédients typiques de la répression à la française, qui (re)deviendra mondialement célèbre à partir des gilets jaunes, jusqu’à être dénoncée par l’ONU. À cette période, toutes les luttes semblent exsangues, sidérées par les réformes et les attaques entreprises sur tous les fronts. Rien ni personne semble n’y échapper : les cheminot-e-s ont été défaits lors de la « bataille du rail », les territoires en lutte et les ZAD sont à genoux, les lycéen-ne-s et les étudiant-e-s n’ont pas pu empêcher ni ParcourSup ni la loi ORE, etc. Et, s’il fallait le préciser, la situation déjà désastreuse des migrant-e-s et des violences policières dans les quartiers populaires ségrégués s’aggrave encore – avec le passage de la loi Asile et Immigration, la poursuite des crimes policiers dans les quartiers (d’autant plus légitimés avec le nouveau « permis du tuer » issu de la loi du Code de la Sécurité Intérieure) (https://lundi.am/Angelo-Garand-tue-de-5-balles-dans-thorax-par-des-gendarmes). Quelques exemples donnent la mesure de la gangue policière et judiciaire qui s’abat sur les différents foyers de contestations.

À Bure, dans la Meuse, la communauté de lutte contre le projet CIGEO de méga-poubelle nucléaire, est ciblée par une répression policière et judiciaire d’ampleur inédite pour une lutte écologiste depuis plusieurs décennies. Depuis l’été 2017, un escadron de 80 gendarmes mobiles s’est installé directement dans le laboratoire de recherche de Bure. Des patrouilles tournent incessamment dans les villages, filment et traquent les habitant-e-s et opposant-e-s. En août 2017, une manifestation violemment réprimée fait plusieurs blessé-e-s graves : Robin Pagès, en particulier, a le dessus du pied gauche déchiqueté par l’explosion d’une GLI-F4. En février 2018, la forêt occupée par les opposant-e-s est violemment expulsée. Une politique d’asphyxie judiciaire se met en place : en un an, près de 50 procès auront lieu pour vider le territoire de ses opposants, au prétexte de délits mineurs (outrages, rebellions, refus de signalétique, etc.). Plus d’une vingtaine d’interdiction de territoires seront prononcées, des dizaines de mois de sursis. Cinq personnes placées en prison ferme, etc. Les militant-e-s sont jugées lors de journées spéciales au tribunal de Bar-le-Duc, où le procureur Olivier Glady rivalise de petites phrases humiliantes pour pousser l’audience à bout et multiplier les évacuations de salle.

À Notre-Dame-des-Landes, le projet d’aéroport est abandonné le 17 janvier 2018. Mais cette victoire sera chèrement payée. Le 9 avril 2018, 2500 gendarmes mobiles et 8 véhicules blindés de la gendarmerie (VBRGM)) envahissent les chemins boueux du bocage nantais. Six ans après l’opération CÉSAR, la zone se transforme en champ de bataille. C’est la plus grosse opération policière depuis la répression militaire de la révolte des banlieues en 2005. 8000 grenades lacrymogènes et 3000 grenades assourdissantes sont tirées. Des dizaines de blessé-e-s sont à déplorer. Le jeune Maxime sera mutilé par l’explosion d’une grenade GLI-F4.

Le 22 mai 2018, 102 lycéen-ne-s et étudiant-e-s en lutte sont violemment interpellés lors d’une assemblée générale dans le lycée Arago. Le Code de Procédure Pénale et les droits de la défense sont bafoués : les jeunes sont parqués pendant de longues heures dans des fourgons, dans le noir, sans boire, ni manger, ni aller aux toilettes ; placés en garde-à-vue, pour certains à 20 dans une cellule, parfois sans notification de leurs droits ou information aux parents pour les mineurs, etc. Nombre d’entre eux seront plus tard « fichés S » alors qu’ils ont été relâchés sans charge. Un collectif de soutien se crée, des manifestations s’organisent.

En mars 2018, des nervis d’extrême-droite, cagoulés, armés de bâtons et d’un taser, attaquent une AG étudiante à la fac de Montpellier occupée, blessant sept personnes – ce qui suscitera la « fierté » du doyen de la faculté de droit de l’époque, Philippe Pétel. En avril 2018, des dizaines de CRS interviennent sur le campus de la faculté de Nanterre, durant une assemblée générale – en pleine commémoration de mai 68. Deux étudiants seront condamnés à 6 mois de prison ferme et 4 mois de prison avec sursis, simplement pour s’être mobilisés dans le cadre d’une lutte étudiante.

La liste pourrait continuer encore largement. À l’automne 2018, il n’apparaissait déjà plus possible de continuer à lutter en prétendant que « l’anti-répression » était, au mieux, un enjeu secondaire, au pire quelque chose qui fait peur aux gens et détourne des revendications initiales.

DÉPASSER L’ISOLEMENT ET LES INITIATIVES « ANTI-RÉPRESSION » QUI SE SUIVENT SANS FAIRE BOULE DE NEIGE

Pour prendre acte de cette situation d’asphyxie répressive, de premières rencontres informelles ont lieu à la fin 2018 à la Bourse du Travail à l’appel de militant-e-s de Bure, regroupant des membres de plusieurs collectifs et organisation : comité Adama Traoré, ATTAC, Solidaires, ANVCOP21, Front de Mères, Réseau Sortir du Nucléaire, Confédération Paysanne, Tous Migrants (lutte de Briançon), des avocat-e-s du SAF, etc. L’enjeu est de construire un cadre de rencontres et d’échanges pérenne, qui puisse aller au-delà des multiples journées et initiatives sur la répression qui restent bien souvent sans suite malgré leur affluence. À l’automne 2018, un tel espace semblait manquer. Les plateformes de gauche unitaires créées lors des dernières années pour se mobiliser contre l’État d’urgence, sa reconduction, et les nombreuses lois liberticides qui se sont enchaînées (« Nous ne cèderons pas ! » « Stop État d’Urgence », « Réseau Antiterrorisme droit et libertés », etc.) ne sont plus vraiment en activité. À Paris, et ailleurs, des journées de rencontres s’organisent, notamment à la Bourse du Travail, et sont largement fréquentées par des centaines de personnes (Farce doit rester à la justice en avril 2018, journée sur la répression à la Bourse du Travail en décembre 2018, meeting sur la répression en mars 2019, etc.). Malgré leur succès, qui atteste d’une demande réelle de dynamique sur le sujet, ces journées « n’embrayent » pas sur d’autres propositions. Bref : les espaces issus de la gauche unitaire traditionnelle du mouvement social semblent manquer de souffle.

La riposte politique à l’autoritarisme s’élabore plutôt par des actes concrets, sur le terrain, par les premier-e-s concerné-e-s, à travers la montée en puissance de collectifs autonomes et dynamiques. En mai 2018, le comité Adama prend la tête de la « marée populaire » et met au cœur du mouvement social le combat anti-raciste contre les crimes policiers dans les quartiers populaires. Tout au long des années 2017 et 2018 les comités Vérité et Justice se multiplient à mesure que les crimes policiers se poursuivent dans les quartiers populaires : pour Angelo Garand, Gaye Camara, Selom et Matisse, etc.   À partir de novembre-décembre 2018, les photos des gilets jaunes grièvement blessé-e-s et mutilé-e-s se multiplient sur les ronds-points et les page Facebook. Des collectifs de blessé-e-s se créent, comme les Mutilé-e-s pour l’exemple, et renforcent le combat porté depuis 2014 par l’Assemblée des Blessé-e-s. À Saint-Nazaire et ailleurs, certains groupes locaux de gilets jaunes, largement touchés par la répression judiciaire, créent leurs propres équipes anti6répression (voir plus bas). Les structures de l’antirep (legal team, caisse de solidarité, groupe de défense collective), développées depuis le début 2010 dans les mouvements sociaux et les luttes migratoires, se mettent au service du mouvements des gilets jaunes à partir de janvier 2019 dans la plupart des villes où elles existent.

CONSTRUIRE UN ESPACE D’ÉCHANGES PAR LA BASE

Il y a donc sur le terrain un grand nombre de ripostes et de résistances concrètes à l’autoritarisme. Mais, semble-t-il, peu d’échanges et d’élaboration entre elles. Chaque lutte, chaque collectif, semble rester dans une position de réaction, en tentant, dos au mur, de rendre au mieux les coups qui lui sont portés et évitant de sombrer. Comment faire en sorte que cette vitalité des luttes de terrain, auto-organisées et portées par les premier-e-s concerné-e-s, puisse donner naissance à un espace de rencontres et d’échanges (a minima) au niveau national ?

Comment éviter d’avoir d’un côté des « plateformes unitaires » qui peuvent vite s’essouffler et de l’autre des collectifs parfois « enfermés » dans un face-à-face avec la machine répressive ? Comment éviter de renforcer les séparations entre les collectifs et militant-e-s familiers de « l’antirep » et des organisations moins habituées, et trouver des complémentarités ?

Comment parvenir à relier l’ensemble des réalités sociales et politiques touchées par la répression dans des formes et des degrés très différents, des écologistes non-violents d’ANVCOP21 récemment poursuivis pour ce qu’ils font, aux comités Vérité et Justice et aux exilé-e-s banalement tué-e-s depuis des décennies pour ce qu’ils sont ? Et pour aller vers où ? En bref : quelles alliances construire pour riposter à l’autoritarisme qui se généralise en France et partout dans le monde, comment le faire et sur quelle base ?

UN COLLECTIF AUX BASES POLITIQUES AFFIRMÉES

C’est pour réfléchir en commun à toutes ces questions que, de novembre 2018 à avril 2019, le collectif « Ripostons à l’autoritarisme » prend le temps de se rencontrer à la Bourse du travail lors de réunions internes.

À partir du 17 novembre 2018, l’éruption du mouvement des gilets jaunes, sa répression policière et judiciaire implacable et la stigmatisation médiatique dont il fait l’objet, renforce la nécessité de construire une dynamique fondée sur l’alliance des luttes par la base. Le collectif de Gilets Jaunes de la Maison du Peuple Saint-Nazaire – un des bastions locaux les plus dynamiques du mouvement à l’époque – rejoint ainsi la dynamique début 2019. Plusieurs de ses membres ont été poursuivis en justice, certains sont placés en prison pour plusieurs mois, d’autres sous des contrôles judiciaires qui les empêchent de rentrer en contact en attendant leurs procès. L’un d’entre eux est par ailleurs grièvement blessé à la rate par un tir de LBD-40 et fait l’objet d’une hospitalisation prolongée. Fait assez rare au début 2019, ce groupe, aidé par des militant-e-s de la legal team nantaise, va constituer son propre groupe d’autodéfense juridique. Alors que les pratiques d’autodéfense face à la police se sont diffusées de manière organique dans la rue à partir du 24 novembre 2018, la diffusion des pratiques d’autodéfense juridique et de défense collective – sans doute plus difficiles à s’approprier – mettent beaucoup plus de temps. Des milliers de gilets jaunes ont ainsi

Au fur et à mesure des discussions informelles émerge l’idée de la première action commune, qui se déroulera le 11 mai 2019 : une rencontre publique entre les collectifs et luttes réprimées. Les discussions en amont se sont concentrées en priorité, non pas sur le programme de la journée et les invitations, mais le socle politique à partir de quoi tisser ces alliances sur des bases suffisamment solides. Celui-ci se veut à la fois ferme sur des points essentiels, sans tomber dans une logique d’entre-soi radical peu rejoignable. Ce socle, affirmé dans l’appel de la journée signée par des dizaines d’organisations et de collectifs, s’est basé sur quatre axes principaux.

➔ Premier axe : reconnaître que nous n’assistons pas à « l’avènement » d’un mode de gouvernement autoritaire, mais à sa « généralisation à toute la société », du moins de franges et de luttes qui en était épargnée, selon un mouvement qui va de la marge (quartiers populaires, migrant-e-s, personnes racisé-e-s, musulman-e-s, hooligans, etc.) au centre (milieux militant-e-s, écologistes, classe moyenne blanche, etc.).

➔ Deuxième axe : nommer les choses par leur nom, reconnaître que ce mode de gouvernement est systémique. Refuser de parler de « dérive autoritaire » comme certain-e-s, il y a encore quelques années, pouvaient parler de « bavures policières ». Ce mode de gouvernement inscrit les lois liberticides les fondements législatifs, garantit par une excroissance du pouvoir administratif discrétionnaire, assume une logique de guerre médiatique (ou répression par la stigmatisation) à l’aide d’un relai complaisant. Il s’est agi d’assumer le terme « d’autoritarisme » – ce qui au printemps 2019 n’était pas encore une évidence généralisée dans tout le mouvement social.

➔ Troisième axe : « nous refusons de jouer le jeu de la division » et « nous ne voulons plus laisser personne derrière, isolé-e face à la répression policière et judiciaire ». Une manière de dire que la question des « bons et mauvais manifestant-e-s/réprimé-e-s » n’est pas l’enjeu des différents collectifs et organisations qui participent à l’initiative. Une possibilité, aussi, de trouver des moyens de se relier malgré les désaccords sur les tactiques et modes d’action (violence VS non-violence, complémentarité des pratiques), dans une perspective de solidarité. L’ouverture, enfin, d’une réflexion pour ne pas faire de la répression (récente) des mouvements sociaux une « exception » qui invisibiliserait la banalité de la gestion sécuritaire et raciste des quartiers populaires, des exilé-e-s, etc.

➔ Quatrième axe : reconnaître « qu’il existe aujourd’hui en France des centaines de prisonniers politiques, de condamnés, de « délinquants » dont le seul crime est de lutter pour le droit à vivre dans la dignité, parce qu’ils ne s’en sortent plus. […] Condamnés, parce qu’ils ne sont pas nés avec la bonne couleur de peau ou le bon patronyme. » Et en revendiquer sans ambages l’amnistie. À noter que la réflexion sur le statut de « prisonnier politique » ne fait pas l’unanimité et a suscité des débats lors de la rencontre de mai 2019.

METTRE LA LUMIÈRE SUR LA RÉPRESSION JUDICIAIRE ET LA CRIMINALISATION DES LUTTES

La « Rencontre contre la criminalisation des luttes » du 11 mai 2019, à la Bourse du Travail [3], apparaît donc – à notre connaissance – comme une initiative relativement pionnière. La journée a regroupé entre autres : des militant-e-s du comité Vérité et Justice pour Adama, pour Lamine Dieng, pour Wissam el-Yamni, des militant-e-s de Tous Migrants à Briançon, du Front de Mères, de Désarmons-Les, du collectif des lycéen-ne-s de Romain Rolland, du collectif antifasciste « Libérons-Les », d’un militant mis en examen à Bure, une enseignante syndicaliste de Sud Éducation menacée de mise à pied dans le collège République à Bobigny, une militante d’ANVCOP21, un paysan de la Confédération paysanne, un journaliste de terrain particulièrement dans le viseur des forces répressives et une gilet jaune de Saint-Nazaire. Les premier-e-s concerné-e-s se sont saisis ensemble, depuis leurs positions spécifiques, d’une situation qui tend à devenir commune.

L’un des angles importants de la journée, affirmé dans les ateliers et les plénières de l’après-midi, était de mieux visibiliser la question de la criminalisation et de la répression judiciaire, et réfléchir aux manières d’y riposter collectivement. En ce printemps de 2019, les violences policières étaient déjà relativement « visibles ». L’éruption des gilets jaunes les ont mises sur le devant de la scène médiatique et politique comme jamais en cinquante ans de « répression française ». Il n’en allait pas de même – et c’est toujours le cas – pour les violences judiciaires. Peu visibles, moins spectaculaires, elles s’avèrent pourtant aussi asphyxiantes et paralysantes. Il est impossible d’isoler un des aspects de la répression d’État, où le continuum police-justice tend à s’affirmer d’une manière de plus en plus décomplexée (du moins jusqu’au Parquet). Deux ateliers thématiques ont abordé cette question : comment mieux visibiliser et documenter les violences judiciaires ? Comment riposter à la généralisation des poursuites pour délits collectifs et préventifs (participation à un groupement en vue de commettre des violences, bande organisée, association de malfaiteurs) – qui sont l’un des emblèmes de la logique de « neutralisation préventive » issue du mode de gouvernement anti-terroriste ? 

La question de la répression carcérale, jusqu’alors peu présente dans le mouvement social, a également été abordée. Là encore, comment documenter et visibiliser les différentes situations ? Comment construire des luttes et des solidarités fortes envers les détenu-e-s, dans un contexte de dépolitisation totale des gestes incriminés au tribunal, sans pour autant s’appuyer sur la figure problématique du « prisonnier politique » qui risque de créer des séparations entre « militant-e-s » et « droit commun ». Il s’agit de savoir comment ne surtout pas « exceptionnaliser » la répression faite au mouvement social, mais bien la prendre comme un traitement « normal » que réserve l’État aux marges qui est maintenant « découvert » par des populations (principalement de classe moyenne non-racisées) qui ne la vivaient pas auparavant. Enfin, un dernier atelier a soulevé l’enjeu du renforcement de la solidarité matérielle et financière avec les nombreux blessé-e-s graves, qui se trouvent démunis et isolés face à des frais médicaux qui sont parfois colossaux et/ou non remboursés – sans parler des assurances qui refusent de les rembourser pour cause de « participation à une émeute ». Les différents échanges ont été très riches et de nombreuses idées de projets concrets ont été soulevés dans les ateliers, notamment celle de susciter partout des Observatoires locaux des pratiques et violences judiciaires, à l’instar des Observatoires des pratiques policières qui ont émergé depuis 2017 dans une dizaine de villes, de Toulouse à Montpellier, et sont devenus de véritables contre-pouvoirs.

CONCLUSION : UNE DYNAMIQUE DE RENCONTRES ET D’ACTIONS COMMUNES A POURSUIVRE

Comment continuer cette dynamique prometteuse ? Après la magnifique Marche pour Adama, quelques ateliers se sont également déroulés en août 2019 lors du contre-G7 à Bayonne. L’automne 2019, entre le mouvement climat et le mouvement social massif contre la réforme des retraites, a été très chargé. En ce début d’année 2020, la dynamique du collectif « Ripostons à l’autoritarisme » mérite un second souffle. Mais il semble qu’elle contribue, avec d’autres, à une dynamique de porosité entre de nombreuses franges des différentes réalités « existentielles » et politiques, des mille mondes qui contribuent au mouvement social. D’une certaine manière, « l’esprit » de la rencontre de mai 2019 et de la marche de juillet 2019 infuse en profondeur. De nombreuses actions communes et transversales entre collectifs et bases émergent : frottements lors de la marche climat de septembre 2019, occupation du centre commercial Italie 2 en octobre 2019, sans parler des innombrables assemblées interprofessionnelles largement ouvertes et poreuses lancées depuis le 5 décembre, ou encore les assemblées gilets jaunes et « citoyennes/populaires » qui parsèment tout le territoire. L’enjeu, à terme, est sans doute moins de créer des cadres formels, ou des appels parfois creux à des « coordination nationale anti-répression » ou des « plateforme unitaires », que de continuer de renforcer ces solidarités de terrain, ancrées dans des lieux, des pratiques et des outils communs, des chants, etc. Il y a d’un côté la « giletjaunisation » des corps et des cœurs, et de l’autre, peut-être, une conscience et/ou un pressentiment que, face à la déferlante autoritaire qui commence, l’ère du « militantisme » habituel – avec son cortège de postures, de querelles de chapelles et d’identité, de logique de prés carrés sectoriels – doit céder place à des résistances communes et un souci de se tenir ensemble. Le collectif prévoit de nouvelles rencontres et action en 2020 et peut être rejoint en écrivant à l’adresse retrouversouffle@riseup.net.


[1] https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/160719/appel-du-20-juillet-marchons-pour-adama-et-ripostons-lautoritarisme

[2] www.bondyblog.fr/societe/gilets-jaunes-quartiers-comite-adama

[3] Voir un article de compte-rendu ici : https://reporterre.net/Contre-la-repression-les-luttes-tissent-un-front-commun

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Des membres à l’initiative du collectif

20 juillet 2019, Beaumont-sur-Oise. Dans la banlieue située à 60 km de Paris, malgré les averses, en dépit des transports ralentis, 5 000 personnes se sont rassemblées pour la troisième Marche pour Adama Traoré. Sous les regards bienveillants des habitant·es et des commerçant·es, la foule compacte parcourt le chemin jusqu’au quartier de Boyenval, passant devant la gendarmerie où le jeune homme est mort trois ans plus tôt « sous le poids de trois gendarmes et d’un système ». Comme en 2018 déjà, on y trouve toutes les couleurs et toutes les tendances du mouvement social : habitué·es du cortège de tête, organisations syndicales, membres et figures de partis de gauche, collectif des Gilets noirs, cortège « queer venère », collectifs écologistes, etc. Mais le fait nouveau et historique, c’est le jaune fluo qui mouchète le cortège. Plusieurs centaines de gilets sont venus de Saint- Nazaire, d’Amiens, de Commercy, de différentes régions d’Île-de-France, sans parler des « figures » comme Jérôme Rodriguez, Fly Rider ou Priscilla Ludovsky.