Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté

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Presque 30 millions de personnes cotisent au titre de l’assurance-retraite, et 16 millions touchent une pension. Autant dire que la destruction du système de retraite concoctée par le gouvernement Macron percute grandement la population ! C’est ce qui explique la très forte et longue mobilisation contre un projet qui, en fait, n’entrera pas en vigueur avant au moins 2037 ; 2047 pour les actuels régimes spéciaux.

LE TOUR DE PASSE-PASSE DE L’AGE-PIVOT

L’âge-pivot a été ajouté dans la contre-réforme plusieurs jours après le début de la grève, pour que la CFDT et l’UNSA entrent dans l’affaire et puissent ensuite se retirer, donnant l’impression que « l’unité syndicale s’affaiblit ». Il s’agissait d’un « chiffon rouge », agité pour tenter de polariser l’attention sur ce point, dans l’idée de faire passer plus facilement tout le reste du projet de retraite à points. Quelques semaines plus tard, le Premier ministre, Edouard Philippe, a retiré l’âge-pivot (qu’il avait fixé à 64 ans) du projet de loi. En réalité, il renvoyait vers ses « partenaires sociaux » (CFDT, UNSA, CFTC) la responsabilité de fixer cet âge renommé « d’équilibre ». Ce retrait provisoire n’a pas mis un terme au mouvement. Comme si les grévistes allaient oublier pourquoi ils et elles étaient en grève depuis le 5 décembre ! Comme si nous allions oublier pourquoi les manifestations se succédaient dans tout le pays, oublier pourquoi la grande majorité de notre classe sociale soutenait le mouvement et y participe sous des formes diverses ! Non, nous n’avons pas oublié. Et nous avions le soutien de l’intersyndicale nationale CGT/FO/CGC/Solidaires/FSU, renouvelant son appel à la grève reconductible.

L’ÉTERNEL « RETOUR » DE LA LUTTE DE CLASSES

Comme tout mouvement d’ampleur, sa raison ne se limite pas à une cause ; il y a un refus plus global de « l’avenir qu’on nous prépare », une volonté d’en finir « avec les injustices et la misère d’aujourd’hui » et, au fil des discussions, une aspiration grandissante à « une reprise en mains de nos vies », parfois en remettant en cause la hiérarchie, les tâches inutiles, les politicien.nes professionnel.les qui s’approprient la politique, l’invention du chômage au lieu de diminuer le temps de travail, etc. Les Gilets jaunes sont passés par là, diront certain.es ; ce n’est qu’un retour aux fondements du mouvement ouvrier, diront d’autres ; tous et toutes ont raison, dirons-nous. La lutte des classes est inhérente à la société capitaliste ; elle ne revient pas au premier plan ; c’est seulement que, par l’action directe des grévistes, nous avons repris l’offensive ; alors qu’en temps qu’on veut nous faire passer pour « ordinaire », ce sont les patrons et leurs alliés qui la mène.

Le rejet du projet de loi sur les retraites dépasse les contours de la classe ouvrière. Les divers soutiens venant du monde des arts, de la culture ou de la recherche en témoignent. Mais c’est bien de soutien dont il s’agit là : la centralité de la grève est indéniable. Sans ce qu’on fait les cheminots et cheminotes de la SNCF, les salarié.es de la RATP, le personnel de l’Opéra de Paris mais aussi les avocats et avocates, d’autres encore, depuis le 5 décembre, il n’y aurait pas eu de « mouvement contre la retraite à point », on ne causerait pas du sujet, la Macronnerie suivrait son cours…

L’AUTO-ORGANISATION, ÇA S’ORGANISE

Une nouvelle génération militante se sera forgée dans cette lutte. C’est important. Un bilan critique sera à faire, des points négatifs ne doivent pas être passés sous silence si nous voulons être plus fort.es à l’avenir, mais là aussi, il faut affiner : l’auto-organisation, la démocratie des assemblées générales sont en recul à la SNCF par rapport à de précédentes grèves ; mais, quelles avancées à la RATP qui ne connaissaient rien de cela depuis très longtemps ! A la SNCF, assez rapidement les pourcentages de grévistes ont été très différents entre les agents de conduite et les autres ; ce n’est pas sans lien avec le point précédent, mais c’est loin d’être la première fois dans cette entreprise. Des secteurs entiers ne sont pas rentrés dans le mouvement, en dehors des « grosses journées », et encore, assez faiblement même ces jours-là. Le terme « A.G. » est utilisé pour des situation bien différentes, certaines assez éloignées de la démocratie directe : AG des grévistes sur leur lieu de travail ; AG interprofessionnelle de ville ou quartier, que celle-ci soit l’émanation d’AG de grévistes ou le lieu de rencontres d’activistes qui ne sont pas tous et toutes partie prenante d’une grève ; AG autoproclamée « de base », alors même qu’elle est inventée par un ou des groupes politiques, sans aucun mandat des collectifs en grève … De cela et de bien d’autres choses, il faudra tirer des enseignements : ils n’auront d’intérêt que discutés et partagés par les acteurs et actrices de ce mouvement, et donc des prochains. A ce titre, citons cet extrait d’un bilan d’étape proposé par un des syndicats SUD-Rail [2] : « Sur toute cette longue période des fêtes, les AG ne rassemblent plus que quelques militants, des représentants de groupes politiques et des représentants d’autres secteurs professionnels qui ne sont plus en grève et viennent expliquer aux cheminots qu’il faut tenir ».

Mais par-delà les enseignements et critiques constructives, rappelons-nous : combien croyaient que la grève reconductible irait plus loin que mi-décembre ? Combien auraient parié sur sa poursuite après les fêtes de fin d’année (d’autant que la seule perspective intersyndicale nationale était le lointain rendez-vous du 9 janvier) ?

EN FINIR AVEC LE MYTHE DE LA GRÉVE PAR PROCURATION

L’expression fut abondamment employée à propos de la grève de 1995. Banalisée au cours de ce quart de siècle, elle fait partie de ce vocabulaire qu’on nous impose, même s’il ne veut pas dire grand-chose, et qui finit par faire sens, celui voulu par la classe dirigeante. Il faut en finir : la grève par procuration, ça n’existe pas. On est en grève ou on ne l’est pas. Si on ne l’est pas, on peut éventuellement soutenir la grève des autres, mais on n’y participe pas ; même par procuration. La « grève par procuration » est commode car elle évite de se poser les questions difficiles ; pourtant, ce sont souvent les bonnes questions. Mieux vaut s’atteler à comprendre pourquoi nos forces sont insuffisantes que de croire que dans la construction du rapport de forces, dans l’affrontement sociale, grévistes et non-grévistes pèsent du même poids.

Dans le même ordre d’idées, il est nécessaire de dire deux mots sur les actions dites de « blocage ». Elles peuvent servir de point d’accroche pour cristalliser la résistance des salarié.es ; à condition qu’il s’agisse de décision venant des travailleurs et travailleuses qui sont sur place ; ou du moins que cela se fasse en accord avec eux et elles. Cela peut paraître évident, mais l’expérience montre que ce n’est pas toujours le cas. Il est parfois des « avant-gardes » qui ne s’embarrassent pas de ce genre de détails, l’important étant de « faire le buzz », d’annoncer des blocages ici ou là, sans se soucier de la pérennité de ceux-ci, de la manière dont ils sont perçus par celles et ceux qui travaillent – ou sont en grève – sur place. Organisées dans un esprit de développement et renforcement de la lutte, et non de resserrement sur une minorité, les actions de blocage des entreprises et services contribuent au harcèlement envers le patronat. Harcèlement ? Oui, comme les patrons le pratiquent, à longueur d’années, quand nous sommes au travail !

LES GRÉVISTES FONT L’HISTOIRE

Plutôt par décisions d’assemblées générales à la RATP, plutôt par des sortes de non-décisions tacites à la SNCF, beaucoup des camarades en grève depuis le 5 décembre ont repris le travail vers la mi-janvier. Respect à elles et eux (mais aussi à toutes celles et ceux qui ont fait de même dans d’autres secteurs moins touchés et/ou moins médiatisés). Celles et ceux qui ont fait l’Histoire depuis le 5 décembre, ce sont les grévistes, pas les spectateurs et spectatrices, mêmes supporters, supportrices ou conseiller.es techniques….

TENIR EN ATTENDANT LES RENFORTS ?

La décision de reprendre du travail, prise courant janvier par beaucoup de grévistes de la RATP et de la SNCF est, bien sûr, lié à l’échec de l’élargissement de la grève. Il y a eu des grévistes en reconductible dans une multitude de secteurs et de territoires, mais la grève générale de masse n’a pas été possible. C’était un constat déjà partagé après deux semaines de lutte en décembre ; la période des fêtes (et congés) de fin d’année était une difficulté (surmontée par les grévistes), mais elle offrait aussi la perspective d’un rebond. La date, certes lointaine, du 9 janvier fut mise en avant par l’intersyndicale. Des secteurs professionnels sont entrés un peu plus dans le mouvement ; à l’inverse, dans l’Éducation nationale, relativement bien mobilisée dans les suites immédiates du 5 décembre, la grève reconductible est devenue celle de noyaux militants et/ou de quelques établissements, voire de villes, sans prendre au niveau national. Mais ces militantes et militants de la grève ont souvent joué un rôle important dans le soutien aux piquets de grève d’entreprises, dans les initiatives de soutien aux grévistes, dans l’organisation de manifestations et rassemblements interprofessionnels locaux. Une situation qu’on pourrait comparer à celle de l’énergie où la grève générale n’a pas pris non plus, mais où nombre de collectifs militants ont renoué avec les pratiques de coupures de courant, ciblées ou non, selon les cas … et les possibilités. La grève a pris de manière significative dans la Culture. A l’Opéra de Paris qui tenait depuis le 5 décembre, se sont ajoutés des musées, des bibliothèques, des théâtres, etc. La situation est restée très disparate dans les collectivités locales. Dans les raffineries, les grévistes n’ont pas créé le blocage de la production tant fantasmée dans des milieux militants. Dans les ports, la CGT, qui y a une place incontournable, a organisé des actions fortes, mais toujours limitées à 72 heures. Dans l’Enseignement supérieur et la Recherche, les choses sont montées en puissance à partir de janvier. Les étudiant.es et les lycéen.nes ont tenté, ici ou là, grèves, blocages, manifestations ; l’échéance des « épreuves communes de contrôle continu », mesure de la contre-réforme imposée par le Ministre de l’Éducation l’an dernier, a favorisé l’agitation lycéenne ; mais elle restée éparse et irrégulière. Des transports urbains, hors Ile-de-France, ont été en grève durant quelques journées. Et puis, au détour de discussions en manifestations, à la lecture de la presse locale, lors de conférences téléphonées syndicales, on apprend que la grève a touché telle enseigne commerciale, telle usine. Incontestablement, le climat est à la grève dans le pays. Mais pas au point que celle-ci se généralise. C’est tout le problème qui était posé à nos camarades en grève depuis le 5 décembre.

CONSTRUIRE UN MOUVEMENT SOCIAL POLITIQUEMENT GAGNANT OU CONSTRUIRE LE PARTI ?

Pour une toute petite partie, pas de problème : l’objectif n’est pas un changement radical de société grâce au mouvement social, ni la victoire sur la ou les revendications ; il s’agit seulement de « faire ses courses » pour son courant politique en recrutant quelques personnes à travers le conflit. Car, pour elles et eux, rien de possible sans construire « le » parti, leur parti. Ils et elles sont plus pro-Gilets jaunes que tous les Gilets jaunes, après avoir craché sur « ce mouvement réactionnaire » durant des semaines fin 2018 ; ils et elles en appellent à la grève générale depuis le 5 décembre, après avoir dénoncé cet « appel national de bureaucrates pour une date qui ne correspond à rien » ; ils et elles dénoncent « les confédérations syndicales qui ne veulent pas la grève générale », sans trop s’appesantir sur le nombre de grévistes là où ils et elles travaillent…

ET MAINTENANT ?

Plus compliquée est la situation pour l’immense majorité de grévistes, dont la grève est la préoccupation principale : leur grève individuellement avec ses conséquences financières, familiales, etc. ; leur grève collectivement, avec tout ce que ça signifie dans les rapports entre collègues, les moments d’enthousiasme mais aussi de doute, etc. Le recentrage vers les « grosses journées » de l’intersyndicale est incontestablement un problème. Ce n’est pas avec des successions de grève « carrées » (24 heures en l’occurrence, mais il en est de même si c’est 48 ou 72 heures) qu’on construit un mouvement fort, porté par des grévistes qui s’approprient le mouvement à travers des assemblées générales quotidiennes. Avant tout parce que dans ce type d’action, l’A.G. n’a pas grand intérêt ; d’ailleurs, bien souvent, elle disparait.

Clairement, la grève générale contre le projet de loi sur les retraites n’a pas pris. Mieux vaut dire les choses si on veut les analyser sérieusement. Cela ne signifie pas que « tout est perdu », loin de là. Les Gilets jaunes, les grévistes en reconductible depuis le 5 décembre, les grévistes pas en reconductible, les manifestants et manifestantes dans toute la France, toutes et tous forment un mouvement social, politique, d’importance. Celui-ci se poursuit. Cette ambiance, ce climat, cette réalité, il faut les inscrire dans la durée.

L’INVENTIVITÉ COLLECTIVE DANS LA LUTTE

Les actions contre les représentant.es directs des « puissant.es » y participent : lors de cérémonies de vœux, d’inaugurations, de spectacles, de déplacements officiels, etc. Jets d’outils de travail (des robes noires aux blouses blanches, en passant par les livres scolaires ou le matériel du personnel du Mobilier national), chœurs de l’Opéra à Bastille, ballerines en tutu devant le palais Garnier, pompiers escaladant la Gare du nord, coupures de courant ciblées, ne sont que quelques exemples d’une créativité qu’on retrouve dans toutes les manifestations, les piquets de grève, les collectifs en lutte. En prenant de telles initiatives, ces grévistes montrent que dans la lutte on peut se réapproprier son travail, son lieu de travail, la production de son travail et même décider de quand l’exercer.

A propos des retraites, ignorant la discussion piégée sur le seul financement (sans rien remettre en cause du système !), monte l’idée qu’avant tout « la Sécu, elle est à nous, pas aux patrons ni au gouvernement ; c’est à nous d’en décider ! » Bien sûr, il y a le projet de loi contre les retraites, mais nos colères sont multiples : de l’hôpital aux établissements scolaires, des pompiers aux égoutiers, des retraité.es aux lycéen.nes, des quartiers populaires aux avocats, des personnes au chômage aux victimes de l’auto-entreprenariat… Et les revendications féministes, antiracistes, égalitaires traversent et imprègnent (encore insuffisamment) tout cela. Fédérer nos refus et résistances, les dépasser : voilà l’enjeu. Il dépasse sans doute le temps d’une seule grève, mais se construit. Lois travail, gilets jaunes, retraites, nous sommes dans une séquence longue de la lutte des classes ; l’épisode en cours est important, bien sûr, mais non unique.

GRÉVE GÉNÉRALISÉE

Le mouvement qui a débuté le 5 décembre est d’une durée inédite. Dans le prolongement des Gilets jaunes, il fait vaciller le pouvoir ; celui incarné à travers les institutions du régime (président, ministres) mais aussi -et c’est le plus important- le pouvoir réel, celui du patronat, des financiers. C’est ce qui explique les atermoiements constatés du côté du gouvernement et les déclarations contradictoires de membres de la majorité présidentielle. La violence et l’impunité policières accrues, s’inscrivent aussi dans cette logique. La grève attaque directement le système dont la minorité d’exploiteurs profite ; ils craignent pour leurs profits.

C’est là qu’il faut concentrer les attaques : en cessant le travail, en se rappropriant les locaux, en bloquant l’économie, en interpellant directement leurs relais locaux (directions d’entreprise, mais aussi chambres de commerce et d’industrie ou unions patronales). Le besoin extension du mouvement ne se limite pas au soutien à celles et ceux qui sont déjà en grève ; c’est, avant tout, un objectif stratégique pour gagner plus vite et plus fort. Or, le constat est là : la grève générale interprofessionnelle n’a pas pris dans tous les secteurs ; tant s’en faut ! C’est une faiblesse sur laquelle il nous faudra travailler pour l’avenir. La question de la présence syndicale dans les entreprises est déterminante : une présence qui ne doit pas se limiter à la représentation institutionnelle là où elle existe encore, une présence qu’il faut reconquérir dans de très nombreux endroits où le prolétariat, lui, est toujours présent (petites entreprises, « auto-entrepreneurs », intérim, sous-traitance). A n’en pas douter, le syndicalisme interprofessionnel est une des réponses appropriées ; à condition de le (re)construire vraiment, à la base, en y mettant les moyens en temps et militants. A n’en pas douter, il est nécessaire que le maximum de militantes et militants s’y consacre dès maintenant, en se mettant à disposition des Unions interprofessionnelles, pour diffuser les tracts aux portes des entreprises qui ne sont pas dans le mouvement, pour y tenir des réunions d’information et de mobilisation, pour soutenir les délégué.es syndicaux isolé.es, pour faire le lien avec les Gilets jaunes, pour permettre des manifestations et autres initiatives interprofessionnelles locales.

Dans les entreprises où le difficile, mais indispensable, travail de propagande, explication, motivation et organisation n’a pas été réalisé entre septembre et début décembre, la réalité est en décalage avec ce qu’on connait par exemple à la SNCF ou à la RATP. Sur le plan interprofessionnel, la marche est plus haute encore ; une partie de ce qui a été abandonné depuis des dizaines d’années par le mouvement syndical, fut-il de lutte, ne sera pas rattrapable durant ce mouvement. C’est à long terme, mais sans tarder, qu’il faudra s’y atteler. Relançons une idée, adoptée déjà dans quelques congrès syndicaux mais quasiment nulle part mise en œuvre : rendre « normal » le fait qu’un pourcentage du temps de délégation syndicale de chaque militante ou militant soit consacré à des tâches interprofessionnelles. Cela n’aura rien de magique en termes d’effet, mais avec quelques autres dispositions portant sur la répartition du temps passé avec les collègues d’une part, avec les patrons d’autre part, ou le caractère interprofessionnel des formations syndicales, ça pourrait contribuer à changer grandement la donne.

On ne reviendra pas ici sur la question des caisses de grève1.  Autre fait notable : bien plus que lors des précédents grands mouvements sociaux dans le pays, beaucoup de choses se passent dans les localités : manifestations syndicales unitaires et pas seulement lors des « journées nationales », fêtes organisées en soutien aux grévistes, débats, actions visant des cibles économiques, aides au piquet de grève, etc.  Faute de grève générale, malgré les inédits appels unitaires nationaux, confédéraux et fédéraux, optons déjà pour une grève généralisée. L’objectif demeure la reconduction ; mais la grève partout, même si dans certains secteurs elle est limitée, voilà qui accélèrerait beaucoup les choses…

ÇA VA TOMBER COMME LES DOMINOS…

C’est Macron qui en avait parlé : « Si je commence à dire [qu’] on garde un régime spécial pour l’un, ça va tomber comme des dominos, hein ! Parce que derrière on me dira “vous faites pour les policiers, donc les gendarmes”. Donc en suite on me dira “vous faites pour les gendarmes, pourquoi pas pour les infirmiers et infirmières, les aides-soignants“… »  Il a fait pour les policiers, pour les gendarmes ; il a proposé, de manière notoirement insuffisante, pour d’autres ; il a retiré « provisoirement » son âge-pivot… Allez, poussons encore un peu…

De la mise à l’écart de Delevoye à l’avis très critique du Conseil d’État, de la mise en lumière du rôle de BlackRock à plusieurs déclarations de responsables de La république en marche : au-delà de l’affichage « droit dans ses bottes », le gouvernement tangue. La manière dont a été déclenché l’article 49.3 de la Constitution a renforcé ce sentiment : au détour d’un Conseil des ministres consacré au Corona virus, et en profitant de la situation sanitaire difficile dans le pays. C’est cela qui est significatif, plus que l’emploi d’une mesure déjà utilisée 88 fois sous la 5ème République ; nous ne faisons pas partie de celles et ceux qui pensent que, discuté durant des semaines à l’Assemblée nationale, le projet de loi serait devenu plus démocratique. Non, il est fait pour satisfaire les exploiteurs et faire payer les travailleurs et travailleuses ; c’est pour cela que nous le combattons !

LA VIOLENCE DE L’ÉTAT

Enseignant.es et lycéen.nes arrêté.es et placé.es en garde à vue, salarié.es de la RATP ou de la SNCF traduits devant les conseils de discipline, Gilets jaunes réprimé.es, etc., la répression touche tous les secteurs.

La violence policière montre que le pouvoir n’est pas serein. A ce sujet, la déclaration adoptée à Commercy ce 19 janvier dit l’essentiel : « Au moment même où nous nous réunissons à Commercy pour la première Commune des communes, le soulèvement des gilets jaunes et la mobilisation contre la casse des retraites ont une fois encore été violemment réprimés. Ces violences policières et judiciaires ne datent évidemment pas d’hier ; elles s’abattent depuis des années dans les quartiers populaires et de plus en plus sur les mouvements sociaux. Elles s’acharnent à terroriser quiconque entend résister au rouleau compresseur qui écrase un à un tous les conquis sociaux. Cette violence d’État n’est que le bras armé d’une violence économique, sociale et politique qui étouffe ce monde dans des logiques de marché, de compétition et de destruction. Nous ne pouvons plus nous contenter de la condamner. Il faut y mettre un terme. Nous exprimons notre solidarité aux victimes et aux collectifs qui les soutiennent et combattent ces violences depuis des années. Nous partageons leurs revendications et leurs luttes. La situation rend d’autant plus nécessaire et urgente la mise en commun de nos forces : face à la violence de ce monde, nous n’avons pas d’autre choix que de tout faire pour bâtir une société émancipée des rapports de domination, quelles qu’en soient les formes, pour une vie bonne, juste et libre. »

DES FAILLES

Le patronat est inquiet ; avec, certes, ses insuffisances vis-à-vis de nos espoirs et des besoins, la grève, les grèves qui continuent, ont des conséquences pour leurs profits. D’où une campagne haineuse relayée par plusieurs médias contre celles et ceux qui « ruinent le pays » : pas les patrons qui détournent des milliards, mais les grévistes et leurs organisations syndicales ! Ça ne prend guère au sein de la population, d’autant que les faits se succèdent, montrant à quel point la contre-réforme sur les retraites n’existe que pour satisfaire les appétits financiers d’une petite minorité. Après le symbole de la Légion d’honneur du 1er janvier remise au patron français du méga fond de pension américain Black Rock, qui attend avec impatience l’explosion de la retraite par capitalisation induite par la contre-réforme, on a les écrits d’Axa : dans ses documentations, la société d’assurance et de gestion des actifs annonce « la baisse programmée des futures pensions » et indique que la période « va être marquée par de profondes modifications sur le marché de la retraite, avec de belles opportunités à saisir ». Même le Conseil supérieur de la fonction militaire, saisi par le ministre des armées à propos du projet de loi instituant le « système universel par points » a rendu un avis peu enthousiaste : « Après l’étude du projet de loi, il ne peut en ce qui concerne la condition militaire, émette un avis favorable ». Certes, « tout ce qui bouge n’est pas rouge » disait-on naguère avec raison ; et tout ce qui s’oppose au projet de loi n’est pas pour la justice sociale, une meilleure répartition des richesses ou la satisfaction des besoins populaires. Mais autorisons-nous à sourire de ce caillou supplémentaire dans la chaussure présidentielle…

L’INTERSYNDICALE MAJORITAIRE

CFDT, CFTC et UNSA ont choisi de se rallier au processus gouvernemental et de discuter la mise en œuvre de la loi refusée par les grévistes. A contrario, l’intersyndicale qui soutient la mobilisation et appelle à la grève reconductible depuis le 5 décembre tient bon. Initialement composée de CGT, FO, Solidaires et FSU, elle a été rejointe depuis plusieurs semaines par la CGC, confédération représentative de l’encadrement ; cette situation aussi est inédite. Nous réfutons la notion de « partenaires sociaux » ; nous savons que le moteur de l’histoire est la lutte des classes. Mais comment ne pas dénoncer l’hypocrisie des chantres du « dialogue social », qui s’appuie pour imposer leur projet de loi sur des organisations syndicales qui représentent 38,6% des voix lors des élections professionnelles (secteurs public et privé confondus), tandis que l’intersyndicale qui s’y oppose représentent 55,9% des voix des travailleurs et travailleuses [3] ?

PLUTÔT QUE DE DISCUTER DU CHOIX DES DATES DE GRÉVE, S’ORGANISER POUR LES RÉUSSIR !

Il ne sert à rien de faire comme si la grève générale était là ; mais la lucidité doit être au service de l’utopie … pour que celle-ci devienne réalité, comme cela fut le cas, souvent, dans l’Histoire. La révolte sociale est bien présente. Il faut faire en sorte que les grèves se multiplient et durent. Plus que par des incantations, cela passe par une présence militante appuyée auprès d’un maximum de salarié.es. Tournées syndicales, piquets de grève, permanences, diffusion de tracts dans les lieux publics, assemblées générales sur les lieux de travail, soutien aux militant.es isolée.es dans leur entreprise, prise de contacts avec les salarié.es d’entreprises sans présence syndicale, … Il y a du boulot ! C’est cela qu’il faut prioriser ; c’est plus utile que de commenter les dates mises en avant par l’intersyndicale nationale interprofessionnelle. Une intersyndicale qui, 4 mois après le 5 décembre continue à appeler à « la grève reconductible en assemblées générales », à « la grève partout où c’est possible », à « généraliser la grève » … Autant de formules dont on peut, certes, regretter l’absence de concrétisation mais qui confirment que ce n’est sans doute pas en termes de « trahison des bureaucraties syndicales » qu’il faut raisonner pour avancer. Mieux vaut reprendre l’affaire à la base, collectif syndical par collectif syndical : que faire dans sa boîte ? Que faire pour soutenir les autres boîtes ? Que faire pour avoir des assemblées générales avec un maximum de grévistes présent.es, y discutant et décidant ? Que faire pour coordonner les efforts des équipes syndicales combatives de différentes organisations ? Que faire pour que les travailleurs et travailleuses décident la grève et se l’approprient ?


[1] Romain-Rolland, cité par Gramsci dans « Discours aux anarchistes », en avril 20, … 1920

[2] Contribution « bilan, point d’étape sur le mouvement contre la réforme des retraites », SUD-Rail Lyon, 25 février 2020.

[3] Il manque 5,5% qui se répartissent entre de nombreuses organisations syndicales … dont la plupart sont également opposées au projet gouvernemental (Fédération autonome de la Fonction publique, CNT-SO, CNT, STC, LAB…

Christian Mahieux
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Christian Mahieux

cheminot à la Gare de Lyon de 1976 à 2003, a été notamment secrétaire de la fédération SUD-Rail de 1999 à 2009, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires de 2008 à 2014. Il est aujourd’hui membre de SUD-Rail et de l’Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne. Il participe à l’animation du Réseau syndical international de solidarité et de luttes, ainsi qu’au collectif Se fédérer pour l’émancipation et à Cerises la coopérative. Il a été objecteur-insoumis au Service national, membre du mouvement d’objection collective des années 1970/80.