Parler de la guerre

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« Les guerres, ce sont des gens qui ne se connaissent pas et qui s’entre-tuent parce que d’autres gens qui se connaissent très bien ne parviennent pas à se mettre d’accord », cette citation de Paul Valéry est d’une grande justesse concernant les ambitions, les ego et le cynisme de ceux qui « ne parviennent pas à se mettre d’accord. » Mais qui sont ceux qui s’entre-tuent pour les intérêts de « ceux qui se connaissent bien » ?


Nils Andersson a participé depuis les années 1950 à de nombreuses publications, conférences, manifestations, activités militantes, contre l’impérialisme et la guerre. Durant la Guerre d’Algérie, éditeur en Suisse, il publie plusieurs ouvrages censurés en France ; il sera arrêté à Lyon en 1961, expulsé et interdit de rentrer sur le territoire français. De 1967 à 1972, il travaille à Radio-Tirana. Revenu en France à la fin du siècle passé, il participe à ATTAC, au Comité Helsinki France, à l’Association pour la défense du droit international humanitaire, à l’Institut de documentation et de recherches pour la paix, à Sortir du colonialisme ou encore Ni guerres ni état de guerre. Ces dernières années, il a publié Mémoire éclatée. De la décolonisation au déclin de l’occident, Éditions d’en bas, 2016 et Le capitalisme c’est la guerre, Éditions Terrasses, 2021.


Dans le bas Moyen-Âge, le capitalisme naissant, la guerre devient source de profits, banquiers génois et vénitiens financent les guerres des rois, des princes et de la papauté qui enrôlent comme mercenaires des paysans que le servage réduit à la faim et des Flamands, Suisses, Allemands ou Italiens, ces exilés de la misère d’alors. Au XIXe siècle, avec le capitalisme industriel, les États-nations constituent des armées par la réquisition, les inégalités de la conscription reproduisant les hiérarchies sociales, paysans, ouvriers et colonisés sont la chair à canon des guerres impérialistes. Au XXe siècle, les populations civiles sont devenues les principales victimes des conflits. Avant de parler de la guerre, il n’est pas inutile de rappeler ces réalités.

[Nayla Hanna]

Avec Le capitalisme c’est la guerre, l’intention se limitait, partant de la déclaration de Jaurès pour qui « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! », à rappeler qu’après la chute du Mur, le nouvel ordre mondial de Georg Bush père, annoncé « plus sûr dans la recherche de la paix » [1] et la fin de l’Histoire prophétisée par Fukuyama rendant la guerre improbable, avait été, de la guerre du Golfe à celle de Bosnie et du Kosovo, de la guerre de Somalie à celle du Rwanda, de la guerre d’Irak à celle d’Afghanistan, de la guerre de Syrie à celle de Libye et du Sahel… un temps continu de guerres impérialistes. Les États-Unis et leurs alliés atlantistes, alors qu’ils sont hégémoniques comme aucune puissance ne l’a été dans l’Histoire – instrumentalisant l’ONU et avec l’OTAN comme fer de lance -, n’ont eu que la guerre pour imposer au monde l’idéologie néo-libérale, ordonner la mondialisation capitaliste, modeler à leur image, selon le concept du state building, États et sociétés et s’opposer à l’émergence d’autres puissances. « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter l’espoir de la démocratie, du développement, du marché libre et du libre-échange aux quatre coins de la planète. » [2]

Ce Nouvel Ordre mondial, auguré au tournant du deuxième millénaire, a été d’une durée historiquement courte, Kaboul symbolise son échec. Deux faits en témoignent, le premier, les guerres du Golfe, de Bosnie, du Kosovo, d’Irak, d’Afghanistan, de Libye…, menées par les États-Unis et leurs alliés furent toutes gagnées militairement, mais sans jamais assurer leur suprématie, ni parvenir à imposer la paix du vainqueur sans laquelle il n’est pas de victoire militaire. Le temps n’est plus où il suffisait aux puissances impérialistes de poser le pied en un lieu pour qu’elles soient maîtres et du sol et des populations. Second fait, la mondialisation économique et financière a démultiplié les profits capitalistes, permis aux oligarchies transnationales de déposséder plus encore les peuples du pouvoir étatique, mais elle a aussi favorisé l’émergence de nouvelles puissances économiques, déplaçant ainsi l’épicentre des contradictions de la zone euro-atlantique à la zone indopacifique. Mouvement géopolitique tectonique ne signifiant pas la fin de la domination occidentale, mais celle de son hégémonie. On a changé de monde, les équilibres internationaux sont bouleversés, des contradictions interétatiques concurrentielles et antagonistes se font jour et se multiplient sur de nouveaux espaces. Devant ce constat, Le capitalisme c’est la guerre,de rappel pour démontrer qu’il était dans la nature du capitalisme de résoudre ses contradictions par la violence armée, est devenu une alerte. Les logiques qui, du déploiement de l’opération Desert Shield en Irak au retrait précipité de l’opération de l’OTAN, Resolute Support en Afghanistan, ont décidé et justifié les guerres « asymétriques », se reproduisent au sortir de l’unipolarité post-guerre froide, dans un monde inféodé au libéralisme économique, à l’économie de marché, au capitalisme.

Du fait de l’antagonisme majeur qui oppose pour la suprématie mondiale les États-Unis et la Chine avec, en seconde ligne, l’Europe, la Russie et l’Inde, ce sur quoi viennent s’ajouter les ambitions de puissances régionales pour la domination de leur aire géographique, les contradictions inter-impérialistes ont changé d’échelle, laissant présager des guerres interétatiques de haute intensité (terrestre, maritime, aérienne et extra-atmosphérique), avec des moyens de tuer et détruire démultipliés. « La fin d’un cycle se profile. Les conflits se durcissent et l’affrontement États contre États au sein d’une coalition n’est plus une utopie. [3] » C’est dans le cadre de ce monde profondément déstabilisé que, sur une ligne de faille, celle où se rencontrent l’OTAN et la Russie, a éclaté la guerre d’Ukraine et que se pose la question : la logique de guerre est-elle résistible ?

Dans un monde traversé par des crises politiques, économiques, démocratiques, sociales, humanitaires, sanitaires, la guerre d’Ukraine a été, pour les opinions publiques européennes, une prise de conscience brutale que les contradictions inter-impérialistes, aujourd’hui comme hier, portent en elles la guerre et que l’Europe, loin d’en être préservée, est au centre des tensions. Pour les politiques, les militaires et les oligarchies financières, la guerre d’Ukraine n’a pas été une surprise, mais la conséquence de stratégies de tensions aux limites de la Russie, conduisant inéluctablement à l’affrontement. Depuis une dizaine d’années, gouvernements et états-majors, qu’il s’agisse de politiques de surarmement, de militarisation des sociétés ou de doctrines militaires s’inscrivent dans une logique conflictuelle que vient confirmer la Déclaration du Sommet de l’OTAN à Madrid, en désignant la Chine comme un « rival systémique » et la Russie comme une menace pour « l’ordre libéral international ». Ce devant quoi les adversaires désignés ne restent pas l’arme au pied, d’où le constat que « la compétition stratégique est en train de croître dans le monde entier ». [4]

Cette politique de tensions se manifeste à trois niveaux, le premier technologique – la course aux armements -, le second, idéologique – endoctrinement et militarisation de la société -, le troisième stratégique – concept de « guerre hybride ».

Politiques d’armement et de militarisation de la société

La mondialisation néolibérale a démultiplié les échanges des marchandises, des capitaux, des services, des technologies, de l’information ; mais elle a également eu un effet démultiplicateur des dépenses militaires et du commerce des armes. L’Histoire démontre pour 14-18, depuis les années 1890 et pour 39-45 dès la fin des années 1920, que l’augmentation des dépenses militaires entre belligérants conduit à la guerre. Le contre-exemple est la guerre froide pour la double raison de la dissuasion nucléaire et de la disparition de l’une des parties.

En 2021 [5], avec 2 113,31 milliards de $ [6],  les dépenses militaires dans le monde sont de 31,9 % supérieures à celles de 1988, au temps de la guerre froide et de 89,9 % supérieures à celles de 1996, année post-guerre froide où les budgets furent les plus réduits. Cette augmentation de 89,9 % est inégale selon les continents, mais générale. 214,6 % pour l’Afrique [7], 88,8 % pour l’Amérique du Sud et centrale, 62,0 % pour l’Amérique du Nord, 103,1 % pour l’Asie, 120,6 % pour l’Océanie, 17,4 % pour l’Europe, moins la Russie, 183,6 % pour la Russie, 153,2 % pour le Moyen-Orient. D’où trois constats : 1. Jamais les dépenses militaires – ce qui participe à des risques de guerres -, n’ont été aussi élevées dans le monde. 2. En 2009, pour la première fois dans l’Histoire, les dépenses militaires en Asie dépassent celles de l’Europe. 3. Les pays membres de l’OTAN représentent, en 2021, 55 % des dépenses militaires mondiales.

[Nayla Hanna]

Plus précisément, quelle est l’évolution de ces dépenses dans l’après post-guerre froide ? Nous retiendrons comme référence l’année 2014 : année de la guerre du Donbass, de la proclamation de l’État islamique et de la fin de la neutralité de Washington sur la souveraineté de la Chine en mer de Chine. Depuis 2014, les dépenses militaires ont progressé dans le monde de 14,6 %, faisant clairement apparaître les zones de tensions. Elles ont diminué de 5,2 % en Amérique du Sud et Centrale, de 7,9% en Afrique et malgré une augmentation de 21,8 % pour Israël, de 9,3 % au Moyen-Orient, ce qui s’explique par la fin des guerres d’Irak et de Libye et, en Syrie, la guerre civile n’est pas encore internationalisée. Plus surprenant, elles diminuent aussi en Russie, -0,9%, cela dû au fait qu’en 2014, la Russie est engagée dans le conflit du Donbass. Mais les dépenses militaires ont augmenté de 8,4% aux États-Unis, alors qu’en 2014 ils étaient encore fortement engagés en Afghanistan, de 25,8 %, pour les pays européens membres de l’OTAN, de 38,1% en Asie (47,3% pour la Chine, 35,3 % le Pakistan, 34,0 % la Corée du Sud, 27,8 % l’Inde) et de 33,5% en Océanie. Ces données confirment que le centre de gravité des tensions dans le monde se situe dans la zone Asie-Pacifique.

Autre face des politiques de surarmement, le commerce des armes. Qui sont les acteurs de cette militarisation du monde ? Les dix principaux exportateurs d’armes de 2017 à 2021[8], soit 90,9 % du marché des armes, sont dans l’ordre, les États-Unis, la Russie, la France, la Chine, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, l’Espagne et Israël. Six États membres de l’OTAN et quatre situés dans l’Eurasie et au Moyen-Orient. Un chiffre souligne le rôle et la responsabilité des États membres de l’OTAN dans cette militarisation du monde, ils représentent 66,4% du marché global des armes, dont 38,6 % pour les États-Unis. Dans ce commerce où prédomine la realpolitik, à qui sont vendues ces armes, jusqu’à celles de très haute technologie ? Les dix principaux États importateurs, soit 55,3 % du marché sont dans l’ordre : l’Inde, l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Australie, la Chine, le Qatar, la Corée du Sud, le Pakistan, les Émirats arabes unis et le Japon [9]. Le constat est évident, tous appartiennent à l’arc de tensions géopolitiques allant de l’Afrique au Pacifique, zones traversées par des déchirements sociaux, territoriaux, culturels, cultuels et par les humiliations de l’Histoire.

Les doctrines militaires du XXIe siècle

Les politiques de surarmement s’accompagnent d’une militarisation des sociétés, discours politique d’économie de guerre, désignation d’ennemis, fake news d’État, lois limitatives ou répressives, formatage de l’opinion (à l’exemple de l’enrôlement de la jeunesse dans le SNU), manipulation des opinions par un déferlement médiatique « d’experts » dévoyés dans la propagande. La guerre en Ukraine et les tensions à Taïwan sont le démultiplicateur de cet endoctrinement, préparant à la normalité de la guerre, normalité théorisée dans des concepts stratégiques.

L’aéronef de 14-18 et les panzers de 39-45 n’ont plus cours dans les stratégies militaires, bouleversées par l’arme atomique et informationnelle et maintenant par le quantique, les nanomatériaux, les avancées biologiques et l’intelligence artificielle. Dans ce monde où « la guerre est redevenue l’horizon incontournable de nos sociétés » [10], sous le vocable de « guerre hybride », pour l’OTAN et pour la Russie, ou de « guerre hors limite » pour la Chine, de nouvelles doctrines militaires sont conceptualisées, enseignées et mises en pratique, dont l’objectif est de disloquer, détruire et transformer les cibles à son avantage, d’affaiblir la partie adverse en menant des actions « non-militaires et militaires, ouvertes et secrètes, combinant politique, diplomatie, économie, informationnel… pouvant devenir un conflit armé de haute intensité » [11]. Tous les domaines qu’ils soient politique, économique, diplomatique, social, culturel, scientifique, technologique, sont des terrains de confrontation dans le but de « gagner la guerre avant la guerre » et par la guerre.

[Nayla Hanna]

Il est important d’entendre la stratégie dans laquelle s’inscrivent les tensions et conflits en cours et les logiques que ceux-ci sous-tendent. Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées l’a clairement formulé : « Avant, les conflits s’inscrivaient dans un schéma ‘paix / crise / guerre’. Désormais, c’est plutôt un triptyque ‘compétition / contestation / affrontement’ » ; Et de préciser : « Il n’y a plus de phases de paix, mais des phases de compétition »[12]. Même ligne stratégique pour l’Union européenne, ainsi définie par Josep Borrell, Haut représentant pour la politique de sécurité : « L’ancienne distinction entre guerre et paix n’est plus valide de nos jours. Ce n’est plus blanc ou noir, il y a toute une gamme de nuances de gris qui recouvrent des situations de rivalité, de coercition, d’intimidation auxquelles il faut répondre » [13]. Compétition, contestation et, stade ultime, affrontement, régissent les rapports entre les États, qu’ils soient alliés (l’AUKUS [14] et l’affaire des sous-marins est un exemple de compétition, contestation) ou adversaires (guerre d’Ukraine ou risque élevé d’affrontement entre le monde occidental et la Chine). Il n’y a plus de phase de paix, c’est un état de guerre permanente protéiforme.

Après la guerre froide, les politiques interventionnistes, de la guerre du Golfe à celle de Lybie, ont été le fait des États-Unis et des puissances occidentales. Depuis une dizaine d’années, Washington multiplie les déclarations agressives et renforce le dispositif militaire de containment de la Chine, ce à quoi Pékin répond coup pour coup depuis trois ans ; quant à la Russie, elle n’a cessé d’être soumise, dès la réunification de l’Allemagne, à la pression de l’élargissement de l’OTAN à ses frontières. Ainsi, de la chute du Mur à l’intervention de la Russie en Ukraine, les puissances atlantistes furent responsables des tensions et des conflits qui ont ravagé des pays et des populations. La guerre d’Ukraine ne modifie pas le caractère principal des contradictions dans le monde, mais elle fait de la Russie un fauteur de guerre, justifiant les politiques de guerre, de surarmement et de conditionnement des citoyens. [15]

De l’Ukraine à Taïwan

« Oui, l’agression de l’Ukraine par la Russie est à condamner comme une guerre impérialiste, oui, les peuples sont les premières victimes des horreurs de la guerre, oui il n’y a pas de guerre sans abominations et crimes de guerre, oui il est légitime de résister à un agresseur, oui… Cela affirmé, réaffirmé, sachant que l’ignominie de la guerre est pire que ce que l’on conçoit, au-delà du flot médiatique, tout reste à connaître de sa réalité, là où elle se déroule, tout reste à analyser, qu’il s’agisse de ses enjeux globaux et des intérêts géopolitiques qui interfèrent, tout reste à comprendre des raisons et justifications de l’intervention ou de l’inconsidéré qui décide de la guerre. » [16]

On ne peut dissocier la guerre d’Ukraine des contradictions en mer de Chine. La déclaration de Joe Biden le 21 mars 2022 est explicite à ce propos : « Je pense que la guerre d’Ukraine nous offre des opportunités significatives pour faire de vrais changements. Comme l’un de mes principaux responsables militaires m’a dit l’autre jour, lors d’une réunion de sécurité, 60 millions de personnes sont mortes entre 1900 et 1946 ; et depuis lors, nous avons établi un ordre mondial libéral, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. Beaucoup de gens sont morts, mais nous sommes loin du chaos. Et maintenant, c’est le moment où les choses changent. Nous allons, il va y avoir un nouvel ordre mondial là-bas ; et nous devons le diriger et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire » [17]. La déclaration de Joe Biden est sans équivoque, 60 autres millions de morts pour établir un nouvel ordre mondial, OK boys !

Deux livres de Nils Andersson. [DR]

La guerre en Ukraine est surdéterminée par la contradiction pour la suprématie mondiale entre États-Unis et Chine. Contradiction qui se distingue de celle de la guerre froide, il ne s’agit pas d’une contradiction idéologique entre « capitalisme et socialisme », mais d’une contradiction au sein du système capitaliste qui, pour la première fois dans l’Histoire, oppose pour l’hégémonie mondiale une nation non occidentale à une nation occidentale. C’est là une contradiction qui ne se réduit pas à des convictions idéologiques ni à la puissance économique, financière, technologique, militaire, mais qui touche aux appartenances culturelles et civilisationnelles. Résoudre cette contradiction demande d’inverser des modes de pensée, d’accepter des valeurs qui peuvent être opposées, d’entendre les déchirements de l’Histoire et de comprendre ce qui différencie les cultures et civilisations nées en Mésopotamie et dans le bassin méditerranéen, le long de l’Indus et du Huang He, celles de Songhai et Carthage ou Maya et Inca. « Certaines ont donné́ naissance à̀ des formations impériales plus durables et plus unifiées que d’autres. Ici, les exemples par excellence sont la Chine d’une part, l’Inde et la chrétienté́ d’Occident de l’autre » [18].

On peut perdurer dans la croyance en sa supériorité, être convaincu de rester dominant, faire montre de mépris et d’arrogance, mais le monde n’est plus celui de 1919, de 1945 ou de 1989 ; la guerre d’Ukraine a brutalement révélé une résurgence du tiers-monde fondée sur le ressenti de l’insupportable deux-poids deux mesures entre un réfugié blanc, chrétien et un réfugié arabe, musulman, résurgence qui se manifeste aussi par la volonté d’États jusqu’ici étroitement liés à l’Occident, de contester sa domination sans partage [19]. Alexandra de Hoop Scheffer [20] écrit en 2020 : « Les États-Unis devront de plus en plus composer avec des partenaires aux allégeances multiples et parfois contradictoires, et ac­cepter les risques d’une désoccidentalisation de la gestion de crise». [21] On est là au cœur du problème, qu’est-ce qui va succéder à un monde hégémonique ? Ou la recherche, dans la complexité du monde présent, d’un nouvel équilibre international, ou la guerre. Pour Henri de Castries, président du comité de direction du groupe Bilderberg : « Si l’Occident, sous le parapluie des États-Unis, conserve pour l’instant l’avantage, une confrontation s’avérerait incertaine » .[22]

Contre les discours de tous les tenants de la guerre, avec ses conséquences humaines et écologiques irréversibles, contre la logorrhée médiatique, qui gangrène les jugements, contre ceux qui se « connaissent très bien et ne parviennent pas à se mettre d’accord », il faut que « ceux qui ne se connaissent pas, mais s’entre-tuent pour ceux qui se connaissent » fassent prévaloir l’utopie de la paix contre la nature de la guerre. C’est l’enjeu présent.


Nils Andersson


[1] Discours de George Bush devant le Congrès, 11 septembre 1990.

[2] Stratégie de sécurité nationale des États-Unis, septembre 2002.

[3] Jean-Raphaël Drahi, Vision stratégique du CEMAT, TIM, Terre Information Magazine, juin 2020.

[4] Déclaration du Sommet de l’OTAN, 2022.

[5] Toutes les données dans cette partie se réfèrent, en dollar constant, au rapport 2022 du Stockholm International Peace Research Institute (sipri.org).

[6] Un chiffre supérieur au Produit intérieur brut de l’Italie, 8e puissance mondiale.

[7] Mais l’Afrique ne représente en 2021 que 1,8 % des dépenses militaires mondiales, l’Amérique du Sud et centrale, 2,7 %, l’Amérique du Nord, 39,5 %, dont 36,3 % pour les États-Unis, l’Asie, 27,6 %, dont 12,8 % pour la Chine, l’Océanie, 1,6%, L’Europe, sans la Russie, 18,8%, la Russie, 3,2%, le Moyen-Orient, 8,9%.

[8] Pour éviter les fluctuations annuelles.

[9] Principaux importateurs (plus de 1 milliard de $ de 2017 à 2021). Pour les États-Unis : Arabie Saoudite, Australie, Corée du Sud, Japon, Qatar, Royaume-Uni, Émirats arabes unis, Inde, Norvège, Pays-Bas, Afghanistan, Italie et Maroc. Pour la Russie : Inde, Chine, Égypte, Algérie, Viêt-Nam et Kazakhstan. Pour la France : Inde, Qatar, Égypte et Singapour. Pour la Chine : Pakistan. Pour l’Allemagne : Corée du Sud. Pour l’Italie : Égypte. Pour l’Espagne : Australie. Pour Israël : Inde.

[10] François Heisbourg, Senior adviser pour l’Europe de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), interview Philo Mag, janvier 2022.

[11] Dr Guillaume Lasconjarias, chercheur au Collège de défense de l’OTAN.

[12] Vision stratégique adoptée par le gouvernement et présentée à la presse le 4 octobre 2021.

[13] Conseil des Affaires étrangères (Défense),16 novembre 2021, intervention fixant la « boussole stratégique » de l’Union européenne.

[14] Alliance entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie qui avait entraîné l’annulation de la vente à ce dernier pays de douze sous-marins français.

[15] En France, l’état-major des armées a constitué sous l’acronyme HEM (Hypothèse d’engagement majeur), dix groupes pour se préparer et faire face à une guerre de haute intensité. Un de ces groupes a pour mission la résilience à la mort de la population : « les citoyens sont-ils prêts à accepter un niveau de perte que nous n’avons pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale ? » Valeurs actuelles, 25 juin 2021.

[16] NA, webinaire UITC, Nouvelles conflictualités, évolution de la violence guerrière et des rapports de force dans un monde globalisé, 4 juillet 2022.

[17] Intervention lors de sa rencontre trimestrielle avec le lobby Business Roundtable.

[18] Johan P. Arneson. La comparabilité des civilisations, Eurostudia, 2008.

[19] Résolution adoptée à l’ONU parce ce qu’elle ne « condamnait » pas, mais « déplorait » l’intervention en Ukraine et se limitait à demander le retrait des troupes russes. Réserves d’une grande majorité des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine à participer aux sanctions contre la Russie.

[20] Directrice France du think-thank German Marshall Fund of the United States.

[21] Le Monde, 5 mars 2020.

[22] La fin du monde occidental ? Revue de la Défense Nationale, n° 838, 2021.


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