Las Empresas recuperadas por los trabajadores

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Dès les premiers mois de la présidence de l’Allianza Cambiemos1, nous avions publié un rapport sur la situation des entreprises récupérées par les travailleurs et travailleuses (ERT)2. Nous y analysions les effets des politiques néolibérales mises en place par le nouveau gouvernement. Il nous importait particulièrement, de voir quelles étaient les conséquences des mesures du gouvernement Mauricio Macri sur le travail autogéré et les ERT.

LES ENTREPRISES RÉCUPÉRÉES SOUS LE GOUVERNEMENT DE MACRI: UNE POLITIQUE HOSTILE CONSOLIDÉE

En mai 2016, la conclusion de notre étude fut sans équivoque : la conjonction de mesures macro-économiques clairement libérales (baisse des salaires, du pouvoir d’achat et donc de la consommation, hausse des prix en lien avec la dévaluation de la monnaie), les hausses du gaz, de l’eau et de l’électricité, les coupes sombres dans les aides sociales, ont inévitablement provoqué l’asphyxie du marché intérieur. Les premières victimes ont été, sans aucun doute, les entreprises récupérées ainsi que les coopératives ouvrières. A cela se sont ajoutées des mesures spécifiques, visant à compliquer la tâche des entreprises autogérées : réglementation plus stricte des lois d’expropriations, occupation policière préventive des entreprises fermées afin qu’elles ne soient pas récupérées par les salarié.es, harcèlement judiciaire, suppressions des aides. S’est ainsi formé, un véritable étau qui, au fur et à mesure, s’est resserré, pour asphyxier la production autogérée, avec l’ambition de la détruire à terme.

Plus de deux ans après ce rapport, l’essentiel de son contenu est confirmé par les faits et les tendances alors dégagées se sont accentuées. Ce que nous disions s’est poursuivi et aggravé. En 2017, dans un rapport intermédiaire, nous avons relevé la poursuite de ces politiques et noté quelques épisodes répressifs graves, illustrant un harcèlement et une répression des conflits sociaux de plus en plus intenses. Dans le même temps, le processus de récupération d’entreprises par les travailleurs et travailleuses a repris, après un premier semestre sans nouveau cas, à l’exception du long et difficile conflit du journal Tiempo Argentino.

Jusque-là, le gouvernement Macri avait créé des attentes dans une bonne partie de la société, et si les mesures évoquées plus haut commençaient à produire leurs effets dommageables, c’était encore sans créer de fissure dans la gestion macriste. Non seulement il n’y avait pas de nouvelles ERT, mais on commençait à enregistrer la fermeture de plusieurs anciennes récupérations, dont certaines fonctionnaient depuis dix ou quinze ans. Mais dès le second semestre 2016, les conflits liés aux entreprises récupérées ont commencé à réapparaître. Fin 2017, on pouvait constater que ces entreprises avaient un profil différent de ce qu’on avait connu lors de la crise de 2001 et de ses suites : plus que de traditionnelles entreprises industrielles, il s’agissait désormais de petites et moyennes entreprises, de médias, de sociétés de services, où, souvent, a pu être évité le complexe processus de récupération et notamment tout ce qui renvoie à l’usage de la propriété. Beaucoup de ces entreprises purent parvenir à des accords de location avec les propriétaires des immeubles ; d’autres choisirent de déménager, vu que pour elles, cela revenait au même d’être à un endroit ou à un autre. Les ERT nées sous l’ère macriste ont rencontré plus de difficultés que leurs prédécesseurs ; souvent les enjeux financiers autour de l’immobilier ont été l’élément déterminant pour les évacuer et les fermer. Dans l’intérieur du pays, certaines implantations industrielles ont été récupérées, soutenues par des gouvernements provinciaux. En 2018, sur les seuls huit premiers mois de l’année, on arrivait à 37 entreprises récupérées ou en voie de l’être. Au dernier trimestre, plusieurs conflits ont éclaté dont on ne connait pas l’issue (Gaëlle, Canale, etc.)

Ni les récentes ERT ni les plus anciennes, ne parviennent à gommer un panorama général désolant dans lequel la politique économique et la situation qu’elle crée, empêchent, de plus en plus, de poursuivre la production en garantissant un revenu minimum aux travailleurs et travailleuses. L’inouï tarifazo3 pèse lourd dans ce contexte : les coûts de l’électricité ou du gaz, par exemple, sont devenus des handicaps pour les entreprises récupérées, et pour l’activité économique plus généralement. Auparavant, en cas de conflit, la production s’arrêtait parfois ; cela pouvait engendrer des dettes, des impayés, avec des coupures de courant, mais la situation redevenait normale dès la reprise de la production. Les couts exorbitants de l’énergie ont amené à la paralysie de nombreuses entreprises ; parmi les cas les plus médiatisés : Cristal San Justo à La Matanza, la cristallerie Vitrofin à Santa Fe, ou encore Cueroflex, Madygraf, l’hôtel Bauen et les trois usines de céramiques de Neuquén. Pour toutes les entreprises, l’énergie est devenue un poids exceptionnel et sans précédents dans la structure des coûts. Mais cela touche particulièrement les secteurs dans lesquels on retrouve la majorité des ERT. Cela impacte, non seulement la viabilité de ces entreprises mais aussi les revenus de celles et ceux qui y travaillent.

L’accord passé entre le gouvernement et le FMI a provoqué une brutale dévaluation de la monnaie argentine, accentuant encore la crise générale et augmentant les difficultés pour les ERT dont la production dépend du marché interne. Le gouvernement n’a, non seulement pas enrayé la crise, mais il l’a approfondie dans le champ du travail autogestionnaire. Si « l’aide sociale » est maintenue, elle s’avère être surtout un moyen de contenir les conflits sociaux, en aucun cas une façon de développer des activités productives, coopératives et encore moins des entreprises récupérées. Les programmes comme celui dit du « travail autogéré » (PTA) n’ont plus aucun financement et leur continuité est mise à mal ; Un symbole : le Ministère du travail a été ramené au rang de Secrétariat. Par ailleurs, le remplacement de la subvention, collective, à la coopérative par des allocations individuelles rend plus difficile les processus de récupération. L’allocation est une aide « contre la pauvreté4 », alors que les sommes dites de « la ligne 1 du PTA » soutenaient la coopérative dans son ensemble. En outre, avec ce changement, il est possible que certaines personnes perdent leur seule source de revenus, provoquant une situation d’inégalités que l’organisation collective devra compenser, au risque, sinon, de générer des différences entre les camarades.

Malgré cette situation difficile, les entreprises qui ont été récupérées, comme d’autres organisations autogérées et les coopératives de travail, résistent. Le total de ERT a grandi depuis décembre 2015 (384 contre 367) bien que les nouvelles récupérations ne compensent pas la perte de postes de travail. Dans ce total, il y a un certain nombre de cas qui se trouvent paralysés pour différentes raisons (factures impayées, mesures judiciaires ou fermetures). Dans quelques secteurs, la concurrence des importations sans limite détruit les chaînes productives dans lesquelles se trouvent les ERT, provoquant de nombreuses baisses de la production et de revenus (textile, chaussures, métallurgie, céramique, imprimerie, chimie etc.). Le secteur de la viande a souffert d’une très forte attaque des entreprises privées, avec la complicité du Ministère de l’agro-industrie ; elle a entrainé la fermeture et le retrait de licences de plusieurs entreprises de chambres froides récupérées. Parmi ces chambres froides coopératives, emblématiques des entreprises récupérées : el Yaguané et Frigocarne Maximo Paz. Dans le dernier cas, avec beaucoup de détermination les travailleurs et travailleuses ont réussi la réouverture et ont résisté aux pressions visant à leur faire abandonner la forme coopérative.

Durant ces deux ans il y a eu des hauts et des bas dans les conflits avec occupation et possibles récupérations d’usines, avec des pics de fortes répressions. Parmi les cas significatifs, on peut citer l’expulsion des usines occupées de Artes Graficas Rioplatenses, du groupe Clarin, en avril 2017. Trois mois plus tard, ce fut le tour de l’usine Pepsico ; le personnel a décidé l’expropriation et la récupération, mais une fois l’expulsion réalisée (au prix d’une répression brutale), le projet n’a pu être mené à terme. Dans plusieurs cas, les travailleurs et travailleuses d’entreprises récupérées fonctionnant depuis un moment ont été expulsés, avec de grands déploiements policiers et la répression qui accompagne : c’est le cas d’Acoplados del Oeste ou de l’entreprise métallurgique Industrias RB. Dans d’autres cas, le déploiement répressif a eu une forme « préventive » : par exemple pour la fabrique Atanor de Munro et plus récemment pour l’expulsion du bar Adela’s à Villa del Parque. La répression policière s’exerce en étroite relation avec les patrons d’entreprise.

Malgré tout, les ERT ne sont pas en train de disparaitre. Leur nombre est toujours important et augmente même, avec l’ajout de nouveaux cas. En analysant les fermetures de l’ERT, nous constatons l’épuisement de collectifs, du aux difficultés extrêmes de la période, en particulier lorsqu’il n’y a pas eu de renouvellement générationnel. Dans d’autres cas, les fermetures sont directement liées à des décisions judiciaires ou politiques que les travailleurs et travailleuse n’ont pu éviter. Mais nous trouvons aussi des coopératives qui ont résisté, et résistent encore, à des pressions énormes ; parfois, on les force à arrêter les machines ou fermer leurs portes mais les collectifs ouvriers persistent à essayer d’inverser la situation ; certains y parviennent : par exemple, Frigocarne Maximu Peace et Vitrofin Glassware. La résistance reste une qualité intrinsèque du processus de reprise des entreprises par les travailleurs et travailleuses en Argentine. Il en va de même de la protestation et la mobilisation, tant devant les entreprises énergétiques et les différents ministères, que pour participer aux mobilisations syndicales et faire connaitre largement leurs problèmes. Malgré les attaques menées par les médias, les ERT jouissent toujours d’une grande légitimité sociale.

En conclusion, la situation est complexe, il y a d’énormes difficultés, mais une énorme capacité de résistance qui permet de continuer la production. Dans le même temps, de nouvelles coopératives émergent, alors que le tissu productif est en train d’être détruit. Encore une fois, la classe ouvrière montre la voie à suivre pour recouvrer ses droits et sa dignité.

Andrés Ruggeri

1 Cette coalition électorale est notamment composée des organisations suivantes : Coalición Cívica ARI, Propuesta Republicana, et Unión Cívica Radical. Son candidat, Mauricio Macri, a remporté les élections présidentielles de 2015.

2 Empresas recuperadas por los trabajadores. http://recuperadasdoc.com.ar/informe-mayo-2016.pdf

3 Tarifazo : ensemble de mesures mises en œuvre, depuis 2016, par gouvernement de Macri, qui ont provoqué de très fortes augmentations (jusqu’à 70%) des tarifs des services – publics et privés – de l’eau, de l’électricité, des transports, du gaz…

4 Aide certes nécessaire, car la pauvreté a explosé.

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Andrés RUGGERI

Anthropologue, directeur du programme Facultad Abierta1 (Facultad de Filosofía y Letras de la Universidad de Buenos Aires7), Andrés Ruggeri est un des animateurs du réseau international de « l’économie des travailleurs ». Il a publié plusieurs livres en espagnol ; en français : Occuper, résister produire. Autogestion ouvrière et entreprises récupérées en Argentine », Editions Syllepse, 2015.