Du syndicalisme en Loire-Atlantique

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25 années de Solidaires, cela se traduit notamment par un développement certain de nos Unions départementales interprofessionnelles. Mais que signifie animer une telle structure ? L’exemple de la Loire-Atlantique…


Mathilde Peyrache est issue du monde médico-social, actuellement professeure des écoles remplaçante sur Nantes et syndiquée à SUD éducation 44 depuis 2018. Elle est mandatée pour son secteur et pour le secrétariat/porte-parolat au Bureau de l’Union départementale Solidaires 44 qui compte une vingtaine de syndicats, trois commissions et dépasse les 2 700 camarades.


Manifestation du 6 juin 2023, à Nantes. [Solidaires 44]
Manifestation du 6 juin 2023, à Nantes. [Solidaires 44]

Faite de moments fédérateurs comme de creux d’activités, la vie syndicale en Loire-Atlantique n’est pas linéaire et nécessite, dans la mission d’animation politique et logistique, de trouver un équilibre constant. Je suis entrée au bureau de l’Union il y a vingt-cinq mois, sans trop savoir à quoi m’attendre : jeune syndiquée à SUD éducation 44, j’assistais aux Conseils départementaux de Solidaires 44 et me passionnais pour les réalités des différents secteurs ; l’année suivante le bureau, jusqu’alors constitué des trois personnes, minimum nécessaire à son existence juridique, s’agrandissait et c’est avec un mélange de candeur – pour ne pas dire de naïveté – et de volontarisme que je l’intégrais avec une mission de co-porte-parolat. De cette période, je garde un souvenir difficile : le rôle d’exposition qu’est celui du porte-parolat (et ce, en pleine réforme des retraites à points) génère forcément des critiques voire des jalousies qui, pour ceux et celles qui ne se sentent pas légitimes par une longue et reconnue expérience de syndicalisme sectoriel, constituent une réelle épreuve de force. En effet, les mouvements interprofessionnels sont des appels d’air pour de nouveaux et nouvelles militant∙es pas toujours appelé∙es à rester dans un syndicalisme au long cours qui, loin du romantisme « révolutionnaire » des manifestations massives, galvanise moins les foules et revêt des tâches plus laborieuses. J’ai donc eu le sentiment d’avoir systématiquement à prouver d’abord à moi-même puis à mes pairs (de mon syndicat, de notre UD, des cadres intersyndicaux et unitaires) que les autres membres du bureau ne s’étaient ni trompé∙es sur mon engagement ni sur mes capacités à porter la voix ligérienne de Solidaires.

La mise en confiance : un préalable à la fonction

Les premières années sont celles d’un apprentissage que j’estime aujourd’hui indispensable au mandat : la prise en main du fonctionnement de l’appareil syndical, le contenu des différentes formes de réunion (conseils, bureaux, commissions, Comité national, etc.) mais aussi de tous les cadres unitaires à connaitre (intersyndical, inter-orga, mouvements autonomes) exigent une qualité du tuilage. Se sentir autorisée à intervenir dans chacune des instances de la vie syndicale en n’étant jamais décrédibilisé∙e, établit ou non la garantie de l’envie de continuer et d’impulser des dynamiques locales. Cette mise en confiance devrait être un préalable à la fonction. S’y est ajouté le devoir d’écriture et de lecture : comptes-rendus, ordres du jour, communiqués, tracts, textes de congrès, notes, etc., mais aussi veille médiatique, notes militantes, brochures, jusqu’aux Utopiques.

Sur la question du soutien, une marge de progression semble possible : d’autres associations comme XR ou Alternatiba font du « prendre soin » un axe essentiel du développement des valeurs militantes. Au-delà des principes de bienveillance, le plus souvent réduits à des paroles dans nos cercles syndicaux, comment construit-on un espace de sécurité affective et d’écoute pour ceux et celles qui s’engagent ? Rappelle-t-on suffisamment que nous avons le droit de ne pas être d’accord entre nous, que le pluralisme des idées affûte nos arguments et pousse tout un∙e chacun-e à dépasser ses propres positions ? Si le consensus est à la base de nos prises de décisions, il ne peut être pleinement satisfaisant que si nous nous sommes autorisé∙es à exprimer clairement notre point de vue.  Aussi, accepter que les idées, mentalités, orientations, évoluent grâce aux débats et ne sont pas des forteresses à défendre… Être camarade, c’est pouvoir s’opposer sur des idées tout en apprenant à construire ensemble leur élaboration. En somme, être encouragé∙e dans ses initiatives, quand bien même on débute, est un préalable précieux quant à la détermination des militant∙es à s’investir dans ce rôle qui se révèle souvent biface : ingrat et merveilleux.


«La mission de porte-parole est polyvalente ... » [Solidaires 44]
«La mission de porte-parole est polyvalente … » [Solidaires 44]

Ingrat tant les informations et les tâches sont multiples, captant le plus souvent une bonne partie de notre temps et de notre vie sans que cela soit rendu lisible, la représentation que l’on se fait du porte-parolat est dans sa définition même : une voix qui porte celle des autres. C’est vrai, c’est cela mais ce n’est qu’une infime partie immergée de l’iceberg : afin d’être pertinent, le porte-parolat exige une mise à jour continuelle de tous les aspects du champ social : en dehors des secteurs, être au fait de l’actualité quotidienne des luttes anticapitalistes, écologiques, antifascistes, féministes s’avère nécessaire. C’est sans compter sur les tâches logistiques partagées avec les autres membres du Bureau de Solidaires 44 qui, en leur qualité de militant∙e averti∙e, cumulent également d’autres mandats fédéraux ou locaux : ainsi de la maintenance des copieurs au lavage des torchons, en passant par l’achat du papier toilette, … la mission est polyvalente.

Merveilleux parce qu’au cœur de cette période, la rencontre et la connaissance de la vingtaine de syndicats et de leurs adhérent∙es qui constituent l’Union départementale : leur vision syndicale, les similitudes de méthodes et de fonctionnement qui peuvent s’opérer entre eux comme leurs différences, leurs places et nombres dans le territoire. En somme, ce qui crée toute la palette de nuances d’une union. A cela s’ajoutent la connaissance des instances dans lesquelles nous siégeons ainsi que celle des autres « partenaires de lutte et d’inconfort » : organisations syndicales, partis et associations dont les enjeux de pouvoir, tout comme les passerelles affinitaires, ne sont ni à ignorer ni à négliger et où on retrouve la question d’assurer la légitimité de sa place et par la même celle de son Union, dans des cadres unitaires parfois périlleux.

Faire vivre notre interprofessionalisme

Depuis 18 mois, ce jeu d’équilibre entre le travail des différents secteurs, entre celui qu’on appelle le syndicalisme de terrain et les actions interprofessionnelles qu’on ne saurait réduire aux actions de rue, reste un enjeu jamais acquis. Il revient parfois au bureau de notre UD, quand l’enjeu n’est pas perçu par les syndicats locaux, de proposer des liens entre eux autour d’informations ou de revendications que peuvent partager des agent∙es d’un même site aux employeurs différents. Cela fait écho à ce qui se joue lors des Conseils départementaux, qui sont l’instance de décision et de mise en œuvre des actions (et dans une moindre mesure des commissions). Mes premiers Conseils se résumaient à un tour des secteurs et à une prise de décision rapide de participation ou non à des rendez-vous sociaux : souvent des déclinaisons locales issues d’appels nationaux. Aujourd’hui, j’estime qu’il s’avère nécessaire de dépasser le simple rapport ou témoignage des syndicats de leurs activités sectorielles mensuelles afin que ces derniers soient sujets et acteurs des Conseils. Ces réflexions induisent d’en finir avec le sempiternel « actualité militante/ tours des secteurs » . Une voie possible est de considérer le récit sectoriel comme une base pour interroger la nature et la manière de faire vivre notre interprofessionalisme.

Deux pistes se dessinent à l’heure actuelle :

– Proposer aux syndicats de produire un texte sur un objet qui soulève des questionnements collectifs, politiques ou stratégiques, parce qu’ils mettent en lumière des contradictions dans nos revendications, dans notre « morale syndicale » ou dans l’actualité.

– Mettre à l’ordre du jour la possibilité d’une action collective non pas parce que les militant∙es vont partager le même espace géographique mais parce que l’action nécessite différentes étapes de réalisation attribuables à chaque syndicat.

Cet aspect demeure à améliorer grâce à un outil de mutualisation des informations pris en main par l’ensemble des syndicats et valorisé par chacun. Pour l’heure, la majorité des tentatives ont échoué ; j’émets l’hypothèse que selon les habilités numériques et le temps disponible des militant∙es du 44, la question de rendre visible aux autres secteurs son actualité revendicative sectorielle ne constitue pas une priorité. En effet, le sujet de la place accordée par les syndicats à l’interprofessionnel diffère également selon l’historique du syndicat, ses composantes militantes et l’actualité. En formation, en Conseil départemental comme sur les sujets des manifestations : lever les lièvres et points d’achoppement, pour permettre des débats de fond, expliciter les enjeux de pouvoirs parfois méconnus de ceux et celles qui ne gravitent ni dans les sphères politiques, ni ne participent aux intersyndicales, ni encore se rendent à Paris, demeurent essentiels pour que chaque syndicat puisse contribuer à hauteur de ses moyens à l’activité collective départementale.

Équilibre des dialogues et des cadres unitaires

Il est un grand écart aussi permanent que fragile pour Solidaires 44 d’être à la fois un interlocuteur des composantes dites plus « autonomes » des mouvements sociaux et dont le territoire est fortement pourvu (de la ZAD aux groupes antifascistes en passant par des médias comme Grève ou Contre-Attaque) et de rester un acteur avec les organisations instituées. Ainsi, par exemple, la mobilisation contre la « réforme » des retraites de 2023 a cristallisé toute la difficulté à faire entendre à une intersyndicale bien souvent réfractaire aux « émeutiers en noir », que notre Union n’avait pas pour rôle d’étouffer la colère sociale ; dans le même temps, il était important de maintenir un dialogue avec ces groupes dont les méthodes d’intervention diffèrent mais dont la force s’additionne à la nôtre. La réciproque s’observe pour les syndicats du 44 : certains sont sympathisants à des courants jugés plus « violents » ou dits « anarcho-révolutionnaires » alors que d’autres ne souhaitent pas y être associés, on retrouve encore ici le nuancier qui fait l’identité de notre Union départementale, à la fois éclectique et en perpétuelle mutation. Là encore, la tâche est rude pour dégager une ligne de consensus, alors que les modes d’actions ou les orientations sont presque antinomiques. Comment concilier la nécessité de ne pas passer à côté des mobilisations du mouvement social, en y entraînant des équipes syndicales parfois peu convaincues ? Comment être présent∙e et faire le nombre ? Comment jauger ce qui relève du témoignage militant de ce qui amène à vraiment faire bloc massivement ? L’expérience des orgas et des militant∙es contribue à doser avec davantage de précision l’implication à engager. Autrement dit, la fonction de porte-parole d’une union ou/de syndicats demande un minimum de pérennité ; changer tous les ans les camarades qui officient apparait fragile à l’heure des relations unitaires de confiance, tout comme pour connaitre les équipes syndicales de l’UD.


L’insécurité en ville ? Les abords d’une manifestation à Nantes, le 6 avril 2023. [Didier Raynaud]
L’insécurité en ville ? Les abords d’une manifestation à Nantes, le 6 avril 2023. [Didier Raynaud]

Cette hétérogénéité est également intégrée – non sans obstacles –par les membres du Bureau. En exemple, mon propre syndicat a des principes forts dans son organisation interne et dans ses valeurs qui ne sont pas exactement celles de Solidaires 44. Mon expérience actuelle me montre que ce qui n’est pas un sujet pour certains syndicats est central dans le mien et vice et versa. J’y vois une piste d’amélioration : il faut concilier la confiance de sa base syndicale avec la dimension plus large que l’animation d’une UD oblige. Se sentir soutenu par ses camarades directs est un pivot pour que Solidaires soit le syndicat du renouvellement, de la diversité, de la parité. Un syndicat qui se transforme, tout en voulant transformer la société.

Je n’ai pas été exemptée de ce que le fait d’être une femme implique : seule femme dans une intersyndicale départementale masculine, seule femme aux réunions préfectorales, il m’a fallu déjouer les pièges des représentations qui incombent à mon genre : combattre l’invisibilisation des femmes en responsabilité, essuyer les remarques sexistes sur les réseaux sociaux, s’imposer dans un entre-soi. Il serait illusoire de croire que cette problématique soit circonscrite aux organisations extérieures : quelques heures après mon élection au mandat de secrétaire de l’UD, un appel isolé d’un adhérent sur un tout autre sujet s’est soldé par une remarque acerbe sur le fait qu’une femme ne peut animer ou représenter une Union syndicale et que mes compétences en matière de grève ne seraient pas à la hauteur de ceux qui savent « porter un pantalon ». J’ai, par conséquent, fait le choix conscient, lors de ma première année en qualité de secrétaire, d’aller seule aux intersyndicales des 8, ceci afin d’assurer une assise qui ne m’était pas donnée d’office. Par la suite, les prises de paroles publiques lors des manifs, rassemblements, des conférences de presse, le tout sans lecture de papier, ont forgé ma place parmi ces représentant∙es d’organisations diverses. La présence de l’Union dans la rue, et les coups de poing sur la table pour faire entendre l’identité de notre syndicalisme ont assuré un dialogue à égalité mais aussi une confiance avec les autres représentants. Il est même à noter que mon genre me permet de sortir de la représentation homogène et monotone de mes homologues syndicaux : dans une société patriarcale où les lignes commencent à peine à bouger, les médias qui invitent de manière majoritaire les grosses structures syndicales (CGT, FO, CFDT) pour couvrir les mobilisations, sont de plus en plus enclins à jouer la parité : c’est pourquoi, lors de l’année qui vient de s’écouler, notre Union a été maintes fois plébiscitée pour répondre aux questions d’actualité, permettant ainsi de jouir d’une importante reconnaissance auprès des travailleurs et des travailleuses de Loire-Atlantique.


Manifestation du 1er mai 2023 à Nantes

Aussi pour clore sur le sujet de l’égalité femmes – hommes, être une femme militante m’a permis d’établir des liens parallèles : de franches discussions qui confèrent à la sororité intersyndicale avec la secrétaire de l’Union locale CGT de Nantes et la nouvelle co-secrétaire de la FSU 44 ont vu le jour. Force est de constater que lors de certaines réunions où les représentants masculins étaient absents, le front de nos trois organisations paraissait loin des démonstrations de pouvoir qui consistent parfois, en intersyndicale, à mettre en concurrence le nombre de secteurs en grève : nous sommes plus attachées à l’efficience de l’objectif et à décider des modalités d’organisation.

Enfin, l’équilibre des vies privées est également à interroger :  il n’est pas rare d’entendre certain∙es camarades exprimer leur fatigue à assumer une présence de l’Union à de multiples évènements : le soir en semaine ou sur les week-ends, prenant ainsi sur des heures dédiées habituellement à la vie privée. C’est donc le revers de la médaille d’un territoire porteur de nombreuses luttes : les honorer dans leur intégralité n’est pas aisé. Certains appels sont fédérateurs et permettent une massification comprenant tous les syndicats, d’autres beaucoup moins. Nous ne faisons pas exception quant à l’usure du noyau dur de militant∙es qui se retrouvent systématiquement à répondre à l’ensemble des mobilisations : l’envie d’en délaisser certaines au regard de l’absence annoncée des adhérent∙es se heurte à celle d’y assurer une présence. Craint-on de perdre notre image de solidarité ou d’être par notre absence catalogué de fait en opposition avec les revendications des dites actions ?


[Solidaires 44]
[Solidaires 44]

En définitive, mon expérience bien que modeste et sans prétention aucune, me conduit à penser qu’avoir la possibilité collective de réfléchir à l’intégralité des questionnements posés ici, c’est aussi la possibilité d’assurer la longévité et l’efficacité de l’appareil syndical. Contre les attaques du capital en cours et contre celles à venir, travailler à concilier nos forces sectorielles et nos désirs de transformations sociales, c’est faire de nos unions syndicales Solidaires, une alternative heureuse et émancipatrice à l’avenir sombre que prophétisent les politiques actuelles.

Mathilde Peyrache

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