Convoi syndical, Secours ouvrier pour la Bosnie – Une histoire de solidarité ouvrière

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L’Union syndicale a pris l’initiative de convois syndicaux en soutien à la résistance populaire ukrainienne, face à l’invasion des troupes russes. Nous n’avons rien inventé. Retour sur l’expérience des associations Convoi syndical et Secours ouvrier pour la Bosnie, à travers cet entretien.


Eric Aragon travaille à La Poste, ancien de SUD PTT, il a effectué deux voyages de solidarité en Bosnie, un voyage au Kosovo, quatre voyages en Tchétchénie, un dans le Caucase Sud et trois séjours en Ukraine. Il a fait partie des fondateurs de l’association Convoi syndical.


Extrait de la brochure Juillet-août 1995, convoi syndical et délégation à Tuzla, publiée par Secours ouvrier pour la Bosnie.

Peux-tu nous dire comment l’histoire du Convoi syndical a commencé avec le Secours ouvrier pour la Bosnie ?

Le Convoi syndical, avant qu’il ne devienne formellement une association est le résultat de la réunion de syndicalistes français∙es, SUD, CGT, FSU, CNT et d’une association, Secours ouvrier pour la Bosnie (SOB), allant à la rencontre de syndicalistes bosniaques dans la ville de Tuzla. Interpellé∙es par la violence de la guerre en Bosnie, nous avions cherché, au travers de nos organisations, à organiser une action qui soit propre au monde ouvrier et non déléguée aux ONG ou aux « politiques » ; ces derniers étant souvent dans des atermoiements majeurs, soit pour nommer les agresseurs -en l’occurrence le gouvernement serbe- soit pour trouver le bon angle pour réagir. Nous nous étions alors joints à un convoi syndical européen, initié principalement par des syndicats britanniques, mais aussi avec des syndicats espagnols. Plus de quatorze véhicules participèrent à cette aventure.

Pourquoi un engagement spécialement syndical ? Qui était impliqué à ce moment-là ?

Je l’ai dit plus haut mais j’insiste sur ce point : la faiblesse de la riposte européenne au niveau politique nous affligeait au plus haut point. En France, le gouvernement semblait ménager l’agresseur, le gouvernement serbe. Celui-ci soutenait les séparatistes serbes de Bosnie. Il nous semblait, en tant que salarié∙es, que les syndicats représentaient une partie de la population active et pouvaient donc s’exprimer en son nom. De plus, un syndicat, sur ce type de sujet, a des capacités d’organisation et de mobilisation importantes, même si je ne dirais pas la même chose aujourd’hui. Il était donc logique qu’à l’appel de leurs adhérent∙es, mais pas que, les syndicats mettent en place des actions de solidarité réelle ; actions dépassant un cadre national. Il faut dire que beaucoup d’organisations ouvrières se sont vraiment impliquées, soit en contribuant financièrement au Convoi et à l’achat de ce que nous emmenions, soit en y participant physiquement, comme chauffeurs notamment. Cela ne s’est pas fait en un jour ; il a fallu beaucoup de réunions entre structures, de rencontres publiques, pour que cela puisse se mettre en état de marche.


Extrait de la brochure Juillet-août 1995, convoi syndical et délégation à Tuzla, publiée par Secours ouvrier pour la Bosnie.

C’était aussi une initiative européenne ?

Oui ! Quasi une première, en 1994/95, depuis la Guerre d’Espagne. Cela avait une racine historique que nous méconnaissions en France. Ces Britanniques allaient aider les mineurs et la population de Tuzla, dans la suite de l’aide apportée par les Bosniaques lors de la grande grève des mineurs contre la politique de Thatcher. A l’époque, des mineurs de Tuzla, ville minière, avaient aidé concrètement leurs homologues britanniques. La solidarité ouvrière n’est pas un vain mot, puisqu’il y a eu aussi des membres de plusieurs syndicats de l’énergie voulant aider cette ville assiégée depuis de mois. Nous avons pu remarquer que le souvenir de cette solidarité des années 80 était encore vivace dans les deux sens !

Quels souvenirs as-tu de cette initiative ? Du fait d’avoir été sur place ? Et quelle utilité ? 

D’abord l’idée que ce ne fut pas facile ! Les passages de douanes et de check-point ne furent pas une mince affaire : les routes détruites, les contournements de secteurs militaires, rien ne fut fait pour nous faciliter la tâche. Je me rappelle cette étrange journée à Split, où nous apprîmes la chute de Srebrenica (enclave bosniaque sous protection onusienne) et la disparition de 8 000 personnes. Le chiffre quasi exact des morts était connu deux jours après cette chute, je ne voulus pas croire ce jour-là ce que tant de monde ait disparu ; aujourd’hui je sais que mes interlocuteurs avaient raison « en direct ».

J’ai aussi le souvenir de la mise en place d’une solidarité réelle de salarié∙es à salarié∙es et la mise en place de liens forts qui ont perduré dans le temps, notamment avec les postiers et postières que nous sommes revenu∙es voir pendant des années. L’impression souvent, que les politiques étaient à côté de la plaque, au vu de la situation catastrophique d’un pays qui se réclamait de l’Europe mais n’était pas considéré comme tel. La preuve de la force de nos actions syndicales c’est que nous étions dans Tuzla de nombreux mois avant que les forces américaines y arrivent. Des ouvrier∙es avant des soldats le symbole était fort. Ce que nous avions fait en tant que salarié∙es représentant∙es le monde du travail, des gouvernants auraient pu le faire avec encore plus d’effets.


Extrait de la brochure Juillet-août 1995, convoi syndical et délégation à Tuzla, publiée par Secours ouvrier pour la Bosnie.

Après d’autres convois ont eu lieu ? Au Kosovo, en Tchétchénie, en quoi était-ce la continuité ? Quelles différences ? 

L’histoire se répète souvent. Nous sommes effectivement allé∙es au Kosovo en 1999, puis en Russie et en Tchétchénie à partir de 2000. Souvent confronté∙es aux mêmes problèmes de nationalisme exacerbé (au Kosovo) ou aux relents d’un impérialisme d’un autre siècle comme en Tchétchénie. Ces phénomènes apparaissent de plus en plus dans une Europe par trop économique. On parle de guerres d’un autre temps et de conflits qui ne nous regardent pas directement, mais la guerre n’est jamais d’un autre temps et ceux qui les provoquent défendent souvent des intérêts très limités : opinion publique locale à flatter, réélection. Les effets sont toujours aussi désastreux, malheureusement. Nous ne pouvons, par contre, ignorer la force de l’accueil que nous avons reçu dans les périodes de désespoir où nous nous sommes rendu∙es dans ces pays et nous sommes sûr∙es de l’utilité de l’aide arrivée directement auprès des population, collectée au travers de nos organisation ; c’est important de le signaler : cette aide n’a pas pu être détournée. L’Ukraine aujourd’hui est presque un copier-coller de tout ce que nous avons vécu dans nos précédents voyages. Nous verrons si les sanctions appliquées changeront le cours des choses.


Extrait de la brochure Juillet-août 1995, convoi syndical et délégation à Tuzla, publiée par Secours ouvrier pour la Bosnie.

En quoi la situation en Ukraine te semble nécessiter des engagements de ce type ?

L’évidence de l’agression sur l’Ukraine par le pouvoir russe nous oblige, de nouveau, à nous positionner en soutien à l’agressée qu’est l’Ukraine et ce n’est pas une formule vide de sens. Pour y avoir été souvent, là encore pour jeter des ponts entre syndicats de nos deux pays, nous avions souvent parlé de la situation de ce pays perfectible dans son fonctionnement démocratique et sa lutte contre la corruption. Mais jamais l’hypothèse d’une guerre avec le grand voisin russe n’avait été envisagée ; preuve de la surprise de l’attaque russe. Ce n’est certainement pas un pays fasciste comme l’affirme Poutine. C’est aussi un pays qui a subi des soubresauts pour accéder à plus de démocratie : Révolution orange, Maïdan particulièrement. La recherche d’un modèle démocratique tourné vers l’Europe est réelle, il est donc nécessaire d’être dans une solidarité active pour jeter les bases des échanges de demain. Aussi, et j’espère ne pas être à contre-courant, je crois qu’on peut trouver chez les Russes, même si ce n’est pas facile, des organisations anti-guerre ou des opposant∙es à l’intransigeance et la folie de Poutine. Il ne faudra pas les oublier, pour que cette partie du monde soit un jour en paix.


Éric Aragon, propos recueillis par Verveine Angeli


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