Sur la guerre d’Israël en Palestine

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Israël justifie sa répression des Palestiniens en brouillant la différence entre combattants et civils. Ce qui lui permet de dénoncer toute résistance à son égard comme du « terrorisme », explique Orly Noy dans le premier texte, dont nous devons la traduction et la diffusion aux militantes et militants de l’Union juive française pour la paix ( ujfp.org ). Quant à Keren Assaf, dans un article de +972 Magazine ( 972mag.com ),  elle montre pourquoi les fabricants d’armes et de surveillance ont intérêt à maintenir Gaza en terrain de jeu pour toute technologie qu’Israël souhaite tester sur les Palestiniens. Traduction et diffusion proviennent de l’Agence media Palestine ( agencemediapalestine.fr ).


Orly Noy est rédactrice en chef de Local Call ( justvision.org/localcall ), journal en ligne israélien où a été publié cet article. Elle est aussi traductrice de poésie et de prose farsi.
Keren Assaf est une militante antimilitariste, directrice du Programme israélien d’AFSC et codirectrice de DIMSE ( American Friends Service Committe (afsc.org). Database of Israeli Military and Security Export (dimse.info – Base de données des exportations militaires et sécuritaires d’Israël).


[Katya Gritseva]

Un soldat n’est pas un civil

Le mitraillage d’un bus de soldats, dimanche 4 septembre, dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée, a provoqué comme d’habitude l’irruption des journalistes militaires israéliens et des spécialistes des questions sécuritaires vers les studios d’information. Bien entendu, tout le monde a utilisé le même vocabulaire pour décrire ce qui s’est passé : les tireurs palestiniens ont été définis dans tous les rapports comme des « terroristes », tandis que l’événement lui-même était qualifié d’« attaque terroriste ». Et pourtant, aucun des reportages que j’ai vus sur les différentes chaînes ne mentionnait un fait fondamental : ces tirs se sont déroulés en territoire occupé. Les médias israéliens évitent de faire la distinction pourtant fondamentale entre une action dirigée contre des soldats et une action dirigée contre des civils ; tout comme le régime qu’il sert, aux yeux de la grande majorité des médias israéliens, il n’y a pas de lutte palestinienne qui ne soit intrinsèquement définie comme du terrorisme, qu’elle soit armée ou non. Par conséquent, tout manifestant palestinien est un « émeutier » ou un « terroriste », et toute résistance armée aux invasions israéliennes dans les villes de Cisjordanie, une quasi-routine nocturne, est du « terrorisme ». Pendant tout ce temps, Israël élargit régulièrement et de manière alarmante l’applicabilité du concept de terrorisme à la population palestinienne. Au cours de la dernière décennie, nous avons entendu des responsables israéliens accuser les Palestiniens d’absurdités telles que le « terrorisme immobilier » [1] et le « terrorisme diplomatique » [2], alors que l’année dernière, le ministre de la Défense Benny Gantz n’a pas hésité à déclarer que plusieurs des plus importantes organisations de la société civile palestinienne étaient des « organisations terroristes » [3].

Ce comportement des médias n’est pas seulement non professionnel ; c’est une manipulation dangereuse de l’opinion publique, qui n’arrive plus alors à faire la distinction entre terrorisme et opposition légitime. Et pourtant, paradoxalement, c’est précisément ce public -c’est-à-dire la population civile- qui a le plus grand intérêt à préserver cette distinction, reconnue et ancrée dans le droit international de la guerre. Dès qu’une personne revêt un uniforme militaire, elle reçoit les protections et les droits stipulés par les lois de la guerre, comme celui d’utiliser la violence – bien sûr, dans les limites de ces lois. Mais elle renonce également à certaines protections, comme devenir une « cible légitime » dans un conflit armé. Ce faisant, le droit international cherche à marquer clairement les limites de la violence : les combattants combattent des combattants, les civils ne doivent pas être mêlés au conflit. Mais une partie du problème est qu’Israël ne reconnaît aucun Palestinien comme combattant. Cette catégorie n’existe tout simplement pas dans l’état d’esprit juridique et politique israélien – même lorsqu’ils sont clairement identifiés comme tels, que ce soit en tant que membre d’un groupe armé, en portant des armes ou, dans certains cas, en portant des treillis militaires.


[Katya Gritseva]

En ce qui concerne la lutte palestinienne, Israël choisit d’« avoir le beurre et l’argent du beurre » : tuer des Palestiniens en tant que combattants, tout en les emprisonnant en tant que civils et non en tant que prisonniers de guerre, comme l’exige le droit international. Piétiner le droit international peut servir les objectifs violents et belliqueux du régime israélien, mais au-delà de son illégalité et de son immoralité, cela va à l’encontre des intérêts du public israélien lui-même. De plus, même si cela n’est pas du goût des commentateurs militaires, le droit international reconnaît le droit d’un peuple à lutter pour sa liberté, et pour « se libérer du contrôle colonial, de l’apartheid et de l’occupation étrangère par tous les moyens à sa disposition, y compris la lutte armée », comme l’ont affirmé, par exemple, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en 1982 et l’Assemblée générale des Nations Unies en 1990. La façon dont la violence et la force sont utilisées doit être conforme aux lois de la guerre, dont le but principal est de protéger les civils non impliqués des deux côtés. Selon ces normes juridiques, le mitraillage dans la vallée du Jourdain était un acte de résistance armée contre une puissance occupante, sur un territoire occupé.

Malgré les tactiques d’écran de fumée d’Israël, aidées par des médias dociles qui se contenteront de régurgiter tout ce que le régime dit sur les Palestiniens, les faits doivent être énoncés clairement : tant que l’occupation, qui fait partie intégrante du régime d’apartheid d’Israël, entre le fleuve et le mer continue, la lutte palestinienne contre elle se poursuivra également, y compris par le recours aux armes. Et le droit de mener cette lutte est ancré dans le droit international. Le public israélien a tout intérêt à ce que cette lutte soit limitée aux combattants, plutôt que d’entraîner des civils non impliqués – Israéliens et Palestiniens – dans une confrontation armée. Le droit international, qu’Israël ignore de manière flagrante, a été créé dans ce but précis. Et si Israël ne fait pas de distinction entre une action contre les soldats de l’occupation en terre occupée et une action dirigée contre des civils non-impliqués au cœur de Tel-Aviv, pourquoi les Palestiniens devraient-ils le faire ?


⬛ Orly Noy – Traduction M.O. pour l’Union juive française pour la paix


Les entreprises israéliennes d’armement qui vont profiter de la dernière agression sur Gaza

L’attaque israélienne de 2014 sur la Bande de Gaza a représenté un tournant pour l’industrie israélienne d’exportation d’armes. Dans la foulée des 51 jours de bombardement, les nouvelles armes israéliennes testées au combat qui ont été développées et testées en opération pour la première fois – telles que les drones, les bombes et les équipements de surveillance terrestre – ont été vendues dans le monde entier grâce à des contrats de centaines de millions de dollars. A l’époque, un employé d’un des plus grands fabricants d’armes d’Israël a dit au journal d’affaires israélien The Marker que l’industrie nationale d’armement « souffrirait » si Israël passait 20 ans sans opération militaire majeure. En l’occurrence, cet employé n’avait pas à s’inquiéter : à la suite de l’attaque majeure suivante d’Israël sur Gaza, en mai 2021, le pays a explosé son record de vente d’armes, engrangeant environ 11,3 milliards de dollars. Moins de quinze jours après l’attaque, Israël Aerospace Industries (IAI) – la plus grande compagnie aérospatiale et aéronautique d’Israël – avait déjà conclu un contrat de 200 millions de dollars de drones avec un pays d’Asie non spécifié.

Au cours de sa très récente agression sur Gaza au début du mois [d’août 2022], Israël a intensément utilisé des Véhicules aériens sans pilote (UAV – drones). Israël est l’un des principaux exportateurs d’UAV au monde, et on a estimé, en 2017, qu’il avait alimenté environ 60 % du marché mondial au cours des trois dernières décennies. Depuis le début du siège de Gaza, 15 ans plus tôt, ses habitants ont été sous surveillance israélienne lourde et continue, y compris par des drones. L’industrie israélienne de drones est dominée par Elbit Systems. D’après les dernières sources disponibles, Elbit fabrique environ 85 % des drones utilisés par l’armée israélienne, dont les drones armés Hermès 450 et Hermès 900, ces derniers ayant fait leurs débuts dans l’agression de 2014, dans laquelle une frappe d’un drone Hermès a tué quatre enfants en train de jouer sur une plage de Gaza. Les drones Hermès sont également déployés par le gouvernement américain pour surveiller sa frontière méridionale. Parmi les autres sociétés israéliennes qui fabriquent des drones utilisés à Gaza, on trouve IAI, Aeronautic Defense Systems (propriété de Rafael, l’une des plus grandes sociétés israéliennes d’armement), RT LTA Systems, et BlueBird Aero Systems.


[Katya Gritseva]

Elbit produit aussi des canons conçus pour tirer des bombes à fragmentation. En 2008, plus de 100 pays ont signé une convention interdisant l’utilisation de bombes à fragmentation, qu’Israël – qui n’était pas signataire – a larguées sur Gaza l’année suivante, au cours de l’Opération Plomb Durci. Au moins quatre types de missiles israéliens ont été utilisés à Gaza ces dernières années, dont les missiles téléguidés Spike de Rafael, qui furent la cause d’un nombre énorme de victimes civiles en 2014 et 2021. En 2014, Human Rights Watch a rapporté que c’était vraisemblablement un missile Spike qui avait atterri juste devant une école de Rafah où s’abritaient 3.200 civils, tuant 12 personnes, dont huit enfants. Entre 2020 et 2021, les ventes ont augmenté de près de 400 millions de dollars. Beaucoup d’autres sociétés israéliennes ont tiré profit du siège continu de Gaza, dont les sociétés de cybernétique et de technologie qui développent les radars, les systèmes de contrôle et de surveillance – qui ont toutes transformé Israël en cyber-empire. Plus de 40 % de l’investissement mondial dans les sociétés de cybernétique vont aux sociétés possédées par Israël, telle Magal Security Systems, qui a construit ses « clôtures intelligentes » sur la frontière entre Israël et Gaza. Saar Koursh, PDG de Magal, a dit en 2018 que Gaza était devenue un parc d’exposition pour les clôtures intelligentes de sa société, prouvant à ses clients potentiels qu’elles avaient été testées au combat.

Le siège et les attaques sur la Bande de Gaza sont par conséquent une affaire rentable, et pas seulement pour Israël : d’après l’Armée de l’air israélienne, quantité d’escadrilles qui ont participé aux plus récentes agressions ont utilisé des jets de combat F-15 et F-16, fabriqués par les géants américains de l’armement et de l’aérospatiale, respectivement Boeing et Lockheed Martin. On a dit aussi que des jets F-35 de Lockheed Martin avaient aussi été utilisés dans les bombardements. L’armée israélienne a également utilisé des jets Boeing et Lockheed Martin pour bombarder Gaza en 2014 et 2021, où elle a détruit de vastes zones habitées et causé des milliers de victimes au cours des deux agressions. Depuis 2021, Israël a acheté des dizaines d’avions, des pièces détachées, de l’entraînement militaire aux deux sociétés à la hauteur de milliards de dollars, le dernier accord connu, approuvé par le président Joe Biden, ayant eu lieu quelques semaines seulement avant l’agression de mai 2021.

Toutes ces sociétés (et beaucoup d’autres) ont un intérêt évident à maintenir Gaza en terrain de jeu fructueux et sans limites pour toute technologie militaire qu’Israël souhaite développer ou tester. La possibilité de qualifier certaines armes de « testées au combat » fournit à l’industrie d’énormes avantages que d’autres nations – y compris celles qui oppriment elles-mêmes militairement leurs populations civiles – cherchent elles aussi à conserver. Ce cycle se répète sans cesse. Ces dernières semaines, il a coûté la vie de dizaines de Palestiniens à Gaza, dont un tiers étaient des enfants, et en a laissé des centaines d’autres blessés et sans domicile. Et cela continuera d’arriver tant que l’industrie israélienne de l’armement fera circuler pour des milliards de dollars d’armes, la majorité des pays du monde étant complice et en profitant grâce aux exportations et aux importations.


⬛ Keren Assaf – Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine


[1] « Les législateurs israéliens débattent sur le « terrorisme par la construction » par les Palestiniens de Cisjordanie », Amira Hass, Haaretz, 29 janvier 2018.

[2] « Israël qualifie les actions palestiniennes de « terreur diplomatique » », Herb Keinon, The Jerusalem Post, 1er avril 2012.              

[3] Le ministre de la Défense a désigné six organisations du Front populaire de libération de la Palestine comme des organisations terroristes.


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