Combattre les viols utilisés comme arme de guerre
Depuis la nuit des temps, les conflits entre les groupes humains ont occasionné non seulement la mort des soldats engagés, mais la mort de plus en plus de personnes civiles. Depuis plusieurs décennies sont mis en lumière les viols, agressions sexuelles et attaques visant particulièrement les femmes, des enfants ou des hommes. On ne peut plus ignorer que le viol comme arme de guerre est volontaire et systématique, couvert par les gouvernements et organisé par les hiérarchies militaires.
Voir notamment : Christina Lamb, Nos corps, leur champ de bataille. Ce que la guerre fait aux femmes, éditions Harper Collins, 2021.
Militante dans le secteur sanitaire et social, en Lorraine à la CGT en 1971-1972, puis en région parisienne, à la CFDT de 1973 à 1988, Elisabeth Claude participe à la création du syndicat CRC Santé Sociaux (futur Sud Santé Sociaux). En 1991, elle entre à l’AFPA où elle milite à la CGT ; en 1999, elle est parmi les fondatrices et fondateurs de SUD FPA ; en 2010, comme 1000 autres salarié∙es, son contrat de travail est « transféré » à Pôle Emploi et elle milite alors à SUD Emploi. Aujourd’hui retraitée, elle est active au sein de la commission Femmes Solidaires et de l’Union interprofessionnelle Solidaires 93.
De trop nombreux exemples
En décembre 1937, l’armée japonaise venant de Shangaï entre dans Nankin. Les Japonais violent les femmes avant de les tuer. On dénombre 100 000 victimes.
En avril 1945, l’armée américaine arrête sa progression pour laisser les Soviétiques entrer seuls dans Berlin (accords de Yalta). On estime qu’il y a eu 100 000 victimes de viols par les soldats soviétiques à Berlin et environ 2 millions dans toute l’Allemagne. Dans la même période, les viols par les soldats américains, britanniques et français ont réellement existé mais ils ne sont pas sérieusement dénombrés.
Dans les années 90, au cours du conflit dans les Balkans, les Serbes ont commis environ 200 000 viols sur des femmes bosniaques. Selon un rapport de l’Unesco, « les enquêtes conduites dans l’ancienne Yougoslavie ont […] constaté, en ce qui concerne spécialement les attaques serbes contre les localités et villages musulmans, que les viols avaient revêtu un caractère systématique, qu’ils avaient été commis sur ordre des autorités supérieures et sous leur supervision, qu’ils avaient ainsi été utilisés comme une arme de guerre visant à contraindre les habitants à quitter leurs foyers […]. Le viol collectif aura ainsi été partie intégrante de la politique de “purification ethnique”. Dans un certain nombre de camps où les femmes étaient retenues prisonnières pour être violées jour après jour, les violeurs n’ont pas hésité à dire que leur but était de féconder ces femmes afin qu’elles accouchent d’un petit Serbe. [1] »
Au Rwanda, en 1994, au cours du génocide des Hutus contre les Tutsies, 250 000 personnes auraient été violées.
En 2009, le Conseil de l’Europe faisait le constat suivant : « Aujourd’hui, les principales victimes de ces crimes se trouvent dans la République démocratique du Congo (particulièrement dans le Kivu) – où l’on a pu dire qu’il est plus dangereux d’être une femme qu’un soldat – et au Soudan (notamment au Darfour). [2] »
En 2017, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a publié le rapport du Projet Mapping, qui recense les exactions commises en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003. On y retrouve des informations alarmantes : « Fréquemment, la violence sexuelle a été utilisée pour terroriser la population et l’asservir. Les différents groupes armés ont commis des violences sexuelles qui s’inscrivent dans le cadre de véritables campagnes de terreur. Viols publics, viols collectifs, viols systématiques, incestes forcés, mutilations sexuelles, éventrations (de femmes enceintes dans certains cas), mutilation des organes génitaux, cannibalisme sont autant de techniques de guerre qui ont été utilisées contre la population civile dans les conflits entre 1993 et 2003. [3] »
En 2011, l’association Info Birmanie faisait état de nombreux viols commis sur des femmes et des fillettes par l’armée birmane dans le cadre de ses offensives contre les groupes armés ethniques shan et kachin (nord-est et extrême nord), après plus de vingt ans de cessez-le-feu. Le 22 juin, la Kachin Women’s Association Thailand (KWAT), association de femmes kachin basée en Thaïlande, dénonçait les viols collectifs d’au moins 18 femmes et fillettes, du 10 au 18 juin 2011 le long de la frontière avec la Chine. Quatre d’entre elles ont été assassinées après avoir été violées. Une autre femme est décédée des suites des blessures causées par le viol [4].
En 2016, en Somalie, petit pays oublié de la corne de l’Afrique qui vit depuis de nombreuses années une guerre civile, des soldats de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) ont abusé et exploité sexuellement des femmes et des jeunes filles somaliennes vulnérables dans leurs bases de Mogadiscio, affirme Human Rights Watch. Leur rapport rassemble des informations sur l’exploitation et les abus sexuels subis, depuis 2013, par des femmes et des jeunes filles somaliennes dans deux bases de l’AMISOM de Mogadiscio. Les soldats de l’UA ont profité de la vulnérabilité de ces femmes en demande d’aide humanitaire, pour les contraindre à des rapports sexuels. Quand on sait que ces violences faites aux femmes se déroulaient sur des bases de Mogadiscio où vit toute la communauté internationale, on se pose des questions : personne n’a rien vu, ni rien entendu ? Que fait l’Union Européenne ?
En 2016, une pétition réclame une enquête internationale sur les viols à Djibouti :«Depuis plus de 25 ans, l’armée djiboutienne utilise régulièrement les viols et les violences contre les femmes comme arme de guerre. Après une nouvelle vague de viols en mars 2016, 2 grèves de la faim sont menées par le Comité Djiboutien contre le Viol et l’Impunité et soutenues par de nombreuses associations dont Femmes Solidaires. Le 12 mai dernier, ces femmes courageuses obtiennent une résolution du parlement européen qui invite les Nations Unies à enquêter sur les violence à Djibouti. [5] »
En 2020, Justine Masika Bihamba, coordinatrice de la Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles au Congo, dénonce :« En RDC, les milices violent des femmes, tirent dans leurs organes génitaux, y introduisent des objets pointus […]». Dans cette région du Nord Kivu, région de l’Est du Congo et frontalière de l’Ouganda et du Rwanda, historiquement marquée par des violences du fait de conflits ethniques, territoriaux, de la présence de ressources minières et de milices armées nationales et étrangères, les violences faites aux femmes sont endémiques et utilisées comme armes de guerre. Il y a aujourd’hui plus de 30 groupes armés actifs, étrangers et nationaux. Justine Masika Bihamba nous interpelle : « Cela s’explique par la richesse de notre province en minéraux. Votre téléphone vous facilite la vie pour communiquer, mais le coltan tue des gens. 90% des minerais qui se trouvent dans votre téléphone sont exploités dans mon pays. »
En 2022, en Ukraine, l’utilisation du corps des femmes comme champ de bataille est dénoncé par le Front féministe. « Depuis des années, des opposantes féministes aux dictatures, telles les FEMEN ukrainiennes, avaient donné l’alerte. Elles voyaient juste… Décidée par un Vladimir Poutine obsessionnel de la virilité, l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022 se poursuit par une guerre de conquête. Comme en Tchétchénie ou en Syrie, l’armée russe massacre des civil·es. Elle pilonne des villes et bombarde des lieux abritant des femmes et des enfants vulnérables, des maternités, des hôpitaux. Des millions de personnes ont fui les zones d’Ukraine bombardées : 90 % sont des femmes et des enfants. La moitié de celles qui ont quitté le pays ont moins de 18 ans. En Ukraine, comme dans le Donbass depuis 2014, la cruauté délibérée de soldats russes ou tchétchènes exerçant des sévices sexuels relève d’une stratégie visant à terroriser la population, à la traumatiser durablement, en inscrivant dans sa chair le viol de la nation : c’est une guerre dans la guerre, nourrie par la haine des femmes, assimilant dans la même agression le corps de l’autre et sa terre [6] ».
En plus des viols, d’autres formes de violence sont subies par les femmes
La location d’utérus et le trafic d’enfants. En Ukraine, la Gestation pour autrui (GPA) est autorisée par la loi.Des reportages ont montré des couples éplorés affluant en Ukraine pour récupérer leur « commande » : un·e enfant pas encore sorti·e de l’utérus loué ; on présente comme des victimes des personnes qui enfreignent la loi de leur pays où la GPA est interdite, et exploitent la détresse financière de femmes amenées à louer leur utérus. La situation d’Ukrainiennes enceintes pour d’autres est devenue inextricable : l’agence qui a négocié leur mise en relation avec le couple acheteur étranger leur interdit de quitter le pays, car ce serait une violation de leur contrat ; si les commanditaires financent leur voyage, ces femmes vont accoucher dans un pays dont la loi interdit la location de ventres.
Le trafic de chair fraîche : Dans les gares et aux postes frontières, des proxénètes, appartenant à des réseaux mafieux ou agissant pour leur propre compte, abusent de la détresse et de l’épuisement de réfugié∙es fuyant la guerre. Se mêlant aux bénévoles qui offrent aide et solidarité, ils proposent transport, hébergement, emploi à de jeunes femmes démunies, qui sont victimes de racket, d’enlèvement, de travail forcé, de violences sexuelles, de traite d’êtres humains à des fins de prostitution ou de pornographie. Ces criminels s’alignent sur la demande : sur les sites de rencontres et les sites pornographiques, les recherches ayant pour mots-clés « femme ukrainienne » se sont multipliées.
L’absence de droit à l’avortement. Des Ukrainiennes enceintes à la suite de viols ne peuvent avorter en Pologne, où la loi l’interdit.
Quels objectifs poursuivent les violeurs, leurs hiérarchies et leurs gouvernements ?
Les violences sexuelles sont faites pour humilier une personne, une famille, une communauté, mais aussi pour les détruire. Elles incarnent la négation d’autrui et n’apparaissent ainsi nullement comme un inévitable malheur de la guerre mais comme une arme psychologique destinée à faire le vide devant l’envahisseur aussi sûrement, et peut-être plus efficacement, que les armes à feu. Ce sont « les identités » des victimes et de la communauté qui sont visées et que l’on veut détruire. Au niveau individuel, les humiliations infligées aux femmes, aux hommes et aux enfants, la plupart du temps en public, et sur une gamme étendue de cruauté, visent de toute évidence à ébranler en eux le sens humain – quand les mutilations n’interviennent pas pour les marquer à jamais dans leur chair.
Au niveau de la famille, les sévices sexuels ont souvent affecté la famille en tant que telle. C’est ainsi que les viols étaient, ou sont, perpétrés devant la famille réunie, qu’ils concernent successivement tous les membres de la famille, et que dans certains cas des femmes âgées ont été violées sous les yeux de tous les habitants du village, d’autres en présence de leurs jeunes sœurs, ou de leurs enfants, le tout avec la complaisance des autorités locales ou des commandants des camps. On a même vu les gardes obliger un père et un fils à accomplir des actes sexuels l’un avec l’autre. De nombreuses personnes considèrent la femme comme étant « sacrée ». Le mari dont le rôle assigné par le système patriarcal est de défendre sa famille et donc sa femme, se voit ainsi signifier son impuissance totale à le faire, d’une manière infâmante et traumatisante, le laissant dans cette impuissance symbolique, et désarmé au sens propre comme au figuré. Que lui reste-t-il sinon la vengeance ? Et le cycle infernal de la violence et de la guerre peut continuer longtemps…
La propagande instille l’idée que ces viols récompensent les soldats de leur bravoure et que c’est la tradition du « repos du guerrier ». Cela fait partie de l’endoctrinement des soldats, comme en octobre 2015, où dans une lettre destinée à ses hommes, Abou Bakr al-Baghdadi chef de l’État Islamique, prônait la conversion à l’Islam par le viol. Daesh a fait du viol de guerre une arme suprême part entière de sa stratégie. Boko Haram au Nigéria qui en a également fait son arme favorite en ciblant les jeunes filles et en particulier celles se rendant à l’école en les enlevant, les violant à répétition et en les mariant de force aux membres de Boko Haram. L’exemple des 200 jeunes filles enlevées en 2014 à Chibok en est le plus probant. Le viol comme arme de guerre est un outil de terreur et de torture, comme en Irak, en Libye, en Syrie ou encore au Sud Soudan. En Guinée, au Sri Lanka, au Zimbabwe ou au Kenya, c’est un outil de répression politique.
Quelles conséquences pour les victimes ?
Le viol est une évidente atteinte au corps et à la santé mentale des femmes mais aussi à leur réputation, à la réputation de leur famille et de leur communauté. Les femmes violée sont alors souvent rejetées. Le viol des femmes est enfin destiné à casser la filiation car une part de ces viols sont inséminants et ces enfants du viol au destin tragique seront une plaie pour leur mère et pour la communauté. Ils seront, eux aussi, souvent rejetés ou abandonnés. Le viol des hommes est une nouveauté dans sa systématique. On l’a récemment documenté en Syrie, en Ouganda… toujours pour détruire la communauté, la sodomisation étant, dans les populations musulmanes ou chrétiennes, l’humiliation suprême pour un homme. Le plus récent exemple nous est donné par la Lybie où se perpétuent encore actuellement de très nombreux viols d’hommes dans l’état de guerre permanente qui anime plusieurs factions rivales. Les viols d’enfants ont été malheureusement décrits, toujours dans les mêmes conflits, Syrie, Congo RDC … toujours dans le même but : à travers l’individu, détruire la famille et la communauté.
Tous ces crimes sont symboliquement irréparables car, malheureusement, ils sont terriblement efficaces pour affaiblir, déstabiliser, briser et faire disparaître les populations agressées. Les victimes souffrent de blessures physiques (éventrations, vagins et anus gravement déchirés…), de maladies sexuellement transmissibles (SIDA, etc.), de grossesses non désirées mais aussi de blessures psychiques (stress post-traumatique, culpabilité, humiliation) et sociales (exclusion par la famille ou la communauté, perte de repères).
Quelles réponses internationales ? Deux exemples
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) est une instance judiciaire mise en place par l’Organisation des Nations Unies pour juger les auteurs de crimes de guerre commis pendant les conflits des années 90 dans les Balkans. Au cours de son mandat, de 1993 à 2017, le TPIY a irréversiblement transformé le paysage du droit international humanitaire. Il a permis aux victimes de mettre des mots sur les horreurs dont elles ont été témoins. Il a démontré que les principaux responsables présumés des atrocités commises pendant les conflits armés peuvent être appelés à répondre de leurs actes. « Après la chute de Srebrenica aux mains des assiégeants serbes en juillet 1995, il apparaît que la population musulmane a été victime d’un massacre. Les éléments de preuve présentés par le Procureur décrivent des scènes d’une sauvagerie inimaginable : Des milliers d’hommes exécutés et enterrés dans des fosses communes, des centaines d’hommes enterrés vivants, des hommes et femmes mutilés et massacrés sauvagement, des enfants tués sous les yeux de leurs mères, un grand-père forcé d’avaler le foie de son propre petit-fils. Ces visions de l’enfer, bien réelles, figurent sur les pages les plus noires de l’histoire de l’humanité. ».
Le 20 mars 2000 s’est ouvert le premier procès majeur traitant exclusivement de violences sexuelles contre des femmes. L’acte d’accusation comprend le chef inédit d’« esclavage sexuel en tant que crime contre l’humanité ». Radomir Kovač, Dragoljub Kunarac et Zoran Vuković, tous trois membres des forces militaires et paramilitaires bosno serbes, doivent répondre de crimes commis contre des femmes musulmanes de Bosnie à Foča en 1992 et 1993.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est une juridiction pénale internationale mise en place le 8 novembre 1994 par le Conseil de sécurité des Nations unies afin de juger les personnes responsables d’actes de génocide des Tutsies au Rwanda, et d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ou par des citoyens rwandais sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Il achève ses travaux le 31 décembre 2015 avec un bilan mitigé et très critiqué par de nombreux experts. Les dossiers du tribunal sont repris par le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux. Jean-Paul Akayesu, bourgmestre de la ville de Taba en 1994 a été arrêté en janvier 1995 à Lusaka en Zambie ; son procès a eu lieu entre janvier 1997 et mars 1998. Ce fut la première sentence du TPIR. Il a été condamné à la prison à vie pour le massacre de 2000 Tutsies réfugiés dans le bureau communal de Taba, l’incitation à des viols collectifs et publics, ainsi que pour sa participation directe dans plusieurs assassinats. Ce procès a également établi une chaîne de commandement. Le tribunal a aussi, pour la première fois, reconnu le viol comme crime de génocide, dans la mesure où ils étaient commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie, un groupe particulier ciblé comme tel. Georges Ruggiu, naturalisé belge en 1975, était journaliste et animateur à la Radio Mille Collines au moment du génocide. Arrêté à Mombasa au Kenya le 23 juillet 1997, il a reconnu avoir diffusé des émissions qui ont incité au meurtre ou à des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des Tutsies et ont constitué des actes de persécution envers les Tut sis, ainsi que certains Hutus et citoyens belges. Son procès a été dissocié de celui des médias de la haine et il a été condamné à douze ans de prison le 12 juillet 2000.
Des critiques sont notamment émises par les victimes du génocide quant aux décisions du TPIR. Les rescapés ont pu être moins bien traités que les détenus. La procureure Carla del Ponte affirme que le centre de détention était « une prison cinq étoiles » où les détenus étaient « vraiment très bien traités du point de vue alimentaire » tandis que les « témoins victimes se trouvaient dans des conditions misérables ». Une rescapée, Yolande Mukagasana, consacre de nombreuses mentions de son livre aux enquêtes et jugements du TPIR. Elle y relève entre autres que les rescapé∙es n’ont pas d’avocat (car ils sont témoins et non partie civile), et que leur sécurité n’étant pas assurée, certain∙es ont été tué∙es à leur retour au Rwanda. Elle critique également le fait que les plaignantes pour viol soient soumises à des questions déstabilisantes qui sont humiliantes, et à des tentatives de reconstitution explicites.
Quelques pistes de réponses sociales et militantes
Informer. En 2004, Amnesty International rend public un rapport intitulé « Les crimes commis contre les femmes lors des conflits armés ». Elle liste un certain nombre de recommandations. En 2013, la délégation aux droits des femmes du Sénat publie un rapport « Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d’être des armes de guerre ». Ces deux documents sont disponibles sur les sites d’Amnesty et du Sénat.
Soigner et réparer les victimes ; L’homme le plus connu pour son action en faveur des femmes victimes de viols est Denis Mukwege, gynécologue à l’hôpital de Panzi en RDC. Un film documentaire retrace son parcours : « L’Homme qui répare les femmes : La Colère d’Hippocrate », réalisé par Thierry Michel et Colette Braeckman, sorti en avril 2015. Le film est interdit de diffusion en RDC. Lauréat du Prix Sakharov en 2014, Denis Mukwege [7] a également reçu le prix Nobel de la paix en 2018.
Soutenir les victimes. Créée en 2002 et basée à l’Est de la République Démocratique du Congo, dans la Province du Nord – Kivu, l’association Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles [8] réalise une prise en charge globale, car être victime de violences sexuelles est un tout : prise en charge médicale, accompagnement psycho-social, médiations familiales pour les femmes rejetées. Par ailleurs, se pose le problème des enfants, puisque les viols sont souvent accompagnés de grossesses non désirées. Les enfants ne sont pas accepté∙es par leur maman, puisque lorsque les femmes les voient, elles se souviennent de ce qu’elles ont vécu. La communauté est parfois méchante, elle va parfois appeler l’enfant par le nom des agresseurs : « Nous essayons de faire de la médiation, de la sensibilisation pour montrer à la communauté que la personne que nous devrions soutenir c’est la victime qui n’a pas voulu ce qui s’est passé. Celui qu’on doit huer, condamner, c’est l’auteur des agressions. »
Travailler sur les causes des violences, particulièrement l’exploitation illégale des ressources naturelles qui alimente les conflits, la non-réforme du système de sécurité (les personnes qui viennent de différents groupes armés sont intégrées à l’armée, la police, sans formation aucune), l’impunité généralisée, les coutumes et traditions qui considèrent les femmes comme inférieures.
Écrire et mettre en scène. Des Guerrières est une pièce de théâtre qui cherche à rendre visible la résistance des femmes au Kivu. Conçu et mis en scène par Florence Bermond, c’est un spectacle éprouvant, éclairant, réconfortant qui fait référence aux viols jusqu’à aujourd’hui impunis et subis par d’innombrables femmes dans la région du Kivu, dans l’Est de la RDC. La pièce souligne qu’une telle situation d’injustice mêlant l’intime et le politique « peut concerner chacune d’entre nous ». Rwanda, Mais avant ? Et puis après ? est un solo théâtral, adapté du livre «Survivantes de Esther Mujawayo, rwandaise Tutsi née en 1958, sociologue et psychothérapeute et Souâd Belhaddad, auteure et dramaturge. L’objectif de ces autrices est « d’écrire pour transmettre la mémoire du génocide pour les défunts, pour les rescapés mais aussi contre les négationnistes, de célébrer les victimes non plus seulement par leur seule perte, mais aussi par leur existence et pour sortir de ce chiffre d’un million de disparus et restituer de l’individualité à ces personnes défuntes. Et le choix de ne pas léguer de haine en héritage ».
Dénoncer ces crimes contre les femmes et contre l’humanité. C’est la mission que s’est donnée l’organisation Nous ne sommes pas des armes de guerre – We Are Not Weapons of War [9] (WWoW), animée par Céline Bardet, juriste et enquêtrice internationale.
Dénoncer l’impunité dont jouissent les violeurs, comme dans la société civile : la preuve avec l’affaire Jean-Pierre Bemba. Ce haut responsable en République Démocratique du Congo (RDC) a finalement été acquitté des 14 ans de prison pour les crimes qu’il avait commis. Enfin, le 21 juin 2016, le congolais Jean-Pierre Bemba est condamné à 18 ans de prison par la Cour pénale internationale, pour crime contre l’humanité concernant les viols qu’il a ordonnés en République centrafricaine. C’est la première fois, non seulement que la CPI s’empare de la question du viol de guerre, mais aussi qu’elle condamne Jean-Pierre Bemba en sa qualité de commandant et non pas d’auteur direct. Ceci prouve combien le viol de guerre n’est pas une question qui concerne uniquement ceux qui commettent les viols, mais avant tout la question de ceux qui ordonnent l’utilisation de cette arme comme on ordonnerait de tirer sur des civils. Cette décision historique ouvre la voie à une meilleure compréhension du viol comme arme de guerre qui n’a rien à voir avec une pulsion sexuelle.
Durant la Seconde Guerre mondiale, toutes les parties au conflit ont été accusées de viols massifs, et pourtant aucun des deux tribunaux créés par les pays alliés vainqueurs afin de poursuivre les crimes de guerre – à Tokyo et à Nuremberg – n’a reconnu le caractère criminel de la violence sexuelle.
Revendiquer un accès aux soins médicaux et aux chirurgies réparatrices. La réponse médicale est également indissociable d’un accompagnement psychologique voire psychiatrique pour répondre au trauma des victimes.
Mener un travail d’enquête rigoureux et impartial doit être mis en place pour collecter des témoignages et des données et ensuite entamer des procédures juridiques.
Former des professionnels (avocats, juristes, forces de l’ordre, etc.) à des méthodes d’enquête et d’écoute des victimes précises et efficaces.
Agir sur le plan de la réhabilitation : parce que la vie des victimes ne s’arrête pas et qu’il faut savoir comment les accompagner. Celles-ci doivent être actrices de leur réhabilitation. Accompagner les victimes dans leur projet professionnel peut permettre d’aboutir à leur réhabilitation sociale et économique au sein de leur communauté. Cette réhabilitation doit aussi concernée les auteurs de viols, à travers un travail d’accompagnement et un suivi psychologique.
Faire comprendre les rouages implacables du patriarcat dans le continuum des violences contre les femmes et se mobiliser contre !
La guerre permet l’expression la plus désinhibée de la violence masculine. L’oppression viriliste et destructrice du patriarcat s’y déploie sans frein. Les femmes et les enfants, qui en temps dit « de paix » subissent des violences machistes individuelles, sont alors traité·es globalement comme des objets, des marchandises, des déchets. Rêver d’une utopie politique militante : arrêter toutes les guerres, conventionnelles et patriarcales, supprimer les entreprises militaro-industrielles internationales et nationales, dissoudre les armées… REVER ?
⬛ Élisabeth Claude
[1] Le viol comme arme de guerre. Rapport de l’Unesco, Confluences Méditerranée n°64, 2008.
[2] Les violences sexuelles contre les femmes dans les conflits armés, Conseil de l’Europe, 2009.
[3] Rapport du Projet Mapping. République démocratique du Congo, 1993-2003, ONU, 2017.
[4] www.50-50magazine.fr/2011/08/03/le-viol-comme-arme-de-guerre-en-birmanie/
[5] www.50-50magazine.fr/2016/11/28/petition-pour-une-enquete-internationale-sur-les-viols-a-djibouti/
[6] https://m.facebook.com/FrontFeministe/posts/111594781547524/
[7] Guy-Bernard Cadière, Denis Mukwege, Réparer les femmes. Un combat contre la barbarie, éditions Harper Collins, 2020.
[8] synergiedesfemmesnk.org
[9] notaweaponofwar.org