Un Collectif syndical contre l’aéroport à NDDL et son monde
La manifestation du 1er mai à Nantes a été l’occasion de la première apparition du « Collectif Syndical contre l’aéroport à NDDL et son monde1 ». Cette première apparition a été une réussite : Le « cortège syndical contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a réuni le plus grand nombre de manifestants et manifestantes du défilé traditionnel du 1er Mai à Nantes »2. Au delà de ce succès, ce collectif, atypique, semble porteur de nombreux espoirs.
La naissance du collectif à l’automne 2016 ne relève évidemment pas d’une génération spontanée. Dès la naissance du mouvement contre l’aéroport, des syndicalistes se sont engagé-es dans ce combat. Il en est ainsi de la CNT qui non seulement a toujours été présente aux mobilisations unitaires, aux grandes manifestations organisées soit à Nantes, soit sur le site de Notre-Dame-des-Landes, mais qui participe depuis février 2016 à l’occupation du site en y gérant une ferme, « La Pointe ». Il en est de même pour l’Union Syndicale Solidaires qui elle aussi a été de toutes les mobilisations et participe au niveau national comme au sein du département aux différents collectifs de lutte contre l’aéroport.
En ce qui concerne la CGT les choses sont plus compliquées. D’une part, jusqu’en avril 2015, l’Union Départementale (UD) ne prenait pas position sur le projet d’aéroport. Et pour cause ! Si des militant-es participaient à titre individuel au mouvement, s’ils et elles étaient nombreux dans l’organisation à être opposé-es au projet et si quelques syndicats dans le département avaient pris position contre l’aéroport3, au sein de la CGT et de sa direction, les militant-es du PCF s’opposaient très fortement à une telle prise de position.
Toutefois, les opposant-es obtenaient l’organisation d’un débat au sein de l’organisation et c’est le positionnement commun du Collectif National des Syndicats CGT de Vinci et du syndicat AGO (Aéroport Grand-Ouest), syndicat « inter-entreprise » du site de l’actuel aéroport, Nantes Atlantique qui a emporté le morceau. Les militant-es CGT de Vinci refusent de travailler sur un projet contesté et susceptible de mettre en danger les salarié-es de l’entreprise ou de ses sous-traitants. Et ceux d’AGO ne veulent pas entendre parler de la délocalisation de l’aéroport à 40 km, imposant le franchissement de la Loire par le pont de Cheviré régulièrement saturé, avec toutes les conséquences qu’une telle délocalisation aurait sur leur vie.
Aussi en avril 2015, tout en ne contestant pas complètement le projet de nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, l’UD CGT 44 publiait un document4 d’analyse comparatif très détaillé et décidait de soutenir « le maintien de l’aéroport sur le site actuel avec toutes les améliorations nécessaires en terme de sécurité, de condition de travail, d’accès et d’usage ».
Mais à ce moment personne ne pensait à un collectif syndical unitaire. Le mouvement contre la loi Travail va accélérer le processus. Le 31 mars 2016, comme nous le rappellent certains militants de la CGT AGO, ils ont pour la première fois rencontré des habitant-es de la ZAD. Le premier contact a été compliqué et a donné lieu à des altercations avec certain-es d’entre eux qui reprochaient aux syndicalistes AGO d’être pro-aéroport. Mais une amorce de débat a eu lieu. En avril, à l’occasion d’une grève au sein d’une entreprise du site, AVIA Partner, des habitant-e-s de la ZAD sont venu-e-s participer au blocage devant l’aéroport. S’en est suivi des invitations sur la ZAD pour débattre de la convergence des luttes. Le 14 juin à l’occasion de la manifestation nationale contre la loi Travail, il y a eu un appel commun, d’habitant-es de la ZAD et du syndicat AGO, soutenu entre autres, par l’UL CGT sud-Loire, Solidaires, la CNT, des militant‑es de COPAIN 44 et de l’ACIPA5. De cette rencontre naîtra l’idée de lancer le collectif syndical. Et le 8 octobre 2016 la manifestation « contre les expulsions de la ZAD et le démarrage des travaux » a été l’occasion de prises de position de syndicats et de syndicalistes qui se sont ensuite rencontré-es et le processus a été enclenché.
Aujourd’hui le collectif rassemble, outre évidemment Solidaires et la CNT, les syndicats CGT d’AGO, de Vinci, et les syndicats qui ont porté le débat au sein de la CGT aboutissant à la prise de position d’avril 2015, ainsi qu’individuellement des militant-e-s CGT adhérent-es de syndicats ou d’UL n’ayant pas pris position. De longs débats ont permis de clarifier les positions communes du Collectif, résumées dans un 4 pages publié le 30 novembre 2016. En premier lieu le Collectif entend contester le projet d’aéroport à partir d’une approche syndicale différente et complémentaire des arguments déjà avancés par les autres composantes du mouvement anti-aéroport.
La question centrale avancée par le collectif est celle de l’emploi, mis à mal par le projet. Dans son tract d’appel au 1er mai le Collectif résume ainsi sa position : « La lutte pour l’emploi fait partie de nos préoccupations essentielles. Or le projet de délocalisation de l’aéroport est un projet contre l’emploi :
• Projet à la pointe de la « modernité », c’est-à-dire très automatisé, ce qui signifie des destructions d’emplois.
• Environ 8 300 emplois liés à l’aéroport actuel, Airbus, Daher, General Electric, ainsi qu’un tissu socio-économique de plus de 70 PME menacées de disparition.
Depuis la reprise de la concession de Nantes Atlantique par Vinci, les salarié-e-s sont confronté-e-s à une forte dégradation des conditions de travail. Plusieurs grèves et mouvements collectifs ont été menés à l’initiative de la CGT-AGO, principal syndicat sur la plateforme aéroportuaire ».
De plus, régulièrement le collectif met en avant le déséquilibre entre les bassins d’emploi entre Nord et Sud Loire que cette délocalisation renforcerait. Ce combat pour l’emploi le collectif le relie pragmatiquement au combat contre les expulsions des habitants de la ZAD, puisque matériellement les deux aspects du problème sont liés. Toutefois, les motivations du refus des expulsions dépassent aujourd’hui cet aspect : les expériences de luttes communes ont permis de tisser une véritable solidarité entre des « partenaires » que rien ne destinait à se rencontrer.
Aussi, comme l’écrit le Collectif, « défendre la ZAD, c’est donc, pour nous aussi, renouer avec la tradition de lutte historique en Loire Atlantique, l’alliance entre travailleur-ses de la campagne et de la ville (lors de Mai 68 ou d’autres mouvements, c’est cette solidarité entre paysan-nes et ouvrier-es qui permirent les grandes avancées sociales) ». Au sein du Collectif, ce dépassement des perspectives est porteur d’aspirations à des transformations sociales fondamentales.
Car ce qui se vit sur la ZAD, malgré évidemment les contradictions et les limites du genre, ne laisse pas indifférents les syndicalistes ; ils et elles tiennent à le faire savoir : « défendre la ZAD, c’est donc pour nous aussi soutenir une expérience d’émancipation du capitalisme et des rapports marchands. Depuis plusieurs années les habitant-es de la ZAD se réapproprient la gestion des terres et la question de la production. Tant sur le plan agricole que de la construction et de l’artisanat, elles et ils mettent en place des cultures de légumes et légumineuses, de céréales, une meunerie, des boulangeries, une forge, des ateliers de menuiserie, de couture, de mécanique pour l’entretien des tracteurs et outils agricoles … Les habitant-es de la ZAD vivent l’expérience d’un monde plus humain, plus libre […]. Ce besoin concerne aussi beaucoup de salarié-es, de militant-es qui subissent au quotidien la souffrance au travail, la précarité qui ne cesse de se généraliser, une organisation du travail qui nous échappe … Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à ne plus trouver de sens à notre travail […]. Ce monde d’exploitation et d’aliénation qu’ils et elles combattent, c’est aussi celui contre lequel nous luttons, quotidiennement »6.
C’est donc aussi dans ce cadre que le Collectif syndical affirme : « nous ne laisserons pas détruire la ZAD et ses terres, ni expulser celles et ceux qui la font vivre, pour le seul intérêt des actionnaires de VINCI et des spéculateurs immobiliers ». Ce collectif est devenu un ferment pour une transformation sociale, « pour changer le monde » : « c’est à un véritable changement de société auquel nous aspirons et pour lequel nous entendons œuvrer ensemble ».
Dans sa naissance, dans son fonctionnement, le collectif a toujours veillé à consolider le lien qui s’est tissé avec des habitant-es de la ZAD, même si l’hétérogénéité de la ZAD fait que subsiste une hostilité d’une minorité de ses habitant-es à son encontre. Régulièrement des occupant-es de la ZAD, des militant-es de COPAIN 44 sont présent-es à ses réunions. Et aujourd’hui, le Collectif participe régulièrement aux Assemblées Générales du mouvement anti-aéroport. Enfin, il faut signaler que ce Collectif commence à faire tâche d’huile régionalement. Un Collectif similaire s’est constitué à Rennes et, lui aussi, est apparu lors de la manifestation du 1er mai. Des tentatives allant dans le même sens sont à l’œuvre en Vendée …
Pour donner la mesure du Collectif et pour conclure, il faut revenir à la manifestation du 1er mai 2017 à Nantes. Le contexte particulier de ce 1er mai a d’abord conduit le collectif à se positionner sur la question électorale : « L’actualité de ce premier mai est inséparable des élections présidentielles, puis législatives. Nous partageons les craintes de voir ces élections amplifier ces politiques xénophobes et racistes que nous subissons, s’attaquant aux droits des travailleuses, des travailleurs et des plus démuni-es. Quelque soit le résultat de cette élection, nous devrons faire face à une politique au service des intérêts capitalistes. Aussi, nous savons que seules nos luttes collectives et notre résistance à la désunion seront capable de proposer une autre alternative, ce qui renforce notre détermination à travailler ensemble dans notre collectif »7. Les choses sont dites clairement !
Mais surtout l’apparition du Collectif syndical contre l’aéroport a été remarqué : « 6 000 manifestants lors de la manifestation du 1er mai à Nantes, dont un millier dans le cortège de notre collectif composé de syndiqué-es de la CGT, de Solidaires, de la CNT, mais aussi d’opposant-es à l’aéroport et d’occupant-es de la ZAD, tou-tes uni-es et solidaires. Dans l’ambiance festive résultant des danses et des chants, d’un défilé coloré, chaleureux, déterminé, agrémenté des stands de nourriture bio, nous étions venus pour lutter, comme le rappelait notre banderole de tête pour le “maintien de l’aéroport à Nantes Atlantique” et contre “les expulsions sur la ZAD”. Notre initiative a remporté un réel succès »8.
Le positionnement du Collectif était clairement affiché sur la banderole de tête : « Maintien de Nantes Atlantique – Non aux expulsions sur la ZAD ». Une apparition qui n’est pas du goût du secrétaire de l’UD CGT 44 : « C’est un sujet qui fait polémique. Le 1er mai, ce n’est pas une manifestation contre l’aéroport. Pourquoi mettre en avant cette lutte plus que les autres ? Ils mettent en difficulté notre unité syndicale »9. Le débat entre l’UD CGT 44 et Solidaires, comme entre l’UD CGT et les opposant-es à l’aéroport à l’intérieur de la CGT risque de ne pas être très simple.
Malgré ce contexte, les militant-es du Collectif estiment avoir globalement atteint leurs objectifs dans cette manifestation : en premier lieu, et malgré la black-out dans la presse officielle, la volonté de rappeler au sein du processus électoral que le combat contre l’aéroport persistait et qu’il s’enrichissait d’une nouvelle composante a pu s’exprimer. Un cortège d’un millier de participant-es pour affirmer cela, ce n’est pas rien !
Ensuite, l’objectif de faire bouger les lignes semble atteint. Du coté des occupant-es de la ZAD, le tract diffusé dans la manifestation affirmait d’une part qu’ils manifestaient ce 1er mai par « solidarité entre précaires, révoltés, travailleuses et travailleurs du monde entier et avec tou-tes celleux qui ne travaillent pas, pas encore, pas en ce moment, plus maintenant, jamais… », mais aussi : « On se sent solidaires de celles et ceux qui ont besoin de gagner leur vie et d’y donner du sens sans pour autant se laisser exploiter », une position qui n’allait pas de soi avant la création du Collectif et le travail en commun ces douze derniers mois.
Du coté syndicalistes, le Collectif compte sur la crédibilité qu’il estime avoir gagné grâce à cette manifestation, tant par le nombre de participant-es que par la façon dont elle s’est déroulée, sans chahut, sans casse de vitrines. Ce qui, là non plus, pour un cortège d’anti-aéroport dans le centre de Nantes n’était pas gagné. Mais toutes les composantes du cortège étaient d’accord sur l’importance que « cela se passe bien » et tout le monde a respecté cela !
Car c’est évidemment principalement en direction du monde syndical que le Collectif compte agir. Un militant de la CGT AGO a résumé une partie de ce qui nous préoccupe tous et toutes au sein du collectif : « Le système économique nous divise tous. La convergence des luttes paysannes et ouvrières avait disparu à Nantes. Mais aujourd’hui la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et celle pour le garder là où il est, se rapprochent ».
Cette rencontre inattendue entre travailleurs-ses aéroportuaires et militant-es anticapitalistes et anti-autoritaires participe, au moins à Nantes, à cette convergence des luttes qui nous permettra de bousculer le vieux monde et de l’aider à s’écrouler.
1 Le Collectif syndical contre l’aéroport à NDDL et son monde tient un Blog (en accès libre) sur Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/collectif-syndical-contre-laeroport-de-nddl/blog
2 Selon l’article de Mediapart publié le 1er mai 2017.
3A noter en particulier la CGT Travail-Emploi-FP 44 et CGT du Centre Hospitalier Départemental Daumezon.
4« Dossier NDDL : la démarche CGT » – document disponible sur le site de la CGT 44
5COPAIN 44 est un collectif d’organisations professionnelles agricoles et l’ACIPA, l’association « citoyenne » contre l’aéroport.
6Extraits de tracts du Collectif.
7Extrait du tract d’appel au premier mai du collectif.
8Extraits du communiqué de presse du collectif du 2 mai 2017.
9Jade Lindgaard, « À Nantes: Ni avion, ni béton! Ni patrie, ni patron », reportage publié sur Mediapart, 1er mai 2017.
Merci à Valk pour ses photos de la manifestation du 1er mai 2017
- Un Collectif syndical contre l’aéroport à NDDL et son monde - 3 janvier 2018