Biscaye : une victoire syndicale et féministe

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Les belles paroles ont des ailes ; ce qui reste, ce sont les accords comme le nôtre, gagnés après un combat long et difficile. Le 27 octobre 2017, après presque deux ans de mobilisation, les salariées des maisons de retraite de Biscaye[1], sont arrivées à un accord formidable, qui permet de rendre plus dignes les conditions de travail de 5000 personnes. L’accord reprend les exigences revendiquées depuis toujours dans ce secteur : 35 heures par semaine, salaire minimum de 1200 euros, 100% du salaire en cas d’accident professionnel ou de maladie professionnelle, augmentation des bonus pour travail dominical et de nuit, reconnaissance de la pause de 20 minutes comme temps de travail… Les signataires de la convention collective de ce secteur, Commissions ouvrières et Union générale des travailleurs pour ce qui est des organisations syndicales, ont fixé un salaire de 974 euros par mois et une durée du travail de 1792 heures par an. La différence est énorme.

UNE VICTOIRE QUI REPOSE SUR TROIS PILIERS

1. La détermination, la mobilisation : face au chantage du Conseil provincial de Biscaye et des entreprises associées ainsi qu’à la démesure des services minimum antigrèves, les 360 jours de grève ont été indispensables pour parvenir à l’accord. Une fois de plus, c’est la preuve que toute mobilisation en vaut la peine.

2. Le soutien et l’orientation d’ELA : au cours de ces 20 longs mois de mobilisation, l’ensemble et chacun des progrès réalisés ont été validés avec les salariées. Mais pour concrétiser les acquis, il est nécessaire d’être organisé·es et de disposer d’un groupe de militant·es toujours disponible. L’aide des 100 000 affilié·es à ELA a eu toute son importance : grâce à leur contribution à la caisse de résistance, nous avons pu nous soustraire aux chantages du Conseil provincial et des entreprises associées.

3. Une large popularisation du conflit : nous avons réussi à y associer les mouvements féministes et sociaux. Le travail d’information sur le conflit a créé de grandes synergies avec les mouvements sociaux, les mouvements féministes, etc. Cela nous a beaucoup aidé·es. et encouragé·es.

Si ce conflit nous a appris une chose, c’est bien l’importance de la participation active des salariées dans l’adoption des décisions prises. Cela passe tout d’abord par l’élaboration d’un projet d’accord qui a été apporté à la table des négociations. Toutes les affiliées à ELA ont reçu, sur leur lieu de travail, une enquête pour qu’elles expriment, pour qu’elles disent quels étaient, selon elles, les points importants à mettre dans l’accord. Il en est ressorti que la réduction de la journée de travail, les ratios et les augmentations de salaire étaient les principales préoccupations. Le projet a été établi sur cette base, puis approuvé par l’assemblée de déléguées de Biscaye, avant d’être présenté à la table des négociations. Lors de la première réunion, comme nous le craignions, les organisations patronales ont présenté des propositions régressives, qui actaient la perte de droits acquis. Dans ce contexte, confirmation était donnée que la seule solution était la mobilisation.

Malgré une représentativité de 66% dans ces établissements, la première option d’ELA n’a pas été d’organiser seule la grève. Les excuses des autres syndicats ont été diverses, mais les salariées ont conclu que les raisons de fond de leur fuite étaient claires : « Sans caisse de résistance, ils ne peuvent pas soutenir la mobilisation ». Au cours de l’année 2016, des dizaines d’assemblées ont été réalisées sur tous les lieux de travail, afin de préparer les personnes à un conflit qui serait long et difficile ; et ça a été le cas. La grève a connu plusieurs niveaux : elle a débuté par des étapes d’une journée, qui sont passées à trois, ensuite cinq, puis une semaine, deux, trois et finalement, les grèves d’un mois entier se sont enchaînées. Et cela, pendant presque deux ans, jusqu’à la victoire finale.

UN IMMENSE TRAVAIL D’ORGANISATION

Le travail des déléguées du secteur pour mobiliser les salariées a été énorme. Chaque maison de retraite est un univers spécifique. Le message des déléguées aux salariées était simple mais catégorique ; et il a fait mouche : « nous voulions qu’elles assimilent l’idée selon laquelle la mobilisation était la seule voie existante et que la victoire était entre nos mains ; Et que, plus nous serions nombreuses dans la rue, plus nous aurions de chances de gagner ». Faire grève n’est jamais une décision facile. Les déléguées d’ELA savaient parfaitement qu’il fallait casser le discours de la peur et de la résignation. « Certaines salariées argumentaient que la grève ne servait à rien. Nous leur donnions alors l’exemple de la négociation de l’accord précédent, où nous avons réussi à ce que la réforme du travail [2] ne soit pas appliquée au secteur. Une autre excuse était le côté financier. Nous leur avons rappelé qu’ELA disposait d’une caisse de résistance, et que plus il y a d’affilié·es dans l’entreprise, plus la caisse est conséquente. La troisième était celle du manque d’unité des syndicats. Là, nous leur répondions de demander des explications à ceux qui ne faisaient pas grève malgré leur approbation des revendications ».

COMMENT UN CONFLIT PEUT ÊTRE MAINTENU PENDANT SI LONGTEMPS ?

La réponse est : l’organisation et… « l’amour du maillot ». « Ce que nous avons fait en premier a été de créer un groupe de travail, formé par une dizaine de déléguées venant de toute la province. Chaque fois que nous convoquions une nouvelle vague de grèves, nous décidions des actions présentant un impact public que nous allions réaliser et où nous allions les mettre en œuvre ». Ces déléguées se réunissaient à leur tour avec des salariées et d’autres déléguées rassemblant des idées. « La communication entre nous a été très importante : non seulement, pour les idées qui ont surgi, mais également pour les liens affectifs et personnels que nous avons tissés petit à petit ». Le maillot vert, symbole de la lutte des salariées des maisons de retraite, est le fruit de cet échange constant. Un maillot, qui est devenu la pièce d’identité de tout le collectif, même pour les personnes qui n’étaient pas membres d’ELA au début du conflit. « Le sentiment d’appartenance au groupe, et de force, que nous a donné le maillot a été incroyable. Nous enfilions le maillot vert et nous nous sentions comme des héroïnes capables de tout », expliquent-elles avec un sourire.

LE SOUTIEN DE TOUT UN SYNDICAT

« Nous ne nous sommes jamais senties seules. Nous avons reçu le soutien des structures locales, de la fédération, des services juridiques, du département de communication… Nous avons senti que le syndicat était présent et travaillait pour nous ». Ces salariées mentionnent particulièrement le service de l’égalité des genres, clé dans la socialisation de leur lutte, et le lien avec le mouvement féministe ainsi que les organisations sociales en rapport avec les soins à la personne. En effet, la socialisation d’une mobilisation qui allait au-delà du domaine strictement professionnel a représenté l’une des autres clés de la victoire. « Bien que cela semble incroyable, ni le Conseil provincial de Biscaye ni les entreprises ne semblaient s’intéresser à la précarité dont nous, les salariées des maisons de retraite, étions victimes. Mais, quand nous avons été capables de rendre public le débat sur la réalité des maisons de retraite : le manque structurel de moyens, la détérioration de la qualité de l’assistance, etc., quand nous avons réussi à ce que l’organisation des familles, Babestu, soit constituée et nous soutienne, quand les retraité·es se sont manifesté·es en faveur de nos revendications, quand nous avons reçu solidarité et sympathie pour notre cause … Alors, ni les uns ni les autres ne se sont sentis si à l’aise. Nous avons gagné la bataille de l’opinion publique et des réseaux sociaux », affirment-elles catégoriquement.

DEUX ANNÉES DE MOBILISATIONS AUX CRIS DE « ERRESIDENTZIAK BORROKAN »

Un élément crucial de la victoire a été de tenir bon, de ne pas faiblir. Et ce, malgré les coups durs, qui ont été nombreux : licenciements de collègues (déclarés nuls par les tribunaux), ou lorsque les organisations patronales nous ont convoquées en plein milieu de la grève, soi-disant pour un accord, en faisant une offre insultante de six euros d’augmentation de salaire et de deux heures de réduction de la durée de travail. « La colère motive énormément », se rappellent-elles ! Autre exemple, à Noël 2016, quand les grévistes pensaient qu’un accord était possible et qu’elles se sont trouvées face à un Conseil provincial qui les accusait de maltraiter les personnes âgées ; ou quand ce même Conseil provincial a demandé, et obtenu, un service minimum de 100%. Sans aucun doute, le secret de la résistance de ces femmes s’est trouvé dans la force du collectif : « quand l’une d’entre nous faiblissait, les autres l’aidaient à se relever, et ainsi de suite ». Comme l’argumentait une collègue : « je me sens aussi fatiguée que convaincue ». Au fur et à mesure que notre lutte gagnait du soutien et de la sympathie, le Conseil provincial et les organisations patronales ont commencé à se sentir mal à l’aise. Nous avons gagné la bataille de l’opinion publique.

Autonomisées, fières et satisfaites, les grévistes démontrent à leurs collègues que se mobiliser vaut la peine ; que leur combat est devenu est un exemple pour tous les autres secteurs, pas seulement les secteurs féminisés ou précarisés ; et que la signature d’un accord satisfaisant tient aussi à la syndicalisation, à l’organisation et aux outils syndicaux permettant d’aller au conflit et ce le tenir.


[1]  La Biscaye est une des sept provinces du Pays basque, réparties entre les actuels Etats espagnols et français ; les six autres sont le Labourd, la Soule, la Basse-Navarre, la Navarre, l’Alava et le Guipuscoa.

[2] Une des multiples contre-réformes sociales, dans le genre des lois travail en France.

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Leire Txakartegi Iramategi

membre du comité exécutif d’ELA, elle y est chargée de la planification stratégique, des politiques de genre, de l’action sociale et de l’immigration. Eusko Langileen Alkartasuna (ELA) est la principale force syndicale du Pays basque sud ; Sur le plan international, ELA est membre de la Confédération européenne des syndicats (CES) et de la Confédération syndicale internationale (CSI).