Belgique: d’un 8 mars à l’autre

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Pourquoi ce regain de mobilisation et de révolte ? Il est certainement dû, entre autres motifs, à un souffle inspirant et contagieux venu d’Espagne. En 2018, des centaines de milliers d’Espagnoles descendent dans les rues sous le mot d’ordre « grève des femmes » et sont bien déterminées à recommencer en 2019.  Du coup, des citoyennes, principalement bruxelloises, se disent : et pourquoi pas nous ?  Nous avons suffisamment de motifs pour crier également notre ras-le-bol ! Et peu à peu, elles rassemblent autour d’elles des femmes pour rédiger un manifeste et appeler à une grève des femmes en Belgique le 8 mars 2019.  Le manifeste reprend une liste de revendications qui balayent large, dans tous les domaines ; et l’appel à la grève dépasse le cadre du travail salarié, puisqu’il s’agit aussi de faire grève du care [1], de la consommation, du travail informel, du travail domestique, du travail étudiant et grève du sexe autour d’un slogan « Si les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête ».

Interpellées, les organisations syndicales réagissent de diverses façons. À la CNE [2], c’est l’enthousiasme qui prime et, dès décembre 2018, nous prenons la décision de déposer des préavis de grève et d’action dans les différents secteurs où nous sommes en responsabilité.  Nous appelons nos collègues masculins à faire preuve de solidarité vis-à-vis de cette action et mettons l’accent sur nos revendications concernant le monde du travail salarié :

➔ Stop à la violence économique et à la précarité des travailleuses à temps partiel : 78,9 % des temps partiels sont occupés par des femmes ; 90 % sont non choisis. Nous revendiquons des salaires qui soient au minimum au-dessus du seuil de pauvreté.
➔ Réduction collective du temps de travail, sans perte de salaire.
➔ Un écart salarial hommes/femmes à 0 %.
➔ Pension minimum à 1.500€, sujet qui reste d’ailleurs au cœur de l’actualité en 2020.
➔ Reconnaissance des métiers pénibles exercés par les femmes et une fin de carrière en douceur à partir de 55 ans.
➔ Des équipements collectifs en nombre suffisant et accessibles à tous et toutes.

Nous y ajoutons, de manière synthétique, quelques revendications féministes, essentielles pour nous : dépénalisation de l’avortement, libre circulation des personnes migrantes, stop aux violences et stop aux préjugés sexistes.

D’autres organisations, tant du pilier socialiste que chrétien [3], ont rejoint également le mouvement.  Si les fermetures d’entreprises sont limitées le jour même, il n’en reste pas moins que c’est une première en Belgique d’appeler à la grève le 8 mars. Les actions sont nombreuses : manifestation de la CNE Commerce, au départ du siège de l’organisation pour rejoindre le rassemblement à la Gare centrale, manifestation globale coordonnée par la Marche mondiale des femmes, piquets de grève divers à Bruxelles et des centaines de femmes en grève ce jour-là. Mais les actions, c’est aussi la mobilisation dans les entreprises les jours qui précèdent, entre autres avec nos outils traditionnels de la campagne des femmes CSC. En 2019, c’est le slogan 0 % d’écart salarial qui est mis en avant, des tracts et des gommes pour effacer l’écart salarial sont distribués. Dans une entreprise du Hainaut, on distribue du mimosa, symbole des italiennes qui se sont battues contre le fascisme et pour la liberté, pendant la guerre 40-45.  Les partisans qu’elles soutenaient en assurant des missions dangereuses leur offraient des brins de mimosa : le symbole est toujours vivace en Italie, le 8 mars.

Oui, le 8 mars 2019 a rassemblé et a fait parler de lui, pas seulement à Bruxelles mais également à Liège où se déroulait la deuxième cyclo-parade féministe ou encore à Anvers, à Louvain-la-Neuve et dans de multiples lieux.  Les médias y ont mis du leur, avant et le jour même ; la vague MeToo n’y est probablement pas étrangère.  Depuis quelques temps, on peut souligner un effort de certains médias pour donner plus souvent la parole à des femmes journalistes et pour traiter plus fréquemment les questions relatives à l’égalité des genres et au féminisme. L’expérience de 2019, c’est aussi la rencontre entre des anciennes générations de féministes, du milieu syndicaliste ou associatif – ancrées dans leurs convictions de longue date et habituées aux combats de longue haleine, conscientes des résultats engrangés au fil des ans, conscientes que l’égalité est une mission inachevée – avec des jeunes femmes qui s’éveillent aux luttes féministes, conscientes de vivre dans une société qui reste essentiellement patriarcale. Là où les droits des femmes sont identiques à ceux des hommes, il reste encore à les rendre réels ; là où ils ne le sont pas, il faut toujours se battre pour les obtenir. Soulignons la belle mobilisation des femmes en Suisse en juin 2019, espérons que le vent qui souffle d’Espagne se lève encore et toujours plus fort, qu’il amplifie la vague féministe et que celle-ci soit suffisamment forte pour repousser les intégrismes, l’extrême droite, le machisme, le racisme, le sexisme, en bref ce qui est bête et méchant ! Espérons qu’un jour tous les syndicats européens appelleront à une grève féministe, d’une même voix et à la même date !


[1] Activités du soin et des services à l’autre ; peu reconnues, en partie exercées gratuitement, et par une très grande majorité de femmes.

[2] La Centrale nationale des employés et des cadres du secteur privé (CNE) est membre de Confédération des syndicats chrétiens (affiliée à la CES et à la CSI).  La CNE est très présente dans l’Alter-summit et membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes.

[3] Par « pilier chrétien », il faut entendre la CSC ; le « pilier socialiste » étant la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB). Traditionnellement, la distinction se fait aussi par les couleurs des deux organisations : vert pour la première, rouge pour la seconde. Dans la réalité, non seulement pour les adhérent·es mais aussi pour les organisations membres, la ligne de partage n’est pas aussi nette ; et elle ne saurait se définir par le seul rapport à ces deux idéologies.

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Claude Lambrechts

secrétaire nationale de la CNE/CSC et responsable du secteur Action Femmes