2019/2020 : la grève à la RATP

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La grève contre la dernière contre-réforme à propos des retraites, fin 2019-début 2020, restera comme un moment important dans l’histoire sociale de ce pays. La RATP y joua un rôle particulier. Tirer collectivement le bilan de nos luttes est un exercice essentiel, mais trop souvent renvoyé à … plus tard, c’est-à-dire dans bien des cas à … jamais. Puisque les camarades de Solidaires Groupe RATP en ont rédigé, il parait utile de le faire connaitre.


Le présent texte a été initialement rédigé pour un Conseil départemental de l’Union interprofessionnelle Solidaires Paris.


Manifestation à Paris, le 17 décembre 2019. [Serge D’Ignazio]

La préparation, une donnée capitale

Le 18 juillet 2019, une intersyndicale se réunie à la RATP ; c’est la première fois depuis très longtemps. Elle est composée de l’UNSA, de Solidaires, de la CGT, de FO, de la CFE-CGC et de SUD. Le but étant de construire une première journée de mobilisation massive pour le retrait total de la « réforme » des retraites par points. La CGT ne signe pas le communiqué commun d’appel à la grève du 13 septembre, prétextant ne pas avoir de remontées positives de leur côté pour une telle démarche unitaire. D’emblée, un important travail de terrain est mis en place pour préparer cette journée de mobilisation. Cela aboutit à la plus grosse journée de grève qu’a connue la RATP depuis très longtemps. Le réseau ferré est totalement fermé (excepté les deux lignes automatiques L1 et L14) et le réseau Bus est quasiment à l’arrêt. C’est du jamais vu depuis la loi de 2008 sur le service minimum et l’obligation de déclaration 48 heures avant la grève, qui s’applique notamment à toute l’exploitation). A noter aussi une très forte mobilisation des agents contractuels, ce qui était également inédit. Une dynamique s’enclenche et la plupart des Assemblées générales font remonter un fort désir de grève reconductible. Dès lors, les messages sont passés : il faut mettre de l’argent de côté autant que possible, sachant que la prime d’intéressement tombait fin novembre. Une seconde intersyndicale voit le jour dans la foulée, le 20 septembre. Il en ressort un appel commun pour un mouvement illimité à partir du 5 décembre. Une fois de plus, la CGT refuse de signer le communiqué commun.

Après le 13 septembre, la grève reconductible du 5 décembre

La réussite du 13 septembre aidant beaucoup, le 5 décembre se construit efficacement, avec au fur et à mesure plusieurs syndicats qui rejoignent l’appel, comme Rassemblement syndical (RS), le Syndicat autonome traction (SAT) et, finalement, la CGT. Nous constatons rapidement l’importance prise par les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, etc.), qui permettent les échanges d’information et facilitent certaines organisations. En parallèle, un véritable travail interprofessionnel, notamment initié par SUD-Rail, permet de tracer rapidement la perspective d’une jonction de lutte plus qu’intéressante. Le congrès de SUD-Rail, où Solidaires RATP était invité, dans la semaine qui suivit le 13 septembre, fut un moment important pour nous, en termes d’échanges, de convergence et de préparation (production de matériel commun spécifique SUD-Rail – Solidaires RATP – Solidaires transport). Très vite, à partir du 5 décembre, une dynamique s’enclenche, avec des AG massives et des reconductions partout, avec des taux de grévistes historiques (notamment dans de nombreux secteurs essentiels à la continuité du service public). Pour de nombreux agents, c’est le premier véritable mouvement reconductible, les premiers piquets de grève, les premières actions. Cela donne une dynamique forte. La manifestation, énorme, du 5 décembre et les suivantes, avec un soutien massif de la population, participent aussi à donner une force particulière au mouvement. Les « forces de l’ordre » usent d’une violence inouïe à l’encontre des grévistes et des manifestant∙es.

Rapidement, notamment à Bus, mais aussi au Ferré, les soutiens interprofessionnels permettent la pratique de modes d’actions déterminés (blocage de la sortie des bus, barrages filtrants, …) et donnent un élan important pour la suite. Les premiers jours passent et nous sentons assez vite que ce mouvement tiendra dans la durée. La plupart des AG reconduisent, souvent pour plusieurs jours, et les liens interprofessionnels se renforcent et se créent partout, notamment avec le rail, l’éducation, la culture, les étudiant∙es et la sphère militante en général. La force des grèves et des mobilisations sur d’autres secteurs nous donnent également le sentiment que nous ne sommes pas seul∙es dans ce combat.

Une visibilité et une victoire médiatique cruciale

Dès les premiers jours du conflit, la force de notre mobilisation nous donne une visibilité médiatique importante. Pour ce qui est de la RATP, Solidaires et la CGT font, quasi quotidiennement, les plateaux télés et contribuent, malgré les discours récurrents sur « la prise d’otage » et les tentatives de décrédibilisation, à faire comprendre à la population les dangers d’une réforme qui impacterait les retraites de toutes et tous. Nous le voyons au fur et à mesure, avec des sondages d’opinion qui, du début à la fin du conflit, soutiennent majoritairement la lutte que nous menons. Et ce, malgré les impacts réels que cette grève a sur la vie quotidienne de la population francilienne. C’est suffisamment rare pour être noté et nous a conforté∙es encore plus dans notre détermination. La prise de conscience que nous nous battions pour toute la population, pour nos enfants, a forgé en nous cette énergie positive.

Une lutte inédite dans sa forme, ses rebonds et sa durée

Après plusieurs semaines, les taux de grévistes à la RATP restent à des hauteurs incroyables, y compris dans l’encadrement, et les vacances de fin d’année arrivent. A partir de là, et nous le verrons à plusieurs reprises dans cette bataille, toutes nos craintes de déclin de cette lutte s’avèrent heureusement fausses, et nous allons de rebond en rebond. La détermination d’une majorité de grévistes, aidée par le soutien indéfectible de l’interprofessionnelle, permettent de ne pas fléchir dans cette période, avec des piquets de grèves quotidiens, y compris à Noël et au réveillon du Jour de l’an. Des liens forts se sont créés et les collectifs de lutte gardent suffisamment de forces pour tenir jusqu’à la rentrée et enclencher une seconde dynamique de mobilisation.  Constatant que la grève reconductible ne prenait pas dans de nombreux secteurs, il est finalement décidé de recourir à des caisses de grève, alors que nous nous y refusions au départ. A la RATP, elles sont organisées à deux niveaux : une, centrale, gérée par Solidaires et la CGT (les autres syndicats refusant d’y participer) et des caisses « locales », gérées par les AG concernées. Inutile de dire que pour un secteur qui n’avait plus organisé ce type de soutien financier depuis très longtemps, ce fût compliqué. Mais cela donna également un regain de forces aux grévistes, à un moment où nous en avions toutes et tous besoin.

La routine « piquets de grève – actions » s’installe, avec un cycle de manifestations hebdomadaires, toujours aussi massives et un niveau de violence policière qui ne cesse de s’accentuer ; tout comme croît notre lot de blessé∙es et d’arrestations à chaque manifestation, en majorité dans le cortège de tête. Face à la volonté du gouvernement de passer en force, coûte que coûte, le niveau de grévistes commence doucement à s’effriter vers la fin du mois de janvier, après presque deux mois de grève. Néanmoins, bon nombre de collègues ne veulent pas reprendre le travail sans rien, après tous ces efforts. Et les taux de grévistes, même s’ils fléchissent, restent sur des hauteurs inattendues compte tenu de la longueur du conflit. Vers la mi-février, devant l’épuisement des agents en lutte et la baisse des taux de grévistes, il devient évident que nous devons modifier nos modes d’actions et nous orienter vers des journées d’actions fortes. Le but étant de pouvoir continuer dans la durée, tout en reprenant des forces, physiques et financières. Plusieurs grosses journées de mobilisation sont organisées jusqu’à début mars, contraignant le gouvernement à retarder encore le calendrier législatif lié à la loi sur la retraite à points.

Dans les jours qui suivent, l’épidémie touche de plein fouet la France, et le gouvernement décrète un confinement général. Ce mouvement, inédit, que ce soit dans sa forme, sa force, sa longueur, son soutien, a permis de contrer le gouvernement dans sa volonté de briser notre système de retraite par répartition. Certes les circonstances sanitaires ont joué un rôle dans cette victoire finale, mais c’est bien la mobilisation des travailleurs et travailleuses qui a permis ce succès. Un succès qui doit en appeler d’autres …  

Un soutien interprofessionnel prépondérant

Dès le mois de juillet 2019, le soutien de notre union syndicale nationale et de l’union départementale Solidaires Paris nous a renforcé et donné confiance. Solidaires a été capable d’anticiper cet évènement majeur en se préparant suffisamment en amont, contrairement à bien d’autres structures syndicales. Nous étions les seuls à disposer, dès le début de ce conflit, de matériel spécifique en quantité, ce qui a joué un rôle dans la grande visibilité de notre structure. Le soutien logistique et financier, notamment de notre union départementale, nous a également beaucoup aidé∙es. Mais c’est l’ensemble des structures professionnelles de Solidaires qui nous ont apporté leur soutien, d’une manière ou d’une autre, prouvant une fois de plus l’intérêt d’un outil interprofessionnel fort, Solidaires. C’est ce que nous devons continuer à construire ensemble.


Solidaires Groupe RATP


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