Un plan de transition sociale et écologique de l’agriculture

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Au dernier salon de l’agriculture la Confédération paysanne a posé les bases d’un travail à mener pour cette année : un plan de transition sociale et écologique de l’agriculture, pour répondre à l’urgence sociale de nos territoires

Nous voulons imaginer, réfléchir et écrire ce plan avec des organisations citoyennes de consommateurs et consommatrices, des organisations écologiques, de solidarité internationale et des syndicats de salarié·es. Ce nouveau pacte agricole et alimentaire que nous devons bâtir, doit s’appuyer sur l’expertise de toutes et tous, sur les besoins et les attentes des différent·es acteurs et actrices de territoires que nous sommes. L’orientation agricole ne peut plus être définie par un cercle restreint de soi-disant professionnels, car la direction prise impacte beaucoup plus que le seul monde agricole. Les effets sont multiples, sur notre alimentation, notre environnement, le climat, nos dynamiques territoriales ou encore les emplois induits dans l’approvisionnement agricole, la transformation agro-alimentaire et la distribution. Nous ne pouvons plus ignorer cela ; mettre tous ces acteurs et actrices en réflexion autour d’un projet agricole et alimentaire, nous a paru incontournable et urgent. La crise sanitaire du Covid-19 doit nous permettre de tirer des enseignements sur nos choix passés et pour le futur. Elle a mis en lumière nombre de dépendances de notre système agricole et alimentaire, rendant encore plus à propos l’écriture de ce plan et la mise en place d’un nouveau modèle.

Le système actuel est beaucoup trop subordonné à la course au « toujours plus à moins cher », afin de répondre à l’appétit insatiable de l’agro-industrie. Cela induit spécialisation, intensification, segmentation et industrialisation de plus en plus aboutie, de la production à la transformation, avec des impacts importants en matières sociale et écologique. La productivité du travail et des moyens de production doit toujours augmenter, afin d’acquérir de nouvelles parts de marchés pour les volumes supplémentaires produits : c’est une course sans fin, où l’objectif reste toujours l’abaissement des coûts sociaux et environnementaux pour rester « compétitif ». Un modèle qui ne peut plus rémunérer ses travailleuses et travailleurs, qui doit sans cesse trouver les plus précaires en France, en Europe de l’Est ou ailleurs, pour assurer notamment des récoltes, n’a rien d’enviable et n’a plus d’avenir. A terme, cette fuite en avant épuise nos ressources, appauvrit les populations, précarise les travailleurs et travailleuses, et ne répond plus à nombre d’attentes alimentaires, ici et partout sur la planète.

Ce modèle, pensé et mis en place par et pour l’agro-industrie et ses lobbies, est aujourd’hui dans l’incapacité de se réinventer et se réorienter pour servir l’intérêt général social, écologique, climatique ou alimentaire. Nos décideurs politiques se désengagent, année après année, au profit des grands faiseurs économiques, qui n’ont que faire de la soutenabilité sociale et environnementale des systèmes mis en place ; seule compte la rentabilité à court terme d’outils et de filières qui, si elles ne sont pas repensées, deviendront vite obsolètes. Les politiques se désengagent, le monde économique est en cause dans notre dépendance actuelle et ne peut donc pas être ou même détenir la solution : alors nous, syndicalistes paysan·nes et salarié·es, et « société civile » tout entière, devons être au rendez-vous du réveil des consciences, pour guider et orienter les choix à venir en matière de politiques agricoles et alimentaires. En ce sens, nous revendiquons de rebâtir les politiques agricoles en partant des demandes territoriales, notamment alimentaires, à l’inverse de ce qui est pratiqué actuellement : nous partons de la demande locale, citoyenne et collective, pour établir une politique agricole qui pourrait, enfin, se mettre en capacité d’y répondre d’une manière soutenable pour toutes et tous.

La souveraineté alimentaire n’est pas un nouveau marché que pourrait conquérir l’agro-industrie. Elle se pense et s’initie collectivement, à partir de demandes territoriales. La souveraineté alimentaire est la capacité d’une population à décider de son alimentation, et donc du système alimentaire à mettre en place, de la production à la distribution en passant par la transformation. Il s’agit de rendre accessible, et choisie par toutes et tous, une alimentation de qualité. Elle est beaucoup plus qu’une simple réponse alimentaire à des besoins, elle est un processus démocratique. La souveraineté alimentaire est une base de la démocratie territoriale, une base sur laquelle refonder nos sociétés. Une démocratie d’initiatives, qui trace son propre destin alimentaire et agricole et les conséquences sur nos territoires, notre santé, notre environnement, nos emplois et le climat

Pour écrire cette nouvelle page d’une démocratie alimentaire et agricole, nous devons prendre des décisions politiques en rupture avec l’ancien monde, en rupture également avec la dictature économique des marchés que nous impose le modèle agro-industriel actuel. La première rupture, serait déjà de définir collectivement cette politique de manière ascendante. La seconde, pourrait être de partager le postulat que le nombre de paysannes et paysans doit être massivement augmenté. Enfin, rupture des consciences également lorsque nous replaçons au centre de nos sociétés les métiers nécessaires et vitaux à notre existence : alimentation, santé, éducation.

En effet, cette crise nous ouvre plus que jamais collectivement les yeux sur l’utilité vitale de notre travail : vital en tant que producteur et fournisseur d’alimentation ; une alimentation de qualité, qui reste la base essentielle de la santé de chacun et chacune. Vitale aussi dans sa capacité à gérer les écosystèmes nombreux et multiples de notre planète. Le monde paysan détient une part majeure de la solution au travers des savoir-faire, de l’autonomie, du lien au sol et au vivant, ainsi que dans la capacité de résilience de nos modèles de polyculture-élevage diversifiés. Des paysannes et des paysans beaucoup plus nombreux et nombreuses, mieux capables de répondre aux attentes alimentaires locales, plus performant·es écologiquement et mieux adapté·es au dérèglement climatique en cours, voilà la seule véritable alternative. Nous voulons un million de paysannes et paysans et certainement encore davantage après-demain. Ici se situe la vraie rupture, qui nous permettra de répondre collectivement aux urgences sociales, climatiques et écologiques de nos territoires et donc de notre planète.

Nous écrivons ainsi de nouvelles dynamiques rurales, où des villages entiers, des territoires même, remettent sur pied une économie locale liée à cet enjeu vital et prioritaire d’accès à une alimentation choisie et de qualité pour toutes et tous. Ce sont des milliers d’emplois paysans qui reviennent, génèrent les mêmes dynamiques de retours d’emplois nombreux et valorisants dans la transformation agro-alimentaire et la distribution, redonnant vie à des pays jusqu’ici délaissés et oubliés. Ce sont partout des initiatives de production, de transformation et de distribution locale, collective, solidaire et coopérative à recréer. Un ensemble, qui se reconnecte à cette demande alimentaire qui s’exprime, et toute une vie qui reprend avec services publics, écoles, hôpitaux, culture, etc. Ces initiatives territoriales doivent ensuite guider des politiques nationales, européennes et mondiales.

Il nous faut, tout à la fois, développer ces initiatives pour ouvrir des brèches, rendre l’improbable possible et lutter ensemble pour la transformation des politiques libérales en des politiques qui protègent, qui installent et qui socialisent notre projet. Ce sont les alternatives qui feront tomber les barrières et pourront faire évoluer les politiques. Sans ces évolutions politiques globales et fondamentales, les initiatives ne resteraient que partielles et ne parviendraient ni à répondre à toutes les demandes ni à faire évoluer fondamentalement et complètement les systèmes agricoles. Nous aboutirions dans ce cas à une dualisation de l’agriculture, et à une alimentation inéquitable en fonction du revenu, du territoire ou de son éducation. Il est donc indispensable d’écrire de nouvelles politiques agricoles pour généraliser ces initiatives locales, permettant la transition de toutes et tous, dans tous les territoires, sur toutes les fermes et pour toutes les assiettes.

L’élaboration de ce plan sera rendue possible par ces deux piliers que sont le développement territorial et des politiques revisitées, mais elle sera toujours irréalisable si nous ne mettons pas fin à l’agriculture industrielle et ses fondements, car celle-ci reste prédatrice de notre projet d’agriculture paysanne, sur laquelle nous désirons fonder ce nouveau pacte agricole et alimentaire. Nous entendons par agriculture industrielle, l’agriculture qui vise la concentration de la production et fait disparaître les paysannes et paysans de nos territoires. Insérés dans un système internationalisé, segmenté, déterritorialisé et productiviste, l’humain et le vivant y sont considérés comme des outils de production comme les autres, faisant fi des aspects sociaux, des droits humains, du bien-être animal et de la préservation de l’environnement. Elle participe à la course aux prix les plus bas, quel qu’en soit le coût pour la collectivité et la planète. Cette agriculture industrielle s’affranchit des règles de base de l’agronomie et de l’écologie, ignore les intérêts et la sensibilité des animaux. Elle suit exclusivement la logique marchande libérale. Pesticides, engrais de synthèse, ressources fossiles, antibiotiques, subventions illégitimes, complicité des pouvoirs publics, concentration du capital, externalisation des pollutions, droits humains et sociaux bafoués, sont parmi les principaux outils qui lui permettent d’accaparer terres et richesses dans nos systèmes alimentaires.

Face à cette agriculture industrielle, nous prônons une agriculture liée à son territoire, au sol, respectueuse des hommes, des femmes et de l’environnement et pleinement intégrée dans son écosystème. S’appuyant sur le respect des cycles naturels, dans une logique agroécologique, l’agriculture paysanne est un projet de société. Les principes de l’agriculture paysanne intègrent autant les dimensions économiques que les dimensions sociales et écologiques de l’activité de production alimentaire. Produire, employer, préserver sont les maîtres mots de cette démarche. Nous croyons à un nouveau contrat social, pour des systèmes alimentaires équitables et durables. Nous misons sur la réflexion collective, pour construire un avenir positif pour notre agriculture et notre alimentation. Nous savons que le nécessaire changement de modèle agricole et alimentaire ne pourra se faire que par, pour, et avec les paysannes et paysans.

Car nous sommes dans un tournant social : la moitié des paysannes et paysans partira à la retraite dans les dix ans et nous avons besoin de paysans et paysannes nombreux et nombreuses, pour une transition agricole à la hauteur des enjeux. Car nous sommes dans un tournant climatique : sobriété et relocalisation sont indispensables, pour atténuer le changement climatique et accroître la résilience de nos systèmes alimentaires locaux.

Car nous sommes dans un tournant écologique : l’effondrement de la biodiversité met à mal la pérennité de nombreux écosystèmes, par l’extinction massive d’espèces, et appelle à une nouvelle relation des sociétés humaines au monde vivant, qui ne soit pas l’artificialisation et la technologisation encore plus poussées de nos modes de vie.

Car nous sommes dans un tournant économique lié à la répartition des ressources et au respect des droits humains : les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres se creusent, aggravent les tensions ici et ailleurs et alimentent les migrations internationales, conséquences du pillage des ressources des pays en développement et d’une inégale répartition des richesses à l’échelle mondiale.

Car nous sommes dans un tournant alimentaire : l’alimentation à deux vitesses est de plus en plus une réalité, avec un segment de marché pour l’alimentation de qualité réservée aux mieux doté·es financièrement et une industrialisation encore plus poussée de l’alimentation standard et bas de gamme. La prochaine grande avancée sociale qui permettra de faire progresser les conditions de vie des humains sera, probablement, la mise en place d’un dispositif d’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous, une sécurité sociale alimentaire.

Nous exigeons l’arrêt de tous les soutiens à l’agriculture industrielle, aux effets néfastes sur le revenu paysan, la vie des territoires, les droits sociaux, la santé des populations et de l’environnement, le climat et la biodiversité. Nous revendiquons une politique ambitieuse d’accompagnement du monde paysan à la transition agricole et alimentaire, afin de l’extraire de ce piège dans lequel les politiques agricoles successives l’ont poussé. Nous voulons une réorientation des politiques publiques, pour développer l’emploi agricole et rural et soutenir le redéploiement de l’agriculture paysanne et la relocalisation de nos systèmes alimentaires. Nous exigeons donc des actes pour protéger, reconnaitre et valoriser notre métier et l’agriculture paysanne.

Nous revendiquons une réforme de la politique agricole commune, selon trois axes fondamentaux :

  • la régulation des volumes et des marchés, pour sécuriser un revenu paysan plus juste et plus stable ;
  • la promotion de l’emploi paysan, à travers une réorientation des aides vers les actifs et actives, plutôt que vers les surfaces, ainsi qu’une conditionnalité sociale des aides Politique agricole commune, pour protéger l’ensemble des travailleurs et travailleuses agricoles ;
  • la mise en place d’une politique d’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous, afin de relier agriculture et alimentation dans la durée.

Arrêt de tous les accords de libre-échange, qui ne font que mettre les paysan·nes du monde en concurrence, au seul bénéfice de l’agro-industrie.

Arbitrage public des relations commerciales, pour des filières équitables intégrant un véritable droit au revenu des paysannes et paysans, garant d’un nouveau contrat social.

Politique d’installation massive, pour relever le défi d’une agriculture écologiquement et socialement performante.

Une loi foncière, pour garantir la préservation des terres agricoles et leur répartition équitable, dans l’objectif de favoriser l’installation.

Déploiement d’importants soutiens aux changements de pratiques, pour inciter et accompagner la transition du plus grand nombre, pour des fermes plus autonomes et économes, favorables à la biodiversité et au climat.

Arrêt des soutiens à l’industrialisation de l’agriculture et à la production d’énergies sur les terres nourricières

Ce virage à prendre peut paraitre déroutant ou compliqué à engager. Pourtant, il sonne comme une évidence à nos yeux et même comme une formidable opportunité pour notre métier, nos territoires, notre alimentation et notre environnement. Nous répondons aux urgences alimentaire, climatique et écologique grâce à des paysans et paysannes nombreux et nombreuses, rémunéré·es et reconnu·es, qui induisent à leur tour des emplois nombreux, de qualité, non délocalisables et reconnus pour leur utilité alimentaire dans les secteurs de l’agro-alimentaire, de la distribution et de la restauration. C’est notre réponse à l’urgence sociale de nos territoires : oui, nos métiers sont plus que jamais d’utilité publique, c’est une certitude.


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