Ripostes locales

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A Nancy, depuis bientôt 10 ans, des militant·es de différentes organisations syndicales, politiques ou féministes travaillent à fédérer les énergies nécessaires à ce combat antifasciste. Retour sur toutes ces années de luttes unitaires.
Comme d’autres départements en France, les deux Savoie n’ont pas été épargnées par la venue d’Eric Zemmour pour la campagne de son parti Reconquête ! Annoncé à peine quelques jours avant, le passage du candidat à la présidentielle dans nos deux départements a dû faire face à une entrave majeure : trouver un lieu pour la tenue de son meeting.


Ce sont les camarades de la commission antifa de l’Union départementale interprofessionnelle Solidaires Meurthe-et-Moselle qui narrent ici l’expérience du Bloc antifasciste Nancy, le BAF.
Ce texte est rédigé par des camarades des Unions départementales interprofessionnelles Solidaires Savoie et Haute-Savoie.


Manifestation à Verdun, en octobre 2016, contre le local des Hammerskins. [Solidaires 54]

Nancy, pour une contre-offensive large et antifasciste !

Au printemps 2013, pour la première fois depuis plusieurs décennies, la droite catholique a occupé la rue en manifestant pendant des mois contre le « mariage pour tous ». Elle a ainsi fait sortir des égouts et drainé avec elle tout un milieu traditionaliste, homophobe et réactionnaire, mais s’est aussi affichée sans complexe aux côtés de différents courants d’extrême droite radicale. La période a été émaillée d’actes antisémites, d’agressions contre des personnes LGBT, contre des femmes voilées ou des militant·es d’extrême gauche et antifascistes. Ces violences sont allées crescendo jusqu’au meurtre de Clément Méric, au cours d’un affrontement avec des skins nazis le 5 juin à Paris. C’est suite à cet événement dramatique que s’est constitué le BAF (Bloc antifasciste Nancy), au début de l’été 2013. Collectif d’individu·es, syndicalistes, militant·es de partis politiques, lycéen·nes et non encarté·es, le BAF a, d’emblée, réuni plusieurs dizaines de personnes de traditions très différentes, allant de la gauche radicale à la mouvance libertaire, en passant par la Libre pensée ou la défense des sans-papiers. Le BAF a permis la coordination de plusieurs générations et traditions militantes s’inscrivant dans une perspective anticapitaliste : aux côtés d’habitué·es des mouvements sociaux se sont retrouvé·es de jeunes, voire de très jeunes militant·es antifa, pour certain·es désireux d’une formation, pour d’autres adeptes de l’action directe de rue. 

Une première période riche d’une multiplicité d’initiatives

Dès le début, et comme son nom l’indique, l’objectif du BAF a consisté à faire bloc face à l’extrême droite, un ennemi commun et mortel. Au-delà de la diversité des stratégies – certain·es faisant le choix de se présenter aux élections pendant que d’autres privilégiaient l’affrontement direct avec les fascistes – l’idée a été de converger sur ce qui pouvait constituer un dénominateur commun, tout en laissant chacun·e ou chaque sous-groupe affinitaire vaquer à ses modalités d’action privilégiées. L’activité en commun conduite au sein du BAF s’est alors déclinée suivant trois axes, repris dans notre charte : 

  • « La recherche d’information concernant les organes et personnes diffusant des idées d’extrême droite, qu’elles soient dans un parti, un groupuscule ou participant à un gouvernement. Une bonne information étant le socle d’une réflexion pertinente.
  • La réflexion en interne concernant l’évolution des formes que prennent les idées réactionnaires et/ou fascisantes dans toutes les franges de la société, ce qui constitue la base d’actions efficaces tournées vers l’extérieur.
  • L’action centrée sur la diffusion de nos principes, qui prend la forme que les membres du BAF jugent être la plus appropriée. La limite de nos actions résidant dans les nécessités du contexte. »

La recherche et l’échange d’informations ont permis de mutualiser ce que les un·es et les autres réussissaient à glaner dans différents réseaux et collectifs, tant au sujet de l’extrême droite qu’à propos des initiatives prises contre son développement. Outre la mise en place d’une liste Email, le BAF a organisé des débats, des échanges et des projections, permettant une formation mutuelle de ses membres. Mais cela a aussi fait avancer la réflexion collective, sur l’histoire du fascisme, la laïcité, le féminisme, l’antifascisme ou d’autres thématiques, avec parfois du public extérieur. Pour des réunions publiques, le BAF a également sollicité des intervenant·es extérieur·es : Grégory Chambat sur le programme de l’extrême droite dans l’éducation, Kanyana Mutombo sur le racisme anti-Noir, des camarades de La Horde… Ces réunions publiques ont permis de faire connaître le BAF sans pour autant parvenir à déborder le milieu militant. La propagande antifasciste ne s’est toutefois pas limitée à ces initiatives. Entre 2013 et 2017, le BAF a collé toutes les versions de stickers de La Horde (!), mais il a aussi édité ses propres affiches et publié de nombreux tracts, qui ont offert autant d’occasions d’aller rencontrer du monde et discuter sur les marchés, ou ailleurs, en ville : contre Dieudonné (avant que Valls ne s’empare du sujet, contre Dieudonné et Valls ensuite), contre toutes les extrêmes droites après les attentats de 2015, contre l’antisémitisme, l’islamophobie et tous les racismes… La démarche du BAF a été unitaire en luttant au côté de SUD Éducation Lorraine, d’Alternative Libertaire, de la CNT Interco 54, du Centre culturel autogéré de Nancy (CCAN) ou de la librairie associative Quartier libre.


A.G. antifa, le 15 mars 2022. [Solidaires 54]

Enfin le BAF a initié des actions : courriers divers à des associations suite à l’invitation publique de confusionnistes comme Étienne Chouard, initiatives en direction des migrant·es avec la participation en 2017 à un évènement « Construisons un monde sans frontières ! », manifestations contre des réunions de groupes fascistes, lancement du Collectif contre la Taverne de Thor, local des Hammerskins installé à Combres-sous-les-Côtes, à 30 kilomètres de Verdun-sur-Meuse, organisation d’une manifestation contre ce local à Verdun en octobre 2016, etc. En 2017, l’activité du BAF s’est ralentie. Le noyau militant, qui continuait à participer régulièrement aux réunions, a décidé de mettre la structure en veille et de maintenir seulement une adresse de contact et le réseau d’échange par Emails. L’élection de Macron a manifestement fait refluer le sentiment d’urgence face à l’extrême droite, et beaucoup d’entre nous se sont focalisé·es sur le terrain social, avec le mouvement des Gilets jaunes fin 2018, la mobilisation contre la réforme des retraites fin 2019, puis les deux années de Covid…

Une seconde période avec une convergence des envies et des luttes

Début 2019, plusieurs militant.es de Solidaires 54 (re)prennent conscience d’un besoin de travail et de formation dans le cadre de la lutte syndicale contre l’extrême droite. Même à Nancy, le monde des travailleuses et des travailleurs n’est pas protégé contre ce fléau ! Solidaires inclus …  Après réflexion, des contacts ont alors été pris avec l’association intersyndicale VISA, afin d’organiser une formation en local. Elle a eu lieu en avril 2019, avec une dizaine de participant·es, qui ont ensuite eu envie de prolonger ce temps de débats et d’échanges. Ce fut donc une confirmation pour Solidaires 54 : il était effectivement bien nécessaire d’organiser une réponse syndicale locale à la montée constante des extrêmes droites, même si Nancy n’est pas la ville la plus « polluée ». Un projet de formation à construire donc collectivement, en s’appuyant sur l’expérience et les outils des camarades de VISA et de La Horde.

En mai 2020, l’information sur l’ouverture prochaine d’une librairie d’extrême droite commençait à circuler dans le milieu militant nancéien. Les Deux cités ne devait être qu’une « librairie conservatrice et enracinée », minimisaient alors les deux fondateurs, Sylvain Durain et Alexis Forget. Durant l’été, plusieurs antifascistes se sont concerté·es pour proposer la meilleure réponse unitaire à apporter à cette installation nauséabonde, puis pour mobiliser les troupes militantes, antifascistes et progressistes de Nancy. À la rentrée de septembre, une réunion ouverte à une vingtaine d’organisations (politiques, syndicales, associatives ou culturelles) et à des individus non-encarté·es a débouché sur la création du collectif Non aux Deux cités. Le mois suivant (le samedi 17 octobre 2020), un peu plus de 300 personnes, dont quelques antifa strasbourgeois·es et messin·es, se sont retrouvé∙es dans les rues de Nancy pour « montrer leur colère, leur inquiétude et leur désaccord ». Une unité nécessaire pour éviter que se banalise l’ouverture de ce type de lieux qui permet la diffusion d’idées réactionnaires, identitaires et fascisantes, et qui servira de refuge à l’Action française, la Cocarde, Génération Z et autres soralien.nes.

Fort de cette expérience, Solidaires 54 s’est officiellement doté, en avril 2021, d’une commission antifa. L’idée des militant·es locaux·ales était de garder cette lutte toujours sur un coin du feu, pour ne jamais perdre de vue les dangers de l’extrême droite locale et nationale, avec notamment les échéances électorales telles que les présidentielles de 2022. Début juin 2021, après quelques mois pour construire un programme de formation antifasciste, local et offensif, la première formation de lutte syndicale contre l’extrême droite a été proposée par Solidaires 54, sur Nancy. Elle a été construite par des militant·es locaux·ales de manière modulable (une demi-journée, une journée ou deux jours), afin de pouvoir s’inscrire aisément dans différents modules de formation. Elle a déjà été dispensée sur Nancy et sur Metz. Le 12 juin 2021, dans le cadre d’une mobilisation nationale, à Nancy comme dans les villes voisines de Lorraine, une quinzaine d’organisations a manifesté « pour les libertés et contre les idées d’extrême droite ». Un peu plus de 600 personnes ont répondu à cet « appel pour les libertés », un cortège jeune, animé et revendicatif ! Dans la foulée, après environ trois ans de mise en sommeil et surtout après plusieurs semaines de discussions, des militant·es ont organisé la première réunion du Bloc antifasciste Nancy, seconde période. Quelle que soit la forme de la structure, redémarrer un travail antifa et collectif était dans la tête de plusieurs militant·es de différentes organisations sur Nancy. Leurs envies communes ont donc facilement convergé. Le travail unitaire autour des manifestations antifa a permis à toutes ces personnes de se retrouver et de construire une réaction, car c’est sûr, « leurs avancées sont faites de nos reculs ».

Une équipe réellement mixte et un peu foutraque !

C’est donc le retour du BAF, avec des militant·es issu·es des rangs de Solidaires 54, de la CGT locale, de l’UCL Nancy, des étudiant·es, des féministes, des non-encarté·es, des jeunes et des moins jeunes. En bref, comme à la première période, c’est un joyeux mélange un peu foutraque, réellement mixte, qui a vite su travailler intelligemment ensemble ! Les projets, les discussions et les envies ne manquent pas. Mais avant tout, il faut se structurer : un groupe pour les finances, un autre pour les réseaux sociaux, une poignée pour la communication et les mailings et encore une autre pour les visuels et les impressions. Des tonnes d’énergie ! La machine antifa locale est alors lancée. Réunion après réunion, depuis seulement un an, le boulot abattu est non négligeable. Plusieurs tractages et présences aux manifestations écolo, antifa, pacifistes ou sociales, à Nancy, ou aussi en soutien aux voisin·es antifa de Metz, de Reims ou de Strasbourg. Mais aussi deux assemblées générales antifascistes (entre 50 et 100 personnes à chaque fois), pour construire de manière encore plus large une riposte contre l’extrême droite. De là sont sortis différents projets unitaires : collages et décollages inter-organisations, stickage et manifestation, création d’une liste de diffusion pour partager les infos locales antifa, soirée-concert, mobilisations contre la librairie nancéienne d’extrême droite, tractages, créations d’affiches et de visuels, etc.


Les extrêmes droites à Nancy ; cartographie d’avril 2022 [Solidaires 54]

Évidemment, le BAF scrute, se renseigne puis informe régulièrement sur les activités de l’extrême droite locale. Plusieurs articles ont déjà été publiés sur Manif’Est (manif-est.info), le site d’informations alternatives et militantes locales. Et de tout ce travail quasi quotidien, une cartographie assez complète des fachos locaux a été créée et est régulièrement diffusée. Avec un objectif clair : « Les extrêmes droites à Nancy et alentours, les connaître pour mieux les combattre ». On y retrouve donc toute la « faferie » locale : par exemple les royalistes, cathos intégristes, réacs, fans de Le Pen père et fille et de Zemmour, mais aussi les identitaires, naziskins et hooligans du coin. Plusieurs militant·es de SUD-Solidaires, comme d’autres organisations locales, contribuent humainement et techniquement à tout ce travail antifa de fond. Solidaires 54 met son outil syndical à disposition du BAF, notamment pour imprimer de la propagande. Et le BAF Nancy a encore plein de projets en tête, comme rencontrer les groupes antifas du Grand-Est : se connaître et se lier pour se soutenir et agir ensemble !


La Commission antifa de Solidaires 54




Manifestation anti-Zemmour, le Phare à Chambéry, 25 février 2022. [Nadine Court du collectif Déclic Militant]

Les deux Savoie contre Zemmour

Après de multiples ratés du côté de la Haute-Savoie, avec un passage très furtif sur les communes de Saint-Jeoire et Marnaz, c’est finalement dans la salle du Phare, à Chambéry, que l’équipe de Zemmour choisit de se replier le 25 février dernier. L’annonce tombe à peine 72 heures avant sur les réseaux, et vient bousculer toutes nos habitudes militantes. Pourtant, face à l’urgence, la riposte antifasciste est unitaire et réactive. Dès le lendemain, à l’appel de Solidaires Savoie, ce sont près de 40 organisations syndicales et politiques, associations et collectifs, répartis sur les trois départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, qui signent le tract appelant à rassemblement et manifestation contre l’extrême droite, le soir du meeting. Et ce texte unitaire en appelle même un autre, plus inattendu : celui d’une partie de l’équipe municipale de Chambéry, qui souligne dans un communiqué que la Savoie est et restera une terre d’accueil pour toutes et tous, sur laquelle Zemmour n’est pas le bienvenu. Le rassemblement et la manifestation sont une réussite, avec plus de 500 personnes mobilisées, et un renfort solidaire de nombreux·ses camarades de l’Isère et de la Haute-Savoie.

Cela ne se sera pourtant pas déroulé sans difficulté, car le préfet de la Savoie a fait un choix ce 25 février dernier, celui de protéger l’extrême droite. C’est ainsi que, quelques heures avant le début du rassemblement, la préfecture a refusé de nous transmettre un récépissé de déclaration de manifestation, mettant en cause notre non-respect du délai imposé. Et la préfecture va alors, pas seulement se contenter de nous notifier que notre événement n’est pas autorisé, pointant ainsi la responsabilité de deux camarades de notre union syndicale ; non, elle va tout mettre en œuvre pour protéger le meeting de Zemmour. Alors qu’aucun dispositif de sécurisation des voies de circulation ne sera mis en place aux alentours de notre rassemblement, un barrage de police sera soigneusement installé à l’entrée de la ville, tentant ainsi d’empêcher les camarades venu·es de Grenoble de nous rejoindre. C’était sans compter sur notre détermination collective à mener cette manifestation antifasciste jusque devant le lieu du meeting. Et c’est devant cette salle du Phare que la complaisance politique du préfet de la Savoie pour l’extrême droite saute aux yeux. Pas besoin pour l’équipe de Zemmour d’anticiper la sécurité de ce meeting, puisque ce n’est pas loin d’une centaine de CRS qui ont été mis à disposition ce soir-là pour assurer le service d’ordre du candidat. Un dispositif sécuritaire d’une ampleur rare pour la ville de Chambéry. Et une preuve, s’il nous en fallait encore une, que l’état et sa police protègent les fascistes.

L’organisation d’une riposte unitaire locale contre l’extrême droite ne se limite pas à la réussite de cette mobilisation du 25 février. Car ce contre rassemblement organisé en urgence est venu nous rappeler l’importance d’un travail commun, sur le long terme, pour faire face à la montée de cette idéologie haineuse sur nos lieux de travail, d’études et de vie. La crise sanitaire de ces deux dernières années a indéniablement mis à mal nos habitudes militantes : celles de se retrouver, de réfléchir et de construire collectivement les outils indispensables à la lutte antifasciste. En Savoie, l’intersyndicale CNT-CGT-FSU-Solidaires s’est ainsi réunie dans le courant du mois de mars pour faire émerger les prémices d’une coordination unitaire, ayant pour objectifs de former des équipes militantes et de produire un matériel de sensibilisation au plus près des réalités locales, avec une approche interprofessionnelle et intersyndicale. Bien conscient·es de la séquence politique qui s’annonce, et des combats que nous aurons à mener, l’enjeu majeur est de réunir largement pour s’organiser face à l’extrême droite, ses idées et ses pratiques.  À suivre…


Solidaires 73, Solidaires 74


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