Retraites: genrer le débat revendicatif

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Loin de positions conservatrices qui ne s’attacheraient qu’à la défense de l’ancien modèle, il semble nécessaire de pousser le débat sur le système de retraites que nous voulons et, puisqu’il est largement question de la situation des femmes, de s’interroger sur ce qu’est le système actuel pour elles et ce qu’il devrait être demain. La réflexion présentée ici ne constitue pas une position syndicale actuelle mais elle est le résultat de réflexions de syndicalistes travaillant sur la protection sociale et de celles investies dans un travail syndical et féministe. Elle pose des enjeux nouveaux et, il faut le dire, des débats.

La retraite, c’est en partie le bilan d’une vie, des choix faits et des contraintes imposées que les individu·es ont vécus tout au long de leur vie : études, entrée dans la vie active, professions, enfants, unions… C’est ce qui rend l’enjeu si important pour les personnes, parce que ce qui a été vécu 40 ans plut tôt a des conséquences lors du départ en retraite.

Une autre spécificité, est la prise en compte des situations très diverses dans la population des retraitées. Quand on regarde statistiquement ce qu’elles touchent aujourd’hui, on parle de femmes qui ont commencé à travailler dans les années 70 ou 80 et d’autres dans les années 50. Or la situation des femmes, que ce soit dans l’emploi ou dans le rapport au mariage, a beaucoup changé. Et le féminisme est passé par là.

Il faut donc faire un exercice qui combine des situations différentes, et qui peut imposer dans le temps des revendications différentes. Mais il faut reconnaître explicitement ces différences, faute de quoi nous commettrions des erreurs : maintenir une situation qui assigne les femmes à l’éducation des enfants et à une vie en couple hétérosexuel de préférence puisque les hommes gagnent plus. Ainsi, s’il est juste de demander pour nos mères ou grands-mères, le bénéfice de mesures de solidarité familiale qui leur permettent de vivre et de compenser les vies professionnelles et familiales qu’elles ont eues, il serait erroné de s’en contenter pour la vie, la liberté et l’autonomie économique et financière que nous revendiquons pour les femmes que nous sommes et pour nos filles demain.

Alors, qu’est ce qui doit guider des syndicalistes féministes ? Pour toutes les personnes, femmes ou hommes, nous sommes d’abord favorables à ce qu’elles puissent vivre en retraite dans des conditions dignes, ce qui veut dire que notre revendication de fond doit être une retraite de droit direct de haut niveau et cela, quel que soit le mode de vie choisi : en union libre, légale, seul·e parce que célibataire, divorcé·e, etc. Il faut rappeler que les modes de vie familiale ont beaucoup évolué (familles monoparentales, séparations et divorces tardifs) et que, d’autre part, la situation est souvent plus précaire, quel que soit l’âge, pour les personnes célibataires, que pour celles qui vivent en couple.

Dire cela implique une opposition de fond à cette « réforme », qui prend en compte la totalité de la carrière, qui continue à parler de la retraite des femmes uniquement en rapport avec les enfants qu’elles ont eus, et qui prévoie un minimum de pension à 85%, seulement, d’un SMIC non véritablement revalorisé. Cette « réforme », en pénalisant l’essentiel des salarié·es, pénaliserait plus encore les femmes : elles sont plus soumises aux emplois précaires, au temps partiel, au chômage, aux bas salaires et à l’éducation des enfants. Il est marquant que l’essentiel de la propagande gouvernementale visant les femmes se soit centré sur la publicité en faveur du minimum à 1000 euros, montrant dans les faits l’identification que fait le gouvernement entre emploi des femmes et bas salaires. C’est justement cela qu’il faut changer. Pour tous et toutes, il faut une retraite équivalent à 75% du dernier ou des meilleurs salaires, et une retraite minimum au niveau du SMIC revendiqué, à un taux plein équivalent à la durée effectivement passée aujourd’hui dans l’emploi (à savoir entre 37 et 38 ans).

Mais il faut aussi mettre en avant ce que sont nos exigences en matière d’égalité professionnelle. Nous nous battons pour l’égalité salariale dans les qualifications, les promotions… mais même si nous gagnions ce combat aujourd’hui, calculons combien d’années il faudrait pour qu’il ait une conséquence significative sur les retraites des femmes. Alors, prenons la question à l’envers et disons : il y a aujourd’hui, et depuis des années, une discrimination reconnue à l’encontre des salaires féminins ; ces discriminations sont illégales et mesurées. Eh bien, nous proposons que les retraites des femmes soient systématiquement augmentées de la hauteur de cette discrimination. Cette compensation pourrait être financée par une sur-cotisation versée par les entreprises et branches qui maintiennent ces discriminations. On peut discuter de la manière de formuler une telle revendication mais il est essentiel d’arriver à porter que là aussi c’est l’égalité que nous demandons.

Bien sûr, il faut maintenir des dispositifs de soutien aux mères qui ont été pénalisées parce qu’elles ont eu des enfants, et une pension de réversion qui, si elle n’existait pas, condamnerait de nombreuses femmes à la misère. Mais n’oublions pas que la pension de réversion est touchée en général à l’âge de 75 ans : on a donc de nombreuses femmes qui n’ont pas les moyens d’une vie indépendante avant cet âge, et il y a toutes celles qui sont seules bien avant. Il faut marquer notre volonté de passer à un modèle égalitaire, pour les personnes, pour l’éducation des enfants, le travail domestique et dans le travail professionnel.

Face à ceux et celles qui nous dirigent, cassent les modèles de solidarité et veulent maintenir les femmes dans une situation de domination et de marginalité sociale et économique, avancer dans ce débat nous semble plus que nécessaire.


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Verveine Angeli

Verveine Angeli est membre du Secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires