Pourquoi et comment défendre une médecine de service public ?

Partagez cet article

UN SYSTÈME ACTUEL BÉNÉFIQUE …

On peut citer par exemple, la Protection universelle maladie (PUMa), venue remplacer la Couverture maladie universelle : « Toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière a droit à la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de sa vie ». Ou le dispositif des Affections de longue durée (ALD) qui, pour une maladie dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, permet une prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie obligatoire (AMP). Ou encore les Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), qui proposent un accueil inconditionnel et un accompagnement dans l’accès au système de santé des personnes sans couverture médicale ou avec une couverture partielle. Concernant les soins primaires (dits aussi de proximité, en médecine générale, etc.), on voit apparaître ces dernières années des évolutions notables, concernant la fin de l’exercice isolé des professionnel·le·s, avec le développement d’équipes de soins primaires (que ce soit autour de certaines Maisons de santé pluriprofessionnelles ou de certains Centres de santé pluriprofessionnels) qui tentent d’apporter des réponses coordonnées, pour plus de pertinence dans les soins des personnes qu’elles accompagnent.

Grâce au maillage territorial des hôpitaux publics, nous pouvons, là aussi théoriquement, toutes et tous bénéficier de soins spécialisés et d’hospitalisations pris en charge sans avance de frais. De plus, les services d’urgences ouverts 24h/24 sont lieu d’accueil de toutes les détresses à n’importe quel moment. Cependant, certain·e·s praticien·ne·s sont autorisé·e·s à pratiquer des consultations privées avec dépassement d’honoraires dans l’enceinte même des hôpitaux publics.

… MAIS AUSSI DÉLÉTÈRE

En effet, tout n’est pas rose, loin de là. Les inégalités de santé explosent [1]. Ainsi, les hommes cadres vivent en moyenne 6,3 ans de plus que les hommes ouvriers [2]. L’accès aux soins des personnes en situation irrégulière se détériore [3]. La médecine privée fait des profits au détriment des usager.e.s et de la Sécurité sociale. L’hôpital public est maltraité à coups de restrictions budgétaires pour mieux légitimer la privatisation de la santé. Les hôpitaux dits « périphériques » (par opposition aux Centres hospitaliers universitaires) voient leur offre de soins de plus en plus souvent restreinte à de la gériatrie ou des soins de suite, perdant leurs maternités, blocs chirurgicaux et autres services spécialisés, au profit des cliniques privées. Du fait d’une démographie médicale à la peine, et surtout d’une absence de régulation de la répartition des médecins et de leurs organisations, la permanence des soins est mise en péril (la participation aux gardes est facultative pour les médecins libéraux). Cela conduit à une surcharge des services d’urgence, alors que leurs moyens sont sans cesse réduits ; ainsi qu’à une privatisation de ces soins via des organisations comme SOS médecins ou d’autres, organisations privées qui sont ainsi financées par la Sécurité sociale. Le recours aux services privés de santé est parfois incontournable par défaut d’accès géographique ou de délai de plus en plus long dans le secteur public.

Par ailleurs, la gouvernance de la Sécurité sociale ayant échappé aux principales intéressé·e·s – les usager·e·s -, les technocrates à la manœuvre cherchent, sous prétexte de déficit budgétaire, argument fallacieux [4], à favoriser des intérêts privés contraires au bien commun (assurances complémentaires, industriels des produits de santé, cliniques privées, etc.) [5]

Le corps médical (au minimum naïf, au pire complice, face à cette destruction du système de protection sociale) semble ne pas réaliser que l’abolition du principe fondateur de la Sécurité sociale, « chacun·e donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », signifie pour lui la fin d’une prospérité certaine [6]. En effet, c’est la Sécu qui rend solvable les patient·e·s et par la même assure aux professionnel·le·s un revenu. De plus, face au refus constant des médecins libéraux de transiger avec des principes injustes socialement (liberté d’installation, libre rémunération, etc.), les Caisses d’assurance maladie ont renoncé à réguler les médecins (du moins officiellement). Elles laissent donc cette fonction à des institutions telles que les syndicats professionnels, l’ordre des médecins, etc., dont les pratiques sont tout aussi discutables, si on se place du point de vue de l’intérêt collectif plutôt que de celui de l’intérêt corporatiste. Elles cherchent à contrôler avec des « carottes » de type bonus financier, tel la Rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), sorte de paiement à la performance [7]. A quand les bâtons, pour là encore, réduire les budgets ? Derrière des arguments de « qualité », « d’optimisation », etc., elles tendent à uniformiser un rapport aux soins qui, pourtant, est avant tout fait d’une rencontre unique, singulière, chaque fois renouvelée, entre la personne soignée et la personne soignante.

Cette érosion des principes fondateurs de la Sécurité sociale se fait également sous couvert de faciliter le recours à des droits (dont l’accès a été complexifié par les mêmes instances qui prétendent aujourd’hui le simplifier !). L’instauration d’une CMU-C contributive [8], avec un montant de la contribution variant en fonction de l’âge (et pas seulement en fonction des revenus), est-elle le premier pas vers une Sécurité sociale à 100 % pour toutes et tous [9] ? A rebrousse-poil des dernières évolutions, où la part de la Sécurité sociale diminue de façon inexorable dans les soins pris en charge [10] ? Ou bien est-elle, plutôt, les prémices d’une protection sociale entièrement privatisée sur une logique assurantielle (où l’on cotiserait selon son niveau de risque et non selon ses revenus) ? Cette entreprise est d’autant plus facilitée par la « mutuelle d’entreprise », soi-disant cadeau fait aux salarié·e·s mais, de fait, joli présent fait aux complémentaires [11]. Ces maux semblent en fait l’expression d’une même maladie : « le capitalisme sanitaire » où l’état ne s’oppose pas au marché, il l’institue « dans une relation symbiotique entre lui et les grands secteurs capitalistes de la santé (assurances et industries) » [12].

ALORS QUE FAIRE ?

Face à cela, défendre, revendiquer, dessiner une médecine publique semble la réponse la plus appropriée pour obtenir la justice sociale dans le domaine de la santé. Qu’est-ce que cela signifie, la médecine publique ? Avant tout une organisation du système de soins et de santé tournée vers l’intérêt collectif, celui du plus grand nombre et non celui de quelques un·e·s. Cela veut dire rechercher la justice sociale. Car soigner ne peut se résumer à faire des prescriptions, des examens, des diagnostics, des pansements… Cela veut dire rechercher la cause véritable de la maladie, de la souffrance… cause bien souvent d’origine sociale. Qu’est-ce que cela pourrait être, concrètement ?

INVERSER LA GOUVERNANCE

Une étape fondamentale de cette aventure serait de rendre aux intéressé·e·s ce qui leur appartient : la gestion de l’argent mis dans le pot commun et donc des Caisses d’assurance maladie et plus globalement des fonds de la protection sociale. Cela signifierait décentraliser les prises de décisions, et donc inverser la gouvernance (du plus près au plus loin et non du plus loin au plus près). Les décisions prises au ministère de la santé, à la Caisse nationale d’assurance maladie, etc., et déclinées par les institutions étatiques telles les Agences régionales de santé deviendraient exception ? Des conseils de santé se formeraient sur chaque bassin de vie, composés à 50 % d’usager·e·s, 25 % de professionnel·le·s de santé et 25 % d’élu·e·s et administratif·ve·s. Ces conseils organiseraient les dispositifs de soins et de santé en gérant des enveloppes budgétaires au plus près des besoins de la population. Ils ne seraient pas chargés uniquement d’une gestion technique, financière, mais bien de l’identification des besoins de la population et des propositions de réponses à y apporter. Divers champs d’élaboration s’ouvriraient, pouvant remettre en cause les rôles aujourd’hui institués des professionnel·le·s, en particulier le pouvoir médical, et pouvant également créer de nouveaux rôles, une nouvelle répartition des tâches, des responsabilités, des pouvoirs. Ces conseils enverraient des délégué·e·s dans des conseils départementaux, régionaux et nationaux, constitués selon les mêmes proportions. Cette idée, jetée là à la va-vite, n’est pas une solution clé en main. Elle pose en elle-même beaucoup de questions ; elle nécessiterait, par exemple, des mécanismes d’équité entre territoires avec le transfert de certaines ressources d’un territoire à l’autre, le principe égalitaire « chacun·e donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » devant là aussi s’appliquer. Mais le changement de paradigme serait en lui-même une victoire et une force.

RENFORCER LE PUBLIC, EN FINIR AVEC LE PRIVE

Cette aspiration à une véritable démocratie sanitaire peut sembler inaccessible, mais des outils pour faire mieux que ce nous connaissons aujourd’hui sont déjà là. Ainsi, nous pourrions avoir une Sécurité sociale à 100 % pour toutes et tous (cf. le régime d’Alsace-Moselle[13]) et donc la fin des assurances complémentaires. L’ensemble des régimes d’Assurance maladie obligatoire (AMO) pourrait fusionner (le régime général concerne déjà 83 % de la population active). Cela obtenu, la pratique du tiers payant intégral (qui permet aux usager·e·s de ne pas avancer d’argent lors de soins) deviendrait un jeu d’enfant. On pourrait même y gagner de l’argent : coût de fonctionnement de l’AMO = 6 % de son budget, versus 25 % pour les complémentaires. Le ticket modérateur (part des soins non prise en charge par l’AMO, qui n’a jamais modéré les dépenses de santé !) et les franchises (50 centimes par boite de médicament, un euro par consultation, etc.) disparaîtraient de facto, allégeant d’autant le reste à charge des ménages. Nous aurions alors un véritable service public de santé (signifiant pour les professionnel·le·s un statut de fonctionnaire public), avec la fin de la médecine privée et donc des dépassements d’honoraires. Les moyens financiers récupérés pourraient alors être réinjectés, tant dans les hôpitaux et leurs services spécialisés que dans les soins primaires.

RENDRE LE POUVOIR AUX PREMIER·E·S CONCERNE·E·S

Les différents niveaux de soins (des soins primaires à l’hôpital en passant par les spécialistes de ville) seraient coordonnés entre eux de façon verticale (du premier vers le second et/ou le troisième) et de façon horizontale, géographique. Le travail collectif entre ces différents niveaux serait facilité par la présence d’espaces de rencontre et de formation conjointes (entre les différent·e·s professionnel·le·s). Les équipes de soins primaires intégreraient nécessairement des travailleur·euse·s sociaux·ales permettant de faire le lien avec les institutions sociales du territoire. Éducation, social et sanitaire seraient ainsi reconnus comme partie intégrante de la santé. Ces dynamiques seraient renforcées par des collectifs d’usager·e·s, structurés de façon autonome autour de problématiques propres, ayant le pouvoir d’orienter l’organisation des équipes professionnelles les accompagnant. Ainsi, la santé scolaire, au travail, etc., mais aussi (surtout !), celle de toutes les personnes minorisées dans notre société pourrait être mieux prise en compte et accompagnée.

Au vu de ces changements, le recrutement et la formation initiale des professionnel·le·s de santé seraient profondément modifié·e·s (la limitation des revenus, liée au statut de fonctionnaire public limitant d’office les appétits de requins). Pour faciliter la mixité sociale des personnes soignantes, des quotas définis selon des critères socio-démographiques représentatifs de la société seraient institués. Les compétences relationnelles et non plus seulement techniques seraient valorisées et développées. Cette formation s’effectuerait de façon totalement indépendante de l’industrie des produits de santé. Celle-ci serait d’ailleurs nationalisée, permettant non seulement une production cohérente avec les besoins, mais aussi que les profits réalisés par des firmes privées, via la recherche publique [14], soient eux aussi réinvestis dans l’intérêt du plus grand nombre.

A NOUS DE JOUER !

Joli rêve ou folie douce diront certain·e·s. Mais n’oublions pas que ce qui empêche avant tout la réalisation de tels projets (qui visent ici à satisfaire des besoins fondamentaux), c’est l’injonction à ne pas bouger, à rester à nos places, à respecter l’ordre établi. Mais établi par qui ? Au bénéfice de qui ? Si nous, usager·e·s et soignant·e·s, nous reconnaissons des intérêts communs à défendre et transformer la Sécurité sociale pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un instrument de justice sociale, qui pourrait nous arrêter ?


[1] Les inégalités face à la santé, La documentation française, 2017.

[2] INSEE, www.insee.fr/fr/statistiques/1280972

[3] Rapport d’activité et d’observation 2019 du Comité pour la santé des exilés (COMEDE).

[4] Cordel n°23 « Le trou de la Sécu : une invention ? » www.outilsdusoin.fr/spip.php?article169

[5] Syndicat de la médecine générale (SMG), analyse du plan « Ma Santé 2022 » https://smg-pratiques.info/proposition-d-analyse-du-plan-sante%CC%81-2022-realisee-par-un-groupe-de-travail-du

[6] Voir « Médecine libérale : vers une prolétarisation du travail médical ?», Nicolas Da Silva, L’économie politique n°80, 2018.

[7] Communiqué de presse du SMG, 19 février 2018 : www.smg-pratiques.info/Forfait-ROSP-et-forfait-structure.html

[8] Décret n° 2019-621 du 21 juin 2019 relatif à la protection complémentaire en matière de santé.

[9] Cordel n° 27 ? « La sécu à 100% ? c’est possible ! » www.outilsdusoin.fr/spip.php?article246

[10] www.mutualite.fr/actualites/depenses-de-sante-la-part-croissante-des-complementaires-sante/

[11] Communiqué de presse du SMG, 21 janvier 2016 : www.smg-pratiques.info/Complementaire-sante-en-entreprise.html

[12] « Médecine libérale : vers une prolétarisation du travail médical ?», Nicolas Da Silva, L’économie politique n°80, 2018.

[13] Cordel n° 27 ? « La sécu à 100% ? c’est possible ! » www.outilsdusoin.fr/spip.php?article246

[14] « Comment est fixé le prix des médicaments ? » www.outilsdusoin.fr/spip.php?article519

Les derniers articles par Marcelle Fébreau (tout voir)

Partagez cet article

Marcelle Fébreau

se définit comme femme blanche trentenaire, médecin généraliste remplaçante travaillant en zone rurale. Elle est membre du Syndicat de la médecine générale (SMG) et du collectif Les Outils du Soin. Elle a rédigé ce texte avec l'aide et le soutien de copines camarades.