Les listes électorales et la mixité

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Au-delà des situations non prévues ou « pensées » par la loi, et que la jurisprudence de la Cour de cassation tente de combler ou de corriger (cas des listes avec deux postes à pourvoir, des candidatures uniques), on voit bien que dans des secteurs professionnels très masculins, la loi, basée sur la proportion de femmes du secteur, fige cette situation de sous-représentation des femmes, et n’aboutit pas à l’objectif plus large et plus engagé, qui devrait être celui d’une présence de plus de femmes dans les instances représentatives des salarié·es, quels que soient les secteurs d’activités professionnels, publics ou privés. Par ailleurs, par ses zones d’ombres sur ce qu’il est possible de présenter comme candidat·es ou non, la loi peut avoir des effets pervers et contribuer, finalement, à diminuer la possibilité pour les syndicats d’avoir une représentation, ce qui est utilisé par certains employeurs comme moyen déloyal de porter atteinte au droit syndical.

UNE APPROCHE FÉMINISTE DE LA LOI

Je vais aborder le sujet sous l’angle féministe, parce que c’est souvent « l’angle mort » des analyses de cette loi (et sa déclinaison dans la fonction publique), alors que l’on a tendance à oublier qu’elle se légitime par la nécessité d’aboutir à l’égalité entre les hommes et les femmes ! Tout d’abord, il est à noter que la loi sur la représentation équilibrée femmes/hommes utilise la méthode du quota : un outil déjà utilisé, par exemple, pour la représentation des femmes dans les Conseils d’administration (loi Copé Zimmerman 2011), ou pour la nomination dans les postes de catégorie supérieure de la fonction publique (loi Sauvadet 2012), et qui est moins controversé qu’à une certaine époque. Cet outil est une conséquence de la multiplicité de lois en matière d’égalité professionnelle qui n’aboutissent pas à leurs objectifs, dès lors que ne sont mises en place que des « incitations ». Ceci démontre, qu’en 2020, on en est toujours à des résistances profondes, conscientes ou non, quant aux changements sur la place des femmes dans la société.

Première question qu’on peut se poser, quelle est la place des femmes dans la représentation des personnels ? L’étude d’impact de la loi Rebsamen avait révélé qu’en 2013, seulement 1/3 des représentant·es des personnels étaient des femmes.A qui en revient la responsabilité ? Ou en tout cas qui doit avoir l’obligation d’œuvrer pour y remédier ?Il faut dire d’abord, que cette place moindre des femmes parmi les représentant·es du personnel est  la conséquence du système patriarcal dans lequel nous sommes : la construction sociale assigne toujours des rôles différents aux femmes et aux hommes, dans lesquels les hommes sont plus « naturellement » orientés vers des fonctions de représentation dans la sphère publique (politique, associative, syndicale etc.), tandis que les femmes sont renvoyées à des rôles secondaires ou en lien avec la sphère privée.Mais au-delà du système patriarcal, c’est, en premier lieu, l’État et les employeurs qui ont une responsabilité dans cette sous-représentation des femmes sur les listes électorales professionnelles. Favoriser la place des femmes et leur prise de responsabilité, quelles qu’elles soient, nécessite notamment d’aboutir à l’égalité salariale (garante d’autonomie), de mettre en place concrètement des outils leur permettant d’articuler vie professionnelle, vie personnelle et vie militante, et de faire en sorte qu’elles ne soient victimes d’aucun sexisme, ni de violences sexuelles. Or on en est encore loin.

Pour autant, les syndicats ne peuvent s’exonérer de toute responsabilité sur cette question de la mixité des instances représentatives. La loi sur la représentation proportionnée femmes hommes sur les listes électorales a interrogé et bousculé au sein des syndicats. Elle revient à réinterroger la question de la place des femmes dans le syndicat. Cette question n’est certes pas nouvelle, notamment au sein de Solidaires. Les femmes sont en moyenne 30 % dans les syndicats, que ce soit à la CGT ou à Solidaires et évidemment là aussi, ces chiffres varient suivant les secteurs professionnels.Mais l’obligation instaurée par la loi, l’enjeu de représentativité syndicale qui y est lié, a rendu cette question plus « urgente ». Et ceci se passe dans un contexte où les fusions des instances représentatives avec la mise en place dans le secteur privé des CSE, ont affaibli les syndicats notamment en termes de droits syndicaux.Cette question de la place des femmes ne peut plus être traitée comme un supplément d’âme que se donneraient les syndicats.Dans la plupart des entreprises ou administrations, il a fallu trouver des femmes candidates. Or, il est clair que trouver des femmes candidates est plus aisé quand, dans un syndicat, les femmes sont présentes ! Il a fallu se reposer la question du pourquoi de l’absence des femmes et examiner les pratiques au sein du syndicat. Certaines causes sont classiques : les difficultés pour les femmes à pouvoir assurer le cumul de triples journées (professionnelle- militante-personnelle), avec le poids de la parentalité qui repose encore trop largement sur les femmes. Il y a aussi dans ces causes, l’absence de « place » laissée par les hommes dans le syndicat, le fait que les postes de « pouvoir », même symboliques, au sein des syndicats sont occupés prioritairement par eux…comme ce qu’on peut observer dans la société entière !

Diverses mesures doivent être concrétisées pour favoriser la place des femmes dans le syndicat, et l’Union syndicale Solidaires en a validé plusieurs lors de son congrès, en 2014 : choisir les heures de réunions militantes compatibles avec des charges familiales, prendre en charge la garde (ou le coût de la garde) des enfants. Prévoir la rotation des mandats au sein du syndicat, développer des plans d’actions contre le sexisme et les violences sexuelles au sein du syndicat, faire respecter strictement la parole des femmes dans les réunions (listes alternées, pas d’invectives, etc.), donner de la visibilité aux revendications féministes quels que soient les thèmes revendicatifs abordés (emplois, salaires, retraite, harcèlement sexuel, précarité, immigration, écologie…) sont autant d’éléments clefs.

Quelques constats qui ont été faits suite à l’application de la loi. Au-delà des tensions sur la préparation et l’élaboration des listes, les complications dues au « flou » de certains cas qu’il ne s’agit pas de minorer, des effets positifs ont été constatés. Par exemple, certains secteurs professionnels très masculins ont vu le nombre de femmes qui suivent les formations internes aux CSE véritablement augmenter, comme à SUD-Rail. Par ailleurs, ceci s’est accompagné dans ce syndicat d’une réappropriation de la parole des femmes par la remise en activité d’une commission femmes travaillant sur ces sujets.Il y a aussi eu une féminisation plus grande dans certaines équipes syndicales puisque les femmes élues ont intégré les collectifs militants, ce qui change aussi les choses pour l’avenir.Plus globalement, ce sont des questionnements sur les pratiques internes du syndicat qui se font jour ; la reproduction de schémas de domination au sein du syndicat, comme celui du patriarcat, oblige à aller plus loin et à cibler les moyens de les contrer. Ce sera une thématique de notre prochain congrès en octobre 2020.Cécile Guillaume a décrit dans une étude en 2015 comment des syndicats anglais avaient favorisé la mixité (de genre, d’origines) et quel rôle positif cela avait pu avoir pour lutter contre la désyndicalisation et le vieillissement militant.

Favoriser la place des femmes dans le syndicat est donc aussi un enjeu de renouvellement syndical vers les jeunes qui ne se reconnaissent pas forcément dans l’image du syndicaliste homme blanc de plus de 60 ans !Les questions de mixité, de place des femmes dans le syndicat étaient antérieures à la loi sur la représentativité femmes-hommes sur les listes électorales, mais gageons que, malgré les difficultés d’applications, la loi a remis de l’acuité et de l’urgence à aborder ces questions, qui sont un enjeu majeur de développement syndical et, au-delà, de démocratie sociale et d’égalité.

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Murielle Guilbert

Agente de la Direction générale des finances publiques, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires et co-animatrice de la commission femmes