Le côté brun de la toile

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Ces 30 dernières années ont vu le fulgurant développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et l’extrême droite a su rapidement tirer profit des outils que cette nouvelle révolution industrielle pouvait lui offrir.


Enseignant en lycée, Damien est militant à SUD Éducation. Il représente la fédération SUD Éducation au sein de Vigilances et initiatives syndicales antifascistes.


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L’extrême droite et les réseaux sociaux numériques

Arrivé en France à la fin des années 90, Internet voit naître quantité de sites d’extrême droite, de toutes les mouvances, au premier rang desquels le Front national de Jean Marie Le Pen qui comprend très tôt que cet outil lui permettra d’accéder directement au peuple. Les auteurs de l’ouvrage La Fachosphère, Dominique Albertini et David Doucet, rapportent que c’est Martial Bild (Directeur du Front national de la jeunesse de 1984 à 1992) qui réussit à le convaincre de créer un site web « car il a toujours cherché des moyens de communiquer directement avec le peuple ». Dans la période où les rédactions se posent encore la question de savoir si le FN avait sa place sur les plateaux des médias, le président du parti comprit le potentiel que lui offrait la toile. Dès lors, rien d’étonnant à ce que le FN qui a déjà investi le minitel en 1985 avec le 3615 LEPEN soit, dès avril 1996, le premier parti de France à se doter d’un site internet. L’intention du patriarche du mouvement nationaliste est clair : « Il faut passer le filtre médiatique, dépasser tous ces connards des télévisions qui nous crachent à la gueule matin, midi et soir ». La toile allait offrir au parti de la haine un nouvel espace de diffusion afin d’y mener le combat pour l’hégémonie culturelle théorisée par le marxiste italien Antonio Gramsci. Cette conception du combat politique qui pose la nécessité de gagner préalablement l’opinion publique afin de prendre le pouvoir, avait été reprise par les penseurs de la nouvelle droite à la fin des années 60.

L’extrême droite institutionnelle, incarnée notamment par son navire amiral le FN, ne va pas être la seule à profiter de cette possibilité de contourner les médias traditionnels. Rapidement, la toile va voir émerger quantité de pages web, de blogs, de comptes sur les plateformes des réseaux sociaux… Cette nouvelle entité qui va se développer, va regrouper des tendances très diverses : catholiques intégristes, néonazis, islamophobes, antisémites ou encore complotistes… Dès 2006 elle est désignée par le terme de fachosphère. Si cette dernière composante de l’extrême droite se montre parfois très critique à l’égard de l’extrême droite institutionnelle, il apparaît que ces deux entités ont toujours entretenu des liens parfois très ténus.

Panorama de la fachosphère

Parmi les figures historiques de la fachosphère nous trouvons à la fois des sites qui cumulent, ou qui ont cumulé, énormément de vues, comme SOS racaille (2001-2003), le Salon beige (2004), Fdesousche (2006), Riposte laïque (2007), Boulevard voltaire (2012), Breizh-info (2013)… Mais également des personnalités telles que Alain Soral (fondateur de l’association Egalité et réconciliation), Dieudonné M’Bala M’bala, Boris Le Lay… Les fréquentations de toute cette nébuleuse se combinent et se recombinent en permanence en fonction du contexte politique, de leurs querelles, mais aussi de leurs déboires judiciaires. Dans les initiateurs de ce qui deviendra la fachosphère on trouve un certain Pierre Sautarel, qui va faire parler de lui dès 2005 avec le site François Desouche qui deviendra dès 2006 FDesouche. Le principe du site est assez simple, il est à la base du mode de fonctionnement d’autres sites qui vont s’en inspirer par la suite (par ex. breizh-info.com). Il s’agit ici de focaliser l’attention sur ce que l’extrême droite pose comme problèmes fondamentaux (immigration, insécurité…), en reprenant ailleurs des articles, souvent des faits divers, qui vont dans le même sens afin créer un sentiment anxiogène. A la suite de ceux que l’on peut nommer les initiateurs, d’autres vont venir occuper cet espace à la droite de l’extrême droite, formant cet ensemble hétérogène qui se retrouve sous le dénominateur commun que ces personnes appellent la dissidence et qui a même son propre Wikipédia. L’apparition de Facebook, Youtube, Twitter, Instagram… leur offre quantité de moyens de diffuser leur venin.


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Dans ce petit panel des nouveaux réacs qui investissent le net on trouve des figures qui font parfois le buzz en dehors de leur sphère d’initié.es. C’est le cas de Papacito et Code Reihno, qui en juin 2021 ont mis en scène le meurtre d’un électeur de La France insoumise représenté par un mannequin. C’est le cas aussi du raciste aux positions masculinistes Daniel Conversano qui, en décembre 2016, s’est battu avec Soral lors d’un débat organisé par Dieudonné. La vidéo de cette altercation entre mâles a fait quelques millions de vues. Nataliste, celui qui vit maintenant en Roumanie explique dans ses vidéos la nécessité de préserver « la race blanche » en faisant des enfants… Sans être exhaustif, ce petit milieu se complète avec des gens comme Julien Rochedy, ancien cadre du FN et proche du principal suspect du meurtre de l’ancien rugbyman Federico Martin Aramburu, Loïk Le Priol. Mais aussi de Baptiste Marchais, qui anime la chaîne Bench and Cigars, et qui durant sa jeunesse a fréquenté les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) du skinhead Serge Ayoub. Autre figure montante, celui qui se faisait appeler le Raptor dissident, alias Ismaïl Ouslimani, qui sous couvert d’ironie diffuse ses analyses acerbes de l’actualité politique. Si cette fachosphère est très masculine, depuis quelques temps des femmes, telles Thaïs d’Escufon (porte-parole de Génération identitaire entre 2018 et sa dissolution en 2021), Virginie Vota, Alice Cordier ou Estell Redpill, viennent aussi compléter ce paysage très viril en y défendant tant bien que mal un fémonationalisme, c’est-à-dire une instrumentalisation de la question du féminisme et de l’émancipation des femmes à des fins racistes. La plupart de ces youtubeurs et youtubeuses ainsi que leur petite communauté pratiquent l’entre-soi des plateaux des leurs médias identitaires en s’invitant ou en se commentant les un.es les autres.

La pandémie de COVID 19 a eu pour effet le développement impressionnant des chaînes de « réinformation » et l’apparition de nouvelles figures du conspirationnisme qui entretiennent aussi des liens avec la fachosphère. C’est le cas par exemple de Chloé Frammery et Thierry Casanovas qui se sont vu remettre une « quenelle d’or » par Dieudonné en personne en 2020.

Les supports de diffusion de la haine en ligne

Au-delà de leurs propres sites web, l’extrême droite institutionnelle et la fachosphère ont su investir très rapidement les plateformes de diffusion grand public de la Big tech, ces géants du numérique qui vont naître au cours des années 2000. Au premier rang desquels, Facebook, créé en 2004 (3 milliards d’utilisateurs en janvier 2022). Suivi par Youtube en 2005 (plus de 2,2 milliards d’utilisateurs en octobre 2021), Twitter en 2006 (217 millions « d’utilisateurs journaliers actifs monétisables » en 2022), Instagram en 2009 (plus de 22 millions d’utilisateurs mensuels). Rejoints par de nouvelles plateformes telle que TikTok en 2016, un nouveau qui se développe rapidement (1,2 milliard d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde). Toutes ces plateformes de la Big tech continuent de gagner des utilisateurs et viennent transformer nos sociabilités. Mais les mises en relation par écran interposé qu’offrent ces outils se fait sous l’influence des algorithmes développés par les sociétés qui en sont propriétaires, et ces derniers n’ont rien de neutre. Ces suites d’instructions et d’opérations orientant les contenus mis en avant sont leur propriété et sont donc couverts par la propriété intellectuelle. Dès lors impossible de savoir officiellement vers quoi ils vont orienter notre regard. Comme le dit David Chavalarias dans son ouvrage Toxic data (Ed. Flammarion, 2022), « Ce sont ainsi les intérêts de Facebook, et non les vôtres, qui guident la sélection des contenus auxquels vous êtes exposé(e). Ce que vous pouvez lire en restant sur votre fil d’actualité n’est que l’infime partie de ce qui existe – ce qui est le plus à même de vous rendre « accro » au réseau ».

Autrement dit ce que nous proposent les plateformes n’est rien d’autre que ce que leurs algorithmes produisent pour au final faire gonfler leurs bénéfices. Ces revenus découlant de deux sources, d’abord le recueil de données personnelles, accumulées au fil de nos navigations, de nos achats sur la toile, de nos traces GPS…, ensuite avec la revente de ces données qui servent ensuite au ciblage publicitaire. Mais voilà, l’affaire de Cambridge Analytica, nous montre que cette collecte de données à grande échelle peut aussi servir à mener des campagnes d’activisme à grande échelle. C’est ce qu’a fait Steve Bannon durant la campagne qui a précédé l’élection de Donald Trump en 2016. Depuis, celui qui passe pour un faiseur de roi sévit en Europe, où il a créé une fondation, nommée The Movement, dans le but de rassembler les mouvements nationalistes européens. A cette fin, il a effectué une tournée avant les élections européennes de 2019, rencontrant Marine Le Pen en mars 2018, Victor Orban en mai, Nigel Farage en juillet et Matteo Salvini en septembre de la même année. De fait Steve Bannon a compris l’utilité que pouvaient avoir les diffusions en masse d’informations politiques biaisées. Pour citer ses mots, sa stratégie est simple et efficace : « flood the zone with shit » (inonder la zone de merde). L’outil essentiel étant l’astroturfing, c’est-à-dire une technique simulant un mouvement d’opinion populaire sur la toile afin d’influencer l’opinion. Cela passe par exemple par la création de faux comptes Facebook, Twitter…, mais cette tâche peut aussi être confiée à des algorithmes qui vont par exemple augmenter artificiellement les “retweets” augmentant ainsi l’audience d’une publication.

Si certaines forces politiques, dont l’Alt right (extrême droite américaine) et la fachosphère en France, ont clairement investi la toile et plus spécifiquement les réseaux sociaux à des fins d’orientation de l’opinion politique, ces plateformes ont elles aussi une influence en raison de ce que leurs algorithmes mettent en avant. Le fait est qu’ils favorisent surtout les messages négatifs, car ils ont la vertu de provoquer beaucoup de réactions, ce qui augmente le temps passé par les utilisateurs sur ces mêmes réseaux. On comprend mieux alors pourquoi la Big tech fait preuve de timidité quand il s’agit de développer des systèmes de modération.

Toutes ces raisons font que les dirigeants de la Big tech sont légitimement pointés du doigt du fait des facilités que leurs plateformes offrent à la diffusion de la haine d’extrême droite. Mais s’ils se voient contraint de faire le ménage, c’est surtout pour maintenir les apparences. Le développement de ces systèmes permettant la modération des publications va de la suspension temporaire à la fermeture définitive de certains comptes. C’est ce qui amène l’Alt-right ou la fachosphère à crier à la censure d’une liberté d’expression que chacune des extrêmes droites revendiquent sans limites, mais uniquement pour elles. Cette modération qui se fait plus importante est une des raisons qui ont amené l’Alt-right à développer des plateformes alternatives qui constituent ce nouvel espace numérique : l’alt-tech. De fait, l’extrême droite n’a pas attendu la suspension des comptes Twitter et Facebook de Donald Trump pour basculer sur l’alt-tech, c’est-à-dire les plateformes alternatives de diffusion de publications numériques. Elles mettent en avant une défense absolue de la liberté d’expression et leurs contenus sont donc très peu, voire pas du tout modérés. Telles que GETTR, Vkontakte, Parler, Odysee, Rumble, Gab, MeWe, Minds… Globalement le même processus se produit de chaque côté de l’Atlantique. Les activistes qui se sont fait fermer leur compte sur la Big tech migrent vers les réseaux de l’alt-tech. Pour celles et ceux qui n’ont pas encore été bannis, il s’agit bien souvent d’avoir un pied dans l’un et dans l’autre pour anticiper une éventuelle fermeture de compte. C’est le cas par exemple de Papacito, ou d’Éric Zemmour, qui sont présents sur Instagram mais aussi sur GETTR. Le fait est que cette migration a pour conséquence une forte perte d’audience car les plateformes de l’Alt-tech sont beaucoup moins fréquentées que des supports tels que Facebook ou Youtube. Cela participe aussi à la radicalisation des discours racistes, homophobes… que l’on y trouve. Une communauté restreinte avec une modération quasi absente fait que s’y concentre les membres les plus radicaux de l’extrême droite.

La culture d’extrême droite sur la toile

La fachosphère en France, tout comme l’Alt-Right aux USA, sont des nébuleuses très hétérogènes, mais ces différents courants partagent des codes propres à cet espace. Il y a là une véritable culture numérique d’extrême droite où ces références culturelles sont partagées à la fois par l’extrême droite institutionnelle et la fachosphère. Globalement, si la fachosphère se montre régulièrement très critique vis-à-vis de l’extrême droite institutionnelle incarnée par le FN/RN, les deux travaillent dans le même sens : la défense d’une sorte d’art de vivre réactionnaire. Pour y arriver la fachosphère a développé une véritable stratégie de communication. Dans une émission de TVLibertés mise en ligne en mai 2021, Papacito et Baptiste Marchais exposent leurs intentions et leur mode opératoire très explicitement. Il en ressort une véritable volonté de faire de la politique mais en se partageant les tâches avec l’extrême droite institutionnelle. Baptiste Marchais explique que son intention n’est pas de faire de la « politique frontale » car cela comporte le risque d’être censuré par les plateformes de la Big tech. Il s’agit bien de porter un discours qui vise celles et ceux qui sont « imperméables » à la politique en produisant un contenu « plus fin et plus évasif, pour amener ces gens vers du contenu politique très frontal ». On comprend ici qu’il est fondamental pour ces youtubeurs de communiquer sur le mode de l’humour pour que leur contenu finalement très politique prenne l’apparence d’un discours léger. Mais si la forme est légère le contenu lui est sérieusement raciste. Et Papacito d’assumer qu’il « faut trouver des subterfuges pour ne pas dire certains mots » tout en jubilant de la place qu’ils occupent face à la modération « nous on est les enfants qui font que la récré va continuer un petit peu plus parce que nous mettons du temps à se mettre dans le rang. Et ça c’est le meilleur rôle du monde. » Leur objectif est, explicitement, de faire du « pré-politique » afin d’amener les gens à du contenu politique.


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Dans la bataille culturelle menée par l’extrême droite, le langage prend donc une part importante. Sur la toile l’extrême droite va utiliser un langage et un vocabulaire particulier sur fond d’humour sarcastique et de sous-entendus qui lui permettent de moins s’exposer à d’éventuelles suites judiciaires. Par exemple le terme « sanglier » est utilisé par Papacito et ses amis fascistes pour désigner les migrants qu’il faut chasser. Si l’on ajoute à ce vocabulaire détourné toute la symbolique militaire qui illustre ses vidéos, il n’est pas difficile de comprendre qu’il s’agit bien là de véritables appels aux meurtres de réfugié∙es. Les « babtous fragiles » ou les « hommes soja » (termes utilisés pour désigner les militants de gauche forcément efféminés si eux sont virils) sont aussi dans le collimateur. Et si le message n’est pas assez clair, il devient très explicite quand dans une vidéo de mai 2021 Papacito tire sur mannequin symbolisant un « gauchiste » en compagnie de son compère Code Rheino.

Dès lors il s’agit pour la fachosphère de faire en sorte que cette communication illustre cet art de vivre réactionnaire, mais de manière légère pour faire oublier l’aspect idéologique. Au menu de leurs contenus on trouve du virilisme et son pendant sexiste. Très souvent un culte de la violence et des armes. Le tout mélangé aux vielles sauces racistes et sexistes mais le tout sous couvert « d’humour ». Cette exploitation du « temps de cerveau humain disponible [1] » de leurs followers passe certes par la diffusion de vidéos, mais aussi de “mèmes” politiques, c’est-à-dire des images visant à transmettre un message dans le but d’inonder la toile en utilisant les codes de la culture web. On en trouve un exemple emblématique dans le personnage de Pepe the frog. A l’origine il s’agit d’un personnage de bande dessinée représentant une grenouille verte. A partir de 2008 il devient un mème [2] Internet et dès 2016, il est repris comme symbole de ralliement des partisans de Donald Trump. Encore une fois le personnage va traverser l’Atlantique, afin de remplir le même usage mais cette fois-ci pour la fachosphère. L’utilisation de l’emoji « ok » en est un autre exemple. La petite main peut également représenter les lettres W et P, abréviation du mouvement suprémaciste White Power. En mai 2017, Marine Le Pen pose avec le député estonien Ruuben Kaalep, membre du Parti populaire conservateur d’Estonie et autoproclamé suprémaciste, en faisant ce geste. C’est ici une belle illustration de ce qui porte le nom de dog-whisle, c’est-à-dire l’utilisation d’un message codé compréhensible uniquement par les initiés et qui permet de faire un appel du pied aux plus radicalisé.es sans soulever d’indignation.

Une source de financement

Pour l’extrême droite française la présence sur la toile constitue aussi une source de financement et cela par plusieurs biais tels que l’hébergement de publicités, de partenariats directs avec des marques amies, des dons (crowdfunding) ou plus simplement par de la vente de produits. Il faut comprendre que la pub sur internet fonctionne le plus souvent sur le ciblage des internautes via des outils automatisés, appelés programmatiques. Dans les faits, les marques n’achètent plus de pub dans un journal précis mais elles ciblent désormais des personnes (ou plutôt des groupes de personnes) sans se préoccuper du support de diffusion. Ces personnes cibles sont identifiées par les traces qu’elles laissent sur la toile grâce aux cookies internet notamment. Toutes ces données sont collectées par la Big tech qui les revend aux entreprises qui gèrent la diffusion de la publicité. Dès lors des marques qui n’ont rien à voir avec l’extrême droite peuvent se retrouver sur des sites ou des comptes de la fachosphère, ce qui leur rapporte l’argent dévolu aux diffuseurs. Jusqu’à récemment la plateforme Youtube permettait à la fachosphère de récupérer de l’argent mais certains de ses membres se sont fait fermer leur compte et les autres sont souvent démonétisés en raison du non-respect des critères d’éligibilité de la plateforme. Ce qui fait que les youtubeurs et youtubeuses qui faisaient beaucoup de vues ne génèrent plus de revenus avec leurs audiences. Cela les contraint donc à trouver d’autres sources de financement.


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La collaboration avec des entreprises amies constituent une source plus rémunératrice. L’activisme de la fachosphère est un business qui passe parfois par des partenariats, par exemple avec des entreprises comme Terre de France (ce qui est le cas de Papacito ou Baptiste Marchais). L’argumentaire commercial est dans le jus : savon « solide », parfum « patriote »… La toile constitue aussi une excellente façon de récupérer des dons, quitte à passer pas des plateformes de crowdfunding telles que Tipeeee (utilisée par Virginie Vota ou le collectif Némésis…), ou uTip en France et Patreon aux Etats-Unis. Ces derniers temps, elles ont aussi constitué le principal financement de contenus complotistes (Hold-up). Enfin, la vente de produits dérivés, dont les membres de la fachosphère sont souvent directement propriétaires. Concrètement il s’agit ici de créer un site de merch pour vendre des livres, des tee-shirts ou des tasses… D’autres font dans les services avec des formations, du coaching, des stages de développement personnel, ou des vidéos payantes.

Contre-attaque sur la toile

L’offensive culturelle menée par l’extrême droite n’est pas sans opposition. S’il est assez facile d’essayer d’inonder la toile de messages haineux, il est beaucoup plus long de construire les argumentaires permettant de les démonter. Si les trolls d’extrême droite, c’est-à-dire des individus cherchant à générer des polémiques sur Internet et les réseaux sociaux, ont une capacité incroyable à pourrir l’espace numérique, la toile est encore loin d’être un espace uniquement dédié à la haine. Pour faire face à la fachosphère, nombre de sites de débunkage se sont eux aussi multipliés. Des youtubeurs mènent aussi le combat antifasciste en utilisant les codes de la culture numérique. Et depuis peu sont aussi apparues des organisations visant à toucher l’extrême droite au portefeuille. Les sleeping giants qui sont apparus aux Etats-Unis en novembre 2016, sont maintenant présents en France, tout comme Stop Hate Money, pilotée par Tristan Mendès France. Leur technique est simple : interpeler publiquement les entreprises dont les publicités apparaissent sur des sites d’extrême droite les invitant ainsi à demander leur retrait.

Quelle liberté d’expression sur la toile ?

L’investissement de l’extrême droite sur la toile révèle sa volonté de profiter d’un espace sans aucune limite à la liberté d’expression et, comme bien souvent, ce qui se passe sur le web n’a rien de très différent de ce qui se passe dans le monde réel. Et nous ferions bien d’aborder cet espace numérique sous le même angle que la société. Dans l’un comme dans l’autre le paradoxe de l’intolérance énoncé par Karl Popper doit nous servir de guide. Celui-ci peut se résumer simplement : si nous étendons la tolérance à celles et ceux qui sont intolérant.es, alors la tolérance se verra détruite par les intolérant.es. Que l’on ne s’y trompe pas, si l’extrême droite, si l’Alt right et la fachosphère, crient à la censure de la Big tech et développent leurs propres plateformes avec l’Alt tech, c’est bien pour avoir le champ libre pour eux, mais pour eux uniquement. Il n’y a qu’à observer comment les trolls d’extrême droite sont capables de pourrir les discussions sur les réseaux sociaux pour comprendre ce qui se passerait dans la société dans son ensemble si elles et ils arrivaient à leurs fins. Concrètement, en France, leur objectif est le suivant : faire disparaître les lois mémorielles que sont notamment les lois Gayssot et Taubira et qui encadrent la liberté d’expression en interdisant par exemple les propos négationnistes. Il est très inquiétant de voir qu’une grande partie des échanges entre les individus se font maintenant sous le prisme d’algorithmes contrôlés par quelques pharamineuses fortunes. Il est assez cocasse de constater que les nationalistes français s’accommoderaient bien de la constitution américaine incarnée par le premier amendement. Selon lequel le caractère absolu de la liberté d’expression prime sur les discours haineux, qu’ils soient racistes, homophobe ou autres… Les plateformes dont il est question ici sont la propriété d’une concentration de multimilliardaires tels que Mark Zuckerberg. Les déclarations d’Elon Musk après le rachat de Twitter illustrent bien à quel point ces fortunes de l’économie numérique s’accommodent bien de laisser le trafic se développer sur leurs réseaux sociaux grâce notamment à l’échange de contenus infects. Encore une fois le capital s’accommode bien du fascisme.


Damien


[1] Expression utilisée en 2004 par Patrick Le Lay, alors président-directeur général de TF1, à propos du temps d’antenne vendu aux annonceurs pour leurs publicités.

[2] Texte, image ou vidéo massivement repris, décliné et détourné sur Internet, de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz.


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