La proximité sanitaire c’est la vie !

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ET D’ABORD LA JUSTICE !

Révolution scientifique et technique – accroissement aussi bien que bouleversement structurel de la démographie et décélération de la croissance économique – quelles qu’en soient les raisons par ailleurs, remettraient-elles en cause justice et égalité des droits au point de menacer de recul la douloureuse et lente marche émancipatrice de l’humanité ? Il n’est de progrès scientifique qui vaille qu’au service des progrès humains. Libération et égalité concrète des droits, marchent d’un même pas. Le service public n’est pas un luxe, objet onéreux dont il faudrait réduire les prétentions. Cela reviendrait à considérer l’accès de tous et toutes aux soins, à l’instruction, à la culture, à la justice, comme irréaliste. Alors, quelle alternative opposer à la régression en bon ordre qui est imposée aujourd’hui ? Une régression qui prétend éviter le naufrage économique annoncé et permettre une réorganisation de nos forces dans l’attente de jours meilleurs ?

FAUT-IL RAPPELER QUELQUES ÉVIDENCES ?

La part de richesses produites destinée à améliorer les conditions de vie de toutes et tous, et principalement de celles et ceux qui possèdent le moins, devrait « nécessairement » aller croissant. Aux gains considérables de productivité dans tous les domaines, très « naturellement » obtenus par le travail des humains et les progrès scientifiques qu’il génère, doit correspondre une accessibilité toujours plus étendue de tous et toutes à la santé et à la culture. Progrès ou régression de la justice et de la libération de tous et toutes ? Là est la vieille et lancinante question posée depuis toujours à l’humanité. Qu’en est-il dans la santé et en quoi les soins de proximité constituent-ils une des réponses à cette interrogation ?

CENTRALISATION ET PROXIMITÉ

Une politique de santé se fixant l’égalité d’accès aux soins doit se donner les moyens humains et matériels de concrétiser cet objectif. S’il est important d’assurer à tous et toutes une information incitative afin de convaincre, tant de l’efficacité de la prévention et des soins que de la réalité des moyens devant être mis le plus largement à leur disposition, toute information de qualité passe par de multiples relais, intégrés à la vie sociale et culturelle et tire son efficience qualitative de la proximité. Mais surtout, les vertus de la concertation (écoute réciproque, pluralité affirmées et soutenues comme richesses sociales) s’étayent sur la fermeté réaffirmée de l’objectif précisément explicité. Centralité et proximité s’épaulent contradictoirement ou plus simplement, dans une interactivité féconde.

PROXIMITÉ ET DÉMOCRATIE SANITAIRE

En matière de santé, mais ce n’est pas exclusif, la proximité est une nécessité humaine, sociale et culturelle. Cet état de bien-être physique et psychique, défini voilà plus de 70 ans par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, a pour origine, pour moteur aussi bien que pour combustible, la qualité de la vie relationnelle. Pas de santé sans une bonne implication sociale, un métier, un emploi, un bon salaire, une alimentation de qualité, un ressourcement culturel permanent. Pratique sportive non compétitive, hygiène de vie, information sanitaire de tous ordres, tout cela relève de la politique générale du pays, mais s’applique, se vit, s’enrichit, s’adapte dans ses implications concrètes, au niveau de la cité, des collectivités territoriales. C’est là que se fera tant l’appréciation, l’expression des besoins sanitaires, que l’évaluation de la pertinence et de l’efficacité des réponses apportées. Pas de progrès sanitaires aujourd’hui sans participation active de tous et toutes. Toute solution technocratique centralisée, quelles que soient les qualités humaines de ses concepteurs et conceptrices, la générosité de ses objectifs et les apparences de concertation octroyée – souvent d’ailleurs purement formelle et mystificatrice – est vouée aux échecs, désillusions démobilisatrices de toutes sortes et pire parfois, aux fuites en avant autoritaires et dispendieuses.

Elu.es locaux et soignant.es dans leurs fonctions, associations citoyennes défendant et promouvant les services publics, collectifs de patientes et patients, syndicats représentants les travailleurs et travailleuses de la santé…, en un mot tous les acteurs et actrices de la vie sociale de la commune, de l’agglomération et au-delà, doivent participer à la définition des objectifs de santé, à la mise en œuvre des décisions et à l’évaluation des moyens engagés. La proximité, c’est d’abord la source et la qualité du lien social. Son appauvrissement souligné par tout le monde, déshumanise nos cités et génère l’isolement, la désespérance individuelle et collective, l’incivisme de toute nature, l’intolérance et ses avatars les plus dangereux, la haine de l’autre, la xénophobie, la violence. Fermer une maternité, lieu fondateur d’humanité par excellence, c’est briser l’une des sources les plus fortes de liens humains. Fermer un hôpital de proximité, quelles que soient les allégations avancées, est attentatoire à la vie de la cité, à la vie de chacun et chacune de ses membres, par appauvrissement sanitaire (déserts médicaux), culturel et social.

Ces lieux d’accueil et de soins ont nécessairement place dans toute communauté humaine. Vouloir les en isoler pour des raisons diverses, d’apparente efficacité, est folie et va à l’encontre des objectifs affirmés. Tenter d’éloigner de la cité, la souffrance et la mort pour des raisons d’ordre économique, technique ou administratif, est, en définitive, revenir à la « quarantaine » d’autrefois, aux vieilles pratiques d’éloignement et de concentration des pestiféré.es, aggravées de l’inexcusable méconnaissance de ce qui est désormais un très solide acquis culturel. Que dire aussi de l’importance de l’accueil, des premiers soins à celui ou celle qui souffre, dont la vie risque brutalement de basculer dans le vide, de tout être qui se sent en danger ? C’est évident, le premier soin d’urgence relève de la proximité. Tout personnel soignant connaît l’importance des premières paroles, des premiers gestes face à l’angoisse parfois extrême de la personne blessée, malade, désespérée, des parents, de l’entourage. Et si l’excellence de la technique des premiers soins apportés est principale, les qualités d’écoute, de calme, de sympathie de la personne soignante n’en sont pas moins essentielles. Enfin, la santé est aussi et souvent menacée par les traumatismes affectifs, les liens brisés. N’est-ce pas justement dans un rapport sanitaire de proximité que cette souffrance sera la mieux entendue et aussi sans doute la mieux traitée ? Naissance, souffrance, maladie et mort sont inscrites au cœur même du destin humain, de l’histoire réelle de chacun et chacune d’entre nous ; elles sont des dimensions fondamentales de notre aventure.

PROXIMITÉ ET QUALITÉ DES SOINS

Durant les dernières décennies, les difficultés économiques ont été ouvertement mises en avant pour justifier la fermeture de lits hospitaliers dans les premiers temps, puis de services et enfin d’hôpitaux eux-mêmes. Sans parler de l’élévation du coût de santé infligée à chacun et chacune (reste à charge pour les patient.es) et du dégagement de la Sécurité sociale reportant les remboursements sur les mutuelles et assurances privées, dont les tarifs varient avec l’état de santé lui-même. A l’argument du tarissement des ressources de l’Etat, crise oblige, de l’élévation accélérée des dépenses de santé, plus rapides que la croissance du produit intérieur brut, est venu s’ajouter celui d’insécurité sanitaire de certains services et hôpitaux. Le comble, c’est qu’en réduisant les moyens d’une unité sanitaire, sa fragilisation la rend inévitablement inapte à assurer sa fonction. Pour être simple, cela l’amène à terme à la fermeture, chaque soignant.e, ou administrateur.trice percevant la dangerosité de telles situations. La lutte apparaît alors sans effets. Beaucoup de personnalités politiques et administratives se sont prêtées à cette campagne de désinformation. A les entendre, et il est difficile d’y échapper, c’est la proximité, par nature, en raison de l’inexpérience prétendue des soignant.es, qui fut rendue responsable d’insécurité sanitaire ! Malheureusement pour ces auteurs et autrices ce mauvais procès n’a jamais pu être honnêtement étayé. Les hôpitaux de proximité, nous le savons désormais grâce aux enquêtes menées par l’Association des petites villes de France, mais également la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) elle-même et les travaux de Jean-Marie Clément [1], ont une morbidité et une mortalité liées à l’iatrogénie [2], toute proportion gardée, inférieures à celles des grandes unités. Mieux, ces études illustrent clairement le fait que les hôpitaux de proximité ont le plus souvent bien assuré le transfert des malades présentant une pathologie relevant de soins spécialisés vers les services de référence départementaux ou régionaux.

Agence régionale de santé et tutelles diverses insistent aujourd’hui beaucoup pour obtenir la formalisation de filières de soins. Or il se trouve que sans contraintes administratives, cela s’est fait souvent, avant ces recommandations. Cependant, beaucoup d’unités de proximité ont aujourd’hui les plus grandes réticences à accepter ce qu’elles considèrent comme un jeu de dupes, en raison des menaces ouvertement brandies contre elles. La complémentarité ou autres réseaux de soins n’étant souvent à leurs yeux, et non sans raison, que stratagèmes de phagocytose [3] dissimulés sous des accords en trompe l’œil de fusion. Désormais, le dossier est suffisamment bien construit pour permettre aux hôpitaux de proximité de reprendre l’offensive et briser la dangereuse logique de fermeture-concentration des moyens et de limitation des hôpitaux publics à leur fonction réductrice et inhumaine de plateau technique. Il faut aujourd’hui d’importants moyens pour accueillir, soulager, et guérir si possible. Mais parce que l’espèce humaine n’est pas réductible à sa dimension végétale, ni même animale, il nous faut surtout de l’humanité ; c’est-à-dire des ressources humaines qui, pour atteindre leur plus grande efficacité, soient proches de tout lieu de souffrance. La proximité, plus qu’hier, en raison notamment de la fragilisation de nombreux liens humains, est facteur de progrès sanitaires.

Aux exigences technocratiques dont sont principalement porteuses les Agences régionales de santé, opposons sans inquiétude, quelle que soit l’âpreté du combat (et les forces intéressées à la concentration des moyens ne sont évidemment pas négligeables), l’efficacité sanitaire et sociale de la proximité. Ni la grande majorité des naissances, ni la plupart des urgences médicales, pathologies aiguës ou chroniques, ne relèvent de la prise en charge de Centres hospitaliers régionaux et universitaires, qui souffrent par ailleurs d’un encombrement nuisible à la qualité des soins. Ce sont d’abord les soins de proximité qui accueillent, écoutent, calment, assurent les premiers soins et évaluent la gravité de la pathologie et le niveau hospitalier dont elles relèvent. C’est dans des rapports de respect des prérogatives de chacun que s’établissent des liens professionnels et institutionnels efficients, gages indispensables du succès des filières de soins.

Nous possédons d’extraordinaires outils de communication, qui n’ont pas fini de s’améliorer. Informations, formations, transparences, sont assez simplement accessibles à tous, même si les tentatives de dévoiement sont permanentes et que la volonté d’en faire des instruments de pure gestion, ou plus grave de surveillance, mystification ou contraintes, est grande. C’est principalement de réseaux dont nous avons besoin pour au mieux traiter, guérir et en définitive structurer, formaliser nos liens institutionnels à tous niveaux de l’aide-soignante ou du rééducateur à domicile, en passant par l’omnipraticien et l’unité hospitalière de proximité, jusqu’aux services universitaires destinés à la recherche clinique, à l’élaboration de protocoles et à la prise en charge totale ou partielle de pathologies complexes ou rares.

PROXIMITÉ ET ÉCONOMIE DE SANTÉ

A la fuite en avant déshumanisante, technocratique et concentrationnaire – en définitive inutilement coûteuse – doit s’opposer, et de nombreuses études en attestent également, l’organisation systématiquement soutenue et incitée de la proximité. Il est communément admis qu’il n’est pas nécessaire de posséder, dans tous les chefs-lieux de canton, une angiographie numérisée ou un tomographe à émission de positons ; pourquoi prétendre que toutes les unités vont exiger des moyens excessifs ? L’enjeu de la proximité dans une politique de santé se donnant pour objectifs principaux les réponses les plus appropriées, les plus humaines aux besoins de santé, les plus démocratiquement évaluées et l’égalité d’accès aux soins, est par lui-même suffisamment passionnant, sans qu’il n’ait besoin d’incitations techniques inutiles. D’autant qu’il va falloir faire preuve d’initiatives et de créativité pour inverser le cours de cette funeste histoire. Et puis, la logique de proximité va sans doute dans le sens d’une véritable économie de la santé au service de la justice, même si elle a contre elle une longue culture technocratique et centralisatrice, ainsi que les objectifs mercantiles des grandes firmes de l’industrie du matériel biomédical et de la chimie des composants pharmaceutiques.

ALORS QUE VEUT DIRE PRÉCISÉMENT PROXIMITÉ SANITAIRE ?

Il nous faut tout d’abord définir les limites géographiques et démographiques d’un bassin de vie. Proposons et analysons le bienfondé d’une organisation reposant sur ces deux principes :

– une population comprise entre 50 à 150 000 habitant.es (environ 1 000 bassins de vie de ce type en France).

– une distance équivalente à 30 minutes maximum de déplacement pour se rendre à la maternité et aux urgences les plus proches, compte-tenu des difficultés routières et aériennes de toutes natures (urbaines, rurales et climatiques). Un tel maillage territorial nécessiterait par bassin de vie :

de 200 à 500 médecins (environ 300 000 pour la France), toutes spécialités et tous modes d’exercice compris (la médecine générale en occupant environ les deux-tiers), salarié.es de Centres de santé, de l’hôpital et des services de prévention, ou libéraux, selon leur choix, regroupé.es ou non en Maisons de santé.

un hôpital maternité-chirurgie-obstétrique (MCO). La maternité de niveau 1 étant dirigée par les sages-femmes elles-mêmes, le ou les services de médecine comportant les principales spécialités dont l’ophtalmologie, et la chirurgie pratiquant à la fois la chirurgie viscérale, gynécologique et osseuse et participant à l’activité obstétricale chirurgicale et anesthésique.

Deux à cinq centres de santé autogérés, avec une représentation des élu.es, de l’ensemble des soignant.es et des représentant.es des médecins libéraux s’ils et elles le souhaitent. Ces centres assurant, si possible, leur activité 24 heures sur 24, tous les jours de l’année, en lien étroit avec les urgences hospitalières. Ils associeraient généralistes et spécialistes salarié.es, garantiraient le tiers-payant et excluraient tout dépassement d’honoraires (impossible dans le cadre du salariat), définiraient les actions de prévention et les exigences de fonctionnement du centre. Ces centres de santé, de type associatif ou communal (ou communautaire…) ne s’opposent pas à la pratique de la médecine libérale, à laquelle ils peuvent être associés, sous forme conventionnelle en fonction des souhaits de tous et toutes. Ils comporteraient, outre les médecins, des infirmières et infirmiers, des kinésithérapeutes…, éventuellement des radiologues et chirurgiens-dentistes.

Un collectif local de santé, ou plusieurs collectifs, élaboreraient en permanence, en lien avec les Observatoires régionaux de santé, un rapport annuel sur le constat de la situation sanitaire, les exigences des besoins de la population qui en découlent et analysent l’application des décisions prises. Un contrat local de santé serait alors défini par l’ensemble des soignant.es, de la population, des centres régionaux de santé et hôpitaux départementaux ou régionaux. Ils comporteraient un projet de prévention et de soins ainsi qu’un projet de fonctionnement et de suivi.

A l’échelon de la France, un tel dispositif, justifie l’existence d’une à deux maternités de niveau II, de services de médecine et de chirurgie dits de référence, par département, et de plusieurs Centres hospitaliers universitaires, assurant formation, recherche et soins par région, selon la taille de celles-ci. La mise en route d’un tel projet sanitaire justifie la tenue d’états généraux de la santé, porteurs de cette exigence nouvelle, sources de progrès démocratiques comme de progrès sanitaires. Il faut faire des soins de proximité, plus qu’une nécessité, le point d’appui essentiel à toute politique de santé se donnant pour finalité la prévention de toute pathologie et l’accès de tous à de soins de qualité.


[1] Ancien directeur d’hôpital et ancien Inspecteur Général de la Santé

[2] Trouble ou maladie, consécutifs à la prise d’un médicament ou à un traitement médical.

[3] Terme médical désignant un processus permettant à une cellule d’englober puis de digérer une substance étrangère.

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Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternité de proximité

est née le 4 avril 2004, à Saint-Affrique, de la volonté de citoyens et citoyennes, usagers, élu.es, professionnel.les de la santé qui ont décidé de s’unir, et d’appeler à se fédérer en comités de défense pour lutter contre le démantèlement de notre système de soins