La Coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville

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Le krach des années 2007-2008 résultant des bulles immobilières , de vingt ans de dérégulation, déréglementation et de mondialisation des marchés financiers a généré une crise économique, entre autre , sans précédent dans les pays européens. Celle-ci a lourdement impacté les politiques du logement, de l’habitat, de la ville dont les victimes sont les habitant-es quels que soient leurs statuts. Il y avait urgence à construire une coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville ; elle est née en 2014 et regroupe aujourd’hui des mouvements de 18 pays.

Le titre anglais de la Coalition –European coalition action for the rights fort housing and for the city– insiste sur une dimension importante de cette création. Il s’agit d’actions, action commune sur un point unique, actions coordonnées dans le même temps dans les différents pays, mais toujours actions. Action à imaginer d’autres formes de luttes collectives et surtout inclusives.

La construction d’une telle coalition a demandé de revoir les agendas militants des différents pays, et les publics de référence d’une lutte sur le logement. Dans l’Etat espagnol par exemple, ou en Grèce, pays où la location est peu développée, les militant-es les plus actifs-ves sont les accédants à la propriété, spoliés par la crise, expulsés de logements qu’ils n’avaient pas fini de payer, et qui se retrouvent sans ressources avec le risque d’une procédure judiciaire d’expulsion. Dans ces deux pays, on se soucie aussi des projets nationaux ou municipaux de vente des espaces publics sous prétexte de renflouer les caisses des municipalités et de l’État, pour rembourser la dette illégitime. En Europe centrale et orientale, c’est surtout la réhabilitation des bâtiments des centres villes, vidés de leurs habitant-es, souvent par la violence, pour répondre aux besoins du marché touristique et favoriser l’accès à la propriété des classes moyennes. Chassant ainsi les populations fragiles économiquement pour finalement les reléguer dans des cités containers, loin de la ville. En France le combat porte surtout sur la construction de logements sociaux accessibles aux familles à faibles revenus, alors que dans d’autres pays, en Angleterre ou aux Pays Bas, le combat porte sur la mise sur le marché du logement anciennement social imposé par des décisions de la commission européenne au motif de la « libre concurrence » faussée du marché.

UN ENNEMI COMMUN : LES PROMOTEURS IMMOBILIERS, PUBLICS OU PRIVÉS

Pour construire du sens commun, mener des luttes et des solidarités, ensemble, il a fallu éviter l’éparpillement en cas particuliers et décider collectivement de se focaliser sur un ennemi commun : les promoteurs immobiliers, publics ou privés, et s’exprimer dans une enceinte symbolique du pouvoir de ces acteurs: le Marché international de la promotion immobilière (MIPIM) qui a lieu chaque année. La première mobilisation a lieu en mars 2014 à Cannes.

Quatre vingt mouvements sociaux pour le droit à l’habitat et à la ville ont été invités à rédiger, sur un modèle de fiche unique, leurs analyses des conséquences de la marchandisation du logement, de l’habitat, des espaces publics dans leurs villes et leurs territoires au nom de la lutte contre la crise financière, dénoncer les évictions dont sont victimes les habitant-es pour faire place aux immeubles théoriquement rentables, mais surtout symboliques du nouveau pouvoir financier. Nos mouvements sociaux se sont ainsi fait les procureurs des promoteurs : investisseurs, banques, cabinets d’affaires, villes et institutions publiques complices de cette politique. Les mouvements de dix pays européens ont rédigé leurs chefs d’accusation pour le tribunal du MIPIM: Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grande Bretagne, Hongrie, Pologne, Pays-Bas, Portugal, Serbie. Tous les textes sont regroupés dans une brochure éditée par la coalition.

Ces textes, et les revendications portées par les mouvements membres de la coalition, témoignent de la diversité de la thématique logement dans les luttes des habitant-es: certes il y a traditionnellement les locataires, notamment les locataires expulsés parce qu’ils ne peuvent plus payer, mais il y a aussi les mal logé-es, hébergé-es chez des amis et/ou à la rue, les sans domicile fixe, ceux qui rencontrent des difficultés pour se loger en zones rurales, les propriétaires hypothéqués , les gens du voyage, qui ne trouvent plus à se poser, les squatteurs et habitant-es d’immeubles autogérés, des centres sociaux, des quartiers informels, les roms chassés de partout. Le mouvement ne se confond définitivement plus seulement avec celui des locataires actuels ou futurs du logement social, public.

Les formes d’actions changent aussi : dans les grandes villes où se développent le mouvement, des laboratoires-actions regroupent chercheurs-ses en sciences sociales et militant-es pour analyser en commun les situations et y trouver, ensemble, des solutions appropriées.

A la réunion d’Athènes de juin 2015, puis à celle de Poznan, auxquelles participaient des associations de 15 pays, on discutait de thèmes qui n’avaient jamais été abordés sous la seule bannière du droit au logement : par exemple, que penser des cités de containers pour les pauvres, les étudiant-es et maintenant les migrant-es? Comment lutter contre la privatisation de l’espace public et les restrictions à l’accessibilité mises en place au nom de la lutte pour la sécurité? Comment lutter contre l’affectation aux touristes des centres anciens réhabilités? Comment réfléchir à la transformation culturelle qu’implique la réhabilitation y compris pour les habitant-es directement concerné-es ?

LES LOGEMENTS SOCIAUX : LA SOLUTION CONTRE LA MARCHANDISATION DE L’HABITAT

Les mouvements s’aperçoivent que sous des formes singulières dans chaque pays, les problèmes rencontrés sont les mêmes partout et intimement liés à la marchandisation de la ville, à la capture de l’immobilier dans le cycle de valorisation du capital, non plus comme habitat des salarié-es mais comme patrimoine à mettre en valeur pour les propriétaires privés. Quel est l’impact sur les habitant.e.s de cette nouvelle donne?

La PAH à Barcelone, Plate-forme des Affectés par les Hypothèques, est actuellement le mouvement le plus dynamique. Lorsqu’elle s’est constituée ? elle cherchait à organiser des négociations entre les accédants et les banques pour que les nouveaux habitant6Es restent propriétaires, au risque d’une lourde dette toute leur vie. Elle s’est rendu compte qu’il valait mieux qu’ils demandent à devenir locataires, en faisant valoir le capital déjà investi, ce qui ne pouvait se faire que dans le cadre du logement social. Elle en est venue maintenant à demander la construction massive de logements sociaux. De même, en Grèce, il n’y a pratiquement pas de logement social et on s’interroge sur la mise en place d’un bail public qui protégerait le locataire ancien accédant à la propriété. Dans tous les cas, la connaissance des expériences menées dans les autres pays soutient la discussion et l’espoir de solutions. La coalition, avec ses laboratoires d’action université-militants, entend développer une production autonome de connaissances pour l’action. Actuellement deux thèmes dominent: les luttes contre les évictions, y compris celles des camps de roms et des quartiers informels; la financiarisation du logement et de la ville. Il s’agit de laboratoires de recherche permanents, où chercheurs-ses et acteurs-trices travaillent ensemble de façon continue, et non des journées d’échanges spécialisées comme par le passé.

Lors de la rencontre de Poznan, les mouvements membres de la coalition ont décidé qu’elle ne participerait pas à la rencontre au sommet Habitat III, alors que les deux mouvements mondiaux qui participent à la coalition, HIC et AIH, y participeront. Alors que ces mouvements émettent dans ce type de rencontre des déclarations, et éventuellement des amendements aux déclarations onusiennes de synthèse, les mouvements regroupés dans la coalition, outre d’être exclusivement européens, sont plus militants et plus engagés dans des actions de terrain, telles que manifestations, désignation des immeubles vides dans une ville, actions concrètes contre le MIPIM, etc. Bien que la rencontre la plus récente dans le cadre de la préparation d’Habitat III ait eu lieu à Barcelone, la coalition, en tant que telle ,n’y a pas participé, se réservant pour d’autres formes d’action moins officielles dans cette ville.

Côté autorités européennes, la prochaine rencontre prévue est celle des ministres européens du logement le 30 mai 2016 à Amsterdam. La coalition y sera présente avec sa brochure sur le tribunal du MIPIM 2014 et celle sur les évictions en Europe de février 2016. Elle se prépare à intervenir contre une multinationale nommée Camelot et d’autres agences privées qui proposent à ceux et celles qui cherchent un logement de leur louer pour pas cher un appartement ou des bureaux vides, en échange de services, dont le gardiennage de l’immeuble. En clair, du travail dissimulé en échange d’un loyer peu cher. Cette société est en train de se répandre dans toute l’Europe avec des contrats de location sans garantie, précaires et une nouvelle forme d’exploitation des locataires. La coalition prépare un document sur les agissements de la société Camelot et ces agences privées pour la rencontre d’Amsterdam.

La rencontre du 1er au 5 juin 2016, à Milan, avait pour objet de réfléchir, à partir de l’expérience italienne des centres sociaux, sur la nécessité d’espaces collectifs autogérés en centre ville pour des pratiques sociales autonomes, et sur les modalités de cette autogestion. Il faut aussi trouver des garanties contre la fermeture de ces espaces, et l’expulsion des activités qu’ils abritent, dans le cadre de la financiarisation. Un autre enjeu est d’éviter que ces activités soient reprises, après réhabilitation et financiarisation, par des institutions, publiques ou non, avec des niveaux de participations financières qui excluent la participation des anciens habitant-es.

La coalition s’empare donc peu à peu de l’ensemble des problèmes urbains, au lieu de se cantonner comme par le passé dans la seule revendication de logements sociaux et/ou accessibles. La participation de certains membres de la PAH à la mairie de Barcelone, comme le développement, même minime, des dispositifs de démocratie participative, poussent en ce sens. L’assemblage d’une diversité de mouvements et de revendications maintient la radicalité de l’approche pour tous et toutes. La coalition ne se satisfait pas des budgets croupions confiés par les mairies pour la démocratie participative, et demande l’accès à la connaissance de l’ensemble du budget d’investissement de la ville pour avoir l’occasion de lister tous les investissements que les habitant-es ne veulent pas cautionner. C’est la reprise dans ce cadre du mouvement mondial contre les grands projets inutiles, tels l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou les aménagements de Rio de Janeiro pour le Mondial de Football et les Jeux Olympiques, entre autres.

La coalition regroupe désormais des mouvements des pays suivants : Irlande, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne, France, Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Chypre, Tchéquie, Hongrie, Pologne, Serbie, Croatie, Roumanie et Suisse. Chaque pays est représenté par plusieurs organisations, mouvements militants, associations, collectifs, groupes divers. Pour la France c’est l’AITEC, le DAL, et Halem mouvement d’habitat nomade, éphémère et mobile. En Grande-Bretagne, il y a deux mouvements qui coopèrent ensemble. En Allemagne, il y a le mouvement des locataires de la Ruhr, mais aussi des squatters de Berlin. On semble sortir de l’époque où un mouvement voulait représenter seul son pays, comme si sa forme de militantisme était la seule acceptable. Comme on l’a dit plus haut la coalition fait fond sur la diversité et sur l’unité dans l’action et, par son titre, insiste sur la dimension active.

FUTUR ÉLARGISSEMENT DE LA COALITION

Comment poursuivre l’élargissement du mouvement? Vers quels groupes chercher des alliances? Avec qui se mettre en réseau? A la différence du DAL et des mouvements européens qui défendent surtout les locataires, les mal-logés peu fortunés ou les sans abris, la coalition accueille aussi les classes moyennes tentées par l’accession à la propriété. Même s’il est de tradition de penser qu’un syndicat n’a pas vocation à représenter des gens qui ont mis un pied dans la constitution d’un capital, même si ce pied boîte, la coalition s’est appropriée la diversité des situations dans l’espace européen pour en faire une force collective. La revendication en termes de droits – droit à l’habitat, droit à la ville, droit aux espaces publics, droit à des lieux de socialisation- de démocratie, semble la meilleure manière de rassembler tout le monde dans l’unité.

L’Europe du Sud, centrale ou orientale est fortement représentée et rassemblée dans la coalition. Faut-il mieux l’ouvrir à l’Europe du Nord et à quelles conditions? Les formes de propriété ne sont pas les mêmes, elles sont souvent plus coopératives et locales, encore que dans les développements récents faits au nom du développement durable on retrouve les partenariats publics/privés et les risques individualisés. C’est précisément aux garanties pour l’habitant individuel que doit offrir toute organisation collective qu’il faut réfléchir, en se demandant quelle est la bonne échelle territoriale à mobiliser pour cela. Cela implique que la coalition s’allie aussi à des groupes de juristes.

L’exemple concret sur lequel a travaillé la coalition pour préparer la rencontre à Milan montre son nouveau mode d’intervention. Des immeubles désaffectés appartenant au Qatar ont été investis par le mouvement italien pour y installer un lieu d’échanges de savoirs (une université populaire), des pratiques solidaires (AMAP1, etc.), un centre d’échanges entre les habitant-es, dans la cité et les autres quartiers ou mouvements de la ville. A la demande du DAL, deux jeunes sont parties à Milan, via le réseau Échanges et Partenariats, pour étudier et transmettre au DAL, à AITEC et à tous les mouvements de la coalition, un rapport ouvrant le débat : Quelle place et quel intérêt, ces espaces autogérés présentent-ils dans la ville? Comment les soutenir et même les développer dans l’espace européen? Au moment où la récente loi Renzi prive du droit de citoyenneté les personnes vivant dans des espaces squattés, autogérés, une des réponses de la coalition envisagée est de constituer en réseau les espaces autogérés européens et de mener une recherche-action sur la manière dont ces espaces fonctionnent dans la ville, quelles alliances ils arrivent à y faire, comment peut-on s’appuyer sur leurs présences pour mener des luttes sur le logement, l’habitat, les besoins culturels, sociaux et démocratiques.

Autre exemple concret : pour le MIPIM 2016 à Londres les mouvements anglais ont fabriqué et distribué un faux journal, avec en première page, une déclaration du maire de Londres annonçant une réduction massive du montant des loyers. Les pages suivantes comprenaient des exemples européens écrits par les mouvements de la coalition. Il existe par ailleurs à Londres depuis des années une ZAD que les militants européens ont découvert en 2016. L’échange de savoirs, des pratiques et expériences porte ses fruits.

1 Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne.

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Annie POURRE

Annie Pourre, militante du DAL, anime le réseau international No Vox (www.no-vox.org)