Ensemble & Solidaires – UNRPA : une association qui traverse le temps

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De nombreuses associations de personnes retraitées existent en France. Elles ont été créées, pour la plupart, dans les années 1970/1980, quand le nombre de personnes retraitées a fortement progressé dabs le pays, notamment du fait de la généralisation des retraites à compter de la mise en place de la sécurité sociale en 1945/1946 et par l’amélioration de l’espérance de vie. Certaines d’entre elles sont regroupées dans une Confédération française des retraités (CFR) qui dit représenter près de 1,5 million d’adhérents et adhérentes. Ces associations se livrent notamment au lobbying en ce qui concerne les quelques revendications sociales qu’elles peuvent porter. C’est principalement à partir d’elles que, pendant des semaines en début 2023, nous avons entendu que « les personnes retraitées sont majoritairement pour la réforme des retraites portée par le gouvernement Macron ». À côté de ce genre d’associations, il en existe d’autres, historiques, qui portent des valeurs revendicatives de solidarité, et de solidarité intergénérationnelle. C’est le cas de l’Union nationale des retraités et personnes âgées (UNRPA) – Ensemble & Solidaires, qui fait partie du Groupe des 9 organisations de retraité∙es qui agissent ensemble depuis juin 2014.


Annie Dromer a commencé à militer étudiante, puis lors de ses diverses professions. Elle est actuellement secrétaire de la section de Sens, dans l’Yonne, d’Ensemble & Solidaires UNRPA. Depuis 2021, elle est membre de la Commission nationale administrative et du Bureau national de cette association. Elle représente son association au Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et participe aux réunions et travaux du Groupe des 9.


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Les Utopiques – L’UNRPA a une vieille histoire qui la rattache aux débuts même du syndicalisme chez les personnes retraitées…

Annie Dromer – Il faut se souvenir qu’avant la seconde guerre mondiale, il y avait déjà, en France, des amicales de vieux travailleurs, mais aucune d’elles n’avait de vocation véritablement nationale. La plupart ont été dissoutes par le régime de Vichy. Le 3 octobre 1944, alors que la ville de Paris n’était libérée que depuis quelques semaines, se tenait, sur l’initiative de l’Union des syndicats CGT de la région parisienne, une réunion d’une dizaine de militants de ces organisations de vieux travailleurs. Ils ont décidé de constituer une organisation réellement nationale, ayant vocation à englober toutes celles existantes, et qui s’intitulerait Union nationale des vieux travailleurs de France. Dès leur seconde réunion, le 17 octobre 1944, un cahier de revendications est élaboré. Le 16 avril 1945, l’association est déclarée à la Préfecture de police de Paris. Ces actes fondateurs font de notre association l’une des plus anciennes associations de retraité∙es et de personnes âgées du pays. Elle est directement issue des principes de solidarité nationale prônés par le Conseil national de la Résistance et se situe dans la même mouvance que la création de la sécurité sociale, du droit de vote pour les femmes et de la création du Secours populaire.

En 1949, l’union compte déjà plus de 200 sections et 75 fédérations départementales. Le retour sur les changements du nom de l’association nous permet d’imaginer aujourd’hui quelques-uns des débats qui ont animé, à l’époque, les camarades. En 1952, l’association s’appelle l’Union des vieux de France et des territoires associés. En 1962, elle devient l’Union des vieux de France, des pensionnés de sécurité sociale, économiquement faibles et rentiers viagers. En 1970, nouveau changement : Union des vieux de France. En 1980, elle devient l’Union nationale des retraités et personnes âgées (UNRPA). En 1986, est créé un Comité de solidarité vieillesse, entité sociale pour répondre à la paupérisation des retraité∙s.

En 2001, lors de la création de la Confédération française des retraités (CFR) par le regroupement de quatre associations de retraités, l’UNRPA, après en avoir débattu, a décidé de ne pas rejoindre ce regroupement, étant en divergence sur certains points. Les buts de l’UNRPA étaient notamment, et sont toujours, de développer une solidarité active, sous toutes ses formes, sans exclusive, pour la justice sociale, et de tisser du lien social. Pour y parvenir, elle peut décider de moyens d’action à conduire : pétitions, rassemblements, manifestations, interventions auprès des ministres et des groupes parlementaires, etc. Pour ce faire, elle peut s’associer à des initiatives d’autres organisations, voire les organiser en commun. Elle s’autorise à élaborer et à formuler des propositions constructives. Ces objectifs, l’UNRPA ne les a pas retrouvés dans le projet de la CFR, et elle ne l’a donc pas rejointe. En 2013, l’association prend la dénomination Ensemble & Solidaires – UNRPA.

Les Utopiques – C’est en grande partie pour répondre aux attaques des gouvernements contre la situation faite aux personnes retraitées et âgées que vous avez décidé, au printemps 2014, de vous joindre au regroupement pour agir qui était en cours de création avec plusieurs organisations syndicales de personnes retraitées ?

Annie Dromer – Oui, effectivement, en 2014 encore, nous recherchions surtout un outil pour essayer de faire aboutir nos revendications. Dès sa création ? en 1945, l’association a exprimé les revendications des « Vieux travailleurs de France ». Pendant ses premières années, l’association était confrontée à une situation économique très difficile pour la plupart de la population, et particulièrement pour les personnes âgées. Pendant les années de l’occupation nazie et du gouvernement de Vichy, la production française a été pillée au profit de l’Allemagne. Ceci avait rendu très difficiles les approvisionnements, notamment en production agricole et alimentaire. Le rationnement devint la règle. Des cartes d’alimentation furent instituées : 1200 à 1800 calories par jour, en fonction de plusieurs critères (l’activité, le lieu de résidence, le sexe, l’âge). La carte de rationnement ne garantissait pas la fourniture des aliments : il fallait encore que les produits soient disponibles. Lors de la fin de la guerre en Europe, en mai 1945, les autorités réduisirent le rationnement, puis supprimèrent la carte de pain, le 1er novembre 1945. Mais la situation économique étant très mauvaise, la carte de pain a été rétablie le mois suivant. Et, finalement, le gouvernement va rétablir des conditions de vie similaires, voire pires que sous l’Occupation. Cette situation a provoqué une accélération du marché noir. L’arrivée du plan Marshall, qui permet d’importer des produits agricoles et alimentaires des États-Unis, va réduire le rationnement. Le 1er décembre 1949, les derniers tickets de rationnement (sur le sucre, l’essence et le café) disparaissent en France. Mais ces difficultés à vivre expliquent les revendications de l’association à l’époque : « Du charbon et du pain », « Ce que nous voulons ? Du sucre ! », « Pour une ration de pain plus forte ». Dans le contexte d’après-guerre, nous trouvons des demandes qui nous semblent aujourd’hui surprenantes : un ressemelage par an gratuit, l’exonération totale de la taxe sur la TSF.

Nous pouvons dire que, depuis 1945, les revendications sont récurrentes et concernent le niveau de vie (une retraite décente), la santé, l’égalité hommes/femmes, la revalorisation des pensions face à l’augmentation des denrées (café, sucre, lait) et maintenant encore face à l’inflation, la défense des services publics, etc. Et, pour permettre la satisfaction de ces revendications, des propositions sont faites : il faut réorganiser le marché du sucre et ne plus laisser la possibilité aux margoulins du marché noir le soin d’écouler des dizaines et des dizaines de tonnes de sucre en dehors du commerce normal. Aujourd’hui encore, nous disons que « de l’argent, il y en a pour augmenter les pensions », en allant le chercher « dans les énormes bénéfices des grandes entreprises ».

En 1989 déjà, les retraité∙es étaient « des privilégié∙es » aux yeux des gouvernements de l’époque ! Dès la fin des années 1980, l’association a demandé la reconnaissance du risque dépendance. Et, depuis les années 2000, rien n’a véritablement changé : on nous parle toujours du gouffre de la sécu ; les réformes se succèdent, toujours pour sauver notre système de sécurité sociale, nous dit-on ; en vérité, pour l’achever plus vite. Les exonérations de cotisations sociales sans contreparties pour les patrons se multiplient, face à une augmentation des cotisations pour les assurés, à une hausse des coûts des soins, des médicaments du fait des déremboursements, des frais hospitaliers, de nouvelles taxes, etc.  Ce sont toujours les mêmes qui en font les frais.


Manifestation intersyndicale des retraité∙es, à Paris, le 2 décembre 2021. [DR]

Les Utopiques – L’association développe des actions sociales importantes, activité souvent inconnue de la part des organisations syndicales de personnes retraitées.

Annie Dromer – L’un des objectifs de notre association, dès sa création en 1945, a été de venir en aide aux plus démuni∙es, alors que, dans le contexte de l’époque, de nombreux produits essentiels manquaient : en multipliant les actions de solidarité, notamment par la distribution de produits de première nécessité (farine, huile, pommes de terre, sucre, café, charbon, etc.) Puis, jusqu’à la fin des années 1970, dans la dynamique du développement économique du pays, et où la situation globale des personnes âgées s’améliorait un petit peu, les actions d’entraide ont été orientées vers la solidarité de voisinage, à l’égard des personnes seules, malades ou hospitalisées, partiellement ou lourdement handicapées. C’est alors que s’ébauchent les tout premiers services de maintien à domicile (aides ménagères, soins et portage des repas), et progressivement des fédérations départementales vont s’engager dans ce type d’intervention. Mais, peu à peu, les conditions de vie des personnes âgées se dégradent de nouveau. C’est en 1986 qu’est créé le Comité solidarité vieillesse (CSV), la branche sociale de l’association. Il s’agissait notamment d’aider les adhérents et adhérentes connaissant des situations difficiles (catastrophes naturelles, accidents, maladies, hospitalisations, etc.) et de faciliter la création de services de maintien à domicile. L’objectif était aussi de soutenir la recherche médicale dans les domaines touchant aux personnes âgées et d’encourager la mise au point d’instruments d’évaluation de la dépendance. Ainsi, à plusieurs reprises, des bourses ont été accordées à des chercheurs. Le CSV a pu aussi organiser des fêtes de Noël dans des maisons de retraite et des séjours pour des groupes de personnes âgées qui n’avaient jamais pris de vacances. Aujourd’hui, compte tenu des évolutions de notre environnement économique et social et des reculs de la sécurité sociale organisés par les gouvernements successifs, les domaines d’intervention du CSV sont principalement les prothèses dentaires, les prothèses auditives, les prothèses optiques, les prothèses capillaires, l’accompagnement de conjoint malade hospitalisé loin de son domicile, etc. Notre CSV ne fonctionne qu’avec des dons des membres et des partenaires de l’association. Nous avons mis au point un barème des aides, en fonction des revenus des personnes, ce qui nous fait souvent toucher du doigt la grande détresse de nombre de nos concitoyens et concitoyennes. Ainsi, j’ai eu à traiter quelques dossiers de personnes avec 4 000 euros de revenu par an ! Cette année, après le 100 % santé, même si certains et certaines ont encore un reste à charge, nous avons pu élargir le champ de notre intervention à l’aide au culturel (sorties théâtre, cinéma, musée, etc.), avec deux objectifs : sortir de l’isolement et encourager le culturel qui est le premier poste délaissé par les retraité∙es faute de moyens.

Notre réseau de solidarité fonctionne beaucoup par le bouche à oreille : nous sommes implantés, plus ou moins, dans tous les départements, et avons environ 60 000 adhérentes et adhérents, regroupé∙es dans 600 sections (souvent plusieurs villes dans un même département). Avant la crise Covid, nous étions environ 70 000. Nous participons, dans les villes, au forum des associations qui a lieu chaque année la première semaine de septembre. Nous nous faisons connaître dans les communes, par les services municipaux (dépliants et tracts dans les mairies et les Centres communaux d’action sociale (CCAS). Nous utilisons aussi la presse locale, pour annoncer nos initiatives et pour en rendre compte (tenue d’assemblées générales, par exemple). Tout ceci fait vivre une démocratie de proximité.


⬛ Annie Dromer – Propos recueillis par Gérard Gourguechon


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