Au cœur des Gilets Jaunes du Mantois (78) par une Gilet Jaune

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Depuis la réinstallation du camp à l’entrée de la Zone industrielle (ZI) d’Epône, le 6 janvier, puis son déménagement sur un terrain agricole en bord de route à Buchelay mi-février, mon cœur est de plus en plus jaune ! Comment ne pas être impressionnée par cette organisation au quotidien, cette inventivité dans l’aménagement du camp – les fameuses cabanes en palettes – cette dynamique de partage et de convivialité, de combativité depuis des mois, et ce malgré les baisses de forme, les anicroches inévitables (comme dans une famille !) et la répression pour certain·es ! Ça repart toujours avec ce groupe d’une soixantaine de personnes actives, plutôt jeunes (30 à 45 ans), représentatives de la population mélangée du Val-de-Seine, salarié·es du privé ou du public, intérimaires, chômeur·euses, petits entrepreneurs (auto ou pas) ou artisans, avec aussi quelques retraité·es comme moi. A la question « Gilet jaune, quel est votre métier ? » ils et elles répondent « Aouh ! » « Aouh, Aouh !» comme les révoltés autour de Spartacus !

Il y a toujours de nouveaux GJ qui arrivent. Non le mouvement ne s’épuise pas : il s’enracine, il s’étend et surtout mûrit et s’organise ! Les femmes, nombreuses, sont très impliquées et animatrices malgré leurs charges familiales, leur boulot souvent précaire et lointain, les fins de mois difficiles. Certaines sont allées aux marches de femmes GJ à Paris. La plupart ne se disent pas (encore…) féministes, mais tiennent farouchement à l’égalité ; il ne faut pas leur marcher sur les pieds ! Toutes et tous ont à y gagner, dans ce formidable mouvement social. Et tout ce riche vécu est déjà une victoire, une revanche sur nous-mêmes, nos anciens renoncements, nos précédents découragements, balayés par ces cinq mois de mobilisation non-stop !

Ils et elles sont de presque toutes les manifs du samedi à Paris, Rouen, Evreux ou Caen : déjà 22 actes ! Avec la présence intrusive de la police sur les actions, le camp, la forte répression en manif ou l’espionnage sur les groupes internet, les GJ se sont vite aperçu que la police n’était pas de leur côté. Les actions locales, en semaine ou le dimanche, s’organisent de mieux en mieux : manifs dans les grandes surfaces comme Carrefour, telle celle de Mantes-la-Jolie à 500, le 16 février (une deuxième action avec convergences est prévue en mai), les opérations péages sur l’autoroute A13 ou parkings gratuits dans les hôpitaux du département. Sur un côté de la toile de bâche de la cabane des GJ de Buchelay : actions visant des multinationales fraudeuses fiscales comme début avril au McDo de Saint-Germain-en-Laye et Starbuck où les flyers d’Attac ont été appréciés et diffusés, visites d’autres groupes du 78 pour se coordonner, rencontre avec des cheminot.es de Paris-Saint-Lazare et Mantes, réunions pour se former et débats publics pour informer, échanger. Sans oublier la fabrication de banderoles et de tracts.

La structuration et la communication se veulent souples, ouvertes, démocratiques et sans chefs, même si ce n’est pas toujours si facile : AG hebdomadaires, autour des braseros ou dans la magnifique agora construite en palettes, goûter ouvert certains dimanches, groupes de travail – internet ou pas – par thèmes (RIC, démocratie et constituante), par petites villes du secteur (Meulan, Aubergenville, Rosny), ordres du jour, comptes-rendus, animation et rotation des rôles pour les AG, gestion de la page Facebook comptant 4 300 membres, rapports avec les médias, projets d’actions de désobéissance pacifique et de communication (un journal local) préparés sur des groupes Facebook privés ou cryptés… Et bien sûr le film J’veux du soleil est et sera projeté avec débats dans le 78, car il est un vrai miroir du mouvement à un moment donné, donnant sa vraie réalité autre que de celle des médias dominants, sa spécificité et sa richesse humaine.

C’est l’imagination qui prend le pouvoir sur fond d’auto-éducation populaire ! La conscience de la nécessaire coordination locale, départementale (12 groupes GJ dans 78), régionale (en allant parfois aux AG Ile-de-France) et nationale (l’appel de Commercy et l’Assemblée des assemblées de St Nazaire interpellent) fait son chemin petit à petit. Il en est de même pour la convergence autre que symbolique avec les salarié.es et syndicats des entreprises locales (Renault-Flins, Brico-dépôt qui va fermer, hôpitaux, SNCF, établissements scolaires, raffineries…) et d’autres mouvements locaux donc celui pour le climat ou la défense des écoles (contre la loi Blanquer). Ainsi, la réflexion sur le système politique et économique, la politisation dans le sens noble du terme, avancent de façon incroyable pour la grande majorité très méfiante au début vis à vis de « la politique », ressentie comme forcément politicienne ; même chose vis-à-vis des syndicats et autres organisations pour ceux et celles n’ayant probablement jamais fait ni grève ni manif, ni réunions, mais découvrant l’ampleur et la force potentielle de leur mouvement social. Du jamais vu ni vécu depuis 50 ans (1968), ébranlant en quelques semaines et pendant plusieurs mois, un pouvoir des plus durs qu’il soit ! Quelle qu’en soit l’issue, les graines jaunes sont semées. Et pour la plupart des GJ, plus rien ne sera jamais comme avant ! Pour moi non plus ! Le soleil jaune se lève et se couche aussi en rouge… 

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Fabienne LAURET

Née en 1950 dans les Yvelines (78), Fabienne est d’abord ouvrière mécanicienne à partir de 1972 et ce, pendant onze années ; elle devint ensuite bibliothécaire à la médiathèque du Comité d’Entreprise, toujours à Flins, jusqu’à son départ en retraite en 2008, après 37 ans d’activité dans l’entreprise. Fabienne fut en même temps que militante politique et antiraciste, militante et déléguée CFDT, une féministe engagée. Fondatrice du MLAC2, elle dut gérer les réactions de l’ancienne équipe chrétienne issue de la CFTC. Elle décrit au quotidien, les grèves, la condition des immigré.es, la vie d’usine à la couture des sièges de voiture, les contradictions syndicales, les espoirs et les défaites. On sait la difficulté à écrire des ouvrier.es qui ne bénéficient pas des facilités scolaires. C’est encore plus vrai des ouvrières souvent cantonnées à la « double tâche » des travaux d’usines et des travaux domestiques ce qui laisse peu de temps pour écrire. Il en existe tout de même (Dorothée Letessier, Monique Piton, Aurélie Lopez, Sylviane Rosière…) et aussi quelques mémoires d’établies. Mais en termes de témoignages, les ouvrières devenues écrivaines, souvent cantonnées dans des ateliers spécifiquement féminins, parlent peu des relations hommes/femmes qui existent à l’usine. Ce n’est pas le cas de Fabienne : ses descriptions, sans concession, des relations parfois difficiles entre ouvriers et ouvrières sont une richesse pour la connaissance du monde ouvrier.