Racisme, religions et émancipation sociale

Partagez cet article

Le racisme est incompatible avec le progrès social

Evidence ? En ces temps de troubles idéologiques savamment orchestrés par certains courants hyperactifs sur Internet, il est utile de le repréciser. D’autant que l’accompagnement des campagnes racistes et discriminatoires est parfois involontaire, faute d’analyser – au-delà des faits immédiats et des principes intangibles – le contexte, les rapports de dominations ou encore les rapports de force sociaux et politiques du moment ; autant d’éléments qui doivent déterminer où placer le curseur de nos réponses. Parfois involontaire mais faute de… Le premier terme ne saurait annuler le second. Mais à l’inverse, au sein du mouvement social pour l’émancipation des femmes et des hommes, qui est divers, ne tombons pas dans un des pièges que tendent les ennemis de la liberté : celui des invectives et ruptures motivées par des désaccords quant aux expressions des uns, des unes et des autres, alors même que sur le fond l’accord demeure.

Du burkini à un stage antiraciste

On se rappelle de « l’affaire du burkini » lors de l’été 2016: en réalité, un fait divers repris, déformé, amplifié par les médias. C’était, avant tout, un nouvel épisode d’une campagne raciste et discriminatoire. Dire cela, c’est définir à quoi nous devions répondre en priorité. Les droits des femmes, le rapport entre religions, réaction, évolution et révolution, ou encore la pertinence des initiatives visant à rassembler une minorité sur la base des discriminations qu’elle subit et veut combattre : voilà autant de sujets extrêmement importants mais qui, dans ce contexte, ne devaient pas être traités en passant sous silence le fait principal. Il en est de même lorsqu’un ministre prétend décider le contenu et la forme d’un stage syndical : ceux-ci peuvent être source de débat entre nous (en prenant garde à ce qu’ils soient fondés sur la réalité, pas sur ce qui se raconte ici ou là), il n’en reste pas moins que la réponse immédiate doit être de faire front face aux inacceptables ingérences.

Des questions pas si nouvelles que ça !

Solidaires, janvier 2015

Dans ce type de situations, il en est de même à chaque fois : à écouter et lire certaines prises de position, il semblerait que chacun et chacune soient sommés de choisir entre seulement deux alternatives : soit réagir à la campagne raciste et dans ce cas passer sous silence les remises en cause des droits des femmes ou les méfaits des religions, soit rappeler ces situations en gommant le danger des attaques racistes en cours. Parmi bien d’autres, voilà quelques exemples qui devraient nous suggérer fortement qu’une autre voie est possible. Au début du 20ème siècle, fallait-il considérer les campagnes anti-juives comme de peu d’importance, au nom de la lutte antireligieuse ? Au cours de ce même siècle, devait-on se désintéresser des mouvements anticolonialistes au prétexte qu’ils risquaient de déboucher sur des régimes politiques différents de ceux auxquels nous aspirons ? Ou encore : au nom du combat commun qui nous rassemble, est-il juste de refuser à certains et certaines de s’auto-organiser sur la base de groupes spécifiques, dès lors qu’il s’agit ainsi de contribuer à la lutte d’ensemble tout en prenant en compte des oppressions, et donc des nécessités d’émancipation, particulières ? Toujours cette même grille d’analyse : les positions de fond, le contexte, les rapports de forces, les interactions entre différentes prises de décision au sein du mouvement social…

Les arrêtés anti-burkini, comme bien d’autres faits et déclarations, sont scandaleux car ils visent à renforcer la stigmatisation de ce qui est défini comme « la population musulmane ». Passons sur l’immense hypocrisie des politiciens et politiciennes qui mettent en avant des « valeurs » qu’ils et elles prétendent défendre du fond de leur cœur, alors qu’ils et elles les piétinent allègrement à travers leurs agissements quotidiens. Puisqu’il est question de « population musulmane », il faut donc comprendre que cette « République laïque », qu’ils et elles disent protéger, se définit à travers un découpage entre « populations, musulmane, catholique, juive, bouddhiste, protestante… » ? Et qu’accessoirement, il y aura donc des arrêtés pour interdire les plages aux cornettes ou aux kippas ? Dans les deux cas, à l’évidence, non. Du moins, pas dans cette période. Ce qui est aujourd’hui recherché, c’est l’assimilation entre « population musulmane » et « terroristes » (plus précisément « assassins », car le qualificatif de terroriste est sujet à fluctuation au fil de l’Histoire : encore le contexte, les rapports de force, etc.). Le pouvoir et ses alliés accentuent ainsi les fractures et le racisme au sein de la société ; il fait le jeu des sectes criminelles qui recrutent sur fond de haine nourrie par un sentiment de rejet. Quel est le rapport entre une femme voilée et les massacres de djihadistes ? Fallait-il interdire les soutanes et les rassemblements pour communier quand l’Eglise catholique était alliée aux assassins de masse comme Franco, Pinochet et autre Videla, ou que le pape condamnait à mort des millions de personnes par ses propos insensés sur le sida ? La campagne actuellement menée se traduit par des actes de violence et des politiques racistes ; une partie de la population est spécifiquement visé. C’est un constat fondamental qui doit guider nos réponses.

Qui connaissait le burkini avant la tempête médiatique ?

A l’origine, il y a une initiative privée à Marseille et une bagarre en Corse dont il s’est vite avéré qu’elle n’avait aucun rapport avec ce sujet ; et sans doute quelques femmes en burkini, si nombreuses et menaçantes que personne ne s’en était aperçu jusqu’à la mi-août 2016 ! De là, nous sommes arrivés à des arrêtés pris par les maires de plusieurs villes et à une avalanche de déclarations de « responsables » politiques de tout bord, premier ministre de l’époque en tête. Le déferlement médiatique déforme la réalité. La publicité faite autour de ce vêtement a sans aucun doute contribué à son développement ; mais cela reste totalement marginal. C’est donc sur un problème qui, en réalité, ne se pose pas que toute la société est amenée à se positionner ! Porter ou pas un burkini sur les plages françaises est une affaire individuelle. Affirmer cela n’empêche pas de rappeler et soutenir le combat des femmes d’Iran, d’Arabie saoudite et d’autres régions du monde qui se battent, et sont férocement réprimées, parce qu’elles veulent s’habiller comme elles l’entendent, être libres d’avoir leurs cheveux au vent. A ce propos, on se souvient de la servilité de Ségolène Royal, religieusement voilée lors de sa visite de représentante de commerce de l’Etat français à Téhéran ; contraste saisissant avec les hôtesses d’Air France qui avaient refusé cette contrainte quelques mois auparavant, et avec les femmes iraniennes qui ne se plient pas à ce diktat et sont victimes de la répression. Par ailleurs, redire le droit de chaque femme à se vêtir comme elle le veut, n’est pas incompatible avec le rappel et la dénonciation du fait qu’en France aussi des femmes sont victimes d’une oppression de nature religieuse.

Les religions, toutes, freinent le combat pour le progrès social.

Il ne s’agit pas de nier l’apport de certains courants religieux à des moments donnés dans des luttes et des évolutions sociales et politiques ; ni, à l’inverse, de limiter à l’analyse à la liste des massacres commis au nom de diverses religions dans l’histoire de l’humanité. « La religion est l’opium du peuple » a écrit Karl Marx ; sans doute y en a-t-il bien d’autres, mais le constat est juste. Par leurs formes hiérarchiques, leurs discours dogmatiques, leurs règles normatives et le renvoi à un monde meilleur après la mort, les institutions religieuses sont de puissants facteurs d’aliénation. Toutes ont été inventées, développées et dirigées par des hommes et elles perpétuent activement la domination patriarcale, les inégalités de genre. Il n’est pas inutile de rappeler aussi qu’elles sont souvent à la pointe de combats réactionnaires en matière de liberté sexuelle. Tout ceci ne signifie nullement qu’il faille interdire ces croyances et les pratiques rituelles qui y sont attachées. D’ailleurs, comment pourrait-on interdire des croyances ! Pour autant, le mouvement social a la responsabilité d’en dire les dangers vis-à-vis des luttes émancipatrices.

On peut combattre politiquement les religions, dont la musulmane, et dénoncer les campagnes haineuses et discriminantes lancées en partie sous ce prétexte. C’est une erreur de laisser ce légitime et indispensable combat aux seuls défenseurs de la religion ; c’en est une autre, d’abandonner la critique de la religion pour cause d’antiracisme. Il n’est pas acceptable que des personnes soient discriminées en raison de leur religion (supposée ou réelle) ; dénoncer les actes et les messages antisémites ou antimusulmans ne signifie pas défendre le judaïsme ou l’islam. De même, pourquoi nier que du racisme « anti-arabe » on a glissé vers un racisme « antimusulman » ? C’est bien cette catégorie, réelle ou supposée, qui est dénoncée comme globalement incompatible avec « l’identité nationale », « la république », le « vivre ensemble » (les termes changent, mais ils demeurent dans la même logique et la même hypocrisie). Mais là encore, ne simplifions pas à l’excès : prenons garde à ne pas taire, voire interdire, la critique antireligieuse au nom de l’antiracisme, à ne pas voir dans tout acte raciste un acte antireligieux, bref à ne pas enfermer une partie de la population dans une catégorie religieuse (qui plus est, souvent supposée sans être connue avec certitude).

Notre corps nous appartient ! (slogan, et vérité, des mouvements féministes).

Ce n’est certes pas le caractère premier de la campagne anti-burkini, mais il faut relever son indéniable aspect sexiste. De la lutte contre les seins nus à la fin du siècle dernier à l’actuelle dénonciation de la couverture du corps, ce sont toujours les femmes qui sont attaquées, les femmes à qui les hommes dictent ce qu’elles doivent porter, enlever, remettre, … acheter.

La laïcité ne fait pas de miracles

La laïcité est un simple compromis pour résoudre les tensions que créent dans la société les institutions religieuses. Les bases de ce compromis sont : la séparation des Églises et de l’État ; le droit pour toutes et tous de changer de croyance ou ne pas « croire » ; l’absence de droits et de devoirs pour tous et toutes liés à une croyance religieuse ; l’absence d’institution officielle spécifiques liée à la religion, par exemple en matière de justice ou d’enseignement. La laïcité n’est donc pas une valeur universelle, simplement un compromis, qui n’est d’ailleurs pas appliqué intégralement. Nous sommes toutefois confrontés de plus en plus souvent à une offensive raciste qui se pare de laïcité : Quand le FN, la droite ou la gauche prétendent défendre la laïcité en stigmatisant les musulmans, il ne s’agit pas de s’en prendre à une religion qui imposerait son pouvoir sur la société, mais seulement d’utiliser les sentiments racistes et xénophobes latents, pour détourner la colère populaire des véritables responsables de la crise. Nous devons être solidaires de celles et ceux qui sont confronté.es à l’islam instrument de domination de classe et de genre ; cela n’implique pas de s’en prendre à celles et ceux pour qui la religion est le marqueur d’une minorité opprimé. L’islamophobie qui sévit actuellement en France est une survivance de la politique de domination de l’Etat post colonial, qui vise à stigmatiser l’ensemble des populations issues d’Afrique du nord et d’Afrique noire. L’extrême-droite française, de plus en plus souvent relayée par la droite et la gauche « républicaines », est à l’offensive sur ces questions et distille dans la société un sentiment de peur permanente qui désigne le paria sous les traits imprécis du « musulman ». Le combat contre l’islamophobie, au même titre que celui contre l’antisémitisme, fait partie intégrante de notre combat. Il n’annule pas celui contre l’obscurantisme religieux.

Resserrer les rangs… Mais quels rangs ?

Pendant qu’on parle du burkini, on ne cause pas du chômage, des guerres, de l’exploitation de ceux et celles qui travaillent par ceux et celles qui dirigent, de la répression des mouvements sociaux, des inégalités que génère le capitalisme, etc. Lutter contre le racisme et les discriminations passe aussi par la relance des mouvements sociaux permettant de causer des vrais problèmes !

Face aux massacres commis sur le territoire français (d’autres horreurs, ailleurs dans le monde, nous préoccupent moins), on nous appelle régulièrement à « l’unité nationale », même si c’est sous des vocables différents. Sur ce sujet, plutôt que de paraphraser, on peut se reporter à ce qu’écrivait l’Union syndicale Solidaires au lendemain des meurtres commis à Charlie-Hebdo, le 7 janvier 2015 : […] Nous combattons les fanatismes religieux. Les assassins ont clamé agir au nom d’un Dieu. L’Union syndicale Solidaires respecte le droit de croire ou non de chacun et chacune, mais nous savons aussi qu’à travers l’histoire, nombre de massacres ont été perpétrés au nom de diverses religions. Le fondamentalisme religieux est un danger pour l’Humanité. Nous agissons contre les discriminations. Ces assassinats font le jeu de tous les ennemis de la liberté dont la volonté est de stigmatiser des individus et groupes, en fonction de leur origine, de leur culture, de leur religion. L’Union syndicale Solidaires refuse ces amalgames honteux et dangereux. Elle ne participera pas à une « union nationale » qui désignerait un ennemi bouc-émissaire incarné par telle ou telle « communauté ». Nous refusons toutes les politiques réactionnaires. Ces assassinats font le jeu de toutes les forces réactionnaires et des politiques impérialistes, qui l’utilisent pour construire une société toujours plus policière et prônent une unité nationale qui rassemblerait exploiteurs et exploités. L’Union syndicale Solidaires ne combattra pas pour la liberté et l’égalité aux côtés des ennemis de la liberté et de l’égalité […]

Christian Mahieux.

Christian Mahieux
Les derniers articles par Christian Mahieux (tout voir)

Partagez cet article

Christian Mahieux

cheminot à la Gare de Lyon de 1976 à 2003, a été notamment secrétaire de la fédération SUD-Rail de 1999 à 2009, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires de 2008 à 2014. Il est aujourd’hui membre de SUD-Rail et de l’Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne. Il participe à l’animation du Réseau syndical international de solidarité et de luttes, ainsi qu’au collectif Se fédérer pour l’émancipation et à Cerises la coopérative. Il a été objecteur-insoumis au Service national, membre du mouvement d’objection collective des années 1970/80.