L’état d’urgence, seconde nature de l’État

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« Années grises pour éviter qu’elles ne deviennent noires ; Années qu’on pouvait regarder en disant : C’est encore possible et ils n’ont rien vu ; ils n’ont rien fait’. » Marc Bloch

Les attentats du 13 novembre 2015, par leur violence et leur soudaineté, ont mis le pays en état de choc avec un effet de sidération qui va continuer à s’exercer. Une telle situation doit-elle pour autant entraîner la mise en place de mesures exceptionnelles ? La réponse du président de la République a été immédiate : « Il s’agit d’actes de guerre contre la France et ses valeurs ». Et en une semaine seulement, se fondant sur la loi du 3 avril 1955, il a présenté au Parlement une « loi relative à l’état d’urgence », votée le 20 novembre à la quasi-unanimité, avec prorogation de l’état d’urgence pour trois mois à compter du 26 novembre, soit jusqu’au 26 février 2016, à nouveau pour trois mois jusqu’au 26 mai, puis une troisième fois jusqu’au 26 juillet1, faisant de la police le maître du jeu. Dans la foulée, les autorités ont informé le secrétaire général du Conseil de l’Europe que les mesures adoptées étaient « susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention Européenne de Sauvegarde des Libertés et des Droits de l’Homme », ce que permet son article 15. « L’état d’urgence, c’est la suspension de l’autorité judiciaire » rappelle l’avocat Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme. Entre droits fondamentaux et sauvegarde de l’ordre public, l’état d’urgence c’est le déséquilibre revendiqué au profit de la sauvegarde de l’ordre public. Nous sommes dans la violence d’Etat.

Dans le numéro de décembre 2015 du Monde Diplomatique, Patrick Baudouin, ancien président de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, s’alarme du « large panel de mesures coercitives » mises en place et des « risques de dérives » : couvre-feu, perquisitions à toute heure, contrôle encore renforcé d’Internet, fermeture de lieux publics, interdiction de manifester, assignations à résidence avec obligation de demeurer au domicile imparti douze heures d’affilée, extension de la mise sous surveillance électronique, dissolution d’associations ou de groupements de fait dont l’activité porte atteinte à l’autorité publique. Et la juriste Danièle Lochak de nous mettre en garde. Pour elle, « la nécessaire proportionnalité est dépassée ; avec le développement des écoutes, des surveillances, des assignations à résidence et des perquisitions, la police et la justice ont tissé une énorme toile d’araignée sur l’ensemble de la population au risque de toucher des personnes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme mais qui ont le tort d’être musulmanes » (Le Monde, 28 novembre 2015).

Musulmanes : cela nous renvoie aux origines coloniales de l’état d’urgence. La paternité de ce nouvel état d’exception qu’est l’état d’urgence revient à Maurice Bourgès-Maunoury, le ministre de l’Intérieur du gouvernement radical-socialiste d’Edgar Faure, pour faire suite aux évènements sanglants de la Toussaint 1954 qui marquèrent le début de la guerre d’indépendance en Algérie : mais sans proclamer l’état de siège qui aurait impliqué de transférer ces pouvoirs à l’autorité militaire et conduit à traiter comme des soldats les combattants du FLN que les autorités qualifiaient de « criminels » car autrement, cela serait revenu à admettre que l’Algérie avait basculé dans la guerre. « Il est apparu nécessaire de créer un dispositif juridique qui, tout en laissant aux autorités civiles l’exercice des pouvoirs traditionnels, renforce et concentre ceux-ci de façon à les rendre plus adaptés à des évènements ayant un caractère de calamité publique, susceptibles de mettre en danger l’ordre public ou de porter atteinte à la souveraineté nationale.. Le dispositif porte le nom d’état d’urgence ». La loi fut votée le 3 avril 1955 par 379 pour et 219 contre (communistes et socialistes essentiellement), malgré les mises en garde du député SFIO de l’Aude, Francis Vals : « L’histoire nous montre que toutes les lois d’exception, telles que les lois scélérates votées en 1893-94 au lendemain d’une série d’attentats anarchistes, ou la loi sur l’état de siège prévue pour défendre la République et qui fut utilisée en 1852 pour permettre le coup d’état napoléonien, et en 1871 pour écraser la Commune, sont par la suite détournées de leurs buts primitifs ».

Le dispositif mis en place inquiète d’autant plus qu’il substitue à la notion d’ « activité » celle de « comportement ». Le texte précise en effet qu’ « il doit exister des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne constitue une menace pour la sécurité de l’ordre public » et évoque « les personnes qui ont attiré l’attention des services de police ou de renseignement par leur comportement, leurs fréquentations, leurs propos». Au nom d’une conception prédictive de la justice, la loi contraint ainsi des individus non parce qu’ils s’apprêteraient à commettre des délits mais parce qu’ils seraient susceptibles d’en commettre ! On est en plein arbitraire.

La filiation de cette logique de suspicion fondée sur des pronostics, par opposition à une logique d’accusation fondée sur des preuves, c’est la loi relative à la rétention de sûreté adoptée le 25 février 2008 et dont l’abrogation comptait au nombre des engagements électoraux non tenus du candidat Hollande en 2012. Nous sommes dans l’intentionnalité. L’éminente professeure de droit Mireille Delmas-Marty, dans un entretien paru dans le numéro 20 de la revue Traces d’avril 2011, rappelle que ce texte s’inspire d’une loi allemande de 1933, une des rares lois de la période hitlérienne non abrogée, tombée en désuétude, puis ranimée et validée par la Cour constitutionnelle allemande en 2004… après les attentats du 11 septembre 2001. Elle indique avoir été « choquée en ce qu’elle permet de priver une personne de sa liberté pour une durée indéterminée, non pas sur le fondement d’infractions pénales strictement délimitées, mais sur le fondement d’une “dangerosité”, c’est-à-dire d’un concept imprécis, impossible à définir ». Cette monstruosité juridique contrevient en effet directement au principe de légalité des délits et des peines en vertu duquel la coercition pénale n’est admissible qu’en réponse à la commission d’un acte délictueux : c’est la négation de la présomption d’innocence.

Cette loi d’exception du 20 novembre 2015 était-elle vraiment nécessaire compte tenu de l’arsenal législatif existant depuis 1986, date à laquelle pour la première fois le mot « terrorisme» est entré dans le code pénal, avec l’empilement d’une quinzaine de lois, toutes déjà exorbitantes du droit commun ? Citons parmi les principales : 1986, création de la justice antiterroriste ; 1995, délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; 2001, loi consacrée au financement du terrorisme ; 2012, loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ; 2014, loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Cette loi du 9 mars 2014, qui prévoit un régime d’enquête et d’instruction à propos de la délinquance organisée, qualifie l’infraction de terrorisme d’infraction « dérivée », c’est-à-dire qu’elle se greffe sur des crimes et délits de droit commun dès lors qu’ils sont commis « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », au terme de l’article 421 du Code pénal. Ce qui implique tout de même l’existence de faits qui doivent être démontrés pour déterminer si l’infraction terroriste a été commise. Mais par contre, rien n’interdit de voir l’infraction d’ « association de malfaiteurs terroristes » utilisée pour poursuivre tel ou tel mouvement politique ou syndical : ainsi, dans l’affaire dite de Tarnac, la qualification initiale d’ « infraction à caractère terroriste » s’est avérée largement abusive, la cour d’appel de Paris requalifiant, dans son arrêt du 28 juin 2016, en simple délit de « dégradation en réunion ». Ce qui a toutefois permis pendant les sept années qu’a duré l’instruction d’appliquer la législation d’exception anti-terroriste spécifique, notamment la possibilité de prolonger la garde à vue jusqu’à six jours et de faciliter les perquisitions.

Toutes ces lois dessinent les contours d’une véritable justice d’exception qui tend ainsi à devenir la règle. Le pouvoir n’en a cure et a saisi le Conseil d’Etat en reprenant à son compte une proposition formulée par la présidente du Front National, Marine Le Pen, approuvée par Nicolas Sarkozy, de créer des centres de rétention pour les 20 000 citoyens français fichés « S » , c’est-à-dire susceptibles de porter atteinte à la Sûreté de l’Etat (une grosse moitié au motif d’une radicalisation islamiste, une autre pour militantisme politico-syndical ou hooliganisme) allant ainsi plus loin que le camp de Guantanamo qui ne concerne pas les citoyens américains : la loi peut-elle prescrire l’internement administratif de personnes qui n’ont jamais été condamnées ? Et ce, sur la base d’un fichage qui, de l’aveu même du ministre de l’Intérieur du moment, Bernard Cazeneuve, « permet de suivre le comportement de gens qui n’ont commis aucune infraction pénale mais peuvent en commettre » (Le Monde, 9 décembre 2015). Bienvenue à Gattaca2 !

Le 17 décembre, le Conseil d’Etat a rendu sa décision : il a estimé que dans le cadre constitutionnel actuel, il n’est pas possible de priver de liberté des personnes faisant l’objet d’une fiche S. « Dans le cadre constitutionnel actuel » : ce n’est donc pas pour lui une position de principe… Aussi n’est-ce pas un hasard si le juge judiciaire, garant des libertés au terme de la Constitution, se voit de plus en plus relégué au second plan au bénéfice du juge administratif, chargé du contentieux lié à l’Administration, sachant que la juridiction administrative suprême est justement constituée par le Conseil d’Etat qui porte une double casquette, à savoir la coexistence en son sein de fonctions d’une part contentieuse par les décisions rendues, et d’autre part consultative en tant que conseil du gouvernement ; ce qui pose problème. Raison pour laquelle il est dans le collimateur de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui émet régulièrement des doutes sur cette double qualité, en se fondant sur les principes d’impartialité et d’indépendance de toute juridiction. Ce qui a amené le professeur de droit constitutionnel, Dominique Rousseau, dans son ouvrage « Radicaliser la démocratie », à prôner sa suppression au profit d’une chambre administrative au sein de la cour de Cassation car pour lui, le Conseil d’Etat « continue de développer une pensée d’Etat et de parler avec des mots de l’Etat, alors que la France a besoin d’une pensée de la société avec des mots de la société ».

Le Président de la République a alors voulu inscrire l’état d’urgence dans la Constitution en créant un nouvel article 36-1. Selon les partisans de cette idée, constitutionnaliser l’exception permettrait de gérer des circonstances exceptionnelles dans un cadre légal : une constitution doit prévoir toutes les situations qui pourraient porter atteinte à la garantie de la liberté des citoyens et citoyennes, arguent-ils. A rebours d’un certain nombre de ses collègues, le professeur de droit constitutionnel Olivier Beaud n’est pas de cet avis. Pour lui, « l’opposition entre le constitutionnalisme et l’état d’exception est irréductible. L’état d’urgence est une mesure d’exception qui doit rester dans le domaine de la loi. La banaliser ne serait pas un progrès pour la démocratie. Une constitution sert à organiser et limiter le pouvoir alors que tout état d’exception « dynamite » l’ordre constitutionnel en y inscrivant des dérogations. Ces dernières peuvent être rendues nécessaires par les circonstances mais ne peuvent être légitimées par l’idée d’Etat de droit car elles constituent des atteintes à des droits et libertés garantis. La Constitution ne saurait tout prévoir. L’état d’urgence doit rester dans le domaine de la loi qui doit être réactive en s’adaptant à telle ou telle situation. Pas la Constitution. L’état d’urgence contient par ailleurs deux dangers sérieux d’arbitraire : le premier, c’est l’utilisation abusive des pouvoirs d’exception accordés à la police, le second, c’est la prorogation répétée de plusieurs états d’urgence au risque d’en faire un état permanent. » (Le Monde, 2 décembre 2015). Il ne croyait pas si bien dire !

Le 30 mars 2016, François Hollande a renoncé à toute révision constitutionnelle : « J’ai décidé de clore le débat constitutionnel… un compromis me parait hors d’atteinte. » En effet, outre l’état d’urgence, il voulait inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux, ainsi qu’il l’annonçait le 16 novembre 2015 devant le Congrès réuni à Versailles. Ce qui est une manière de dire que les français par acquisition ne sont pas vraiment français et sont les seuls ciblés car les français par naissance ne peuvent pas être déchus de la nationalité française. Consulté par le gouvernement, le Conseil d’Etat dans sa décision du 11 décembre 2015 précisait : « Si devait être instituée la déchéance de nationalité française pour les binationaux condamnés pour des faits de terrorisme, le principe de cette mesure devrait être inscrit dans la Constitution, eu égard à son risque d’inconstitutionnalité. » Plus hypocrite que le Conseil d’Etat, tu meurs ! Et de poursuivre : « Une telle mesure se heurterait à un éventuel principe fondamental de la République interdisant de priver les français de naissance de leur nationalité car celle-ci représente un élément constitutif de la personne ».

L’Assemblée nationale a dans ces conditions tenté de biaiser en votant le 10 février 2016 la déchéance de nationalité pour les français condamnés pour « crime ou délit constituant une atteinte grave à la vie de la nation ». Mais la déchéance de nationalité ne doit jamais conduire à faire d’un individu un apatride, l’apatridie étant considérée comme une atteinte directe aux droits fondamentaux des individus, étant donné le mode d’organisation institutionnel étatique de notre monde contemporain. Le Sénat a alors décidé de façon machiavélienne de revenir le 17 mars à la version proposée par le Président de la République lui-même, en la réservant aux seuls binationaux « en cas de crimes terroristes », interdisant par là-même toute révision constitutionnelle puisque les deux chambres doivent se mettre d’accord sur le même texte. Le vin étant tiré, il fallait le boire, et pour tenter de faire porter le chapeau à la Droite, François Hollande a donc décidé de renoncer également à la constitutionnalisation de l’état d’urgence.

Intervient dans ces conditions la loi du 3 juin 2016, dite Loi Urvoas, « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité de la procédure pénale ». Objectif principal : renforcer l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée, et notamment le terrorisme. Il s’agit en réalité d’une loi fourre-tout qui ne fait que rajouter des exceptions aux exceptions, de sorte qu’on en perd le fil, et surtout le principe. Parmi ses principales dispositions :

  • Les perquisitions de nuit seront possibles dans des locaux à usage d’habitation lorsque la condition d’urgence sera remplie.

  • Les Officiers de Police Judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme pourront, sur simple autorisation du procureur de la République valable 48h, et donc sans aucun contrôle du juge du siège, recourir à la surveillance, à l’infiltration, aux écoutes téléphoniques, à l’interception de correspondances électroniques, à la sonorisation et à la captation d’images, à l’intrusion informatique et au dispositif IMSI-Catchers3, ces fausses antennes qui permettent d’intercepter les conversations téléphoniques.

  • Renforcement des pouvoirs de police pour les contrôles d’identité :

  • en cas de contrôle de police judiciaire d’identité, l’inspection visuelle et la fouille de bagages de véhicule se font sur réquisition écrite du procureur de la République, et il faut l’assentiment de la personne ;

  • en cas de contrôle de police administrative, sur autorisation du Préfet – représentant direct du Pouvoir -, écrite et motivée, lorsque l’inspection a lieu « à proximité d’établissements, d’installations ou d’ouvrages sensibles », l’autorisation ne devant pas dépasser 12h et avec information sans délai du procureur : mais elle se fait, elle, sans assentiment de la personne.

Il s’agit donc d’un nouveau régime de perquisition administrative, sachant que la notion d’installation ou d’ouvrage sensible est particulièrement floue, donc d’autant plus inquiétante.

  • Rétention des personnes à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité : une personne, dont il y a « des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités terroristes, ou est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement », peut être retenue « le temps nécessaire à l’examen de sa situation » jusqu’à 4 heures. Compte tenu du caractère trop imprécis des raisons avancées et de la non-assistance par un avocat, on donne une fois de plus à l’autorité administrative des facultés qui relèvent de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, sans y apporter les garanties relatives à l’exercice des droits de la défense.

  • A propos de l’autorité judiciaire justement : on recourt de moins en moins au juge d’Instruction, en élargissant le champ des actes possibles en enquête préliminaire, renforçant la suprématie du Parquet, soumis à l’autorité du ministre de la Justice, qui en maîtrise unilatéralement le processus, mettant la défense, qui ne peut intervenir sauf en phase terminale, devant le fait accompli alors que l’instruction permettait le caractère contradictoire de la procédure et l’avocat pouvait demander l’accomplissement d’actes qu’il estimait nécessaires pour la défense de son client. Certes, le procureur est censé agir sous le contrôle d’un juge du siège, à savoir le Juge de la Liberté et de la Détention, mais en pratique ce JLD n’est qu’un paravent car il va être amené à autoriser des actes sans connaître les détails de la procédure, n’ayant pas le temps de lire l’intégralité des « pavés » qui s’y rapportent.

  • Le fait de reproduire, transmettre, communiquer des actes ou messages faisant l’apologie du terrorisme constitue une nouvelle infraction.

  • Le fait de consulter habituellement des sites de propagande terroriste est une incrimination autonome : ce comportement est donc à la fois une infraction et un élément constitutif de l’infraction d’appartenance à un groupe terroriste. Quid du journaliste ou du chercheur enquêtant ou travaillant sur ce sujet ?

  • En matière de droit de la peine, la réclusion dite réellement perpétuelle est applicable aux crimes terroristes, avec une période de sûreté incompressible de 30 ans.

  • Le plus grave : extension du cadre légal de l’usage des armes. Les policiers municipaux pourront être autorisés par le Préfet à porter une arme sur simple demande du maire ; la voie est ainsi ouverte à leur armement généralisé. Les forces de police judiciaire et administrative, en l’absence des conditions déjà existantes justifiant l’état de nécessité ou la légitime défense, pourront faire l’usage de leurs armes lorsque ceci « est absolument nécessaire pour mettre hors d’état de nuire une personne venant de commettre un ou plusieurs homicides volontaires et dont il existe des raisons de penser qu’elle est susceptible de réitérer ces crimes dans un temps très voisin des premiers actes ». La condition de « nécessité » est sujette à interprétation et la notion de « raisons de penser » est particulièrement subjective : le risque de devenir un permis de tuer en quelque sorte est patent. D’autant que la jurisprudence est largement acquise aux thèses policières : ainsi, le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec, le policier Damien Saboundjian tue d’une balle dans le dos, au terme d’une course-poursuite, Amine Bentounsi, un petit caïd de banlieue. Renvoyé devant la Cour d’assises de Bobigny, il est acquitté le 16 janvier 2016 au nom de la légitime défense…

Dans son allocution télévisée le 14 juillet 2016, le président de la République annonce qu’il ne prorogera pas une nouvelle fois l’état d’urgence en vigueur jusqu’au 26 juillet. Le soir, c’est le terrible attentat de Nice, dont le bilan est de 86 morts, dont un tiers d’origine musulmane – il faut le souligner – et plus de 400 blessés. Douche froide et nouvelle loi du 21 juillet constituant la 4ème prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 21 janvier 2017.

Désormais l’intrusion préventive sur les communications, à savoir la collecte par les services de renseignement en temps réel de toutes les données de connexion attachées à une personne sur l’ensemble de ses moyens de communication, est étendue à l’entourage de la personne surveillée. La loi exige seulement « des raisons sérieuses de penser qu’espionner ces personnes au sein de cercles familiaux, amicaux, professionnels, voire occasionnels, puissent avoir un intérêt ». Il y a actuellement 14 000 personnes suspectées de liens avec l’islam radical, recensées dans le Fichier de traitement des Signalés pour la Prévention et la Radicalisation à caractère Terroriste – le FS-PRT – tenu par l’Etat-major Opérationnel de Prévention du Terrorisme – EMOPT, alors que le ministre de l’Intérieur reconnaît lui-même que 20 % de la liste est le fruit de dénonciations sans fondement, soit tout de même 2 800 personnes ! Ainsi l’ajout de leur entourage – soit une moyenne de dix personnes environ – au nombre des personnes visées fait entrer la France dans l’ère de la surveillance préventive de masse. C’est la rupture consacrée de l’équilibre entre liberté et sécurité au profit de cette dernière, déjà qualifiée au terme de l’article L 111-1 du code de la Sécurité Intérieure, promulgué en 2012, de « liberté fondamentale ». Ce qui a amené le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, à publier le 22 juillet le communiqué suivant : « Rompant l’équilibre entre les exigences de la sécurité et les garanties des libertés, le droit français vient ainsi d’affaiblir durablement l’Etat de droit qui a fait la force de notre République ». La sécurité, c’est certes le droit de vivre en paix, mais c’est aussi la sécurité de l’emploi, du logement, de la santé. Et le premier de nos droits reste le droit à la sûreté, considéré comme « un droit naturel et imprescriptible » au terme de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui protège les individus contre les arrestations et les emprisonnements arbitraires. C’est la présomption de la liberté qui doit prévaloir !

Au même moment, le Conseil d’Etat a dressé le 19 juillet un bilan de son contentieux en matière d’état d’urgence. A cette date les juges des référés administratifs ont rendu 216 ordonnances, relatives aux assignations à résidence / perquisitions administrative / fermetures administratives de lieux de réunion et de culte : 157 rejets ; mais 33 suspensions et 26 constats d’abrogation, avant jugement, de la mesure contestée ; 37 %., soit plus d’1/3 des décisions donnant raison aux plaignants. En appel, le Conseil d’Etat a rendu 44 ordonnances, dont 42 sur assignations à résidence : 24 rejets ; mais 7 suspensions et 13 constats d’abrogation ; 46 %, soit près de la moitié en faveur des plaignants. 120 jugements au fond ont déjà été rendus par les tribunaux administratifs, dont 88 sur des assignations à résidence, sur les 236 requêtes déposées : 79 rejets ; 41 annulations totale ou partielle ; 34 % en faveur des plaignants, soit 1/3. Il ne faut donc pas hésiter à contester ces mesures !

Le Conseil d’Etat en a d’ailleurs profité pour préciser le régime des perquisitions administratives : elles ne sont possibles que « s’il y a des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne menaçant la sécurité publique », et les ordres de perquisition doivent être motivés. Il a posé également le principe de la responsabilité de l’Etat pour faute simple à propos des personnes visées par les perquisitions, que la faute résulte de l’illégalité de la perquisition ou de ses conditions matérielles d’exécution. Alors que 400 assignations à résidence – qui s’analysent comme des peines privatives de liberté – avaient été ordonnées entre le 14 novembre 2015 et le 26 février 2016, seules 79 restaient en vigueur au 1 juillet, soit 1 sur 5. Et sur les 3 600 perquisitions, ordonnées essentiellement le premier mois, 5 seulement ont fait l’objet d’une ouverture d’enquête judiciaire pour des faits en lien avec le terrorisme, soit 0.15 %, et 0 renvoi devant une juridiction à ce jour !

Le 30 janvier 2016 à Paris

Avec la loi du 21 juillet 2016, c’est clairement le mouvement social qui est aussi visé : L’article 8 de cette nouvelle loi prévoit que « les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique peuvent être interdits dès lors que l’autorité administrative justifie ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose ». Notion des plus subjectives ! « Les infractions à ce texte sont punies de 6 mois de prison et de 7 500 € d’amende et s’appliquent tant aux participants qu’aux organisateurs ». La responsabilité collective est de retour ! Déjà, à la suite de l’état d’urgence initial, des militants écologistes avaient été ciblés lors de la conférence sur le climat, COP 21, à Paris avec manifestations interdites les 28, 29 et 30 novembre, le 30 étant le jour d’arrivée des chefs d’Etat. Des assignations à résidence avaient également été lancées, comme contre ce couple de maraîchers bios en Dordogne. Bigre : ils avaient, il y a 3 ans, participé à une manifestation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et étaient membres du syndicat CNT, d’obédience anarcho-syndicaliste ! Il en est allé de même avec la loi Travail : 130 mesures d’interdiction de manifester à l’encontre de manifestants sur la base de « soupçons » ou de « notes blanches » des services de renseignement, alors qu’Euro de football et Tour de France cycliste ont été maintenus…

Il faut pourtant rappeler que le principe de l’interdiction préventive de manifester n’existe pas en droit français. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs été saisi d’un recours pour « excès de pouvoir », mais le temps qu’il rende sa décision… Ainsi lors de la mobilisation contre la loi travail le 15 septembre, 5 personnes ont à nouveau été visées par des arrêtés leur interdisant de manifester et il en est allé de même pour 13 membres du MILI – Mouvement Inter Luttes Indépendant – interdits de manifester le 9 mars 2017 en soutien à Théo L., victime, suite à un contrôle d’identité, de sévices graves de la part de quatre policiers d’Aulnay sous-bois, l’un d’eux étant mis en examen pour « viol ». Motif : la préfecture invoquait « une structure informelle appartenant à la mouvance radicale » (sic !) : la criminalisation du mouvement social n’est pas un vain mot.

C’est pourtant à « la déréliction économique et sociale néolibérale » qu’il faut s’attaquer, comme nous le rappelle Vincent Sizaire dans son ouvrage Sortir de l’impasse sécuritaire : « Les formes de délinquance les plus graves sont en particulier celles qui portent directement atteinte à la forme démocratique de la société : la criminalité organisée et la délinquance financière qui ne sont que les deux faces d’une même pièce. C’est notamment sur la superstructure de la grande criminalité économique et financière et sa formidable machine à blanchir que se greffent ces formes de délinquance plus visibles que sont les différents trafics associés à l’économie dite “souterraine” des quartiers populaires mais également les violences qui en résultent. C’est pourquoi la répression effective de la délinquance en col blanc constitue une nécessité vitale pour une société démocratique ».

Là-dessus, le 11 septembre – date symbolique -, le revenant Sarkozy sonne à nouveau la charge : « Il y a dans la Constitution un principe de précaution. Pourquoi la lutte contre le terrorisme, donc la sécurité des Français, serait le seul sujet sur lequel on ne l’appliquerait pas ? En conséquence, tout Français suspecté d’être lié au terrorisme doit faire l’objet d’un placement préventif dans un centre de rétention fermé. » La professeure de droit déjà citée, Mireille Delmas-Marty, lui a répondu de façon cinglante : « Cela revient à transposer le principe appliqué aux produits dangereux, aux personnes, et donc à traiter les individus comme des produits. Le principe de précaution permet de retirer des produits du marché. Faut-il retirer des individus de l’humanité ? » La question reste posée sachant qu’on est ainsi en train de passer de la « prévention », qui entend agir sur des causes, à la « préemption » qui, elle, vise par une interprétation du comportement, à supprimer l’évènement. On n’est plus suspecté pour avoir commis un acte mais de pouvoir le commettre ! Minority Report4 n’est plus de la fiction…

Et le gouvernement de continuer son travail de sape avec le décret du 28 octobre 2016 autorisant à des fins d’authentification la création d’un fichier des « Titres Electroniques Sécurités », TES. Celui-ci porte aussi incontestablement atteinte aux droits fondamentaux, le danger inhérent aux fichiers étant ici exacerbé par son ampleur, en ce qu’il comporte les informations personnelles sur la quasi-totalité des citoyens : éléments de filiation, coordonnées téléphoniques et électroniques, nombreuses données biométriques telles que la couleur des yeux, la taille, les empreintes digitales, l’image numérique du visage. En outre, le choix de la centralisation de ce fichier en accroît la dangerosité, et en fait apparaître la fragilité, en cas de cyber-attaque massive. D’autant que derrière l’objectif affiché de simplification administrative de lutte contre la fraude, existe un risque évident de créer un véritable outil de renseignement alors que tant le droit à la sûreté que la liberté personnelle, visés à l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen – DDHC – de 1789, sont de plus en plus rognés. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme – CNCDH – ne s’y est d’ailleurs pas trompée puisque le 15 décembre elle a pris une Déclaration, adoptée à l’unanimité en assemblée plénière, demandant la suspension pure et simple du décret. Malgré quelques concessions mineures, en outre non suivies d’effet à ce jour, le fichier, aussitôt expérimenté dans les Yvelines et en Bretagne, a fait l’objet d’un arrêté publié en catimini le 17 février avec entrée en vigueur à Paris le 21 pour être ensuite étendu à tous les départements fin mars. Dénonçant cette manœuvre et se prévalant du droit à la résistance et à l’oppression, la Quadrature du Net et la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen – LDH – ont déposé le 27 février 2017 un recours en référé-suspension devant le Conseil d’Etat.

Parallèlement, pour la cinquième fois l’état d’urgence a été prorogé ! Lors du débat parlementaire pour sa reconduite par la loi du 19 décembre 2016 jusqu’au 15 juillet 2017, aux fins de la justifier, le Premier Ministre s’est prévalu d’avoir déjoué depuis le début de l’année 2016, 17 attentats et interpellé 420 individus en lien avec une entreprise terroriste. Mais comme l’a rappelé la Ligue des Droits de l’Homme dans sa « Lettre adressée aux députés », le 12 décembre, « aucun élément n’est apporté pour justifier que ces résultats aient été permis par l’état d’urgence ». L’état d’urgence sert en réalité à d’autres fins : interdiction de manifestations, assignation à résidence de militants politiques. Le danger complémentaire c’est que « les citoyens s’habituent peu ou prou à ce que le pouvoir exécutif dispose de pouvoirs exceptionnels peu ou mal contrôlés et utilisés ».

Insidieusement, l’état d’urgence multiplie les peurs, produit de la dislocation sociale mais, de par une certaine invisibilité, laisse relativement indifférente une bonne partie de la population qui, pour le moment, n’en souffre pas dans sa vie quotidienne. Toutefois, le 22 février 2017, la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale fait le constat que l’utilisation de ce régime d’exception s’estompe. Son président, le député socialiste de Nantes, ex-avocat, Dominique Raimbourg, explique que «l’activité au titre de l’état d’urgence est très réduite, l’activité judiciaire classique a désormais pris le pas sur ces mesures ». Le Ministère de l’Intérieur en est bien conscient puisqu’à la suite de la saisine du juge des référés du Conseil d’Etat par Monsieur Sofian I., sur le maigre chiffre de 22 personnes encore assignées à résidence depuis plus d’1 an, il n’en a maintenu que 12, selon lui à la « dangerosité avérée ». En effet, au terme de la loi précitée, une même personne ne peut être assignée pour une durée totale équivalente à plus de 12 mois car cela équivaudrait à changer la nature de cette mesure qui apparaitrait ainsi excessive au regard de la liberté d’aller et venir. Elle deviendrait, selon le chroniqueur du Monde du 18 mars 2017, « privative » de liberté et non plus « restrictive » de liberté. Dans ces conditions, ce devrait être au juge judiciaire de l’autoriser, conformément à l’article 66 de la Constitution, et non un juge administratif ; d’autant que les liens historiques existant entre les juges administratifs – surtout le Conseil d’Etat qui donne son avis en amont sur les projets de loi – et le gouvernement font que l’ indépendance requise du juge administratif est moins garantie que pour le juge judiciaire.

C’est l’argumentaire soulevé par Bruno Vinay, l’avocat de ce Sofian I, assigné à résidence de façon ininterrompue depuis le 15 décembre 2015, soit 14 mois à la date de saisine du juge des référés. En effet, la dite loi a permis au Ministre de l’Intérieur de prolonger la mesure au-delà de 12 mois, à condition d’y être expressément autorisé par le juge des référés du Conseil d’Etat. L’avocat a donc saisi ce dernier d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité – QPC -, lequel y a déféré et le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision ce 16 mars, infligeant un camouflet au gouvernement. Il estime en effet que le Conseil d’Etat étant déjà chargé en dernière instance d’examiner les recours des assignés, s’il les a validés initialement, il se retrouve alors contrôleur de sa propre décision, et donc juge et partie. Ce qui est contraire à l’article 16 de la DDHC qui « garantit notamment le droit à un recours juridictionnel effectif ». Non seulement le Conseil Constitutionnel a obligé ainsi le Conseil d’Etat à annuler purement et simplement les audiences de référé prévues le 17 mars pour examiner les demandes du Ministre de l’Intérieur de renouveler ses 12 assignations, mais encore – outre qu’il ne dispose plus du parapluie du Conseil d’Etat et devra donc décider seul de ce renouvellement – il devra à ce propos respecter trois critères à la fois stricts et cumulatifs : le comportement doit constituer une menace d’une « particulière gravité » pour la sécurité et l’ordre public ; l’administration devra produire des éléments « nouveaux et complémentaires » – ce qui constitue une critique implicite des fameuses « notes blanches » fournies par les services de renseignement – ; la durée totale de l’assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations additionnelles devront être prises en compte. Mais le paradoxe insupportable de cette situation, c’est que le Ministère de l’Intérieur, s’il réunit ces trois conditions, va continuer à sévir alors que ces personnes assignées à résidence, parce que considérées comme une « menace sérieuse », ne feront toujours pas l’objet d’une procédure judiciaire et que nous nous retrouvons ainsi devant une mesure de police préventive illimitée !

Le Conseil Constitutionnel a toutefois joué aussi son rôle de garde-fou à propos de la consultation des sites terroristes, considérée comme un délit au terme de la loi du 21 juillet 2016 précitée, et ce sans exiger « une volonté de commettre des actes terroristes, ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée ». Saisi par un avocat nantais, Sami Kankan, dans le cadre d’une QPC, il a invalidé cette incrimination le 10 février 2017 en invoquant l’article 17 de la DDHC de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un droit des plus précieux de l’Homme » Qui peut en outre savoir ce qu’est une consultation « habituelle » ? Et d’enfoncer le clou en estimant que cette incrimination n’était pas nécessaire au regard de l’arsenal déjà fourni de notre Code pénal. Que croyez-vous qu’il arriva ? Au mépris de cette décision, les sénateurs de droite l’ont réintroduite dans la loi du 28 février 2017, certes en l’encadrant, mais la CNCDH a rappelé que le Conseil d’Etat s’était montré hostile à la création d’une telle infraction et qu’en toute hypothèse le rétablissement de cette incrimination constitue « une atteinte à la liberté de communication qui n’est pas justifiée et qui n’est pas assortie des garanties suffisantes ». Et alors ? La question d’une nouvelle déclaration d’inconstitutionnalité ne se posera qu’après les échéances électorales des prochains mois ! En attendant…

En attendant a été votée, à la quasi-unanimité et en procédure accélérée le 28 février 2017, la loi « relative à la sécurité publique », correspondant au volet législatif du plan sur la sécurité publique, nouvelle loi empilée sur la loi du 21 juillet 2016 plus avant analysée qui avait déjà statué sur l’extension du cadre légal de l’usage des armes. Au-delà du doublement des peines encourues en cas d’outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique en les alignant sur celles prévues en cas d’outrage à magistrat – 1 an de prison, alors que ce délit n’existe pas dans d’autres pays comme le Royaume-Uni, l’Italie, les Etats-Unis et l’Argentine notamment – et de l’anonymat rendu possible pour les rédacteurs de procès-verbaux dans le cas où la révélation de l’identité des policiers constituerait un danger pour eux et leur famille – sans que ce « danger » soit pour autant défini et sachant en outre que les dits policiers pourront déposer comme témoins, voire se constituer partie civile, toujours de manière anonyme ! -, il convient ici de se pencher sur le nouveau cadre commun d’usage des armes pour les policiers, gendarmes, douaniers et militaires, alors que jusque-là les policiers étaient soumis aux mêmes règles relatives à la légitime défense que les citoyens ordinaires : état de nécessité et stricte proportionnalité.

Désormais les forces de l’ordre pourront se prévaloir de la légitime défense dans 5 situations : face à la menace de personnes armées ; lorsqu’elles ne peuvent défendre autrement le territoire qu’elles occupent ; lorsqu’une personne chercher à échapper à leur garde, qu’elles ne peuvent l’arrêter autrement et qu’elle présente une menace ; lorsqu’elles ne peuvent arrêter autrement un véhicule présentant une menace ; dans le but d’empêcher un « périple meurtrier ». On notera que le sens et la portée pour chacun des cas d’autorisation ne sont pas précisés alors que dans le feu de l’action le fonctionnaire devrait savoir ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Pour en revenir à l’exemple précité de Damien Saboundjian, relaxé en première instance par la cour d’ assises de Bobigny, il aurait à nouveau été acquitté en appel, dans ces nouvelles conditions, par la cour d’assises de Paris alors qu’il a été condamné le 11 mars à 5 ans de prison avec sursis, les faits étant antérieurs à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, la légitime défense n’ayant pas été retenue, conformément d’ailleurs aux réquisitions du Ministère public. Ce nouveau texte législatif constitue en réalité un tremplin vers un usage abusif en toutes circonstances, bref un permis de tuer.

Ainsi état d’urgence et état de droit tendent de plus en plus à se superposer. Le premier est en train de devenir la seconde nature de l’autre. Il nous faut nous rendre à l’évidence : sans le garde-fou des grands principes généraux édictés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le droit se réduit à un outil technique permettant de construire un édifice légal en fonction de l’Idée établie de ceux qui nous gouvernent, et peut donc être mis au service du pire. C’est la leçon de l’ouvrage que vient de publier Olivier Jouanjean, Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi ». Oui, la loi peut autoriser les plus grands crimes. A nous de faire en sorte que ce ne soit pas le cas, ici et maintenant.

Jean-Jacques Gandini

1 La mesure sera encore prolongée, d’abord jusqu’au 25 janvier 2017, puis jusqu’au 15 juillet 2017.

2 Titre d’un film réalisé par Andrew Nicol. Sorti en 1997, il traite de l’eugénisme : « dans un futur proche, la société est divisée en deux : une sous-classe, résultante de naissances naturelles, et une classe dominante, dans laquelle les individus sont nés génétiquement modifiés ».

3 IMSI est un numéro d’identifiant unique contenu dans la carte SIM : les fausses antennes imitent le fonctionnement d’une antenne-relais de téléphone mobile de manière à ce que les appareils situés à proximité s’y connectent ; cet équipement reçoit ensuite les communications de ces appareils téléphoniques et peut accéder à leur contenu ; il transmet alors à son tour les communications à l’opérateur et l’appel a lieu après, normalement, ni vu ni connu.

4 Film de science-fiction américain réalisé par Steven Spielberg, sorti sur les écrans en 2002.

Jean-Jacques Gandini
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Jean-Jacques Gandini

Avocat de 1976 à 2016, Jean-Jacques Gandini milite au sein du Syndicat des Avocats de France, dont il a été vice-président de novembre 2011 à novembre 2012 puis président les deux années suivantes. Il est aussi membre, notamment, de la Ligue des Droits de l’Homme et du collectif de rédaction de la revue Réfractions1, fondée en 1997.