L’armée française en Afrique

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Héritage d’un passé colonial proche, la France joue encore aujourd’hui un rôle de puissance militaire en Afrique. Elle a d’ailleurs été longtemps la seule puissance à maintenir des troupes sur le continent. La France est en effet liée avec plusieurs États africains par des accords de coopération militaire ou de défense, ces derniers étant censés justifier au plan juridique l’ingérence militaire de la France dans ses anciennes colonies.

L’armée, pilier du néocolonialisme français en Afrique

Cette « spécificité française » constitue l’une des facettes de la politique mise en place lors des indépendances africaines autour de 1960, visant à maintenir les pays nouvellement indépendants dans le giron de la France. L’objectif était de préserver les intérêts économiques de l’ancienne métropole (pétrole, uranium, bois, etc.), de permettre à celle-ci de conserver un rang de puissance mondiale tout en maintenant les pays africains dans la sphère d’influence occidentale dans un contexte de Guerre froide1. A cette stratégie, il faut ajouter une forte tradition coloniale de l’armée et d’une partie de la classe politique française, soucieuses de défendre l’ « Empire », teintée d’idéologie au mieux paternaliste, au pire raciste.

La France a ainsi pris pour habitude d’intervenir militairement dans des conflits internes et lorsque ses intérêts sont menacés (Cameroun, Tchad, Centrafrique, Comores, ex-Zaïre, Côte d’Ivoire…), d’encadrer et d’équiper des armées et gardes présidentielles au seul service de dictateurs corrompus mais fidèles aux intérêts français, allant jusqu’à se rendre complice de crimes contre l’humanité, comme au Congo Brazzaville en 1997-1999, voire de génocide comme au Rwanda en 1994.

De la guerre froide à la « guerre contre le terrorisme »

Après avoir tenté de légitimer le maintien de sa présence militaire en Afrique par une « nouvelle doctrine2 » à la fin des années 1990, la France utilise aujourd’hui la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme », empruntée aux néoconservateurs américains, pour la justifier.

L’opération Serval, lancée au Mali en janvier 2013 a été officiellement déclenchée pour empêcher les mouvements salafistes armés qui occupaient le nord du Mali de s’emparer de la capitale, Bamako. On a eu depuis confirmation que loin d’avoir été improvisée dans l’urgence, l’opération Serval a été mûrement préparée et accompagnée de relations troubles entre les services secrets français et le mouvement autonomiste touareg du MNLA. Les discours triomphalistes des autorités françaises n’ont pas masqué longtemps la réalité : ni la question territoriale ni la question sécuritaire ne sont aujourd’hui réglées au nord du Mali. Avec la dispersion des groupes armés et la déstabilisation de la Libye depuis l’intervention occidentale de 2011, c’est même toute la région qui paraît fragilisée.

Prétendant régler le problème par une ingérence militaire accrue, la France a réorganisé tout son dispositif militaire avec la création de l’opération Barkhane : 3500 hommes quadrillent la zone sahélo-saharienne. Cette recolonisation militaire est officiellement avalisée dans la loi de programmation militaire 2014-2019 aux forts accents françafricains3, qui réaffirme dangereusement les visées néocoloniales de la politique étrangère française, en particulier à l’encontre des pays d’Afrique subsaharienne.

Cette politique passe sous silence l’aspect dictatorial de certains alliés (Tchad, Cameroun, Mauritanie…), encourage les dérives sécuritaires des autres, au nom de la lutte contre le terrorisme, et ne règle aucun des problèmes politiques et sociaux qui permettent aux groupes armés de prospérer. En Françafrique, ces dernières considérations n’ont jamais été prioritaires …

Les accords de coopération militaire et de défense

En vertu d’accords d’assistance technique et de coopération militaire, la France a formé, encadré et équipé en armes et matériels militaires bon nombre d’armées africaines. Ses conseillers militaires font encore parfois office de chefs d’État-major officieux. Cette coopération peut également s’étendre à la coopération policière et au maintien de l’ordre. L’opacité prévaut largement dans ce domaine. Il existait jusqu’à récemment 8 accords de défense incluant des clauses secrètes : protection des régimes signataires y compris contre des menaces intérieures (mobilisations populaires contre une dictature, par exemple…), en échange d’un droit «d’approvisionnement préférentiel » pour la France concernant les matières « stratégiques » (pétrole, uranium…). Une renégociation de ces accords a eu lieu avec Nicolas Sarkozy mais la suppression de ces clauses sur le papier n’a pas changé la solide tradition d’ingérence et de pillage des ressources…

Les nouveaux accords partiellement secrets négociés sous François Hollande dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » avec le Burkina-Faso, le Mali, la Mauritanie et le Tchad permettent aux soldats de l’opération Barkhane de mener des interventions en se jouant des frontières et sans rendre de comptes aux autorités des pays concernés.

Les bases militaires

Le dispositif militaire français en Afrique est aujourd’hui officiellement constitué de 2 importantes bases « opérationnelles » : à Djibouti (1700 hommes) et en Côte d’Ivoire (600 hommes). Les bases du Sénégal et du Gabon ont été réduites à plusieurs centaines d’hommes. Ce dispositif est complété par une base à la Réunion et à Mayotte (officiellement en France, donc). Mais surtout, certaines opérations extérieures (Opex) en principe provisoires assurent en réalité une présence permanente. C’est le cas de l’opération maritime Corymbe dans le Golfe de Guinée ou encore de l’opération anti-terroriste Barkhane qui a remplacé en juillet 2013 les opérations Serval au Mali et Epervier au Tchad (cette dernière durait depuis 1986). Des contingents importants restent positionnés dans ces deux pays, mais surtout des bases plus restreintes de forces spéciales ou conventionnelles se sont multipliées pour quadriller la zone sahélo-saharienne. Le Niger accueille ainsi une base dédiée au renseignement aérien, hébergeant notamment les drones français opérant dans la zone.

Si le nombre de soldats français présents de manière permanente sur le sol africain a fortement diminué depuis les années 1960, cette réduction s’est accompagnée d’un dispositif privilégiant des moyens de projection importants depuis la métropole, des implantations plus légères sur place et le renforcement des forces spéciales, il s’agit de « diminuer nos effectifs en augmentant notre présence», dixit le ministre de la Défense de François Hollande, Jean-Yves Le Drian.

Les interventions militaires officielles et officieuses

Depuis 1960, la France a officiellement effectué plus d’une soixantaine d’interventions militaires en Afrique, auxquelles il faut ajouter les interventions officieuses, sous-traitées à des mercenaires (dont les plus connus sont Bob Denard et Paul Barril4) et les interventions secrètes (menées par les forces spéciales) ou clandestines (menées par le service Action de la DGSE5). Sous prétexte de protection des populations ou sous couvert d’évacuation de ses ressortissants, et en vertu – ou non, selon son intérêt du moment – d’accords avec les régimes concernés, il s’agit en réalité de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays (protection ou destitution d’un chef d’Etat) ou de protéger les intérêts français.

Les ventes d’armes

La vente d’armes constitue officiellement une « priorité nationale » de la France, qui se place selon les années entre la 3e et la 5e place mondiale en matière d’exportation d’armements. L’Afrique sub-saharienne représente une faible part dans ces ventes, elles ont toutefois fortement augmenté ces dernières années. Plusieurs révoltes populaires ont ainsi pu être réprimées dans le sang avec du matériel sécuritaire français. Mais surtout, les interventions militaires françaises en Afrique constituent le meilleur moyen de faire la promotion du matériel français. Ainsi l’avion Rafale n’aurait sans doute pas pu être vendu en 2015 à l’Egypte puis à l’Inde et au Qatar sans les interventions en Libye (2011) et au Mali (depuis 2013)

Les crimes néocoloniaux de l’armée française en Afrique

La liste des crimes coloniaux et néocoloniaux de l’armée française en Afrique est malheureusement très longue. Parmi les plus récents, il faut noter la complicité dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, la complicité dans les crimes contre l’humanité commis au Congo Brazzaville entre 1997 et 1999, les massacres de civils ivoiriens en novembre 2004 ou encore le soutien massif et continu de l’armée française aux armées de régimes autoritaires malgré les crimes qu’elles commettent régulièrement contre leur propre population.

Un multilatéralisme de façade

A partir de la fin des années 1990, la France a élaboré une « nouvelle doctrine » pour tenter de conforter la légitimité de sa présence militaire en Afrique … et partager les coûts : multilatéralisme, respect du droit international (ONU) et dispositif de renforcement des capacités des armées africaines dit «Recamp». Elle a, avec des succès divers, initié plusieurs opérations militaires avec des partenaires européens ou africains.

Mais en parallèle, elle n’a jamais cessé de mener des opérations unilatérales quand elle l’estimait nécessaire.

Elle s’est aussi efforcée de placer ses interventions dans le cadre de mandats de l’ONU (parfois obtenus au forceps ou a posteriori), sans en perdre le contrôle. Cela n’a jamais empêché, comme en Côte d’Ivoire avec l’opération Licorne, opération française mais menée dans le cadre d’une résolution de l’ONU, la poursuite de coups tordus, de diplomatie parallèle ou de crimes de guerre. A noter également, qu’outre son poids prépondérant au sein du Conseil de sécurité, la France a obtenu pendant quatre mandats successifs à partir de 1997 la responsabilité du département des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Ces principes ont été relativisés depuis la priorité donnée à la « guerre contre le terrorisme » avec l’opération unilatérale Serval au Mali qui a relégué au second plan les préoccupations en matière d’image, de « normalisation » et de conformité au droit international

Un contrôle parlementaire de forme

La politique militaire de la France continue à être décidée à l’Elysée. Depuis les amendements constitutionnels faits sous Nicolas Sarkozy en juillet 2008, le gouvernement est tenu d’informer le Parlement dans les trois jours qui suivent une intervention militaire, et de solliciter son accord pour la prolongation des opérations au-delà de 4 mois. Même si cela représente une avancée, le contrôle parlementaire ne s’exerce qu’a posteriori et uniquement sur les interventions les plus longues. Il s’agit davantage d’obtenir un chèque en blanc que d’associer les parlementaires à la politique militaire de la France. Dans la pratique, sont exclues de ces dispositions les interventions secrètes ou clandestines des forces spéciales, véritables gardes prétoriennes à la discrétion de l’Élysée. Par ailleurs, la réforme constitutionnelle est loin d’être appliquée strictement : plus d’un an après son déclenchement, l’opération Barkhane n’avait toujours pas fait l’objet d’un vote.

Militaires français en opération : la justice au bon vouloir du pouvoir

La loi de programmation militaire 2014-2019 renforce « l’excuse pénale pour usage de la force » introduite en 2005, ce qui assure une plus grande impunité aux militaires français en opérations extérieures. De plus, les victimes et associations de défense des droits humains ne peuvent plus déclencher d’enquête par constitution de partie civile en cas de crime commis par des militaires français en opération. Le parquet – dépendant de l’exécutif – a désormais le monopole des poursuites. Le principe de séparation des pouvoirs a ainsi volé en éclats concernant les crimes commis par les militaires français en opération. Ainsi, dans le scandale des viols commis par des militaires français en Centrafrique en 2014 il aurait été possible à l’exécutif d’empêcher toute procédure judiciaire, puisque ni les victimes ni les associations n’avaient le pouvoir d’en déclencher une.

Aide militaire au développement et sanctuarisation du budget de l’armée

Faute d’avoir réussi à faire financer ses opérations extérieures (Opex) au Mali et en Centrafrique par l’Union européenne et à exclure le coût des Opex du calcul des déficits publics, la France fait pression au niveau européen pour une modification des règles qui lui permettrait d’inclure une partie du coût de ses expéditions militaires dans le calcul du grand fourre-tout qu’est l’Aide publique au développement (APD) pour en gonfler artificiellement le montant. Le budget des Opex est par ailleurs sciemment sous-évalué, afin d’éviter le vote d’une augmentation de budget militaire au Parlement, et de permettre que le surcoût des opérations militaires extérieures (qui est en 2014 de 665 millions d’euros sur un total de 1,115 milliard d’euros !) soit épongé par un transfert de budget venant d’autres ministères. Ainsi en 2014 l’Education nationale, dont le budget a baissé au nom de l’austérité, a contribué à hauteur de 93 millions d’euros au financement des Opex.

Pour faire cesser l’impérialisme militaire français en Afrique et ailleurs

  • Fermeture des bases et retrait de l’armée française d’Afrique.

  • Arrêt des interventions militaires (sous commandement français) en Afrique et de toute intervention dans ses anciennes colonies.

  • Arrêt des ventes d’armes et de la coopération militaire avec des régimes répressifs.

Pour obtenir la vérité et mettre fin à l’impunité

  • Fin du monopole des poursuites par le parquet et réintroduction de la possibilité pour les victimes de déclencher une enquête en déposant une plainte avec constitution de partie civile contre des militaires français en opération extérieure.

  • Levée automatique du « secret défense » en cas de procédure judiciaire (Rwanda, Côte d’Ivoire, Djibouti, Centrafrique, etc.)

  • Reconnaissance officielle des crimes coloniaux et néocoloniaux de l’État français.

Pour réduire le pouvoir de l’exécutif et établir un contrôle parlementaire effectif

  • Inscription dans la Constitution de l’obligation d’un vote au Parlement pour tous les accords de défense et de coopération militaire.

  • Inscription dans la Constitution d’un vote des parlementaires préalable à toute intervention militaire à l’étranger et vote annuel sur la poursuite de l’intervention, avec création de moyens de contrôle.

  • Instauration d’un réel contrôle parlementaire sur les services secrets et sur les interventions militaires à l’étranger, doté de moyens adéquats.

1 Expression utilisée initialement par l’écrivain britannique Georges Orwell et tombée ensuite dans le langage ; elle désigne la période qui va de l’après-seconde guerre mondiale aux débuts des années 1990, marquée par les fortes tensions entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S., plus largement entre « le Bloc de l’Ouest » et « le Bloc de l’Est ».

2 Voir plus loin, le chapitre « un multilatéralisme de façade ».

3 Françafrique est le terme utilisé pour dénoncer la politique néocoloniale de la France en Afrique, depuis plus de 50 ans, marquée par d’innombrables trafics d’influence, scandales financiers, opérations militaires, etc.

5 Direction Générale de la Sécurité Extérieure.

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Survie est une association loi 1901 créée en 1984 qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique. Survie propose une analyse critique et des modalités d’actions encourageant chacun à exiger un contrôle réel sur les choix politiques faits en son nom. Elle rassemble les citoyens et citoyennes qui désirent s’informer, se mobiliser et agir. Survie, via ses groupes de recherche, produit une analyse régulière de la politique française en Afrique et publie des brochures et des livres.