Du portail de Strasbourg, à propos de l’antisémitisme, de l’antisionisme et des racismes

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Un fantasme antisémite perpétuel, un racisme particulier

Il y a longtemps, très longtemps. Sur le portail sud de la cathédrale de Strasbourg, deux jeunes femmes se font face. L’une a les yeux bandés et courbe la tête, l’autre est couronnée et se dresse fièrement. La première est la synagogue, la seconde l’église. Les statues datent de 1230. Cinquante ans après on retrouve l’église et de la synagogue sur la façade occidentale, cette fois-ci la synagogue est bâillonnée… par un serpent. L’extraordinaire sculpture du Christ au Mont des Oliviers du transept sud, date de 1498, On y voit un Judas qui semble le prototype d’une caricature antisémite des années 1930, au nez crochu tenant avidement la bourse des quarante deniers de sa traitrise.

Que nous raconte cette histoire ? En 1230, l’église et la synagogue sont jumelles, mais la vérité de l’une triomphe… Dans la chrétienté européenne, les Juifs minoritaires sont globalement acceptés sinon respectés. A la même époque, en pays musulmans, la situation des minorités religieuses monothéistes abrahamiques, chrétiens et Juifs, est grosso-modo équivalente. Mais, au fur et à mesure que se développent les croisades (de 1095 à 1291), l’image des Juifs va changer en Europe occidentale ; ces soumis sont maintenant perçus comme des ennemis, (complices des infidèles mahométans). Le bâillon signifiant l’obsolescence du message judaïque devient le serpent de la perfidie. Ensuite, la figure du « juif » n’est plus seulement celle du perfide ennemi, mais celle du diable, et la représentation du diable prend la supposée apparence des Juifs. Comme l’un des métiers autorisés aux Juifs est la banque, le mythe de la puissance financière et occulte des Juifs s’ajoute au tableau. Des massacres ont lieu en Allemagne, en Angleterre, des rumeurs se répandent (les Juifs tueurs d’enfants). Les autorités religieuses, et plus encore civiles, vont encourager cette judéophobie, astreindre les Juifs à porter des signes distinctifs (souvent jaunes), et chercher à s’en débarrasser. Ce que feront les rois de France (Philippe IV « le Bel » en 1306), les rois d’Angleterre, des villes germaniques, etc. Au début du XVIe, l’Espagne et le Portugal imposeront les premières lois raciales modernes, dites de limpieza de sangre (pureté de sang) stigmatisant les descendants de Juifs et de musulmans.

Un antisémitisme moderne et pourtant très traditionnel. Ces images et fantasmes sont toujours mobilisables quand surviennent la deuxième vague de judéophobie au XIXe siècle. Chassés d’Europe occidentale, la majorité des Juifs du monde ont trouvé refuge en Europe centrale et orientale. Chassés d’Espagne ils se sont réfugiés au Maroc et dans l’empire ottoman. Au XIXe siècle, dans le contexte des bouleversements de la révolution industrielle, la situation des communautés juives d’Europe centrale et orientale se dégrade : persécutions et massacres (pogroms), surtout dans l’empire tsariste. Les fantasmes et discours antisémites ont circulé depuis l’Europe occidentale jusqu’à l’Europe orientale. Rien d’étonnant si dans l’émigration de l’Europe centrale et orientale vers l’Occident européen et américain, les Juifs ont été nombreux, fuyant les persécutions et pas seulement la misère.

On oppose souvent la judéophobie ancienne à la nouvelle. En fait, l’une reprend et prolonge les stigmatisations et stéréotypes de l’autre ; mais aux justifications idéologiques « chrétiennes », se substituent les justifications idéologiques « scientifiques ». Les principaux idéologues de cette judéophobie moderne sont des Français et des Allemands – l’un d’entre eux Wilhelm Marr invente le terme « scientifique », à fondement raciste, d’antisémitisme. L’antisémitisme a des particularités en France. Il reprend les stéréotypes sur les Juifs « puissants et pervers », mais insiste aussi sur les stéréotypes « pouilleux » et « inassimilables », (stigmatisation qui est, en permanence, celle qu’on attribue aux migrants). Après 1870, on en ajoute une autre, germanophobe : avec leurs patronymes allemands et leurs origines d’au-delà du Rhin, les Juifs comme « le traitre Dreyfus » sont de potentiels agents de l’ennemi allemand.

Il y a une autre spécificité française. En octobre 1870, le « décret Crémieux » a accordé la citoyenneté française aux « israélites indigènes » d’Algérie. L’une des conséquences sera de fixer les musulmans dans une citoyenneté de seconde zone qui se prolongera jusqu’en… 1958 ! Cette « discrimination positive » des Juifs a deux conséquences : une partie des musulmans va considérer les Juifs comme peu fiables, voire traitres ; une partie des colons va rejeter ce décret, qui fait des Juifs leurs égaux et un parti antisémite va se développer en Algérie.

Persistance et enracinement de l’antisémitisme. Retenons de ce voyage à travers l’antisémitisme, deux choses :

– La persistance, de la judéophobie depuis le XIIIe siècle : image de l’ennemi, potentialité de la traitrise, escroquerie, pouvoir économique, complots occultes, etc.

– La politisation du sujet, différente évidement dans ses formes sous Philippe Le Bel ou sous Pétain, mais permanente.

En ce sens, le fantasme raciste antisémite est singulier. Le racisme contre les tsiganes (appelé aujourd’hui Rromophobie) est presque aussi ancien, aussi permanent, mais il n’a pas la même densité idéologique et politique ; au point que l’extermination des Tsiganes par les Nazis et leurs alliés (dont l’Etat français), qui n’était alors justifiée que comme l’élimination « de marginaux asociaux », est si facilement oubliée aujourd’hui. Le racisme antinoir s’est construit de manière utilitaire, à partir du développement de l’esclavage et pour justifier celui-ci (« code noir » de Colbert). Il s’inscrit ensuite dans une logique explicite de hiérarchisation entre « civilisations » ou « races ». En Europe, le racisme qui s’est exercé pendant des siècles sur des populations autochtones vise essentiellement les Juifs et tziganes européens. Les autres exactions et crimes racistes, ont lieu dans de lointaines colonies, loin du regard de la majorité des européens. Cela, jusqu’aux mouvements migratoires du XXe siècle. L’extermination, entre 1940 et 1944, de la majorité des Juifs étrangers réfugiés sur le sol français, et la tentative d’extermination de tous les Juifs français, avec l’implication active l’Etat français, a ajouté une énorme et tragique couche supplémentaire à cet imaginaire construit et, profondément enraciné.

Le sionisme réellement existant et ses critiques, notamment antisionistes.

Le mot « sionisme » fait référence à la colline de Sion à Jérusalem et – et au rituel « l’an prochain à Jérusalem » qui a un sens spirituel dans la liturgie. Le sionisme politique moderne a été fondé par l’autrichien Théodore Herzl, épouvanté par les persécutions des Juifs en Europe centrale, et désespéré par l’antisémitisme qui s’était manifesté avec l’affaire Dreyfus en France. Pour lui, la seule solution pour « émanciper » les Juifs était l’autodétermination nationale au moyen de la construction d’un « Etat-nation » territorial.

Un ethno-nationalisme centre-européen s’inscrivant dans le mouvement colonial. Le nationalisme juif sioniste une double nature :

– C’est un mouvement nationaliste, qui partage ses concepts et mythologies avec les autres mouvements ethno-nationalistes, qui se développent après 1848 en Europe centrale et orientale ainsi que dans l’empire ottoman.

– Il va s’inscrire dans le mouvement colonial, dans la mesure où la réalisation de cet objectif implique une territorialisation, donc une émigration de masse et la construction d’une colonie de peuplement, en Palestine.

Le sionisme a les caractéristiques des autres ethno-nationalismes : identification plus ou moins précise d’un « peuple », à partir de données linguistiques et confessionnelles, et construction d’un récit national plus mythique qu’historique… Le plus souvent, la confession sera déterminante pour établir une nationalité : un chrétien turcophone sera « grec », un musulman hellénophone « turc » etc. La langue « nationale » est recomposée. Pour les Juifs d’Europe centrale, très majoritairement yiddishophones ou germanophones, le mouvement sioniste proposera l’hébreu, à partir d’une rénovation de la langue religieuse, conformément au mythe national en construction. A la même époque les intellectuels grecs construiront une langue aussi proche que possible du grec ancien correspondant au mythe national, etc. Les mouvements nationalistes luttent pour « la libération nationale ». L’ethno-nationalisme ne veut conquérir les droits nationaux que pour son seul peuple/communauté/ethnie, et pas pour les autres, considérés comme des minorités, ou comme des allogènes qu’il faut écarter. L’ethno-nationalisme entraine les mouvements de purification ethnique qui ont affectés et affectent toujours la grande région d’Europe centrale et orientale et de la Méditerranée. Les perpétrateurs sont nombreux : les ethno-nationalistes turcs, grecs, serbes, croates, bulgares, arabes, etc., et les israéliens. L’autodétermination juive passait par le refus de l’autodétermination d’un autre peuple : le peuple arabe de Palestine. Une telle conquête supposait un appui d’une puissance impérialiste (le Royaume Uni au début). Le nouvel Etat d’Israël de 1948, renforcé par les arrivés des réfugiés et rescapés de la Shoah, a eu besoin, pour s’affirmer, d’autres soutiens, principalement français (jusqu’en 1958-67) et américains (surtout après 1960).

Le mouvement sioniste, les Juifs, Israël. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, les mouvements sionistes sont minoritaires dans les communautés juives du monde. Les militant Juifs, nombreux dans les organisations socialistes sont réservés, les communistes sont explicitement antisionistes (le sionisme est condamné par le 2e congrès de la troisième internationale en 1920). La plus importante organisation socialiste juive d’Europe, l’Union générale des travailleurs Juifs BUND, qui prône la reconnaissance des droits nationaux et culturel des Juifs est fermement antisioniste. Dans l’empire ottoman et plus généralement le monde musulman, l’influence sioniste est faible ou nulle. A cette époque beaucoup d’antisémites européens sont plutôt de facto prosionistes ; l’idée d’envoyer les Juifs en Palestine, notamment « les immigrants pouilleux », ne déplait pas aux antisémites d’Europe Occidentale et d’Amérique du Nord (comme le ministre des affaires étrangères britannique Arthur Balfour). Mussolini était favorable à un Etat d’Israël, espérant qu’il soit vite contrôlé par, disait-il, « nos fascistes Juifs »,

Les sionistes « de gauche » du parti ouvrier MAPAI, devenu Travailliste et alliés, ont dominé le mouvement sioniste, puis, après 1948, l’Etat d’Israël jusqu’à la fin des années 1970. Les sionistes « de droite » du parti Herout, devenu Likoud et alliés, le dominent depuis. Les sionistes « de droite » assumeront et assument aujourd’hui la vision, en 1922, de leur fondateur Vladimir Jabotinsly (1880-1940) de la muraille d’acier qui doit séparer les Juifs et les arabes. Les sionistes « de gauche » David Ben Gourion, Shimon Peres, Moshe Dayan…vont, dans les faits, appliquer aussi cette politique du mur d’acier. Un courant sioniste minoritaire a pourtant reconnu l’existence du peuple arabe de Palestine, avec le philosophe Martin Buber (1878-1965), le mouvement Brit Shalom puis le parti Yi’houd, considérant qu’il fallait créer un Etat unique et binational (Juif et Arabe). Aujourd’hui, le parti sioniste de gauche Meretz soutient le principe « deux Peuples, deux Etats ». Enfin, ont existé et existent en Israël, des mouvements antisionistes ou non-sionistes, avec des membres Juifs et arabes, le plus important étant aujourd’hui le Parti communiste et la coalition Hadas’h, mais aussi des groupes d’extrême gauche, certains héritiers de l’Organisation socialiste en Israël Matzpen (La boussole), active dans les années 1960-70, des groupes libertaires, des ONG, sans référence sioniste, de défense des droits humains notamment, et d’actions communes israélo-palestiniennes.

Le mouvement nationaliste palestinien, ébauché dans les années 1930, a pris le contrôle de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) après la guerre de 1967 et l’occupation totale du territoire palestinien par Israël. Des israéliens antisionistes, mais aussi sionistes comme le pacifiste Uri Avnery ou le général Matti Peled, ont, dans les années 1970-80, discuté avec l’OLP (absolument interdit par la loi israélienne d’alors), pour construire une solution pacifique. Après la révolte palestinienne de la Première Intifada (1987-93), une partie de l’establishment israélien a accepté de négocier avec l’OLP, aboutissant aux accords d’Oslo de 1993, pour « une solution avec deux Etats » à réaliser « dans les cinq ans ». Mais le « processus de paix » a été entravé par trois facteurs majeurs :

-1- la poursuite de l’implantation de colonies israéliennes ;

-2- l’attitude partiale de « l’arbitre » américain (l’ONU étant récusée par les israéliens) ;

-3- la non-égalité juridique des deux parties. Les Palestiniens de l’OLP ont reconnu Israël, son Etat, sa société, tandis que les dirigeants israéliens ont pu continuer à refuser de reconnaître l’État de Palestine, avec le soutien actif des Etats-Unis ou passif des Européens.

Des personnalités sionistes ont tenté de maintenir la coopération avec des Palestiniens, comme Yeshayahou Leibowitz (1903-1994, sioniste religieux), Abraham Burg (ancien président du parlement), David Grossman (écrivain), Yossi Beilin (ancien négociateur d’Oslo), Amy Ayalon (ancien chef des services secrets), Gal Gadot (Wonder Woman au cinéma), etc. Les Juifs n’ont jamais été, et ne sont toujours pas, tous politiquement sionistes ; nombre de Juifs ont été, et sont, politiquement, antisionistes, et nombre de Juifs ne se définissent pas par rapport au sionisme… Enfin, des sionistes se sont opposés et s’opposent aux politiques anti-palestiniennes.

Instrumentalisations des minorités et manipulations de l’antisionisme

On trouve toujours un « ennemi intérieur ». Les Juifs, ont été considérés comme tel dans la chrétienté européenne dès les croisades. Aujourd’hui, dans l’Occident libéral, les musulmans sont explicitement considérés comme tel par beaucoup, y compris par des gouvernements.

Un « antisionisme » version orientale de l’antisémitisme ? Les Juifs n’étaient pas considérés comme « ennemis » dans l’Orient arabo-musulman. Certains se souvenaient que les croisés, en entrant dans Jérusalem, avaient demandé l’extermination des Juifs protégés par les musulmans ; ou que, plus tard, les expulsés Juifs d’Espagne avaient trouvé refuge en pays musulmans. Le soupçon est apparu avec la sollicitude « judéophile » des colonialistes (le Décret Crémieux en Algérie), et surtout après la première guerre mondiale et le début de la colonisation sioniste en Palestine.

La conjonction des luttes anticoloniales dans chacun des pays arabes et des guerres israélo-arabes a placé les communautés juives locales en porte-à-faux. De nombreux Juifs ont participé aux mouvements anticoloniaux au Maroc, en Tunisie, en Egypte, en Irak… mais les communautés juives ont été considérées par des gouvernants devenus indépendants, et par une partie des populations, comme des alliés des colonialistes et des sionistes. Dans cette situation, les gouvernements israéliens ont joué un rôle actif pour provoquer l’exode des Juifs. Par exemple, en 1949, le déplacement des Juifs du Yémen ; en 1950-51, celui des Juifs d’Irak, en coopération avec le gouvernement irakien pro-britannique et avec des attentats antisémites organisés par les services secrets israéliens En Egypte, après l’agression tripartite israélo-franco-britannique de 1956, Nasser a décidé « que les Juifs étaient des sionistes et « qu’il fallait les expulser ». Les Juifs d’Algérie ont quitté leur pays en 1962 avec les européens « pieds-noirs ». En Tunisie et au Maroc, l’exode a été plus lent, Notons que dans ces quatre pays, la majorité des exilés n’a pas émigré en Israël mais vers la France.

La conjonction de la lutte anticoloniale et de la question de Palestine va faire que certains arabes vont utiliser les stéréotypes antisémites européens. Des courants nationalistes arabes vont, dans leur propagande, reprendre ces thèmes ; comme, par exemple, le célèbre Protocole des sages de Sion, rédigé par la police tsariste en 1901 pour justifier la répression des Juifs, et que l’on retrouve publié par les baasistes (et plus tard sur le site Al Manar, le Hezbollah islamiste libanais). Les Frères Musulmans, (fondés en Egypte en 1928) considèrent les Juifs comme « ennemis de l’intérieur » (agents de l’Occident). A la fin du XXe siècle, avec le développement des nouveaux courants islamistes radicaux, apparaissent des références puisant dans un corpus historico-religieux. Les slogans contre « l’impérialisme et ses complices sionistes » se transmutent en « contre les Juifs et les croisés » ; on fait référence à la Gazwa al-Handaq (bataille de la Tranchée), où le prophète Mohamed avait battu les mecquois « mécréants » et les Juifs « traitres » de Médine. Depuis plusieurs décennies, et de manière persistante, la fixation idéologique et rhétorique contre « le sionisme » a servit aux Etats, arabes et autres, et à divers courants politiques nationalistes ou islamistes, de substitut à la lutte concrète pour les droits des Palestiniens. Elle a masqué leur absence de soutien (voire leur hostilité) aux droits effectifs des palestinien.

La question de l’antisémitisme aujourd’hui, notamment en France

L’écrasement du nazisme en 1945 et la création de l’Etat d’Israël en 1948 ont-ils fait disparaitre l’antisémitisme ? L’antisémitisme ne disparait pas parce que le nazisme est vaincu, ni parce qu’un « Etat-refuge » juif est créé. Au procès de Nuremberg (1945-1946), les principaux dirigeants du régime nazi ont été condamnés pour crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il faudra cependant attendre 2002 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, pour avoir une définition juridique précise des crimes contre l’humanité et du génocide, acceptée par 124 pays, mais pas par la Chine, la Russie, les Etats Unis, Israël, l’Arabie Saoudite, la Syrie… L’antisémitisme est un délit reconnu comme une forme de racisme par la jurisprudence, en application des législations française et européenne. Mais dans les opinions, les déclarations, les comportements ? D’après un sondage IFOP, en 1948, à la question « Est-ce que pour vous les Juifs sont des français comme les autres », les 2/3 des sondés répondait « non » ! En 2018 à la même question 92% répondait « oui » ! L’antisémitisme a beaucoup reculé, il n’a toutefois pas disparu. L’Etat d’Israël était, dans l’esprit de Théodore Herzl, moins un Etat pour rassembler tous les Juifs du monde, qu’un Etat ou pouvait vivre en sécurité les Juifs dont la vie était intolérable du fait des persécutions, et qui défendraient les droits des Juifs dans le monde…La « défense des Juifs » à l’extérieur, s’est transformée en demande par les gouvernants israéliens de la défense, par les Juifs de la diaspora, de la politique de l’Etat d’Israël.

Le « nouvel » antisémitisme, les racistes de l’anti-antisionisme et les pompiers pyromanes. De nouvelles mouvances d’extrême-droite sont à l’œuvre dans notre pays, dont le groupe nationaliste Egalité et Réconciliation fondé en 2007 par Alain Soral, ainsi que « l’humoriste » Dieudonné et quelques autres s’agitant avec forces « quenelles » (la reprise du geste d’un personnage mal dénazifié du film de Stanley Kubrik Docteur Folamour, dont le sens est évident). Ils influencent divers publics : français « de souche », racisés antillais, maghrébins, ou autres, qui croient y voir une expression « anticapitaliste et antiimpérialiste ». D’autres, sont des réseaux ou mouvances musulmanes sectaires salafistes, qui mêlent références antisémites occidentales et islamiques.

Pour Philippe Val, Pascal Bruckner, Luc Ferry, Boualem Sansal, ce Nouvel antisémitisme en France, comme ils l’appellent dans un livre de 2018, est une menace pour « notre société, nos libertés et notre République », et dont il faut identifier les vecteurs : « jeunes de banlieue » ou/et « musulmans » et leurs complices « islamo-gauchistes » et « anti-israéliens ». Un antisémitisme « atavique » pour Georges Bensoussan, auteur en 2002 du livre Les Territoires perdus de la République, et qui, s’exprime dans « l’islamo-gauchisme », l’antisionisme et les critiques d’Israël, comme le répètent à loisir l’académicien Alain Finkielkraut ou les analystes Pierre André Taguieff ou Alain Gérard Slama. Alors que les opinions antisémites ont globalement reculé (mais pas disparu), en France, les critiques de la politique israélienne sont en hausse. En 2018, 71% des Français sondés considéraient Israël comme le responsable de la situation des Palestiniens et 57% considérait la politique israélienne comme une menace pour la stabilité régionale (sondage IFOP/UEJF 2018). A rebours de cette évolution de l’opinion publique, les dirigeants français successifs, Sarkozy, Hollande, Macron, ont de plus en plus cautionné ces politiques israéliennes, pourtant de plus en plus ouvertement racistes, menées par la droite extrême nationaliste israélienne. Les gouvernements israéliens et leurs alliés considèrent ces critiques comme marqueur principal d’un antisémitisme croissant. L’antisionisme est donc « l’une des forme moderne de l’antisémitisme », nous a dit le président Macron en 2018, devant le mémorial des victimes de la Rafle du Vel ‘Hiv (tant pis pour les Juifs antisionistes parmi les raflés), et lors du diner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) en 2019, où il a aussi expliqué qu’il encouragerait les préfets à poursuivre les actions de la campagne BDS (Boycott désinvestissement sanction, menée pour forcer Israël à respecter ses obligations de droit international).

L’effet ravageur du deux poids, deux mesures. Les campagnes permanentes contre ce « nouvel antisémitisme », prêté aux « musulmans », aux « jeunes de banlieue » et au « gauchistes », s’inscrivent dans un contexte d’islamophobie déchainée, en Europe et tout particulièrement en France (où vivent les plus grandes communautés juives et musulmanes européennes). Aux effets d’une politique sociale injuste, perçue comme favorable aux privilégiés et défavorable aux plus pauvres, s’ajoute le sentiment d’une injustice supplémentaire quand une bonne partie des pauvres se sent ou est « racisée ». Il en résulte un sentiment de profonde injustice. L’impression est que sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur, la politique française pratique un « deux poids deux mesures », qu’elle encourage l’islamophobie mais combat l’antisémitisme, qu’elle soutient Israël au détriment des droits des Palestiniens et des peuples arabes.

Un front antiraciste ?

Les antiracistes conséquents ont-ils su faire face à cette situation de monté des racismes, dont l’antisémitisme ? Sans doute pas si l’on constate la dégradation de la situation…

Une faillite de la « gauche de la gauche » ? Une critique particulière est faite ? en ce qui concerne la question de l’antisémitisme à la « gauche de la gauche », c’est à dire aux antiracistes militants des organisations politiques à gauche des socialistes et se réclamant de l’écologie, de la justice sociale, de l’altermondialisme, et aussi des organisations de travailleurs immigrés créées dans les années 1970-80 (AMF, ATMF, FTCR, ACORT, etc.), des syndicalistes et associatifs, de certains groupes dans les quartiers, de certains groupes de musulman.es. A l’évidence, depuis une vingtaine d’année, on assiste à une banalisation de stéréotypes antisémites, et surtout à une multiplication des actes violents. Ces dernières années, des Juifs ont été ciblés, violentés et tués parce que Juifs, et par des brutes et des assassins issus de nos sociétés française ou belge, et pas tous « djihadistes ». Bien sûr, les djihadistes ou leurs admirateurs font des victimes non juives (ou non ciblées comme telles), et quelques cibles sont visées parce que chrétiennes (ou supposées telles), dont un prêtre catholique assassiné parce que prêtre. Mais il y a bien importance croissante et retentissement des actions judéophobes dans la France d’aujourd’hui.

Y a-t-il autocensure ? Pour ne pas perturber des alliances avec des groupes sociaux ou politiques dans les nécessaires combat anti-impérialistes ou anti-guerres, et en particulier dans la nécessaire lutte pour défendre les droits des Palestiniens ? Sous-estimation ? Ignorance ? Ou affaiblissement, voire même disparition, des « gauches de gauches ». On constate qu’en France, des « Juifs », (pas tous les Juifs), comme de nombreux musulmans (pas tous les musulmans), sont plus conservateurs que jadis, à l’image malheureusement de l’ensemble de la société française. Examinons d’abord l’évolution politique de la « communauté juive » en France. La partie la plus « communautaire » de cette communauté (très diverse) est de plus en plus encadrée par des organisations religieuses réactionnaires et des militants politiques de l’extrême-droite franco-israélienne, aujourd’hui à la tête de CRIF. Et la « gauche de la gauche », n’existe aujourd’hui guère à la base, dans les quartiers ou les lieux communautaires juifs réellement existants.

Et du coté des musulmans ou supposés tels ? Il n’y a pas plus (ni moins) de communauté musulmane que de communauté juive, avec ses institutions religieuses, ces organisations civiles à références musulmanes, et la masse de population qui en France est de confession musulmane ou perçu comme telle. Et il y a les « quartiers populaires », dont, rappelons-le au passage, la majorité des habitants n’est pas musulmane mais la grande majorité est pauvre ; par ailleurs, de très nombreux musulmans vivent loin de ces quartiers. Il y a dans certains quartiers, ou lieu de regroupement sociaux ou religieux (pas que musulmans) et dans les espaces virtuels, des groupes, informels, parfois liés à des réseaux salafistes ou d’extrême-droite, qui diffusent les stéréotypes de l’antisémitisme. La « gauche de la gauche » n’a pas, ou n’a plus beaucoup, d’implantation et de relais dans ces lieux de sociabilité, physiques ou virtuels pour les combattre. Pour résumer un peu brutalement, la « gauche de la gauche », dans l’ensemble, ne sous-estime pas l’antisémitisme et, dans l’ensemble (il y a malheureusement beaucoup d’exception), l’islamophobie. Mais ses actions restent très incantatoires, car elle est fort peu présente dans les populations où « ça se passe ».

Questions pour un front antiraciste. L’antiracisme ne se divise pas : quand on combat une forme de racisme ont doit combattre toutes les autres. Mais sans oublier les conditions particulières dans lesquelles se manifestent les différentes formes de racisme, la condition particulière de chaque population « racisée ». Il faut prendre à sa juste mesure la réalité actuelle de l’antisémitisme. Ajoutons immédiatement que :

– « L’antisionisme » n’est pas un critère en soi discriminant, on peut trouver dans un front antiraciste large des gens ou des mouvements qui ont diverses appréciations ou analyses historiques ou politiques, ou pas d’appréciation du tout, du sionisme.

– Mais tous les antiracistes condamneront la politique israélienne, ses soutiens politiques et intellectuels hors d’Israël, et ne sauraient avoir la moindre complaisance pour des manœuvres grossières telles que l’incrimination de l’antisionisme, ou les poursuites contre les militants de BDS.

La forme la plus virulente du racisme aujourd’hui en France, comme dans le monde, est l’islamophobie. La critique comme quoi parler d’islamophobie serait « interdire de critiquer une religion » et un sophisme ridicule. La reconnaissance de la réalité de l’islamophobie est une démarcation absolue pour tout antiracisme conséquent. Les racismes coloniaux (la hiérarchisation des races et civilisations pour justifier l’esclavage et les conquêtes coloniales) se projettent puissamment dans notre réalité politique postcoloniale frappant des pans entiers de la société française des catégories « noirs » ou « arabes ». La Rromophobie est un invariant du racisme, pourtant toujours oublié ou considéré à tort comme marginal. L’objectif, la nécessité, c’est la constitution d’un front large contre les racismes et les discriminations, et actif partout, face aux racistes et discriminateurs de toutes obédiences.

Des livres, … (liste bien sur non exhaustive)

Ilan Halevi (1943-2013) : Question juive, la tribu, la loi l’espace, première édition en 1981, que les éditions Syllepse ont eu la bonne idée de rééditer en 2016.

Ilan Halevi : Islamophobie et judéophobie, l’effet miroir, recueil de textes publié par les éditions Syllepse en 2015.

Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé, publié en Israël en 2008, en France, Fayard 2008.

Leon Poliakov (1910-1997) : Histoire de l’antisémitisme, écrit entre 1956 et 1977, cette étude magistrale est parue en poche en deux tomes éd. Le Seuil, sciences humaines en 1991

Zeev Sternhell : Aux origines d’Israël, Entre nationalisme et socialisme, première éditions 1996, en poche Gallimard Folio Histoire 2004.

Raul Hilberg La Destruction des Juifs d’Europe, 1961, première édition française chez Fayard en 1988, édition définitive 2006, en trois tomes Éditions Gallimard, coll. « Folio Histoire ». 

Gilbert Achcar : Les Arabes et la shoah, Sinbad Actes Sud 2013

Dominique Vidal : Antisionisme = Antisémitisme, réponse à Emmanuel Macron, Libertalia 2018.

Union Juive française pour la Paix (UJFP) : Une parole juive contre le racisme, Syllepse, 2ème édition, 2018.

Michel Warschawski, Leila Shahid, Dominique Vidal), Les banlieues, le Proche-Orient et nous L’Atelier, 2006


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Bernard DREANO

Bernard Dréano est membre du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM) et de l’Assemblée européennes des citoyens (Helsinki Citizens’ Assembly France), associations membre du Réseau Initiatives pour un autre monde (IPAM).