Logements des travailleurs immigrés «isolés»
Depuis 1996 (Rapport Cuq) et 1997 (décision d’un Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants), les plusieurs centaines de foyers de travailleurs immigrés sont « traités », c’est-à-dire transformés en « résidences sociales » avec des règles largement anti-sociales. Dans ces foyers/résidences, la loi prévoit que soient élus des représentants des résidents, pour former un comité de résidents, appelé à se concerter avec le gestionnaire, et avec le propriétaire s’il est différent (mais dans ce cas assez fréquent, le propriétaire ne se fait jamais représenter) dans un conseil de concertation réuni une fois par an. Des réseaux des comités de résidents existants (ADOMA et COALLIA) se coordonnent ; ceux-ci ne sont pas reconnus par les gestionnaires mais, sous leur pression (en général des rassemblements devant leur siège) peuvent être reçus pour une concertation. Une association, le Collectif pour l’avenir des foyers, a été créée en 1996, en appui à ces comités et à ces coordinations.
Geneviève Petauton est membre du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF).
![Rassemblement devant le siège d’ADOMA CDC-Habitat, le 19 avril 2024. [COPAF]](https://www.lesutopiques.org/wp-content/uploads/2025/10/14-Illust1-Petauton-Logements-des-travailleurs-immigrés-isolés.webp)
Ces dites « résidences sociales » sont, de fait, des foyers-prisons où les gestionnaires appuyés par l’État, en premier lieu l’ADOMA (ex SONACOTRA, aujourd’hui filiale privée du groupe privé CDC–Habitat), imposent leur volonté de contrôler toute la vie des résidents (et maintenant aussi des résidentes de plus en plus nombreuses), leur refusent le droit à la vie privée en leur interdisant d’avoir leur propre clé et leur propre serrure, se réservant la possibilité de pénétrer dans les studios avec leur passe quand ils le veulent et les infantilisent par tout un arsenal de pratiques anti-démocratiques. On parle là de studios pour lesquels il faut payer une redevance de plus en plus chère, avec des charges et des prestations jamais justifiées ; des prestations hors du droit commun : lavage des draps deux fois par mois ; remboursement du mobilier très rudimentaire pendant des décennies ; paiement très cher pour un « accompagnement » inexistant ou réduit au travail du gérant pour les dossiers CAF. Ces prestations sont déclarées obligatoires (là encore avec le soutien actif de l’Etat) et payées même quand elles ne sont pas fournies, ce qui arrive très fréquemment. Enfin, ces résidences sont une machine de guerre pour expulser les vieux migrants.
Les migrants retraités font des va-et-vient en permanence entre leur studio et leur famille restée au pays. Les séjours sont plus ou moins longs. Les retraites sont, pour de nombreux migrants, beaucoup plus faibles que leurs derniers salaires, les besoins de la famille, eux, sont au contraire grandissants sur un continent en plein développement (on utilise ce mot par commodité, en sachant qu’il est chargé de critiques et d’interprétations diverses) ; les migrants retraités désirent ne pas rompre avec la France : les amitiés nouées ici, leur médecin traitant et le système de soins. Ils veulent garder la location du studio attribué à leur nom. Ils installent alors des proches, souvent des jeunes encore précaires, dans ledit studio. Ceci est strictement interdit et passible de l’expulsion. C’est ainsi que depuis plusieurs années, des centaines, voire des milliers de vieux migrants ont perdu leur contrat de résidence et sont expulsés de leur logement (ainsi que les proches qu’ils hébergeaient).
La mixité prétendument recherchée par l’État (loger toutes les personnes précaires qui ne peuvent accéder au logement social ordinaire : jeunes qui décohabitent, stagiaires, personnes en intérim, au RSA, handicapé∙es, femmes seules avec enfants, etc.) se fait donc au détriment des vieux migrants mais aussi des jeunes migrants, qui ont du mal à intégrer ce type de logement, soit parce qu’ils ne sont pas assez précaires soit parce qu’ils le sont trop.
Les résistances
Il y a tout d’abord la résistance assez générale chez les plus anciens ; on ne veut rien changer à ses habitudes, on fait comme si on était encore dans les foyers avec une grande tolérance des gestionnaires quant à la vie collective, la restauration collective, les prières collectives, l’hébergement des proches, les remplacements pendant les séjours au pays… Cette « résistance » est têtue mais, si elle freine la transformation des foyers en résidences mixtes dans certaines zones des agglomérations de Paris, Marseille ou Lyon, elle finit à court terme par des expulsions massives.
Il y a celle, de plus en plus fréquente, qui consiste à changer sa serrure ; le plus souvent, c’est une décision individuelle mais ce peut être aussi le résultat d’un vote en assemblée générale, convoquée par le comité de résidents.
![Rassemblement devant le siège d’ADOMA CDC-Habitat, le 19 avril 2024. [COPAF]](https://www.lesutopiques.org/wp-content/uploads/2025/10/14-Illust2-Petauton-Logements-des-travailleurs-immigrés-isolés.webp)
Enfin, il y a la résistance des comités de résidents et de leurs réseaux ou coordinations, qui jouent le jeu de la concertation tout en exigeant des pratiques démocratiques, qui sont de plus en plus difficiles à obtenir : trois conseils de concertation par an plus un conseil extraordinaire si besoin ; des réunions régulières avec le gérant local pour tous les problèmes du quotidien (les dysfonctionnements techniques, les pannes, les impayés, les hébergements abusifs, etc.) ; des PV de réunions validés par le comité ou la coordination ; des commissions électorales décisionnaires pour préparer et réaliser les élections des délégués… Toutes ces demandes démocratiques minimales étant de plus en plus refusées, les comités et les coordinations, avec l’appui du COPAF, appellent à des manifestations et rassemblements devant les sièges, à des blocages du personnel sur la résidence, voire à des comités de soutien comme à Marc Seguin (Boulogne-Billancourt) ou Branly (Montreuil). Si les gains en termes de négociation sont inégaux, au moins les participant∙es mobilisé∙es sortent de l’invisibilité, se font reconnaitre par les soutiens, se connaissent mieux entre eux/elles et comprennent tout à fait les enjeux de leurs luttes et de leur engagement.
Comment les résident∙es vivent cette situation ?
Pour les résident∙es c’est le retour des foyers-prisons, c’est « Adoma y’en a marre » scandé dans les manifs et les rassemblements, c’est l’infantilisation généralisée, la dictature et le sentiment de remplir les poches d’organismes privés qui ne recherchent surtout pas leur bien-être mais uniquement leur profit. Cette situation, même si elle remonte à une bonne dizaine d’années maintenant, est vécue comme une situation nouvelle, comme une rupture de contrat entre les résident∙es, qui acceptent de payer cher pour une chambre (il y en a encore des milliers de 7 à 9 m², ou un studio de 11 à 18 m² pour les T1 et de 20,4 à 25 m² pour les T1’ beaucoup moins nombreux), et le gestionnaire qui empoche l’argent et tolère un mode d’occupation en grande partie collectif et solidaire. Ce dernier point est une des raisons, sans doute la raison essentielle, du peu d’investissement d’une grande partie des résident∙es dans les résistances actives. Dans les résidences sociales, les jeunes, dès qu’ils ont un travail plutôt stable, cherchent une solution autre et quand ils/elles la trouvent, quittent les lieux.
Et les syndicats dans tout ça ?
Il y a des résident∙es syndiqué∙es et certains délégués exercent même des responsabilités syndicales. Mais les liens entre les syndicats et les comités de résidents sont rares. Ils existent toutefois dans certains cas, par exemple avec Solidaires dans le Val-de-Marne ou à Montreuil. Les liens sont également insuffisants vis à vis des confédérations de logement. Via le COPAF, des liens existent avec le DAL, Droits Devant !! et certains collectifs de sans-papiers. Plusieurs délégués sont d’anciens porte-parole d’un collectif de sans-papiers, mais les liens perdurent rarement. Il y a même assez souvent des tensions entre les jeunes sans-papiers et leurs aînés hébergeurs. Ce serait une excellente chose que nous débattions sur ce point des liens à créer, développer, renforcer, entre Solidaires et les comités et coordinations de résidents.
⬛ Geneviève Petauton
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