L’action syndicale à l’OIT pour une convention contre les violences

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L’OIT C’EST QUOI ?

L’Organisation internationale du travail a été fondée en 1919, au lendemain du carnage de la première Guerre mondiale, sur le constat qu’il ne pouvait y avoir de paix durable, sans justice sociale. Sa composition est tripartite : les États, les employeurs et les représentant·es des travailleurs et travailleuses. Il y a 190 normes de l’OIT, qui, pour s’appliquer dans un pays, doivent d’abord être ratifiées par l’État concerné. Seules exceptions : huit conventions fondamentales, qui doivent être appliquées, même en l’absence de ratification. La CGT propose que la convention sur les violences et le harcèlement soit une convention fondamentale, au même titre que celles sur le travail des enfants ou le droit de grève. En France, c’est grâce à la convention 158 de l’OIT que le grand frère du CPE, le CNE, a été abrogé en 2005.

UNE CAMPAGNE QUI A PERMIS DE FAIRE DES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES UN SUJET SYNDICAL

Il est important de noter que la revendication d’une convention internationale consacrée aux violences sexistes et sexuelles a été lancée par la Confédération syndicale internationale en 2012, 6 ans avant #metoo. Cette décision a enclenché une dynamique sur le plan mondial, permettant de faire, enfin, des violences sexistes et sexuelles un sujet pleinement syndical.

UNE VICTOIRE ARRACHÉE GRACE A L’ARTICULATION DES MOUVEMENTS SYNDICAL ET FÉMINISTE

Alors que le patronat veut en finir avec le caractère contraignant des normes internationales du travail et que la dernière convention date d’il y a presque 10 ans, l’adoption d’une nouvelle convention n’a été possible que grâce au rapport de forces construit par le mouvement syndical, en s’appuyant sur la mobilisation féministe. Sous pression de l’opinion publique et de la mobilisation des femmes, les États, y compris les plus réactionnaires, ont été obligés de soutenir les revendications syndicales. Avec l’adoption de cette convention, les organisations syndicales ont offert un débouché victorieux à la mobilisation mondiale des femmes enclenchée avec #metoo, à partir de faits de violences sexuelles au travail.

En France, la mobilisation intersyndicale et féministe coordonnée par la CGT a joué un grand rôle. Elle a permis de gagner un soutien « sans réserve » de la France, qui a ainsi entraîné l’Union européenne derrière elle. Dans la négociation menée à l’OIT, les syndicats ont ainsi disposé du soutien des 26 pays de l’Union européenne et des 52 pays africains. Associé au soutien du Canada, de Cuba, de la Nouvelle Zélande et autres, ceci a permis de dépasser l’opposition frontale et systématique du patronat, et de quelques pays particulièrement réactionnaires, Russie en tête, et de gagner la majorité des 2/3 de pays indispensable à l’adoption d’une convention. Cette victoire prouve à quel point le combat pour l’émancipation des femmes est un levier pour gagner des droits pour toutes et tous et renouer avec le progrès.

UN DES TEXTES LES PLUS AMBITIEUX DE L’OIT

Le contenu de la convention et de la recommandation en fait un des textes les plus ambitieux de l’OIT de ces cinquante dernières années, et permettra de gagner des avancées dans tous les pays du monde, y compris en France. En effet, la convention et la recommandation :

➔ couvrent toutes les formes de violence et de harcèlement, y compris psychologiques, avec une prise en compte spécifique des violences fondées sur le genre.

➔ Protègent toutes les travailleuses et travailleurs, y compris celles et ceux qui sont précaires, sans contrat de travail, en formation ou dans l’économie informelle. 

➔ S’appliquent dans l’ensemble du monde du travail, y compris les trajets et déplacements professionnels, les lieux de repas, voire d’hébergement lorsqu’ils sont fournis par l’employeur.

➔ Prennent en compte l’impact des violences domestiques sur le monde du travail avec des droits concrets pour protéger le droit au travail des victimes de violences conjugales : droits à congés, à aménagement de l’organisation du travail, protection contre le licenciement…

➔ Portent une démarche transversale, en prévoyant l’intégration de la lutte contre le harcèlement et les violences dans l’ensemble des politiques publiques. Ainsi, les Etats qui l’auront ratifiée devront notamment interdire dans la législation le harcèlement et les violences, former l’ensemble des professionnels intervenants sur le sujet (magistrat·es, inspections du travail, travailleur·ses sociaux, etc.), aménager la charge de la preuve dans le cadre des procédures judiciaires, prévoir des processus de réparation intégrale du préjudice des victimes…

➔ Insistent sur la nécessité de renforcer, à tous les niveaux, la négociation collective sur le sujet, et sur l’enjeu de l’information et de la sensibilisation de tous les travailleurs et toutes les travailleuses.

ET MAINTENANT ?

Pour s’appliquer, ces textes doivent maintenant être ratifiés par les États ; et il y a urgence, alors qu’un pays sur trois n’a aucune législation pour protéger du harcèlement sexuel au travail. La France a annoncé, très discrètement, sa volonté de ratifier mais se refuse pour l’instant à ouvrir des négociations tripartites. Pourquoi ? Parce que l’objectif du gouvernement est de ratifier à minima, sans rien changer dans notre législation actuelle. Pour ce faire, le gouvernement s’appuie sur le fait que l’essentiel des avancées par rapport à la législation française se trouve dans la recommandation, qui est moins normative que la convention. Mais la convention contient toutefois l’obligation de traiter, à tous les niveaux, de l’impact des violences conjugales sur le travail, sujet qui n’est aujourd’hui, ni obligatoire ni même optionnel dans les négociations de branche et d’entreprise. La bataille de la ratification est donc politique plus que juridique : l’enjeu est d’en faire l’occasion pour que la France se dote des meilleurs standards internationaux, à l’image de l’Espagne, du Canada ou de la Nouvelle Zélande par exemple.

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Sophie Binet

Co-secrétaire de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (UGICT-CGT), pilote du collectif confédéral femmes-mixité de la confédération. Avec Maryse Dumas et Rachel Silvera, elle est co-auteure de Féministe, la CGT ? Les femmes, leur travail et l'action syndicale, Éditions de l’atelier, 2019