Industrie automobile : qui conduit ?

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On ne va pas parler ici de la « socialisation /récupération/appropriation sociale », sous quelque forme que ce soit, d’une petite entreprise en dépôt de bilan ou sacrifiée par un grand groupe ; mais de multinationales puissantes, implantées dans le monde entier et regroupant, de différentes façon capitalistiques, d’autres constructeurs eux-mêmes multinationaux.

Commençons par une petite citation sur le sujet de Rosa Luxemburg, dans sa polémique avec le révisionnisme de Bernstein : « Les coopératives, et d’abord les coopératives de production sont des institutions de nature hybride au sein de l’économie capitaliste : elles constituent une production socialisée en miniature qui s’accompagne d’un échange capitaliste. Mais dans l’économie capitaliste, l’échange domine la production ; à cause de la concurrence il exige, pour que puisse vivre l’entreprise, une exploitation impitoyable de la force de travail, c’est-à-dire la domination complète du processus de production par les intérêts capitalistes. […] D’où pour la coopérative de production, la nécessité, contradictoire pour les ouvriers, de se gouverner eux-mêmes avec toute l’autorité absolue nécessaire et de jouer vis-à-vis d’eux-mêmes le rôle d’entrepreneurs capitalistes.1 »Il est important de répondre à quelques questions pour savoir de quoi on parle, quant à l’appropriation sociale du secteur automobile et par voie d’extension de multinationales du secteur privé d’un secteur clé de l’économie.Je vais résumer cela en 5 questions et leurs déclinaisons qui sont, pour moi, à la base de notre réflexion commune et des enjeux qui nous préoccupent.

-1- Quels sont les acteurs de la socialisation ?

  • Les salarié.es de l’entreprise donneuse d’ordres (jusqu’où ? Ouvriers, techniciens, cadres, cadres supérieurs ?), avec un possible risque de reproduction hiérarchique ? Et surtout comment gérer les compétences des uns et des autres ?
  • Les travailleurs et travailleuses en général, avec la mise en place de conseils de salarié.es au niveau de la branche, de la région, du pays ?
  • La population, au niveau local, régional, national ?
  • Et quid de l’international ? Car les multinationales sont implantées dans de nombreux pays. Que deviennent les travailleurs et travailleuses de ces différents pays ? Ont-ils/elles leur mot à dire ? Et les sous-traitants ?
Peugeot, affiche de mai 1968

-2- Que socialise-t-on ?

  • Les entreprises socialement irresponsables ? La liste est longue. Ne le sont-elles pas toutes ?
  • Les entreprises en difficulté (avec reprise par les salarié.es). Beaucoup d’exemples en ce moment ! Les entreprises en bonne santé ?
  • Les secteurs clés de l’économie ? Mais encore faut-il les définir : Du secteur privé ? Le secteur public a-t-il besoin d’être (re)socialisé ? Ce qui apparait dans la plupart des réflexions, c’est que l’appropriation sociale des secteurs clés de l’économie, comme par exemple le secteur automobile, concerne de plus en plus des entreprises, des multinationales du secteur privé. Et en ce qui concerne le secteur privé (d’ailleurs de plus en plus imbriqué dans celui du public), les secteurs de l’énergie, du transport et de l’industrie sont incontournables.

-3- Comment le fait-on ? Comment socialise-t-on ?

  • Par la nationalisation ? Comme en 1981/82 ? Mais nous parlons aujourd’hui d’appropriation sociale, de socialisation et non de nationalisation. Pourquoi ? Parce que nous devons intégrer le bilan des expériences passées, de ce que les nationalisations effectuées dans les pays capitalistes ont révélé comme impasses. La RNUR2 en est un bon exemple…
  • Par la négociation débouchant sur une cogestion sur le modèle allemand ? Cela semble être la voie suivie par Macron avec les Comité sociaux et économiques (CSE).
  • Par l’expropriation des actionnaires ? A partir d’une lutte locale, nationale, internationale ?

-3- Pour faire quoi de ces entreprises socialisées ?

  • Pour être meilleurs que les capitalistes ? Plus rentables, plus sociables ?
  • Pour mieux redistribuer les profits, de façon plus équitable ?
  • Pour être plus écologiques ?
  • Pour planifier démocratiquement l’économie ?
  • Pour changer la société ?

-4- Et, dernière question :

  • Que faire… De l’industrie automobile et de son impact sur l’écologie ?

Les trois premières séries de questions sont, en elles-mêmes, porteuses de réponses assez claires, si tant est qu’on se place dans la perspective émancipatrice qui est la nôtre. La dernière interrogation va être ici développée…

On parle beaucoup de crise écologique. Mais quels sont les rapports entre industrie automobile et crise écologique ?

L’industrie automobile est le parfait exemple du productivisme aberrant du système capitaliste, qui continue à vendre en masse des bagnoles alors que le pétrole devient rare et cher, et que notre air devient irrespirable. On ne peut ignorer non plus les impacts sanitaires du trafic routier sur la santé humaine (sans parler des accidents de la route), notamment du fait de la pollution aux particules fines causées par la combustion d’énergies fossiles. Cette pollution serait en France la cause de 40 000 morts prématurées.

La place qu’occupe l’automobile dans nos vies et dans nos espaces urbains est une autre donnée tout à fait structurante. Le coût de l’entretien d’une voiture individuelle pour un ménage est tout simplement délirant : jusqu’à 25 % du salaire annuel moyen soit plus de 400 heures de travail. « En tant que moyen de transport quotidien, la voiture individuelle est manifestement irrationnelle […]. Toute la logique de la société bourgeoise favorise d’ailleurs toujours des solutions axées sur la propriété privée et sur la vente de marchandises plutôt que des solutions axées sur la satisfaction des besoins et sur les services publics.3 »

L’industrie automobile est également un parfait exemple de la casse humaine et de la pénibilité du travail car les « bons résultats » de PSA, de Renault, etc. s’accompagnent de cortèges d’intérimaires, d’une augmentation des cadences, du travail de nuit et les dimanches, d’un chantage à l’emploi et aux délocalisations. « Cela provoque la désagrégation des collectifs de travail et militants. En même temps, les conditions de travail se dégradent avec l’intensification du travail, la suppression des temps de pause, la multiplication des outils de contrôle, la mise à mal de la séparation temps privé-temps professionnel, le développement du travail de nuit, du travail posté, la taylorisation du travail administratif et commercial. L’individualisation du travail et de la rémunération, la précarisation de l’emploi, engendrent souffrance et stress jusqu’au suicide, sans que se développent les ripostes collectives suffisantes. » Il y a un lien très clair entre augmentation de la productivité, nouvelles méthodes de management et souffrance au travail, jusqu’aux gestes les plus désespérés. C’est cela aussi, le bilan d’une industrie qui n’est pas au service des intérêts du plus grand nombre.

Ce système nous réduit à l’état de machines : les salarié.es de l’automobile payent très fort le prix de la surproduction. Aucun miracle technique ne permettra de se sortir de cet univers de la concurrence capitaliste et aucun miracle technique ne viendra résoudre l’aberration écologique et économique d’un système de surproduction et de gaspillages avec des cycles de fabrication aux quatre coins du monde, avec des produits à « obsolescence programmée », etc. Il n’y aura donc pas non plus de miracle social tant que l’objectif de ces productions sera les profits et la productivité avant d’être la satisfaction des besoins sociaux dans le respect des équilibres écologiques.

Peut-on produire autre chose autrement ? Mettre en place une planification écologique ?

Dès maintenant, faire le choix d’une sortie maîtrisée du tout bagnole/pétrole, comme nous proposons une sortie du nucléaire, doit être notre objectif. Nous devons le dire tranquillement. Le dépérissement de l’usage de la voiture, ou du moins les conditions d’accès au carburant, vont devenir de plus en plus prégnants et de plus en plus inégalitaires. Il faut donc entrer en campagne pour exiger le développement des transports collectifs et leur gratuité : c’est une voie pour la conversion de l’industrie automobile en production socialement utile et écologiquement soutenable. Ce thème permet de faire le lien avec les quartiers populaires, les campagnes délaissées. Il est éminemment social et écologique. Il parle aussi de justice territoriale et d’un autre rapport aux déplacements et à l’organisation de la vie.

Tout comme nous revendiquons une mise sous contrôle de la filière énergétique, avec la réquisition des profits et des moyens de production de grands groupes comme Total, nous devons exiger que la production des modes de transports se fasse sous contrôle de la population et des salariés, dans le respect des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre responsables du cataclysme climatique. Ce raisonnement implique une transformation révolutionnaire écosocialiste de la société. C’est une rupture avec une vision productiviste portée notamment par une grande partie du syndicalisme dominant en France.

Pour une socialisation/reconversion écologique de l’industrie automobile

La socialisation/reconversion écologique de l’industrie automobile passe par l’appropriation collective des moyens de production ou de services qui doit s’inscrire dans un projet global de transformation sociale et d’émancipation. Pas de solution sans penser à la reconversion de l’industrie automobile ! La « voiture verte » est une illusion et les agro-carburants ne sont pas la solution. L’industrie automobile a une expertise dans la logistique, l’ingénierie de production et de la conception à la production, qui pourrait être appliquée à tout autre type de production. Les processus complexes mis en œuvre aujourd’hui dans l’industrie automobile pourraient être appliqués à la production d’éoliennes et d’autres équipements pour la production d’énergie renouvelable, de tramways, de trains, d’autres véhicules et de systèmes pour des organisations de transport durable et une nouvelle approche de la mobilité.

La défense et la préservation des postes de travail nécessitent l’élaboration de contre-plans alternatifs visant une reconversion écologique qui devront intégrer des questions telles que :

  • le développement et la faisabilité technologique de l’évolution des nouveaux produits ;
  • l’impact écologique pour fabriquer ces produits ;
  • la recherche de l’innovation pour une plus grande utilité sociale ;
  • la redéfinition des rapports sociaux dans l’entreprise et la branche ;
  • l’organisation du travail, le transfert des « savoir-faire » et la remise en cause des savoirs morcelés.

Cette socialisation/reconversion doit aussi passer par une démocratie autogestionnaire autour de l’entreprise :

  • la démocratie comme révélatrice des conflictualités dans l’élaboration d’un projet commun ;
  • l’accès à l’information ce qui implique l’ouverture des livres de comptes et le contrôle des investissements ;
  • de nouvelles formes d’organisation et d’expression des travailleurs et travailleuses : des conseils d’atelier au conseil d’entreprise ;
  • mieux définir le rôle des experts et contre-experts (associations de chercheurs, économistes, syndicalistes, etc.) ;
  • Et surtout l’intervention de la population concernée, des mouvements politiques et écologistes, des mouvements syndicaux.

L’industrie automobile est un outil fantastique et polyvalent qui n’est pas fatalement lié à la fabrication d’automobiles.

L’industrie automobile doit changer de trois façons :

  • Elle doit passer du privé au public et être socialisée.
  • Elle doit passer de la route vers le rail et les transports collectifs.
  • Elle doit être au service d’une nouvelle approche de la mobilité dans un contexte de transition écologique.

Loin d’être une utopie, la reconversion et la socialisation de l’industrie automobile représentent une perspective pratique.

C’est une industrie extrêmement flexible. Ce n’est pas un hasard si l’industrie automobile a été la seule branche de l’industrie américaine à avoir été complètement reconvertie à l’effort de la seconde Guerre mondiale. Quelques mois seulement après Pearl Harbor, les chaînes de montage de Détroit ont cessé de produire des voitures privées et ont commencé à produire tanks et avions. Donc, aujourd’hui, pourquoi pas des trains, bus, etc. ?

En bref, l’industrie automobile n’est pas une mine de charbon. C’est un mécanisme souple de production que la société pourrait utiliser pour produire presque n’importe quel type d’équipement technique sur une grande échelle.

En guise de conclusion :

Initier des débats et des réflexions communes est important, mais les solutions viennent, viendront, dans le bouillonnement de la lutte. Les salarié.es, les populations lorsqu’elles sont en lutte voient leurs capacités créatives enfin émerger des carcans de la société capitaliste. Mais si l’on peut et doit critiquer les expériences multiples qui ont déjà eu lieu dans diverses circonstances et dans divers pays, ces expériences d’appropriation sociale d’entreprise ont le mérite de montrer ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Que l’on n’est pas dans l’utopie. Qu’une autre société est possible.


Extrait d’un texte, de septembre 2012, de l’Union syndicale Solidaires et de Solidaires Industrie, concernant la fermeture de PSA Aulnay

PSA : Nos analyses et nos propositions…

Quelle voiture du futur ?

Les choix technologiques des nouvelles motorisations sont ouverts. Du fait des conséquences de l’automobile sur l’environnement et sur l’espace urbain, ce ne sont pas aux seuls constructeurs automobiles de décider. La nécessité de réduire la consommation des énergies fossiles implique une réorientation technologique.

Tout le monde tâtonne entre voiture électrique ou hybride. Les investissements en chaine que cela suppose méritent d’être débattus. La question des batteries, par exemple, est essentielle. Quels investissements pour produire une technique augmentant l’autonomie, celle au lithium-air actuellement à l’étude par des chimistes britanniques ou d’autres ? Qui va payer les bornes de rechargement, les collectivités publiques ou les constructeurs ? Quel matériau utiliser pour réduire la consommation d’énergie ? Et quelle technique de remplacement des batteries avant l’épuisement des métaux rares les composant ? En cas de motorisation électrique, l‘utilisation de matériaux plus isolants que l’acier ou l’aluminium, est posée. BMW et Audi expérimentent l’usage du carbone pour des productions de série. Aujourd’hui, 20% de la masse totale d’un véhicule usagé n’est pas recyclable ou valorisable et finissent en déchets industriels alors que l’objectif européen prévu pour 2015 est de 5 %. Le recyclage des véhicules usagés doit faire partie des études d’impact lors de la construction des véhicules et notamment pour les plastiques utilisés.

Nos propositions :

  • Face au diktat de PSA et au manque d’ambition du gouvernement, les salariés.es et les organisations syndicales du groupe peuvent devenir un exemple pour tous les salarié.es menacé.es de plans sociaux en se mobilisant pour imposer d’autres choix :
  • Le site d’Aulnay doit être maintenu. Au-delà des déclarations d’intention, le gouvernement doit prendre des mesures concrètes ; la situation actuelle montre l’urgence de ne pas laisser les intérêts privés d’une minorité définir la politique du Groupe PSA. L’entrée de l’Etat au capital, par exemple à la hauteur de 20 %, permettrait de mettre en avant d’autres solutions, comme obliger la famille Peugeot à investir un milliard d’euros en contrepartie des aides publiques reçues. L’Etat doit d’ailleurs de la même manière peser sur les décisions à Renault.
  • Un débat doit s’ouvrir avec les salarié.es concernés mais aussi avec l’ensemble de la population sur les questions de la socialisation, du contrôle des salarié.es sur ce qu’ils et elles produisent, sur l’utilisation de la plus-value dégagée, sur les investissements utiles à la société…Ces questions se posent pour la filière automobile comme dans les autres secteurs productifs.
  • Les salarié.es doivent être protégés des aléas des restructurations dues aux évolutions de lafilièreautomobile.Pour cela, un fonds financé par le patronat de la branche doit permettre aux salarié.es de garder leur rémunération, leur protection sociale et plus globalement l’ensemble de leurs droits sociaux, pendant le temps nécessaire pour retrouver un emploi comparable, et prendre en charge le financement de leur éventuelle reconversion.
  • Al’échellenationaleeteuropéenne,ilfautengagerundébatdémocratiquesurl’avenir,la transformation de l’industrie automobile selon des choix technologiques décisifs du point de vue écologique et de l’espace urbain.

Au-delà du cas de PSA et de la filière automobile, le gouvernement doit engager des réformes visant à donner plus de droits aux travailleurs et travailleuses. Il faut notamment instaurer pour les représentants et représentantes syndicaux un droit de veto suspensif sur les licenciements collectifs. Solidaires revendique la création d’un nouveau statut du salarié garantissant la pérennité des droits et acquis sociaux. La responsabilité collective du patronat doit être reconnue, notamment par la mise en place d’un fonds patronal finançant le maintien des salaires dans la période de reconversion ou de formation, avec obligation de résultat, sans limite de délai, des reclassements. Il faut également poser la question de la réduction du temps de travail avec embauches correspondantes et l’amélioration des conditions de travail. C’est une nécessité face à l’augmentation de la productivité, aux nouvelles technologies et à la montée du chômage […]


1 Pour m’aider dans cette réflexion je me suis appuyé en partie sur un article qui a le mérite de mettre les pieds dans le plat : « Entre crise économique et crise écologique, l’industrie automobile a-t-elle encore un avenir ? » de Lars Henriksson, syndicaliste à Volvocars à Göteborg (Suède).

2 RNUR : Régie nationale des usines Renault, créée par nationalisation des usines Renault, en janvier 1945.

3 « Entre crise économique et crise écologique, l’industrie automobile a-t-elle encore un avenir ? », Lars Henriksson.

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Marc TZWANGUE

Cadre au Technocentre Renault de Guyancourt, Marc Tzwangue a été secrétaire du syndicat Sud local jusqu’en 2017. Il est co-secrétaire de l’Union Sud Industrie depuis 2017 et membre de la commission internationale de Solidaires.