Interview de “Compagnie Jolie Môme”
– Comment est née votre compagnie ?
La Compagnie Jolie Môme est née il y a plus de 30 ans, à une époque où se répandait l’idée qu’il fallait savoir se vendre, que la permanence artistique devait laisser la place au changement systématique d’équipes car la flexibilité et la compétition étaient moteurs de création.
Notre compagnie s’est donc dès le début affirmée à contre-courant avec l’envie de construire une troupe de théâtre, qui soit pérenne, qui partage son aventure collectivement, à salaire égal…
Une autre ambition est d’être capable de s’adresser aussi à des publics qui ne sont pas les publics traditionnels du théâtre.
Après quelques années, la rue est devenue un lieu de rencontre de ces nouveaux publics, grâce au spectacle de chansons qui permet de séduire et d’attirer dans les théâtres des spectateurs qui n’y seraient pas venus naturellement, rebutés par l’image institutionnelle du théâtre.
– Quelles valeurs portez-vous ?
Rien d’original si nous répondons l’égalité, la fraternité et la liberté !
Nous avons même créé récemment un spectacle à destination des petits et des grands pour évoquer l’appropriation de ces valeurs par trois jeunes filles révoltées. Ce spectacle s’appelle Des Patates et des Roses.
Là où nous marquons peut-être la différence avec la devise qui orne certains établissements publics, c’est justement dans l’appropriation de ces valeurs, qui se gagnent dans la lutte, s’entretiennent et se défendent en permanence.
Les déclarer n’engage à rien, les mettre en œuvre devrait nous engager tous.
Une valeur enfin qui nous tient à cœur et a particulièrement porté notre dernière création, c’est l’internationalisme. Tous les travailleurs sont des frères, quels que soient leur pays, leurs cultures, leur emploi : Cette idée nous semble fondamentale pour penser le monde et en déduire les conduites à tenir en matière de solidarités, de projets politiques, économiques, sociaux.
Rappeler que le seul véritable opposant à notre intelligence commune et notre bonheur commun, c’est la classe qui dirige le monde, l’opprime et le divise… pour son propre intérêt.
Ça paraît vieux à certains mais c’est obstinément d’actualité !
C’est pour cela que dans notre dernière création, « 14/19 La mémoire nous joue des tours », nous avons souhaité aborder la première guerre mondiale sous un angle Internationaliste.
Nous avons en même temps abordé les commémorations sous l’angle de leur manipulation, ce qui était tu ou au contraire fabriqué dans la mémoire écrite par nos gouvernants, à travers les discours officiels ou les programmes scolaires.
– Quel retour recevez-vous des spectateurs/trices de votre travail ?
Nous avons une grande proximité, un rapport de confiance et de fidélité avec notre public qui sont assez étonnants et qui sont un énorme atout pour nous.
Légèrement au ban des medias dominants, nos spectateurs sont notre meilleur media !
Et cela se ressent très vite pour nous lorsque le bouche à oreille d’un spectacle est tel que le public revient, amenant avec lui ses amis, ses voisins, ses camarades de travail. Une bonne partie de nos spectateurs sont militants et comme ils le font dans leurs activités syndicales, associatives ou politiques, ils savent partager leurs coups de cœur et plus largement ce qui leur semble utile.
Enfin une bonne partie d’entre eux sont de précieux renforts lorsque la compagnie a besoin de coups de main, qu’il s’agisse d’aider en cuisine ou de monter notre festival chaque été en Auvergne… à ce titre là, les camarades de Sud Rail Saint-Lazare méritent une mention particulière !
En règle générale, nous qui aidons comme nous le pouvons les personnes qui luttent, à travers des concerts de soutien sur les piquets de grève par exemple, nous recevons bien plus des militants que nous ne pouvons leur donner, car ce qui vient de personnes en lutte est d’une force et d’une générosité inégalables.
– Avez-vous d’autres formes d’engagement ? Syndical ou autre ?
Nos engagements politiques et syndicaux sont individuels et ne nous divisent pas en interne.
Au niveau syndical par exemple, nous nous retrouvons les uns dans la très majoritaire CGT spectacle, d’autres dans le jeune Sud-Culture/spectacle ou dans la CNT. Tout cela ne nous empêche pas non plus d’agir au sein de la Coordination des Intermittents et Précaires quand la mobilisation l’exige. Mais le tableau n’est pas idyllique, nous sommes malheureusement nous aussi touchés par un taux de syndicalisation relativement faible !
Notre rythme de travail au sein de la Compagnie nous permet peu d’autres implications mais plusieurs d’entre nous tentent quand même d’avoir des activités associatives ou politiques à l’extérieur de Jolie Môme.
Chaque matin le café qui ouvre la journée est l’occasion de discuter ensemble de l’actualité, des événements sociaux et politiques.
Et chaque spectacle ou nouvelle chanson est aussi une occasion d’aborder ensemble des pans d’histoire. Enfin nous avons le plaisir d’être entourés de gens passionnés d’histoire, de sociologie et de nombreux autres sujets, qui interviennent régulièrement à La Belle Etoile, notre théâtre ou à La Belle rouge, notre festival. Bref nous baignons dans la politique au meilleur sens du terme !
– Comment concilier la poésie de l’art et un discours engagé sans tomber dans la caricature de l’art “prolétarien” ?
Nous n’avons pas peur d’être didactiques autant que cela nous semble nécessaire… mais nous n’oublions surtout pas d’être avant tout ludiques !
Ensuite, nous nous efforçons d’être en éveil sur l’actualité des luttes ici ou ailleurs dans le monde, sur les crimes de l’impérialisme et leurs conséquences… mais nous ne sommes que des comédiens.
Nous avons des opinions, nous ne sommes certainement pas neutres, mais nous veillons à ne pas être donneurs de leçons !
– Quelles sont vos dernières réalisations ?
Notre dernière pièce de théâtre est « 14/19 La mémoire nous joue des tours ». Ce spectacle raconte la première guerre mondiale à travers les défaites et les reconstructions de l’Internationalisme… avec un regard, un ton, un rythme du 21ème siècle.
Il sera joué en novembre et décembre 2015 à Saint-Denis, puis nous l’espérons dans d’autres régions de France. Nous comptons beaucoup pour cela sur le soutien des réseaux syndicaux et des CE, quand les budgets culturels des collectivités locales sont à la baisse… souvent en parallèle de leur capacité à prendre des risques culturels et politiques.
Les CE, qui sont pourtant des outils des travailleurs, gérés par eux à travers les syndicats, oublient trop souvent qu’ils peuvent jouer un rôle d’éducation populaire en portant par exemple des projets culturels alternatifs.
« Des Patates et des Roses », pour les enfants et leurs parents continue lui aussi à être joué et vient même de sortir dans une version enregistrée sur CD audio.
Enfin, nous écrivons actuellement de nouvelles chansons, en vue de renouveler notre spectacle le plus populaire… qui s’annonce peut-être plus encore qu’avant, à Contre Courant.
- Interview de “Compagnie Jolie Môme” - 5 avril 2017