Quatre métallurgistes dans Mai 68 – Jeunesse ordinaire

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Nous habitions avec mes parents à Châtillon-sous-Bagneux (92). J’ai suivi une scolarité en collège jusqu’en classe de 5èmeet obtenu le Certificat d’études primaires. A la maison, il n’y avait pas de discussion politique et ça ne m’intéressait pas. Je me souviens seulement de la grève des mineurs en 1963 : la municipalité avait recueilli des enfants de mineurs et les pères avaient défilé en costume avec les casques, c’est une image qui marque. J’écoutais de la musique,surtout les Rolling Stones et des groupes underground (les Doors, Deep Purple, Creedence Clearwater Revival, Fleetwood Mac, JeffersonAirplane).

Je suis rentré en 1963 à l’école professionnelle Renault où mon père, réfugié espagnol républicain, travaillait comme OS puis ensuite comme vérificateur. Ma mère y avait passé également plusieurs années, comme ouvrière à la sellerie. Elle aurait souhaité que je fasse l’école de la marine mais déjà révolté, c’était trop pour moi ! L’apprentissage à l’école Renault permettait, en principe, l’embauche directement à l’usine. Les jeunes bénéficiaient de bonifications au concours d’entrée s’ils avaient des parents travaillant à Billancourt. J’étais déjà de caractère anti autoritaire et l’école Renault n’allait pas dans ce sens ! Jusqu’en 1962, les élèves devaient se présenter en costume et chemise blanche. J’ai pu échapper à cela l’année suivante, mais j’avais les cheveux longs et il a fallu aller chez le coiffeur pour rester. Je m’étais présenté en levis, j’ai du retourner me changer. J’ai fait trois années de formation en tôlerie-chaudronnerie et, en 1966, à la suite d’une bagarre avec un autre élève à la sortie de l’école, j’ai été exclu ; mais on m’a laissé passer mon CAP (obtenu) pour finir l’année. Comme beaucoup de cette génération, j’ai été exempté du service militaire (pour raison médicale), on était trop nombreux et en plus je n’aimais pas l’armée !

Je me suis donc retrouvé sur le marché du travail et j’ai choisi l’intérim qui, à l’époque, permettait une plus grande liberté. Chez divers patrons, j’ai eu l’occasion de faire de la tôlerie, entre autres, pour un sous-traitant de la centrale atomique de Chinon ;on travaillait 55 heures par semaine, 10 heures par jour, plus le samedi matin. En revenant du boulot, je dormais dans le métro. Je fréquentais une amie, mais on se voyait peu : elle travaillait comme serveuse en Angleterre. Plus tard, elle est revenue, on s’est mariés en 1970 et on a eu un garçon l’année suivante.

En 68 j’étais rentré en fixe dans une petite entreprise de Clamart, Fours unis, qui fabriquait des fours industriels, cette fois, dans une ambiance correcte. On y travaillait 9 heures par jour, soit 45 heures par semaine ; les patrons étaient des protestants qui avaient une sensibilité plutôt sociale. Nous étions une trentaine d’ouvriers et il y avait une quinzaine de syndiqués à la CGT.J’ai pris ma carte en 1967. Lorsque Mai 68 est arrivé, j’ai fait la grande manifestation du 13 mai et j’ai du en faire une à la gare Montparnasse et une autre devant la faculté de médecine rue des Saints-Pères. On s’est mis en grève le 13 mai, même temps et comme tout le monde. On n’avait pas de revendication spécifique à la boîte, on n’occupait pas les locaux mais on passait aux infos tous les matins et on retournait à nos occupations. Il n’y avait pas beaucoup de réaction, ni de discussion ; on faisait une grève passive mais on était en grève !

On n’était pas loin de Paris, séparé par les boulevards des maréchaux, et,avec une bande de copains, on allait souvent dans les troquets du14ème.Les manifs étudiantes étaient proches, il y en avait à Montparnasse et on n’était pas très loin du quartier latin. On y allait à pied ou en stop. On était au courant des manifs par la rumeur et avec quatre copains, on allait voir, malgré le manque de contact avec les étudiant.es. Il y avait une ambiance effervescente, euphorique. On s’est mis à ramasser des pavés et à les lancer sur les flics pour faire comme tout le monde. Je suis allé voir plusieurs fois la Sorbonne occupée, je ne comprenais pas tout mais c’était sympa, j’écoutais les discussions, c’est peut-être là que je suis devenu autogestionnaire, mais je sais pas comment c’est arrivé ! En tout cas il y avait le PSU dans les manifs et à la Sorbonne et ils se réclamaient de cette idée.

Après Grenelle, on a eu des augmentations de salaire, je suis passé d’un taux horaire de 4,68 francs en mai à 4,84 en juin. On a eu une réduction du temps de travail, on a repris le boulot fin mai, mais sans enthousiasme… C’était le boulot ! Avec les parents, la vie familiale était plus tendue ; je rentrais tard et ils l’acceptaient mal. J’ai pris un appartement en colocation avec un copain, un deux-pièces près du boulevard Montparnasse. Nous avions un loyer abordable. Je n’avais que 20 ans, la majorité était à21 ; en accord avec mes parents, on décida de m’émanciper juridiquement.

Sur le plan politique, j’étais décidé à m’engager, je pris contact, en octobre, avec la section locale du PSU qui était plutôt de tendancerocardienne1, mais ils et elles défendaient l’autogestion. On collait des affiches, distribuait des tracts, mais je ne me souviens pas d’avoir voté à cette époque ( ?!). L’année suivante, à l’occasion d’un meeting et d’une discussion avec un participant, je pris contact avec un petit groupe, la TMRI, qui défendait l’autogestion de façon plus radicale. Ils me demandèrent de changer de boulot, de choisir de plus grosses entreprises que celles où je travaillais.Parmi les implantations de la TMRI, j’avais le choix entre Chaussonet Nord Aviation. A ce moment, Nord Aviation débauchait, mon choix était simplifié : je rentrai chez Chausson.

Bien sûr cette courte période a changé ma vie, sans Mai 68 je n’aurais pas eu le même chemin. C’est ce grand mouvement de grèves et de manifs qui m’a permis de prendre conscience, de devenir militant politique autogestionnaire et qui m’a permis de rentrer chez Chausson où j’ai pu militer et défendre, avec les ouvriers français et immigrés, nos conditions de vie et de travail.

Alain Martinez.

1 Michel Rocard (1930-2016), avant de rejoindre le Parti socialiste en 1974, fut un des responsables nationaux du PSU ; il en fut le candidat aux élections présidentielles de 1969, recueillant 3,61% des suffrages exprimés.

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Alain MARTINEZ

En 1968, Alain Martinez avait 19 ans. Après l’école d’apprentissage Renault, il est embauché chez Chausson, syndiqué CGT puis CFDT. Il fut un des animateurs des grèves des années 1970-1980 de cette grande usine automobile. Délégué CHS en 1971, délégué du personnel en 1972, il sera secrétaire du CE la même année, puis du CCE en 1986. Ayant adhéré au PSU1 en 1968, il rejoint l’année suivante la TMRI2. Malgré de très nombreuses luttes, notamment des travailleurs immigrés, le personnel ne put empêcher la fermeture de l’entreprise mais imposa, en 1992, le reclassement de tous. Alain Martinez fut transféré en janvier 1993 au centre technique de Renault Rueil, muté en 1995 au Technocentre Renault de Guyancourt. A nouveau mandaté CFDT, il refusa avec la majorité des syndiqué.es la flexibilité imposée par la confédération lors de la mise en œuvre des 35 heures. En 2000, il fut parmi les créateurs du syndicat SUD Renault, avant de participer à la « Coordination chimie métallurgie » qui se transforma en 2006 en Union syndicale Solidaires Industrie. En 2018, il est toujours syndiqué (retraité) au syndicat SUD Renault Guyancourt. Il était aussi éducateur sportif en football et président du Football club d’Asnières où il résidait