Les mouvements de chômeurs et chômeuses

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Il s’agit d’une histoire bien évidemment, mais surtout d’une volonté commune. Des choix qui vont au-delà des questions d’appareils, qui bien trop souvent se mesurent, afin de savoir qui est le plus fort, le plus influent, lesquels sont les plus nombreux. Nous sommes tellement seuls sur ces questions centrales, que nous avons décidé que la défense des intérêts des victimes, des plus faibles, des plus fragiles et des plus pauvres, devait passer avant les organisations elles-mêmes. Nous sommes respectivement trop peu nombreux et trop peu efficaces, face à l’ampleur de la tâche, pour faire semblant du contraire. Alors, chacune de nos organisations a appris à écouter, à respecter les autres, à faire passer l’intérêt général, celui des chômeurs, des chômeuses et des précaires, ce pour quoi nous existons, avant de faire en sorte d’être « le premier ou la première ».

Il nous faut faire la différence entre unité et union ; si l’unité était totale, la question de la refonte en une seule organisation pourrait être envisagée. Nous n’en sommes pas (encore) là ; ce que nous pratiquons régulièrement, c’est l’union, le front commun. Bien évidemment, nous ne sommes pas d’accord sur tout ; certains par exemple mettent en avant l’augmentation des minima sociaux quand d’autres revendiquent en priorité l’indemnisation de toutes les formes de chômage. Une partie souhaiterait siéger dans les instances dédiées quand d’autres ne demandent qu’à être consultés. Ou encore la première revendication de certaines organisations reste l’emploi quand d’autres se battent plutôt sur le revenu. Ce sont de vraies différences de choix, de stratégie, d’objectifs, de projet de société, mais nous avons, ensemble, décidé de formulations qui permettent un affichage commun, en tous les cas pour ce qui concerne les expressions publiques.

Car si beaucoup se positionnent pour la défense de l’emploi, à juste titre, très peu prennent en compte le vécu, la situation, les droits des chômeurs et chômeuses ; comme si le modèle social, économique et politique ne pouvait être qu’un. Et puis, n’être que des chiffres, des courbes, des pourcentages, des statistiques ne nous suffit pas, loin s’en faut. Nos vies, c’est maintenant que nous les vivons et nous n’avons pas le temps de glorifier le retour éventuel de la sacro-sainte croissance et du très hypothétique plein emploi.

Chacune de nos associations et syndicat a évidemment une réalité bien particulière, avec des histoires, des individus différents, des expériences multiples. Cette question d’être une seule et unique organisation pourrait se poser. Même si aujourd’hui ce ne serait pas simple car les femmes et les hommes sont attaché-es à leurs organisations, à leurs histoires, à leurs expériences et souvenirs de luttes, d’occupations, de fêtes…

Grâce à cette volonté, nous avons mené quelques beaux combats, les uns avec les autres, sans exclusive. Nous pouvons citer la bataille de l’hiver 97/98 suite à la suppression du fonds social des Assedic, qui permettait de garder la tête hors de l’eau quand les urgences se faisaient trop pressantes. Une bataille qui a duré près de deux mois, de début décembre 1997 à fin janvier 1998, dans l’unité la plus totale, notamment avec de nombreuses occupations d’Assedic dans lesquelles ont été organisés des réveillons du nouvel an ; parfois les meilleurs de toute une vie, tant l’ambiance de fête était indissociable de la lutte, de la solidarité, du sens, du partage, de l’amitié. Le 8 janvier 1998, les quatre organisations (A.C !, A.PE.I.S., C.G.T chômeurs, M.N.C.P) étaient reçues par le Premier Ministre Lionel Jospin et par la Ministre du travail Martine Aubry. Une reconnaissance certes, mais dans le même temps les Assedic encore occupées étaient évacuées par les forces de police. Nous sortons avec l’obtention d’un fonds d’urgence sociale d’un montant d’un milliard de francs, à obtenir dans des guichets uniques. Pas mal quand on sait que le fonds social des Assedic représentait 600 millions de francs, sauf que ce fonds n’a pas été ré-abondé, et qu’il a vite, très vite, été épuisé tant les urgences étaient nombreuses. Et le plus dur dans cette affaire, c’est qu’ils ont réussi à couper les ailes de la mobilisation, car avec ce fonds social nous pouvions régulièrement mobiliser des centaines de chômeurs afin d’obtenir ce petit plus qui permettait de faire face à quelques urgences, de passer des caps, de respirer un peu.

D’autres petites mais importantes avancées ont été obtenues par les mouvements de chômeurs et chômeuses unis ; nous pouvons citer l’insuffisante allocation exceptionnelle de fin d’année dite «  prime de Noël » et les mesures de réduction et/ou de gratuité des transports pour les chômeurs et les chômeuses. Même si nous sommes bien loin des besoins concernant ces deux aspects. Nous pouvons également mentionner la bataille des recalculés, où, grâce à notre mobilisation et aux nombreuses plaintes déposées, nous avons permis à plus d’un million de chômeurs et chômeuses de retrouver des droits qui leur avaient été arrachés par Jean-Louis Borloo.

Mais ce que nous faisons, notre utilité sur la distance, se joue ailleurs : chaque jour dans nos permanences, accueillir des femmes et des hommes, leur offrir un café, leur parler, les écouter. Et puis mettre à disposition la presse, un ordinateur, Internet ; les accompagner pour rédiger un C.V, une lettre de candidature et/ou de motivation. Et surtout, tout faire afin de faire valoir les droits : trop perçus, radiation, etc. Mais comme la vie ne se coupe pas en rondelles, nous abordons également les questions liées au logement, à la santé, aux papiers, aux transports, à l’énergie, aux loisirs, à la culture, aux vacances…

Alors, bien évidemment il y a des différences entre nos organisations, par exemple nous ne sommes pas tous d’accord sur un aspect qui fait débat dans la société et a été abordé lors de la campagne présidentielle : le revenu d’existence, inconditionnel, minimum, de base ou universel, … Ce qui suit est donc le point de vue de notre seule association, et n’engage donc pas l’ensemble des mouvements de chômeurs et chômeuses. La première question qu’il convient de se poser est évidemment le montant de ce revenu, s’il évacue ou intègre les mesures sociales qui accompagnent aujourd’hui les plus fragiles qui survivent dans les différents minima sociaux. La seconde est de savoir de combien il faut disposer par mois, pour se sortir des multiples urgences et donc ce qui semble décent ; cela devrait être ça qui en détermine le montant. Et en tout état de cause on peut se demander comment il est possible de proposer moins que le seuil de pauvreté.

A ce moment de notre réflexion, nous sommes pour le maintien du salaire en cas de licenciement et pour une indemnisation au niveau du SMIC de toutes les formes de chômage ; pour un droit réel à la formation, choisi par les chômeurs et chômeuses, payé par les patrons et contre ce revenu d’existence. Contre, pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il nous semble qu’un revenu, qu’il se nomme d’ « existence », « minimum», « inconditionnel » ou « universel » n’est pas susceptible de gommer les inégalités et de donner à chacun et chacune, un rôle, une place, une utilité sociale et collective, qui fassent sens et pas du tout parce que nous pensons que cela peut être désincitatif à la reprise d’un hypothétique emploi. Et les salaires, ils seraient comment ? Moindres en fonction de ce revenu s’il était fixe ? Seraient-ils les mêmes pour tous ? Ou bien celui qui aurait de l’argent par les injustes héritages aurait moins ou pas du tout de ce revenu ? Une autre vraie question : à qui le donner sur la planète ? Aux sept milliards de femmes et d’hommes, donc réellement Universel ? Ou seulement aux pays industrialisés en capacité, au prix de la casse de mesures sociales et collectives, de l’octroyer afin de renvoyer chacune et chacun à sa seule individualité, à sa seule sphère privée contre le bien commun ? Et ces pays « riches », ne le sont-ils pas parce qu’il y a eu l’esclavage, le colonialisme, et que l’exploitation, le saccage même, des pays dits « en développement », disons plutôt pauvres et surtout du Sud, continuent par le biais, des multinationales mais aussi des Fonds Monétaire International, Organisation Mondiale du Commerce, et autre Banque Mondiale ?

Comment aborderons-nous les questions de l’emploi ? Il y aura toujours des boulots ingrats, peu valorisants à effectuer ; qui les effectuera dans le très hypothétique cas d’un revenu suffisant qui ne serait pas lié au travail ? On fera venir des hommes et des femmes d’ailleurs pour qu’ils et elles travaillent pour nous ? Cela risque par ailleurs de faire baisser le prix du travail qui ne doit pas être présenté comme un coût. Nous sommes au contraire d’accord avec celles et ceux qui pensent que les richesses d’aujourd’hui nous sont communes, tant elles révèlent que nos pères et nos mères, nos grands-pères et grand-mères ont sué sang et eau, et que nous continuons dans ce système pour que tant de richesses soient accaparées par quelques personnes.

Allons, prenons les entreprises, abolissons l’héritage (hors le droit d’usage), instaurons la gratuité réelle et égale pour l’éducation, la santé, les transports en commun, les cantines scolaires ! Développons partout des services publics qui représentent le VRAI partage des richesses ! La difficulté à obtenir du Capital des conditions décentes d’existence ne doit pas nous conduire à des solutions d’évitement, ni même d’aménagement de ce système qui, chaque minute, prouve sa barbarie. Ce qui permet la remise en cause des conquis sociaux, c’est l’émiettement du monde du travail, la mise à mal de la solidarité, le poids et la peur du chômage. La force des patrons et des dominants est de nous renvoyer à notre seule situation, dont nous serions évidemment responsables. Oui, il faut partager les richesses ; mais nous estimons, malgré l’extrême urgence, qu’exister ce n’est pas seulement avoir un revenu. La contribution qu’on apporte à une fonction collective, sociale et historique est déterminante. Dans ce marécage social, économique et politique, il y a celles et ceux qui sacralisent l’emploi, le plein emploi et la sacro-sainte croissance et d’autres qui rejettent toute forme d’emploi. Au milieu, il y a nos vies et nos survies.

Réduisons le temps de travail, instaurons une semaine de congés payés supplémentaires et décrétons la retraite pour toutes et tous au maximum à 60 ans ; favorisons des formes alternatives d’emplois comme les coopératives plutôt que de pousser l’auto-entreprenariat. Nous ne revendiquons pas des emplois pour des emplois ; en tous cas, pas n’importe lesquels et à n’importe quel prix. Mais nous pensons que le salariat qui exploite et contraint, ce salariat et son lot de soumission qu’il faut abolir, n’est pas la forme finie du travail. Nous pensons que le travail est socialisant et structurant ; qu’il est vital d’avoir une place, un rôle, une utilité sociale, et que, même quand le salariat et l’exploitation seront abolis, il y aura encore beaucoup de travail et pour longtemps, ne serait-ce que pour satisfaire les besoins et les biens sociaux élémentaires. La mise en place d’un revenu Universel, réellement universel ou d’existence, qui permette d’exister réellement, n’est pas moins utopique que de dépasser le capitalisme qui crée autant de violences et de pauvres que de biens de consommation et de profits.

Il y en a assez des propositions discriminatoires qui jaillissent des têtes et des tiroirs. Toutes propositions faites devraient être acceptables par ceux et celles-là mêmes qui les formulent ; sinon, on en revient à de l’inégalité institutionnelle. Nous pensons qu’il y a de la condescendance dans ce(s) projet(s) de revenu d’existence, car ceux et celles qui le proposent, ont des emplois qui les passionnent, où ils et elles passent beaucoup de temps. De plus, selon les propositions, il y aurait refonte des droits sociaux existants et, au final, le reste à vivre – seule donnée importante – ne serait pas vraiment en augmentation. Il s’agit bel et bien d’une étape décisive du libéralisme, émanant des libéraux de gauche comme de droite, dont certains et certaines s’ignorent. Ce qui révèle à la fois impuissance et/ou volonté idéologique. En tous les cas, malgré nos relatives et respectives insuffisances et faiblesses, nous pensons que beaucoup de choses se jouent sur cette marge qui fait que, sortis du système de production et d’exploitation, des femmes et des hommes ne comptent pas ou plus. Nous sommes donc déterminés à poursuivre la bataille sur les droits, sur l’égalité, la non-stigmatisation et surtout sur le droit de vivre et non de survivre.

Philippe Villechalane
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Philippe Villechalane

Philippe Villechalane est porte-parole de l’Association Pour l’Emploi, l’Information et la Solidarité (APEIS). L’association APEIS s’est créée en 1987 pour lutter contre le non-respect des droits des chômeurs et chômeuses.