Allemagne : à propos de Pegida

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Dans ce texte, Willi Hajek retrace les raisons de l’arrivée sur la scène médiatique du mouvement Pegida, à Dresde puis au-delà, et mentionne les pistes qui permettent de s’y opposer.

Depuis quelques années, le nombre des demandeurs et demandeuses d’asile a beaucoup augmenté en Allemagne, notamment venant des pays du Proche-Orient ; mais la vraie nouveauté est qu’ils et elles agissent au grand jour pour réclamer leurs droits. Ainsi, ils et elles ont organisé une grande marche de 800 km de la Bavière vers Berlin pour demander des papiers et la carte de séjour non limitée À Berlin, ils ont campé pendant une année dans un parc en plein air, créant un lieu public de débat et des assemblées. La police a détruit le camp ; une partie des refugié-es a alors occupé une école vide. Depuis l’été passé, ils et elles vivent dans cette école, réclamant toujours des papiers. Une partie de la population locale soutient activement ce mouvement. L’expression de ce qui apparait comme une conscience nouvelle de la part des demandeurs et demandeuses d’asile provoque les racistes et les fascistes, dont une partie des « forces de l’ordre ».

Les fascistes essaient de concentrer leurs activités dans les quartiers ou dans les petites villes, surtout à l’est de l’Allemagne, où les foyers des demandeurs d’asile sont assez nombreux. Ils distribuent des tracts dans les boites à lettres, font la propagande dans la rue, répétant sans cesse que « pour les réfugié-es, il y a beaucoup d’argent, pas pour nous ». Ce qui ne repose par ailleurs sur aucune réalité.

La solidarité syndicale n’est pas une évidence, loin de là. En décembre 2014, une partie des réfugié-es a occupé le hall du siège du DGB à Berlin, pour demander un soutien. Ils et elles sont restés quatre jours, avant que la centrale syndicale ne les fasse expulser par la police ! Une partie des militant-es syndicaux s’est indignée de cet acte, mais dans l’indifférence du plus grand nombre. Le soutien, la solidarité, le combat commun, existent tout de même : ce sont le fait d’une partie de la jeunesse, de militants et militantes écologistes, des activistes luttant dans les quartiers contre les expulsions et d’une minorité de syndicalistes.

Pegida1 et l’ extême-droite surfent sur cette attitude des syndicats établis qui n’ osent pas soutenir ouvertement les revendications des réfugié-es. Cependant, la police a outrageusement gonflé le nombre de manifestants et manifestantes de Pegida à Dresde, contribuant ainsi à son installation dans les esprits.

Heureusement, un manifeste a été lancé par plusieurs ex-dissident-es (encore très connu-es à l’est) et il est soutenu notamment par des artistes et des écrivains ; de grands concerts de solidarité ont aussi été organisés à Dresde, la « capitale de Pegida ».

Pegida se nourrit de la peur de l’immigration, de la précarité sociale et de l’islamophobie. Il se présente comme un mouvement pour la défense des « valeurs de l’occident », a ses racines dans la région autour de Dresde où les néo-nazis ont toujours eu une certaine influence, y compris électoralement. Au début, ils ont rassemblé des milliers de personnes dans la rue chaque lundi, en proclamant « nous sommes le peuple ». Depuis les contre-mobilisations à Dresde et dans d’autres villes, le mouvement est en recul, mais les Pegadistes se rassemblent dans un parti xénophobe et anti-européen, l’AFD (Alliance pour l’Allemagne), qui commence à avoir un certain poids électoralement et surtout dans les médias.

Comme tous les mouvements d’extrême-droite, Pegida joue sur des peurs ; mais il y a une réelle peur dans la population allemande de perdre son travail et de retomber alors dans la machine infernale de « Hartz IV » qui condamne à la précarité et à la pauvreté tout en obligeant à accepter n’importe quel travail. Les lois Hartz ont été promulguées sous le gouvernement de Schroeder et avec le soutien du DGB ; elles représentent une rupture importante dans le « modèle social » allemand et ont considérablement dégradé la situation sociale et la vie quotidienne de millions de personnes.

Les luttes sociales demeurent le meilleur antidote au poison Pegida ; les grèves, dures et efficaces, de salarié-es d’Amazon ou des cheminot-es sont des évènements qui bousculent, non seulement le patronat mais aussi la bureaucratie syndicale du DGB. Ensemble, ces deux forces ont réclamé une loi donnant l’exclusivité du droit de grève au seul syndicat majoritaire dans une entreprise : « dans la crise, nous devons coopérer ensemble, défendre notre société contre ceux qui veulent créer l’insécurité sociale et politique » a déclaré le DGB…

Une « gauche pour l’émancipation sociale » organise la riposte contre Pegida, développe les liens et la solidarité avec les mouvements et peuples du sud de l’Europe, avec les immigré-es présent-es en Allemagne, défend les sans-papiers contre les bavures policières et contre les fascistes, développe les luttes contre les expulsions de la population pauvre (à Hambourg et à Berlin notamment), soutient les travailleurs du bâtiment qui mènent de longues luttes (par exemple, plus de trois mois à Berlin, pour des salariés immigrés dont une grande majorité de roumains). Cette « gauche sociale et syndicale » n’est à la remorque d’aucun parti politique ; elle est elle-même politique, en toute autonomie ! Est-ce pour cela qu’elle est combattue par la direction du DGB, mais aussi par une partie de « l’opposition » au sein de la confédération syndicale allemande ? C’est pourtant elle qui, à travers sa présence sur le terrain des luttes et aux côtés des exploité-es, à travers les solidarités qu’elle maintient ou créé, constitue le meilleur rempart contre le fascisme, contre le racisme.

1 Patriotische Europaer Gegen die Islamisierung Des Abendlandes, c’est-à-dire « patriotes européens contre l’islamisation de l’occident ».

Willi Hajek
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Willi Hajek

Willi Hajek est un des animateurs de Transnationals Information Exchange, TIE, organisation qui rassemble une partie de la « gauche syndicale » allemande et développe un important travail de solidarité internationale.