L’antiracisme, c’est aussi une question syndicale

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Il y a une histoire du racisme au travail et il faut bien en dresser d’abord un (trop) rapide tour d’horizon. Son fondement n’est pas étranger à celle de l’esclavage et de la colonisation, qui ne sont pas sans répercussions, encore aujourd’hui, sur la société entière ; en métropole comme dans ce qu’on appelle les« territoires d’outre-mer ». Dans l’hexagone au XIXe siècle, avant qu’elle ne frappe les travailleurs et travailleurs immigré.es issu.es notamment des anciennes colonies, la division raciste a été sciemment organisée par le patronat à l’encontre des immigrés, italiens dans le Sud ou belges dans le Nord par exemple1. Moins payés, ces travailleurs immigrés sont vus comme une « concurrence déloyale » et sont la cible de violences. Pouvant aller jusqu’au massacre comme celui d’ouvriers italiens à Aigues Mortes dans le Gard en 1893. Le syndicalisme est divisé. Si la CGT demande à arrêter l’immigration en 1927, la CGT-U, à la même époque, cherche elle à organiser les travailleurs étrangers.

Les luttes de l’immigration

Après la Seconde guerre mondiale un Office national de l’immigration (ONI) est créé en France visant à planifier et contrôler la main d’œuvre immigrée en fonction des besoins du patronat. Cette pratique discriminatoire, l’« immigration choisie » d’aujourd’hui n’en est que la continuité. Mais les guerres d’indépendance, particulièrement celle d’Algérie (1954-1962), vont forcer le mouvement syndical à se positionner plus nettement. C’est désormais, tout du moins au niveau des positions confédérales, la solidarité avec les travailleurs et travailleuses immigré.es qui va être de mise.

Mai 68 et le formidable élan de luttes qui va lui succéder dix ans durant – on parle des « années 68 » – sera aussi l’occasion de voir émerger des luttes dures des travailleurs et travailleuses immigré.es, sur la base de leurs revendications propres. Il faut signaler que les travailleurs et travailleuses étranger.es n’obtiennent le droit de vote aux élections des Délégué.es du personnel et du Comité d’entreprise qu’en 1972 ! S’il ne faut citer qu’une grève de cette période,c’est celle de la Penarroya à Lyon, cette même année 1972 justement. En mars, les 105 Ouvriers spécialisés (OS) de l’usine, Marocains et Algériens, organisés dans une section CFDT jeune et combative2, mènent une grève d’un mois. Portant notamment sur les conditions de travail et le logement (insalubre) des ouvriers, c’est sur le front de la santé que« la grève atteste d’une radicalisation des positions ouvrières, caractérisée à la fois par la mise en cause, radicale, d’une médecine du travail aux ordres du patronat, et le refus de monnayer l’exposition au risque d’intoxication par le plomb »3.

À côté de ça, les travailleurs et travailleuses immigré.es se mobilisent sur leurs lieux de vie, notamment au travers des luttes dans les foyers, mais aussi contre les circulaires Marcelin-Fontanet. Publiées en 1972 ces circulaires, des noms des ministres de l’Intérieur et du Travail, sont vécues comme un coup de massue supplémentaire. Elles prévoient en effet de lier titre de séjour et contrat de travail. C’est un militant CFDT à Renault-Billancourt d’origine portugaise, António Da Silva, qui sera à l’origine du recours victorieux en Conseil d’État qui les abrogera4.

Au tournant des années 80, le « problème de l’immigration » est construit de toute pièce par un Front national conquérant, surfant sur le désespoir causé par la crise et la montée du chômage. Mais le gouvernement « socialiste » de l’époque n’est pas en reste. En 1982-1983, des grèves éclatent dans les usines automobiles, à Citroën et Talbot5, principalement animées par des travailleurs immigrés. Pierre Mauroy premier ministre ira jusqu’à dire des grévistes qu’ils étaient manipulés par « des religieux étrangers ». Gaston Deferre, ministre de l’intérieur, parlera de « chiites intégristes ». Quant à Jean Auroux, ministre du travail, il déclarera sur France Inter : « Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a risque de déstabilisation politique ou sociale de notre pays ». Le FN fera une poussée électorale remarquée lors des municipales de 1983… Ce discours au plus haut sommet de l’État marque un tournant en ce qu’il préconise une grille de lecture islamophobe. En les amalgamant aux réactionnaires religieux iraniens, c’est la religion supposée des grévistes qui est vecteur de discriminations et permet de faire diversion sur la question sociale. Une démarche qui est exactement celle d’une officine comme le Printemps républicain aujourd’hui6.

Il faut dire quelques mots de l’islamophobie, tant elle incarne une des métamorphoses contemporaines du racisme les plus abouties. En le développant sur des bases « culturelles », elle permet sa« dédiabolisation ». C’est un véritable cheval de Troie qui accompagne, en Europe occidentale comme aux États-Unis, l’affirmation de plus en plus inquiétante d’une extrême droite pouvant à nouveau prétendre à l’exercice du pouvoir. Certain.es, méfiant.es à l’égard du terme même d’islamophobie préfèrent parfois parler de « racisme anti-musulman.es ». Le premier terme étant largement répandu (et utilisé par les premier.es concerné.es), le contester est en fait trop souvent, même si pas toujours, l’occasion de dénigrer les faits qu’il recouvre. Globalement aujourd’hui, il faut constater que les échanges internes dans les organisations syndicales, associatives  ou politiques de gauche sont parfois très tendus. Le dernier exemple en date étant celui de « l’affaire » du stage antiraciste du syndicat SUD éducation 93 (voir encadré). Ils reflètent des crispations malheureusement bien réelles dès lorsqu’on interroge l’articulation entre antiracisme et syndicalisme.

Au croisement des répressions, « l’affaire » SUD éducation 93. La quasi-totalité de l’Assemblée nationale qui se lève pour applaudir un ministre ayant annoncé vouloir porter plainte contre un syndicat, SUD éducation 93, qui a le tort de dénoncer un « racisme d’État ». C’est à la fois inédit et très grave. C’était le 21 novembre 2017. Le syndicat SUD éducation 93 avait annoncé depuis un bon mois la tenue d’un stage de formation syndicale intitulé « Au croisement des oppressions – Où en est-on de l’antiracisme à l’école ? ». Ce n’est que le 18 novembre qu’un tweet du Printemps républicain, coutumier du fait, met le feu aux poudres. La fachosphère embraye et le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer reprend à son compte les diffamations de l’extrême droite en parlant notamment d’une « réunion syndicale interdite aux blancs ». Ce qui est évidemment faux. Le syndicat SUD éducation 93 avait fait le choix de proposer deux temps en atelier réservé aux personnes racisé.es. Comme il l’a rappelé dans un de ses communiqués, « il s’agit d’un outil choisi et ponctuel, et non d’un projet de société. Dans l’équilibre global du stage, ils représentent deux des huit ateliers, qui eux-mêmes représentent moins de la moitié du stage. ».On est à des années-lumière de l’apartheid (comme certains n’ont pas eu peur de le brandir), sur le fond comme sur la forme. Ce sera d’ailleurs d’abord sur l’emploi du terme « racisme d’État » que le ministre portera plainte (qui sera classée sans suite). Mais malgré une cabale prenant une ampleur médiatique inconsidérée, un soutien s’est manifesté, notamment de la part de courants et d’organisations syndicales. Des communiqués sont parus (par exemple de la CGT éduc’action ou de la tendance École Émancipée) et parmi les près de 600 signataires d’une tribune large de soutien publiée sur Libération et Politison pouvait relever plus de 200 signatures de syndicalistes, de Solidaires bien sûr, mais aussi de la FSU, de la CGT, de la CNT…quelquefois même au nom de leur organisation. Même s’il pouvait y avoir des points de vue différents, et même vertement contrastés, sur le vocabulaire ou les modalités du stage (en particulier sur les ateliers en non-mixité choisie), il n’était pas acceptable par contre de le présenter – dans une stratégie de retournement coutumière de l’extrême droite – comme un stage« raciste » qu’il fallait dénoncer et dont il fallait à ce titre se démarquer ! Si les militants identitaires d’extrême droite poursuivent un projet ségrégationniste, les militant.es de SUD éducation 93 luttent en permanence pour la justice sociale et l’égalité. Particulièrement dans leur département, l’un des plus frappés par les politiques d’austérité. Les renvoyer dos-à-dos était, au mieux, insultant. Bien sûr cette « affaire » prend aussi sa place dans la criminalisation des mouvements sociaux et relève de la répression antisyndicale. S’attaquer aux contenus des formations c’est s’attaquer aux libertés syndicales. Pourtant, « droit dans ses bottes » (très à droite même), le ministre Blanquer a décidé de porter une nouvelle plainte contre SUD éducation 93. Les lundi 9 et mardi 10 avril 2018, des représentant.es du syndicat étaient entendu.es dans les locaux de la Sûreté territoriale de Bobigny. Cette fois la plainte vise explicitement les fameux ateliers en non-mixité choisie, les accusant de « discrimination ». Le monde à l’envers.

Le racisme existe

La lutte antiraciste est pourtant bel et bien une question syndicale dont il faut se saisir pleinement. Dans une sorte de déclinaison prolétarienne de l’universalisme républicain, certain.es pensent pouvoir régler la question avec une affirmation de principe :« avant d’être noir, arabe, asiatique ou blanc, nous sommes toutes et tous des travailleurs et des travailleuses ». Mais c’est en quelque sorte croire que le but à atteindre le serait déjà, que rien ne diviserait le camp des exploité.es et donc faire fi des dominations réellement existantes ! C’est effectivement reprendre ce qui a été avancé contre le syndicat SUD éducation 93 : non, l’école, « sanctuaire républicain », ne peut pas être un lieu de discrimination, et donc ne l’est pas. Circulez, il n’y a rien à voir. C’est finalement, au nom d’un antiracisme qui tient quelque peu de  la pensée magique, gommer la réalité du racisme d’aujourd’hui. Affirmer qu’on est égaux et égales suffirait à le rendre« vrai ».

Pourtant – et même si cela n’empêche nullement de rappeler sans cesse les intérêts communs qu’ont les exploité.es – si on reconnaît que les discriminations nous divisent alors il faut les combattre explicitement et pour cela un préalable est de les reconnaître et de les nommer.

On ne manque pas d’exemples de l’existence d’un racisme qui ne soit pas que de l’ordre des remarques privées. C’est le projet politique d’une extrême droite considérablement renforcée, la résurgence d’un antisémitisme virulent appuyé entre autre sur des scénarios complotistes. Mais c’est aussi une série de discriminations« d’État » ou « institutionnelles » –quelque soit le terme utilisé – dont témoignent des violences et pratiques policières, des atteintes aux droits fondamentaux des migrant.es et réfugié.es, des stigmatisations publiques à l’encontre d’une partie de la population, visant plus particulièrement les Roms et les musulman.es ou considéré.es comme tel.les. Un exemple : le deux poids-deux mesures judiciaire scandaleux qui voit des personnes engagées aux côtés des migrant.es, exilé.es et réfugié.es être poursuivi.es et condamné.es alors que les fascistes de Génération identitaire ayant manifestement mené une action illégale de « fermeture des frontières » dans les Alpes en avril ne sont, eux, pas inquiétés.

Sans compter les situations coloniales dénoncées en Kanaky, Guadeloupe, Martinique… notamment par des organisations syndicales comme l’USTKE, l’UGTG ou la CDMT. Encore ne s’agit-il là que d’un tableau général, brossé sans doute trop rapidement ici. Dans la tribune « Syndicalistes, nous marcherons le 19 mars », publiée à l’occasion de la Marche pour la justice et la dignité de 2017 (voir encadré), il était fort justement rappelé que « si les discriminations ne se réduisent pas à la domination sociale, elles s’articulent à celle-ci pour la renforcer. Combat social et antiraciste, loin d’être antagoniques, doivent se nourrir l’un l’autre. » C’est précisément de là qu’il faut repartir.

Syndicalistes,nous marcherons le 19 mars. Syndicalistes nous prendrons part à la Marche du 19 mars pour la justice et la dignité. Pourquoi ? Parce que nous n’entendons pas séparer antiracisme et question sociale. Une tribune signée par 60 syndicalistes CGT, SUD-Solidaires, FSU, STC, LAB, CNT-SO, CNT…Aujourd’hui,qu’il s’agisse d’islamophobie, d’antisémitisme, de négrophobie, de romophobie, de stigmatisations anti-asiatiques…le racisme sous toutes ses formes prospère, nourri de dizaines d’années de politiques d’État réactionnaires et antisociales et puisant aux sources d’une domination coloniale et néocoloniale passée et présente.Aujourd’hui les discriminations, les stigmatisations, les violences, notamment policières (pouvant conduire jusqu’à la mort) frappent au quotidien jeunes et moins jeunes racisé.e.s dans les quartiers populaires…Ce ne sont pas des « dérapages », des « bavures », mais bien la conséquence d’un racisme systématisé et banalisé. L’islamophobie tient une place particulière dans ce sinistre concert. Propagée par une stratégie consciente de l’extrême droite occidentale, elle s’appuie sur l’idée nauséabonde de « choc des civilisations » qui a favorisé les gains électoraux, de Le Pen à Trump. Maiselle ne se cantonne pas à l’extrême droite : dès 1983 on a vu des ministres socialistes dénoncer les grèves des ouvriers de l’automobile en les accusant d’être manipulées par des « musulmans, des chiites, des religieux »,les grévistes étant pour la plupart des travailleurs immigrés. C’est pourtant pour leurs droits d’ouvriers et leurs salaires qu’ils se battaient. Elle est devenue un invariant des diversions d’État face aux mobilisations sociales : depuis 2003, il n’est pas de mouvement social qui ne soit immanquablement suivi d’une affaire du « voile » ou du « burkini », orchestrée pour l’occasion en psychodrame national.Nous voulons le dire ici avec force : le racisme, dans toutes ses dimensions, contribue à diviser toutes celles et tous ceux qui subissent une société d’injustice fondée sur la domination d’une classe sociale qui organise et profite du système capitaliste sur une autre qui produit les richesses et fait fonctionner la société quotidiennement par son travail. Si les discriminations ne se réduisent pas à la domination sociale, elles s’articulent à celle-ci pour la renforcer. Combat social et antiraciste, loin d’être antagoniques, doivent se nourrir l’un l’autre. Il n’y a pas de place pour les divisions racistes dans nos luttes et nos résistances, et nous devons nous y opposer partout où elles se manifestent. Les alternatives élaborées dans nos mobilisations portent la revendication de l’égalité. Sur les lieux de travail nous combattons les discriminations et mesures racistes. Bien des travailleurs et travailleuses racisé.e.s s’organisent d’ailleurs syndicalement. Nous sommes de longue date au côté des travailleurs et travailleuses sans papiers et dans les réseaux de solidarité avec les réfugié.e.s. Dans la société, dans les quartiers populaires, l’auto-organisation des victimes du racisme progresse. Les organisations syndicales n’ont pas à s’y substituer, mais elles doivent activement la soutenir.Les mobilisations pour la justice et la vérité pour Adama Traoré, pour la justice pour Théo Luhaka, ne faiblissent pas. La marche pour la justice et la dignité du 19 mars, initiée par les familles des victimes de violences policières est maintenant appelée par de nombreuses organisations. Une force, un front antiraciste et social peut se dessiner, c’est en tout cas une urgence à laquelle il faut s’atteler. Les syndicalistes doivent pour cela prendre une part active à la réussite de cette marche.Parce que notre syndicalisme ne s’arrête pas aux portes des services et des entreprises mais qu’il porte résolument en lui une autre société, où l’égalité n’est pas négociable. Nous marcherons le 19 mars.

Pour un antiracisme social

Cela signifie d’abord privilégier l’auto-organisation des premières cibles du racisme, soutenir l’affirmation d’un mouvement antiraciste autonome auquel les organisations syndicales et politiques n’ont pas à se substituer, même si elles peuvent se tenir à ses côtés. En 1983, lors de la Marche pour l’égalité,des équipes syndicales CFDT avaient ainsi contribué à assurer l’accueil logistique des marcheurs et marcheuses sur plusieurs étapes. De la même façon, en 1996, le syndicat SUD PTT avait accueilli les sans-papiers en lutte dans ses locaux fédéraux après leur expulsion du gymnase Japy. C’est une des conditions pour qu’émerge un « front antiraciste et social », appuyé sur des mobilisations concrètes, tel que l’imaginaient là encore les syndicalistes signataires de la tribune du 19 mars et qu’on pouvait aussi retrouver dans l’appel puis les forums « Reprenons l’initiative » en 2015 et 20167.

Ceci étant, dès lors qu’on est partisan.e de l’autonomie du mouvement social et syndical (y compris dans son sens politique), cela implique aussi que les organisations syndicales doublent cette démarche en développant leurs propres questionnements et stratégies antiracistes. D’autant que nous ne partons pas de rien. De la lutte contre les retraits abusifs de badges dans le secteur de l’aérienà celle pour les droits des personnels Antillais, Guyanais, Réunionnais aux PTT9, en passant par les grèves et le soutien aux travailleurs et travailleuses sans-papiers10(et celui aux élèves et étudiant.es sans-papiers dans lequel s’investissent de nombreuses et nombreux syndicalistes de l’éducation) ou encore le refus des stigmatisations et discriminations dans le contexte post-attentats, on ne peut pas dire que le syndicalisme soit atone. Sur ce dernier aspect, notre camarade Karim Khatabi, délégué  syndical SUD Industrie, a été par exemple accusé à tort« d’apologie du terrorisme » en 2015 par la direction de Bombardier à Crespin dans le Nord. Il en a tiré un clip de rap, soutenu par son syndicat, qui témoigne de sa volonté de répondre aux discriminations dont il a été la cible11.

Il faut sans relâche continuer de produire un discours et des argumentaires antiracistes à destination des salarié.es – comme celui qu’a produit le groupe de travail « Ripostes syndicales face à l’extrême droite » de Solidaires pour dénoncer le fantasme du « grand remplacement »12– et faire pièce aux horreurs qu’assènent quasi-quotidiennement les Eric Zemmour et autres Alain Finkielkraut. Mais il est encore possible d’aller plus loin, et pour cela de prendre en compte des aspects structurels du racisme au travail. On sait qu’à CV identique, la mention ou l’indice d’une « origine » autre qu’européenne (ou jugée telle), fera que la candidature sera moins considérée dans de nombreuses entreprises ; c’est ce qu’ont établi plusieurs campagnes de testing. Par ailleurs, certaines discriminations dans la division du travail peuvent sauter aux yeux. Reste que les difficultés à établir des statistiques dites « ethniques » – du fait leur interdiction de principe – empêchent des les mesurer pleinement comme de les croiser avec d’autres facteurs. Bien sûr, les critères seraient nécessairement difficiles à établir, imparfaits, sans doute différents d’une entreprise ou d’un service public à un autre… mais ils donneraient tout de même des indications plus précises que celles que nous avons aujourd’hui. Ce serait certainement un support, un outil utile sur de nombreux lieux de travail, face à l’employeur et à l’encadrement, pour aider les équipes syndicales à construire des stratégies antiracistes.

L’enquête « Trajectoires et origines » menée conjointement par l’Ined et l’Insee13 en 2008 et 2009, et dont les données sont disponibles en ligne, a pu mesurer ces discriminations sur une période donnée et limitée. D’une part il est donc possible d’établir des critères valables pour ça ; d’autre part cette enquête a clairement mis en lumière de réelles discriminations. Cela donne des éléments qui mériteraient d’être approfondis et interrogés plus régulièrement : comment sinon arriver par exemple à déterminer si les discriminations raciales créent dans la durée et de manière systémique des écarts salariaux comme c’est le cas pour les femmes ? Si nous avons réussi à trouver les outils nécessaires pour mettre en lumière les inégalités liées au sexe, y compris au sein même de nos organisations, pourquoi ne pas également les mobiliser pour lutter contre les assignations et discriminations raciales ? Cette question se pose pour la non-mixité, on l’a vu par exemple avec le stage de SUD éducation93, et soulève des débats qu’il ne faut pas avoir peur de mener.Aussi parce qu’être syndiqué.e n’est pas un « statut » qui épargnerait miraculeusement des représentations présentes dans la société, quand bien même on aimerait que ce soit le cas. Il ne s’agit pas forcément de « décalquer » ce qui a été fait sur les questions de genre, et permis d’avancer à ce sujet (même s’il reste toujours fort à faire), mais ce serait quand même bien dommage de se priver des expériences qu’a pu mener le mouvement féministe. Pour cela, si l’on veut effectivement avoir ses débats à l’intérieur de nos organisations syndicales, il faut arriver à trouver un « langage commun » qui bannisse anathèmes et excommunications.

L’enjeu restant quoi qu’il en soit de mettre en place les outils de mobilisation les plus pertinents pour créer de l’action collective et lutter contre les discriminations. Tout simplement parce que le syndicalisme ne peut pas rester à l’écart des combats pour l’égalité, de tousles combats pour l’égalité.

Théo Roumier.


1 Pour l’essentiel les informations qui vont suivre sont tirées de l’éclairage sur « Syndicalisme et immigration, une histoire tourmentée » figurant dans le Cahier de formation de syndicale Une histoire du mouvement ouvrier, publié par le Cefi en mars 2017.

2 Rappelons que la CFDT de cette époque est une organisation de lutte de classe, attachée à promouvoir un projet socialiste autogestionnaire… bien loin de ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

3 Laure Pitti, « Penarroya 1971-1979 : Notre santé n’est pas à vendre ! », Plein droit, revue du Gisti,n°83, décembre 2009.

4 Victor Pereira, « Portugais en lutte : une mobilisation paradoxale », Plein Droit n°100, mars 2014.

5 Voir l’article de Vincent Gay dans ce numéro, « Subordination et insubordination usinières. Les ouvriers immigrés de Citroën et Talbot au début des années 1980 ».

6 Philippe Marlière, « “Printemps républicain” : le rappel à l’ordre de la bourgeoisie jacobine », article publié sur le site de la revue Contretemps en avril 2016.

7 Voir le site reprenons.info et l’article d’Eric Fassin dans ce numéro, « Racisme d’État : politiques de l’antiracisme ».

8 Voir sur le site de SUD Aérien : http://www.sud-aerien.org/RETRAIT-ABUSIF-DES-BADGES.

9 Voir les documents reproduits dans ce numéro.

10 Voir l’article à ce sujet dans ce numéro, « Tentative de bilan du mouvement de grève des travailleurs sans-papiers, 2008-2010 ».

11 À regarder sur le site de Solidaires : https://solidaires.org/Accuse-a-tort-d-apologie-du-terrorisme.

12 Disponible dans la rubrique « Les argumentaires » du site de Solidaires.

13 Institut national d’études démographiques et Institut national de la statistique et des études économiques.

Théo Roumier
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Théo Roumier

Militant SUD Éducation en lycée professionnel, membre du comité éditorial des Utopiques